« Organisation secrète »
Anianka & Elely, Mildred, Maxim

Elles avaient établi leur campement dans une forêt recouverte du manteau blanc de l'hiver et dans une petite grotte au sein même d'une imposante montagne, cachée par un tronc mort qu'elles déplaçaient devant pour éviter que d'autres solitaires ne le découvre. Elles avaient accès à pas mal d'endroit, elles se situaient entre le territoire Nakhus et la grève gelée, non loin des terres fumantes appelées aussi "Plaie du monde" et surtout assez loin du territoire Etelkrue.
Le soleil se couchait et c'était l'alerte pour Elely qu'il fallait retourner au campement comme chaque soir, pour rejoindre les autres et faire un résumé des informations collectées. Mère avait donné cette directive pour être organisées et s'assurer de la protection de la famille. Il n'était pas question pour elle d'être en retard, surtout qu'aujourd'hui elle avait enfin trouvé de quoi parler et remonter dans la fierté de Mère. A chaque foulée plus près du campement son cœur s'impatientait un peu plus de pouvoir conter sa découverte aux autres et de les impressionner.

Elle serpenta entre les arbres et prit soin d'effacer ses traces pour éviter d'être suivie et lorsqu'elle arriva au grand tronc d'arbre, Mère et Maxim l'attendaient déjà avec le repas servi. Un cerf ! Les prunelles océaniques d'Elely brillèrent en humant cette odeur alléchante et elle sentit la bave s'accumuler sous sa langue. Tout ce froid lui donnait de l'appétit et les proies par ici étaient bien plus présentes et grosses que vers chez elles, il y avait de quoi faire des réserves.

On attend l'arrivée de ta sœur, Elely. Intervint la prêtresse rose en tournant son visage impassible sur la disciple.

Elely fit une grimace et après avoir frôler Maxim dans un contact attendrissant, elle vint s'allonger près du cervidé, prenant son mal en patience.

Ces derniers jours, les pas de Mildred ne l’avaient pas portée très loin du campement familial.
Plus tôt lors de leur arrivée, la louve s’était fréquemment laissée aller à parcourir de plus longues distances afin d’aller explorer les territoires limitrophes, parcourant les landes Nakhus et longeant la frontière avec ces si fameuses Terres du Nord qu’elles étaient parties affronter. Elle y avait fait des rencontres, s’était familiarisée avec la zone - et surtout, elle avait guetté.
Jour après jour, postée sur les hauteurs qui lui permettaient d’observer le campement des Etelkrus et les allées et les venues d’autres loups sans être vue, elle avait cherché sans relâche la présence de ses deux frères. Ceux qui avaient motivés sa famille à quitter leurs repères habituels pour venir se perdre ici.
Le plus efficace aurait été de venir se fondre parmi les autres pour chercher et flairer une piste, mais elle préférait demeurer dissimulée dans l’ombre. Du moins pour l’instant.
Et cela ne l’avait pas empêchée d’apprendre que Méridor n’était pas là, ne serait peut-être jamais là, en bon gardien des terres de ceux qu’il avait choisi à leur place.
Mildred renifla, se forçant à chasser la pointe d’amertume qui piqua son coeur à ces pensées.

Elle se rapprochait de leur foyer temporaire à mesure que progressait l’avancée du crépuscule, et bientôt il lui faudrait penser à d’autres choses qu’à l’absence de leur frère.
Ses oreilles se redressèrent quant au loin elle sentit la présence d’Elely s’affirmer, odeur circulant dans l’air froid pour venir se loger sans ses narines.
La louve pressa le pas, peu désireuse d’être en retard au rassemblement.
A son tour elle émergea d’entre les arbres quelques secondes après l’arrivée de sa soeur, aperçut elle aussi la carcasse encore tiède qui trônait au centre et qui provoqua dans son corps la même convoitise.
Mais elle ne serait pas celle qui se jetterait sans élégance sur la nourriture ; aussi se contenta-t-elle de s’en détourner pour le moment en attendant l’autorisation tacite de lancer le festin et de venir s’asseoir, droite et vigilante, près de Maxim et en face d’Elely - leur rassemblement formant presque un cercle dont les regards convergeaient vers l’élément qui en était le plus important.

Leur mère, Anianka, celle qui régnait et veillait sur leur famille.

Celle qui comme chaque soir, lancerait le début de leur petit conseil. Celle pour qui s’allumaient de chaleur les yeux autrefois vairons de Mildred, celle dont elle était suspendue aux lèvres.

Anianka  &  Elely

Elle n'eut pas à attendre bien longtemps que la silhouette désirée fit son apparition et le visage d'Elely s'illumina de joie en la voyant.

On a failli t'attendre Mil' ! S'exclama-t-elle en usant de ses pattes avant pour se mettre assise.

Après un échange de regard avec sa dernière fille arrivée Anianka s'approcha du cervidé et à elles deux, elles complétèrent le cercle familiale qui sonnait le début de la réunion et du repas. Aucune de ses filles ne semblait blessée ce qui la rassura et elles purent dîner tranquillement. Un simple signe de tête de la prêtresse et Elely se jeta aussitôt sur la cuisse qui se présentait devant elle, tirant sur sa peau et goûtant au sang encore tiède. La chair était tendre et goûteuse à faire danser ses papilles et malgré son appétit vorace elle s'appliqua à rester propre et élégante, comme mère leur avait appris.

Mère si vous le permettez, je souhaiterai commencer. Demanda la disciple rose, essuyant ses babines d'un coup de langue après avoir avalé son premier morceau.

Anianka se contenta de cligner des paupières en gage d'autorisation, les crocs mastiquant les tendons de l'épaule du cervidé avec son calme et son raffinement habituel.

J'ai rencontré une conseillère Etelkrue près de la grève au nord, sur la glace. Elle prétendait connaître Méridor et d'après les preuves qu'elle m'a donné.. Je la crois.

La prêtresse écouta attentivement, oreilles tendues, mais continua son repas avec impassibilité.

Elle s’appelle Holly et d'après ce que j'ai compris, elle est particulièrement proche de lui. Déclara-t-elle en fronçant les sourcils, quelque peu frustrée et jalouse.

Elle m'a expliqué que Méridor a été attaqué et qu'il en est ressorti gravement blessé. Il est pour le moment sous leur protection et elle a refusé que je puisse le voir.  

Quelques rides vinrent plisser son museau alors qu'elle se remémora l'attitude hautaine de la bleue. La prêtresse releva la tête et interrompit son dîner pour écouter avec préoccupation la suite, ses sourcils se rabattant près de ses prunelles d'ambre.

Ce n'est pas tout. Elle ignore le nom de son assaillant mais elle m'a certifié qu'il s'agit de l'un des membres de notre famille et que pour cette raison, il refuse de nous revoir.

Les oreilles d'Anianka s'agitèrent et une lueur brûlante passa dans ses prunelles. Elely détourna son regard vers ses sœurs, quelque peu gênée par celui de mère.

C'est clairement du n'importe quoi ! Elle a inventé cette histoire pour nous séparer rien de plus, je suis convaincue qu'ils essaient en réalité de le monter contre nous ! Elle semblait le vouloir que pour lui, cette foutue conseillère...

Anianka plissa les yeux, silencieuse et soucieuse, le visage fermé tandis que sa fille s'emportait.

Je lui ferai la peau moi à celle là si jamais elle ne conduit pas à lui, il appartient à notre famille, pas à leur meute de barbares !

Elely s'interrompit et fixa un instant sa mère, reprenant son calme.

J'ai demandé à ce qu'elle délivre un message à Méridor, je lui ai donné rendez-vous à la prochaine pleine lune à l'endroit où j'ai rencontré Holly, comme ça elle pourra l'y accompagner et ça la rassurera peut-être, qui sait, au moins elle le fera. Et si jamais ils ne viennent pas.. Alors j'irai le chercher moi-même ce crétin.

Elle cracha ses derniers mots avec colère et replongea son museau dans la chair, évacuant toute sa frustration à coups de crocs. Un silence s'installa durant lequel Anianka fixa la carcasse murée dans une glace impénétrable. Après quelques minutes seulement où seuls les bruits de mastications et d'os broyés se firent entendre elle s'exprima, d'une voix impavide et nue d'inquiétude.

Calme toi Elely, nous ne devons pas nous précipiter sans réfléchir. Il s'agit peut-être d'un piège, nous n'avons aucune certitude que Méridor y est véritablement.

Son calme presque insensible ne laissait aucune place pour déceler ce qu'elle pouvait penser de ces accusations, elle était comme toujours, froide et mystérieuse. L'ombre sur son visage et la flamme éteinte dans son regard laissaient cependant apercevoir son appréhension ainsi que sa tristesse et la disciple rose sentit son cœur se serrer devant cette expression, d'habitude étrangère à mère.

Un discret signal suffit à lancer le festin, et toutes plongèrent le cou vers le cadavre pour en ouvrir la chair.
Quelques secondes passèrent où seuls le son de leurs mâchoires à l’oeuvre troublèrent la quiétude de la nuit avant qu’Elely ne prenne la parole, désirant faire son compte-rendu.
Mildred ne quitta pas son repas du regard, dressant seulement une oreille quelque peu distraite vers sa soeur.
Il fallait dire que la plupart du temps, ils revenaient de leur journée sans réelle information palpitante à partager. La vie au Nord s’était déjà organisée bien avant leur arrivée, et les évènements les plus intéressants semblaient se poursuivre bien plus loin, au-delà du début des terres gelées d’après les rumeurs qui couraient.
Depuis la frontière où s’établissait leur surveillance sans s’enfoncer davantage, trop de choses échappaient à leurs regards.

Sa soeur mentionna une Conseillère, et Mildred fouilla un instant dans sa mémoire. Mais elle n’avait pas souvenir qu’une louve ait occupé ce poste du temps où elle avait vécu chez eux, plusieurs années auparavant.
Cela commençait à faire trop longtemps et les informations qu’elle avait pu glaner devenaient de plus en plus obsolètes.
Une étincelle de frustration la parcourut, agitant sa queue d’un mouvement sec.
De toute façon, Elely avait eu son nom, et elle n’avait jamais vu cette fameuse Holly.

De tous les membres ayant un tant soit peu d’importance qu’elle avait pu voir, jamais ce nom n’avait été prononcé. Les Etelkrus avaient-ils nommés un étranger ou un louveteau à ce poste d’importance ? Elle en doutait.
Peut-être que cette Holly était une menteuse qui voulait se donner de l’importance loin du regard des siens.

C’était quelque chose qu’elle pouvait comprendre sans se l’avouer.

La suite lui fit relever le museau hors des entrailles du cervidé et dresser les deux oreilles, fixant sa soeur de deux yeux d’abord ronds.
Puis qui se plissèrent sous la colère.

— L’Etelkru que j’ai vu il y a quelques jours m’a dit qu’il allait bien !

Sa voix grondait d’une indignation contenue alors qu’elle continua d’écouter les informations rapportées par Elely, son poil se hérissant toujours un peu plus à chaque phrase.
Elle ne pouvait qu’être d’accord avec elle, c’était une sale manigance de la part de cette Holly qui n’était peut-être même pas celle qu’elle prétendait être. Qui dans leur famille s’en serait pris à leur propre sang, alors qu’ils souhaitaient tous être réunis ? Cela ne faisait aucun sens.

Et soudain, un déclic.

Holly.

Si, elle avait déjà entendu ce nom.
De la bouche de Méridor lui-même.

Je suis parti pour Holly. Elle est mon premier amour, et je crois que je l’aime encore.

Et en parallèle résonnaient les mots de sa soeur. Elle semblait le vouloir que pour elle, cette foutue Conseillère.

Son regard se figea dans le vague, Mildred demeura vide un instant. Avant qu’un océan de colère ne reflue dans sa poitrine, menaçant de déborder.

— Ces Etelkrus ne sont que de sales menteurs.

Elle garda un ton étonnamment bas et sourd en comparaison avec le tumulte d’émotions vives qui vrillait son crâne, brûlait son coeur.
La louve coula un regard vers leur Mère qui émettait de justes doutes. Elle avait suffisamment d’éléments pour les démêler, au moins en partie. Mais combien devait-elle en relever ?
L’irritation et le ressentiment l’étouffaient comme une fumée noire et l’empêchaient d’y voir clair.

— Je crois bien qu’il est vraiment chez eux, Mère. C’était son choix. Et il m’a dit... Qu’il connaissait cette Holly. Reste à savoir qui ment entre cette pimbêche qui ose dire que l’un des nôtres l’a blessé et qu’il ne veut plus nous voir, et celui qui m’a affirmé qu’il allait bien.

Et pour Mildred, la balance penchait clairement en défaveur de cette Holly.
Misérable louve qui n’avait rien de mieux à faire que de s’inventer des rangs auxquels elle ne pouvait prétendre tout en s’amusant à séduire leur frère pour l’emmener dans les griffes d’un clan au sein duquel il était malheureux. Il lui avait bien dit, qu’il ne trouvait pas sa place ! Qu’elle avait eu raison !
Alors pourquoi était-il encore derrière leurs frontières, coupé loin du monde alors qu’il aurait pu aller au Nord comme tant d’autres, si ce n’était pour cette sorcière qui le gardait prisonnier ?

Elely avait raison. Elle voulait les empêcher de le revoir et de le ramener.

Cela faisait d’elle une ennemie.

Le froid regard d’argent alla tour à tour rencontrer les prunelles de chaque membre de sa famille, brillant de détermination.

— J’irai avec toi, Lely. Maxim pourra suivre de loin, si c’est un piège et qu’il y a besoin de renfort, mais ne nous montrons pas en groupe. A deux, nous serons à nombre égal de chaque côté, c’est plus juste.

Ses griffes fouillèrent le sol enneigé, y laissant des sillons où elle tâcha de canaliser sa rage et son impatience à tirer cette affaire au clair.

Anianka  &  Elely

Les informations de Mildred firent bouillir un peu plus le sang d'Elely qui cassa l'os resté entre ses mâchoires d'un craquement sec. C'était enfin l'occasion de leur faire payer leur insolence, de leur montrer que les anciens Lazulis sont encore debout et forts, de leur prouver que leur famille est dominante et puissante.

Elle hocha la tête pour plussoyer sa sœur.

J'espère pour cette pestiférée qu'elle se présentera comme convenue avec notre frère, ou elle le paiera de sa vie.

Un sourire sombre peignit ses babines tâchées de sang.

Ne faites rien sans m'avoir concerté surtout, qu'ils viennent ou non. Intervint la prêtresse en dardant sur ses deux filles un regard sévère.

Nous devons rester unies quoi qu'il advienne et ne surtout pas agir sans réfléchir. N'oubliez pas que nous sommes peu nombreuses et nous ne venons pas ici pour déclarer une guerre.

Même si cette idée aurait pu la ravir, autrefois. L'amour —bien que peu exprimé— pour ses enfants lui a fait changer de comportement et de mentalité avec le temps. Depuis leur naissance, sa vie ne se consacrait plus qu'à leur sécurité et à leur bien être.

Ton raisonnement est le bon Mildred. A la moindre menace il vous suffira de lancer un appel et nous arriverons en renfort immédiatement.

Elle marqua une pense pour observer ses filles.

Pas de nouvelles de Rhaegar pour le moment.

A l'origine une question, mais qui finalement fut soupirée comme une affirmation. Elle baissa le regard sur la carcasse, songeuse.

Finissez votre repas mes filles, puis ensuite nous nous ferons les plus présentables possible pour prier Moiro.

« Une prière pour l'avenir »
Anianka & Elely, Mildred, Maxim

La lune avait eu le temps de monter haute dans la voûte céleste le temps que les préparatifs soient terminés et de son demi-disque se rependait sur la forêt une ombre cendrée et fantomatique. Au centre d'une petite clairière éclairée par l'astre nocturne, elles avaient installé une petite table à l'aide de deux rochers côtes à côtes et d'un plus plat les superposant. Toutes coiffées et toilettées avec élégance et raffinement, elles étaient assises en un grand triangle autour de la prêtresse et de la table de pierre argentée. Les étoiles étincelaient cette nuit là au dessus de leur tête et se reflétaient sur leur fourrure soyeuses aux teintes brunes et rousses flammes. Les roses ne poussant que sur l'île familiale, elles avaient été contraintes de cueillir des fleurs des bois telles que des daphnés et des camélias pour orner leur coiffure, le sol autour d'elles ainsi que l'autel de pierre improvisé. Elles avaient fait d'une simple clairière un endroit baigné de lumière et de beauté, délicieusement parfumé et teinté de la couleur de leur déesse pour l'honorer.

La tête haute et le dos droit, Anianka vint déposer sur l'autel improvisé des couronnes faites de fleurs méconnues de leur territoire et les bois du cerf, nettoyés, retaillés brièvement et décorés eux aussi de tendres fleurs roses poudrées et blanches.

Il est temps, maintenant.

De quelques pas en arrière elle recula, son regard flamboyant ne quittant pas les offrandes confectionnées par ses enfants et elle.

Vénérable déesse Moiro, nous nous adressons à vous en ce modeste lieu de fortune qui, bien que loin d'égaler votre somptueux temple, nous l'espérons vous conviendra.

Elle marqua une brève pause pour observer tour à tour ses enfants, son sang, sa chair.

Mère de nos cœurs et de nos esprits, nous espérons humblement que vous entendrez cette prière. Durant des années durant vous nous avez accompagné et soutenu, dans les pires comme dans les meilleurs moments et pour cela, nous vous serons éternellement reconnaissantes. Veuillez accepter par ailleurs ces présents en gage de nos sincères sentiments.

Sa voix qui jusqu'ici était formelle, devint plus douce, plus attendrissante. Comme une confidence.

Mes enfants sont nés sur la pureté de vos terres et ont grandi sous votre œil bienveillant, dans l'éducation de la grâce et de la finesse. Bien plus qu'une divinité protectrice, vous êtes pour eux une marraine.

Distante et froide aux premiers abords, mais tout comme Anianka sous son masque, affectueuse et doté d'amour maternel.

Je crains m'être réveillée trop tard sur la discorde qui empoisonnait ma famille et aujourd'hui elle se retrouve éparpillée et brisée à mon plus grand malheur. Nous ignorons encore les faits mais nous nous inquiétions pour la survie de Méridor et Rhaegar.

Quand bien même l'un d'eux lui a délibérément tourné le dos, lui a écraser le cœur à grands coups de pierre elle l'aimait. Il n'était qu'un enfant égaré et influençable, comme son père et au delà de toute la souffrance qu'il lui causait, il était son sang et pour cela, il aura toujours sa protection.

Nous sommes conscientes de la banalité et de l'insignifiance que peut avoir cette histoire de mortels à vos yeux et pour cela nous nous excusons. Nous vous prions dans l'espoir qu'ils se portent bien et qu'aucun danger ne les guettent. Pour l'amour et la dévotion que nous vous portons, de grâce, protégez une dernière fois notre famille de l'égarement et des regards malveillants.

Le cœur palpitant, elle garda une allure fière et forte pour ne pas déshonorer son rang malgré la tristesse qui serrait sa poitrine. Bientôt et elle le savait, elle ne serait plus de ce monde pour protéger ses enfants et c'est pourquoi c'est vers sa bien aimée qu'elle se tournait pour s'assurer de leur prospérité à l'avenir. Pour s'assurer qu'importe l'obscurité qui guettent leur esprit, la lumière de Moiro les guiderait comme pour Mildred.

Elle s'inclina respectueusement et invita ses filles à en faire de même puis, penchant la tête en arrière, elles entamèrent de leur voix doucereuses un long chant harmonieux et envoûtant en l'honneur de la Tigresse.

Galvanisée par la réaction de sa soeur, aussi prompte à s’enflammer qu’elle, Mildred lui adressa un hochement de tête sec et déterminé.
Les mots de leur mère ne tardèrent pas cependant à venir apaiser les braises - tout du moins à les contenir, ne serait-ce que temporairement. Elle écouta, oreilles droites et regard vissé dans les prunelles dorées, acquiesçant cette fois plus lentement avec l’air de quelqu’un qui savait déjà, qui se contentait d’accepter une information déjà connue.
Et quand Anianka la complimenta discrètement dans la tournure de ses mots, une vague de chaleur bien différente de la vive colère et de l’amertume vint traverser son corps, diffusant une agréable sensation dans ses muscles qui se détendirent.

Mildred retint un sourire de fleurir en se mordant l’intérieur de la joue, mais elle n’en pensait pas moins.

Peut-être serait-ce finalement ici, au sein de ces terres glacées, qu’elle trouverait finalement l’occasion de briller.

Ainsi Rhaegar ne trouva-t-il qu’une toute petite place dans ses pensées actuelles, quand son nom fut évoqué. Ce qu’elle nourrissait à l’égard de cet autre frère volontairement disparu ressemblait de plus en plus à de la rancune, et le bonheur passager qu’elle venait de glaner refusait de céder place à une énième émotion négative.
Alors elle chassa son souvenir d’un clignement des yeux, et obéit plutôt à la Prêtresse en retournant déchirer la viande, tout en pensant avec une pointe d’angoisse à la prière qui venait de s’annoncer.

Ce serait son premier contact, quand bien même indirect, avec Moiro depuis l’échec de son épreuve.
Pouvait-elle arranger les choses ?

Prouver à sa Déesse qu’elle n’était pas qu’une rose fanée ?

• • •

Quand tout fut prêt vint le moment de se rassembler.

Il y avait dans ce moment quelque chose de surréel qui la tira loin des pensées de ces derniers jours ; de ses troubles, de ses colères et de ses doutes.
Quelque chose qui la tirait en arrière, l’arrachait à ses terres gelées pour la ramener sur l’Île aux Roses. Mais pas n’importe laquelle.
Celle de son enfance.
Dans cette clairière qu’elles avaient tant et si bien embellie qu’on en oubliait où elles étaient, à regarder ses soeurs et sa mère si bien arrangées au point de camoufler la fatigue des corps comme des esprits, ensemble rassemblées et unies au milieu d’une myriade de fleurs colorées...
Oui, elle avait l’impression d’être de retour des années auparavant. Dans ce monde édulcoré aux souvenirs doux-amers, où les angoisses qui déjà à l’époque la tourmentait n’étaient que broutilles qui aujourd’hui la feraient rire à gorge déployée, de ce rire qui s’imposait quand une situation absurde faisait naître le désespoir mais que celui-ci s’exprimait avec cynisme plutôt que dans des larmes.

Ses oreilles frémirent quand leur Mère prit la parole, l’interrompant dans le fil devenu hors de contrôle de ses pensées.
Elle se reconcentra sur l’instant présent, fermant les yeux, et laissant la tirade l’inonder tandis que son coeur communiait avec celui de ses soeurs ici présentes.
En parallèle et à mesure qu’Anianka priait à voix haute de sa voix éloquente, les pensées de Mildred finirent par converger sur son propre discours silencieux, une prière en parallèle ; qui se mit à résonner dans son esprit.

Grande Déesse Moiro, puissiez-vous voir que je ne vous ai pas oubliée. Que malgré mon échec auprès de vous, je m’efforce de continuer de suivre votre voie.

Permettez-moi de continuer à poursuivre votre lumière ; même ici sur ces terres sombres et froides je n’ai pour pensée que la chaleur réconfortante de l’Île où siège votre Temple, même ici je n’ai à coeur que de pouvoir vous servir tout comme j’accompagne ma famille pour qu’elle cesse de se déliter.

Fière Déesse, voyez comme je m’applique à faire de mon mieux. Je vous en prie, ne me fermez pas vos portes à jamais.

Protégez notre famille, qui vous est tant fidèle.

Ses yeux se rouvrirent quand leur Mère acheva son ultime phrase, et Mildred se joignit à la révérence.

Puis à son tour, sa voix s’éleva en un harmonieux hurlement qui alla se mêler à celui de ses proches - pour porter leur détermination jusqu’aux cieux.

Jusqu’à Elle.