[EVENT] La quête de la Tigresse

Au coeur des terres glacées ils revenaient.
Cette fois-ci, ce n’était pas une des leurs dont ils cherchaient la trace.
Pas même au sens figuré du terme, puisque l’entité suggérée par les empreintes ne figurait pas dans le cheptel de leurs divinités.
Le mot avait circulé et les plans s’étaient établis vis à vis des découvertes faites suites aux différentes explorations menées. Les informations échangées avaient tissé des réseaux et des hypothèses qui commençaient à prendre forme et qu’il allait falloir étayer.
Mais alors qu’elle progressait aux côtés de sa soeur et de Saqqarah, c’était sur une autre piste qu’elle se serait imaginée.
Loin des coussinets ronds et moelleux qui suggéraient la Tigresse. Loin de leur douce couleur rosée qui illuminait ce monde froid.

C’était ondulant sur une piste également louvoyante qu’elle se serait vue ce jour, pourchassant les traces non de Moiro mais de Kiro. Son Dieu. Celui à qui elle avait exprimé le souhait de n’accéder à sa demande qu’après avoir accompli ce qu’il restait à faire au Nord.
Que faisait-elle, elle, future Prêtresse de Kiro, loin d’ersatz du passé de l’Anaconda ? Loin de son frère et de leur ami ? N’auraient-ils pas formé une formidable équipe soudée par le jaune qui brillait autant dans leur coeur que sur leur corps ? Une équipe infiniment dévouée au Dieu serpent ?
Ces pensées trottaient dans son esprit sans savoir que sa propre soeur était elle-même destinée à devenir Prêtresse du Grizzly, et se trouvait pourtant elle aussi à traquer une déesse pour laquelle elle portait certainement bien peu d’intérêt.
Après tout, ce n’était pas de l’amertume, au fond. L’équipe de Narcy, Dez et Holly s’était naturellement formée de part leur première expérience ensemble, et elle était heureuse de se retrouver à nouveau aux côtés de Axie pour cette mission.

Elle aurait simplement voulu donner son corps et son énergie au Dieu qui parmi tous comptait le plus dans sa vie et qu’elle serait amenée à servir et représenter.

Mais les choses étant ce qu’elles étaient, et Anita n’étant pas coutumière avec l’idée de rester sur des pensées potentiellement frustrantes, c’était néanmoins avec un léger sourire ancré aux babines qu’elle faisait la route avec enthousiasme.
Un enthousiasme qui pouvait n’être qu’alimenté par l’assurance joviale et bruyante de sa soeur, là où leur collègue panseur semblait bien plus déstabilisé par la situation. Après tout, c’était sa première fois par-delà la brèche, quand elles s’y étaient déjà enfoncées pour se confronter à ses dangers.
Et quelles que soient les conséquences encore incertaines qu’elles avaient alors subi, ce n’était visiblement pas suffisant pour les empêcher d’y retourner, toujours aussi fières et sûres de leurs capacités à s’en sortir une fois de plus. Les monstres d’ici avaient beau avoir une certaine carrure, ils n’avaient pas leur détermination et leur flamme intellectuelle.

Le groupe stagna un certain temps autour des empreintes, Axie et Saqqarah s’exprimant tour à tour tandis que le regard d’Anita voguait loin, bien plus loin ; essayant de percer l’horizon pour trouver un point d’arrêt à la piste qui semblait s’enfoncer vers l’infini.
Ses oreilles pivotèrent vers sa soeur quand elle s’entendit être mentionnée, un sourire un peu plus large s’affichant un instant en réponse à sa plaisanterie. La louve quitta la piste des yeux durant quelques secondes pour s’adonner à une brève démonstration de deux ou trois foulées souples et ondoyantes, posant chacune de ses pattes dans les empreintes de félin sur quelques pas en ricanant.
Si Moiro ne l’intéressait pas plus que cela, peut-être n’avait-elle pas tout à fait tort ; et que des trois elle serait la plus à même de coller aux valeurs de la Tigresse le temps d’une mission. Après tout, l’agilité de l’Anaconda se retrouvait dans la grâce de l’ancienne déesse Lazuli.

Trêve de plaisanterie, il leur fallait tout de même établir une stratégie avant d’aller plus loin.
Son regard reprit sa lente remontée vers le lointain le long de la piste pendant que sa soeur trépignait, et qu’elle se mit à réfléchir à voix haute.

— Ouais, tu peux faire ça, Saq’. Faut juste qu’on y perde pas trop de temps. On a qu’à marquer comme les traces qu’il y avait pour retrouver le chemin de la brèche... Avec des coups de griffes.

Car elle les avait remarquées, ces traces laissées là par un autre congénère, marquant discrètement la voie à travers les nombreux tunnels de glace.
Etablir un code se suivant d’un endroit à l’autre aiderait tout un chacun à retrouver facilement une route - au cas-où les marques de coussinets venaient à s’estomper ou que leur chemin les amenait à dévier.
En s’y mettant à trois, peu de temps serait perdu pour leur permettre de marquer la trajectoire - et Saqqarah pourrait toujours griffonner sur son carnet pour établir une carte utile à de futures références.

Tant qu’il ne se retrouvait pas à trop traîner derrière.
Comme pour aller chercher Solelio ; ils s’enfonçaient dans un endroit inconnu dont ils connaissaient peu de chose à part que leur présence n’était ni souhaitée ni adéquate, et il leur faudrait être tout aussi vifs à réagir pour ne pas s’éterniser ici.
D’autant que la route semblait longue, ne s’estompant que pour se fondre avec l’horizon blanchâtre.


— Allons-y.

Elle leur glissa un dernier regard avant de s’élancer sur la piste d’un trot léger, n’hésitant pas plus d’une seconde, appuyant ses propres pattes par-dessus les coussinets le plus souvent possible, comme si l’essence laissée ici pouvait à un moment se transmettre à elle et l’aider dans sa quête.
Son esprit était clair et alerte, l’adrénaline pulsait lentement en ses veines, douce substance qui se chargeait quelque part au fond de ses muscles pour se décharger en cas de besoin.

Cette expédition et ses dangers serait comme toutes les autres, de la glorieuse escalade du Mont de Boue au combat contre le Monstre des Glaces en passant par les heures volées à la nuit à défier les Dents de Roc.
Une simple épreuve qu’Axie et elle avaleraient de leurs crocs avides, épaulées par le prudent panseur et ami d’enfance.

Leurs foulées avalèrent la distance, la progression était rapide et efficace - au vu de la ligne relativement claire dans laquelle s’inscrivaient les empreintes, ne les laissant jamais croiser d’obstacles plus handicapant qu’un occasionnel fossé ou une barrière de rochers ; rien ne semblait vouloir les empêcher d’atteindre leur but. Pour le moment.
Progressivement, les bourrasques du vent glacial qui les poursuivait plus sûrement que tout adversaire, s’insinuant dans tous les interstices pour venir leur rappeler qu’ici n’était pas endroit pour eux finirent par se faire plus éparses avant de tout simplement disparaître. Les seuls souffles qui courraient encore sur les parties découvertes de leurs corps leur apportaient l’information d’une atmosphère devenue étonnement... Tiède.

Anita ralentit quelque peu son trot ; dirigeant un regard étonné vers ses deux camarades, se demandant s’ils avaient le même ressenti qu’elle.
Et comme cela semblait être le cas la louve s’appliqua à observer le paysage qui les entourait désormais avec plus d’assiduité.
Après avoir traversé une étonnante diversité de paysage dans cette zone enclavée de falaises trouées de grottes, c’était désormais devant la naissance d’un autre type de roche qu’ils se retrouvaient, roche sur laquelle poussaient quelques plantes entreprenantes. La raison n’était pas bien difficile à déduire - de même que le pourquoi de cette soudaine douceur du climat. S’enroulant en de lents panaches montant vers les cieux, une vapeur blanche émanait de ce mont singulier. Un volcan, qui réchauffait toute la zone autour d’eux.
D’un geste, la louve tira sur deux ou trois sangles afin de desserrer quelques pans de son vêtement sans pour autant l’ouvrir complètement, au cas où une urgence soudaine les pousserait à s’enfoncer de nouveau dans le froid.

En tout cas, la pause était bienvenue.

Mais plus que ce changement d’atmosphère, c’était le petit félin qui accapara son attention l’instant d’après, comme il attira très certainement celle des autres également.
Elle se figea un instant, craignant presque de voir l’animal disparaître comme une illusion ou partir à fond de train pour les entraîner dans une course-poursuite, mais elle se détendit en constatant que la tigresse miniature semblait n’accorder à leur présence qu’une forme de... Dédain.
Sa longue queue se mit à se balancer lentement et elle se tourna vers ses congénères sans s’avancer davantage.

— ... C’est bizarre, non ? C’est comme si elle s’en foutait, qu’on puisse l’attraper.

Peut-être parce qu’elle savait qu’ils ne pouvaient pas, malgré leur proximité ? Soit qu’elle soit très rapide, soit qu’elle ait capacité à se dissiper, à se jouer d’eux de différentes manières. Soit... Que ce soit autre chose, qui les empêche de l’atteindre. L’environnement, peut-être. Le sol sous ses coussinets était devenu tiède ; mais la roche devenait-elle brûlante si l’on montait encore ? La lave menaçait-elle de surgir sous leurs pattes ?
D’autres prédateurs plus impressionnants que ce fauve miniaturisé pouvaient-ils s’interposer ?
Son regard se mit à parcourir à nouveau les alentours, guettant chaque recoin comme en s’attendant à moitié à voir apparaître un monstre tapi dans les ombres ou tout autre indice pouvant les alerter alors que ses sourcils se fronçaient sous la réflexion et la perplexité.

— Si ça se trouve, c’est même pas elle qu’on cherche.

Les yeux pétillants revenaient sans cesse à la tigresse qui les toisait, cherchant à lui trouver n’importe quoi de particulier à part sa petite taille.
Si par hasard les empreintes continuaient par-delà l’animal ?
Elle se tortilla un peu pour étendre le cou, se dresser sur ses pattes, se dévisser la tête pour voir si les traces de rose continuaient.
Bref, elle n’en pouvait plus de voir si l’environnement avait quelque chose à leur révéler.
Mais elle se sentait un peu coincée, quand bien même ses ailes frémissaient sous une impatience pulsant dans son corps, des impulsions qui lui susurraient de bondir sans attendre pour attraper la tigresse et de se lancer à sa poursuite si celle-ci s’enfuyait - de lui montrer, qui de l’image de Moiro ou d’une fille de Kiro, était le plus rapide des deux.
Mais cet endroit n’était pas un jeu. Et elle n’était pas toute seule.

Un battement d’aile à la périphérie de sa vision attira son regard - Clou, la créature spectrale qui la suivait quand il lui plaisait, était venue se poser non loin. Les deux billes rondes et luminescentes qui lui servaient d’yeux s’ancrèrent aux siens, comme dans l’expectative.
La chose était d’un caractère insaisissable et lunatique ; mais avait souvent su se rapprocher de la louve quand celle-ci avait eu besoin de lui, quand bien même elle ne réclamait pas sa présence.
D’un geste du museau en direction de la tigresse de la part d’Anita, la créature comprit et prit son envol, planant silencieusement vers l’étrange fauve.

[Le draginsecte d’Anita s’approche en reconnaissance de la tigresse et survole les environs, prenant de la hauteur sur la scène.]

Tandis que le draginsecte s’éloignait en un léger bourdonnement, la louve jeta un regard intrigué par-dessus l’épaule de Saqqarah pour voir la carte qui prenait forme. Mhh. C’était plutôt ressemblant, et ça servirait dans le futur. A sa question elle eut pour toute réponse de désigner du museau la silhouette verdâtre et de plus en plus ténue de l’étrange familier - ce n’était pas elle qui s’était élevée pour en voir davantage, non ; mais elle espérait que la présence de Clou en sentinelle leur serait d’un quelconque avantage.
Et tandis qu’Axie faisait la pitre, les yeux violets ne quittaient pas la petite tigresse qui n’était pas plus chamboulée que ça par leur présence. Et qui riait de leurs paroles - plus encore des farces de sa soeur, soulevant chez Anita des sourcils étonnés et un petit sourire en coin.
Quelque part elle ne pouvait qu’être d’accord. Il y avait quelque chose de positif à l’idée de retenir l’attention de cette prétendue Moiro en cavale, quand bien même son rire était difficile à interpréter. Il fallait qu’ils parviennent à garder son regard sur eux, qu’ils ne deviennent pas un ennui pour elle - au risque de la voir décamper.
Encouragée par cette réaction, sa soeur, elle, n’en finissait plus de s’agiter et de fourmiller d’idées qu’elle débitait à tout va. De plus en plus... Etonnantes. Malgré la concentration qu’elle s’efforçait de fixer à la surveillance de la tigresse, Anita ricana, s’amusant tant du plan qu’elle ne cessait d’étoffer que d’observer la réaction et les protestations de Saqqarah en parallèle.
Elle ne put s’empêcher de rouler gentiment des yeux, son sourire s’élargissant, en l’entendant glisser sa remarque au sujet de Sushi. Une bouteille à la mer lancée désespérément vers l’incarnation de Moiro pour qu’elle lui porte secours à ce sujet ? Heh, autant profiter de sa présence.

Bref, toujours était-il qu’il semblait bien frileux quant au fait d’appliquer la mise en scène proposée par sa soeur, et que le résultat promettait donc d’être calamiteux si tous les acteurs ne se donnaient pas à fond.
La longue queue d’Anita se balançait souplement derrière elle, rythmant le train de ses pensées qui s’était lui aussi lancé sur les rails.

— Je peux pas donner tort à Saqqa, c’est pas une super idée de se séparer. En plus on a rien croisé de vivant pour l’instant, tu pourrais chercher longtemps. Puis j’suis pas sûre qu’elle ait faim. T’as vu comment elle nous regarde ? On a son attention pour l’instant, et faut qu’on la garde. Donc pour une petite représentation, t’as pas tort...

Elle coula vers Saqqarah un regard malicieux agrémenté d’un sourire presque carnassier, laissant sa phrase en suspend, histoire de le faire mijoter un peu, avant de reprendre.

— ... Mais Moiro a beau être la Déesse du charme, je pense pas que ça se résume au superficiel. Elle veut peut-être savoir si on est dignes de son intérêt, un réel intérêt, pas simplement de ses ricanements. Elle va peut-être croire qu’on se moque d’elle et de ses valeurs si on joue juste à se lécher.

Elle haussa les épaules. Elle, ça ne la dérangeait pas, surtout pour s’amuser. Mais l’avaient-ils vraiment pourchassée jusqu’ici pour se chamailler et jouer comme des louveteaux ?
Peut-être, qui sait. Mais par peur de la faire fuir et de la décevoir, Anita préférait y aller par étapes.

— On peut essayer de se présenter correctement à elle, pour voir. J’commence.

Et si cela ne fonctionnait pas, mais qu’ils conservaient l’ersatz d’attention qu’elle leur portait... Ils pourraient voir pour aller plus loin.
Ramenant sa gueule aux sangles qu’elle avait desserrées, Anita tira cette fois-ci d’un coup sec pour les relâcher totalement et laissa tomber l’intégralité de sa cape en un bruissement, retrouvant le naturel de son corps sans encombrement.
Ca allait à l’encontre de la précaution prise quelques minutes avant, mais ce n’était que temporaire. Pour donner le meilleur d’elle-même et se montrer sous son réel jour, sans être gênée par une cape à moitié défaite.
La louve fit quelques pas vers l’arrière, agitant ses ailes pour les échauffer, secouant de lents mouvements sa tête et son encolure pour faire danser les reflets dans ses cheveux de jais.
Puis d’une impulsion, elle s’élança dans les cieux, légère.

Elle prit de la hauteur sans pour autant trop s’éloigner, juste assez pour peindre sa silhouette sur le fond clair du ciel et en faire la scène de sa représentation. Puis son corps se tordit avec toute la précision qu’elle pouvait dicter à ses mouvements. Elle vrillait, plongeait, décrivait des courbes élégantes, frôlait le sol pour remonter d’un battement d’aile sans déranger le moindre brin d’herbe, s’élançait de nouveau dans les airs avec toute l’aisance d’une créature née parmi les nuages.
Anita n’était pas louve qui cherchait la grâce au quotidien, loin de là, mais elle savait jouer sur plusieurs tableaux et se peindre une toute autre apparence, mettant la maîtrise agile de son corps au service de l’instant.
Ses pirouettes aériennes ne durèrent pas plus d’une minute. Elle dessina une dernière spirale d’un élan vigoureux, puis rejoint le sol avec vivacité et d’amples mouvements de sorte à déployer toute l’envergure de ses ailes, à tendre ses pattes fines jusqu’au bout de leur longueur, à bander ses muscles aiguisés pour ensuite venir se poser presque sans bruit. Revenant à l’exact point de départ, alignée face à la tigresse qu’elle ne lâchait plus de ses yeux perçants - l’espace d’un court instant, elle devenait son monde.
Sa Déesse.
Les ailes se replièrent en un bruissement. L’avant-main de la louve s’abaissa, une patte se leva et se courba avec souplesse, et c’est sur une révérence qu’Anita acheva sa prestation.

Elle resta ainsi immobile et yeux clos quelques secondes, avant d’oser redresser doucement l’encolure pour observer la féline créature, yeux pétillants et sourire presque provocateur sur les babines.

Etait-ce assez bien pour vous, Ô Moiro ?

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