Presque au complet [Famille Anianka]

« Presque au complet »
Elely & Rhaegar

Ses bandages étaient à présent retirés, ses cicatrices commençaient enfin à se fermer. Plus aucune quête n'était à prévoir sur les terres gelées alors son travail avec les Nakhus touchait à sa fin. L'heure du départ était arrivé, mais avant ça Rhaegar avait fait un petit détour dans les jardins pour rendre une dernière fois visite à son amie. Il avait déposé à son pieds un grand et magnifique bouquet de fleurs blanches et roses qu'il avait composé dans la matinée et il s'était recueilli de longues minutes auprès d'elle. Oh, il reviendrait. Souvent oui, pour s'assurer que ses fleurs soient toujours nimbées de soleil et qu'elle ne manque pas d'eau, pour s'assurer qu'elle soit toujours aussi rayonnante que dans ses souvenirs. Il lui en avait fait la promesse. Il veillera sur elle jusqu'à devenir lui-même poussière.

Cela faisait quelques temps qu'il s'était mis à chercher sa famille, mais en vain. Il avait exploré toutes les terres Nakhus et ses alentours dans l'espoir de les croiser et tout ce qu'il avait trouvé, c'était quelques odeurs lointaines. Les traces avaient été parfaitement recouvertes, sans surprise, de la part de la prêtresse rose il n'en attendait pas moins. Il avait donc conclu qu'elles étaient forcément retournées sur les terres libres et c'est dans cette direction qu'il s'orientait actuellement. Il était un peu nerveux à l'idée de revoir le visage impassible de Mère et de revoir ses sœurs désormais adultes. Étaient-elles tout comme Isrâ et Méridor, rongées par des maux enfouis trop douloureux pour être relâchés ? Comment allaient-elles réagir en le voyant ? Ressentiraient-elles plutôt de la rancune, de la colère parce qu'il s'était absenté trop longtemps ?

Qu'importe leur colère, il en assumerait les conséquences.

Il prendrait ses responsabilités de grand frère, d'aîné, et il les protégerait de la souffrance. D'eux-mêmes, de l'autorité trop sévère de Mère.

RHAEGAR !!

La voix, hurlée, l'arrêta brusquement dans sa foulée et il se mit aussitôt en position de défense, alerté, la tête haute et son unique oreille dressée. Lorsque la silhouette gracile d'une louve se dessina dans son champs de vision, il se détendit et plissa les yeux en sa direction. Elle semblait méfiante, son pas était hésitant, et à mesure qu'elle s'approcha l'ours noir reconnut son joli minois avec stupéfaction. Elely..

Yeux grands ouverts et gueule décrochée, il resta immobile et sans réactions un long moment en l'observant. Elle n'était plus la petite louvette qu'il s'amusait à chatouiller et à faire rire. Elle était devenue une belle louve à la fourrure soyeuse, aux courbes charmantes et à la souplesse féline. Son regard, d'un bleu aussi profond et immense que le ciel était aussi tranchant que envoûtant. Il n'y avait plus l'innocence de l'enfance mais au contraire, l'éclat dur et sévère de l'expérience de la vie.

Elely.. Souffla-t-il en souriant.

Ses yeux brillèrent en la regardant et il s'approcha doucement pour ne pas la brusquer.

Comme tu as grandi..

Elle s'immobilisa elle aussi pour l'observer, sur ses gardes. Elle semblait tout aussi étonnée que lui, voir même frustrée, apeurée car aucun sourire ne venait ensoleiller son merveilleux visage. Peut-être parce qu'il n'était plus aussi.. entier. Parce qu'il semblait plus différent qu'elle, plus marqué par l'expérience. Il avait des cicatrices partout, sur le visage, les épaules, la poitrine.. Il lui manquait une oreille et il semblait vieilli, affaibli. Mais c'était bien lui.

Il lui fallut un certains temps pour se décider et elle plongea sur lui, sur cette immense poitrine pour s'y blottir, pour s'y réchauffer. En plus du choc de son corps, Rhaegar put sentir ses larmes froides et silencieuses mouiller son torse, comme celles d'Isrâ avant elle des lunes plus tôt. Il baissa la tête pour enfouir sa truffe dans son encolure duveteuse et il respira avec nostalgie son effluve de roses.

Ca fait si longtemps qu'on te cherche Rhaé, on commençait à perdre espoir de te revoir tu sais.. On nous a rapporté des histoires et des rumeurs tellement effrayantes..

Elle passa un coup pour sécher ses yeux et fixa de près la plus grande de ses cicatrices. Elle partait de son torse, longeait sa poitrine et se terminait sur son épaule.

Je suis désolé.. Mais je suis là maintenant, et je ne vous abandonnerai plus jamais. Répondit-il d'une voix douce et réconfortante.

Elely se recula un peu pour croiser son regard. Il portait toujours cette affreuse malédiction mais pour elle ça lui donnait un certain charme. Il était plus imposant avec cette marque, plus effrayant.

Tu m'as manqué.. Avoua-t-elle en tournant les yeux sur le côté.

Les babines de Rhaegar s'étirèrent en un sourire sincèrement heureux et d'un geste de la patte, il ramena son museau vers lui pour qu'elle le regarde.

Moi aussi tu m'as manqué, petite sauterelle.

Elle décrocha elle aussi un sourire, à la fois gêné et amusé.

As-tu eu des nouvelles de Méridor ? Comment s'est passé ton voyage ?! Tu as dû en affronter des adversaires ! Cette cicatrice là, tu te l'es faite comment ? Et celle-ci ?

Ils avaient tant de retard à rattraper, tant de choses à se raconter. La curiosité de sa petite sœur lui donnait chaud au cœur car il revoyait dans son attitude la petite louvette innocente qu'il avait l'habitude de taquiner. Peut-être que finalement, elle en avait gardé un peu de sa joie enfantine.

Je l'ai croisé il n'y a pas très longtemps oui, et d'ailleurs je dois m'entretenir avec Mère à ce sujet. Nous aurons tout le temps pour discuter un peu plus tard.

Il passa son énorme patte dans sa chevelure écarlate bien coiffée et entama le pas vers les anciennes frontières Lazulis.

Hein, quoi ? Mais attends.. ! Elely gronda et dût refaire son chignon avant de le rattraper.

Elle parvint à lui sous-tirer quelques informations sur son voyage durant la marche jusqu'à l'île et lorsqu'ils arrivèrent près du temple, Rhaegar s'arrêta brusquement. Hésitant ? Peut-être un peu, son cœur battait très vite dans sa poitrine. Même si cela faisait des années qu'il n'avait pas croisé le regard intimidant de Mère, il se souvenait très bien des frissons que ça lui donnait. Elely qui avait déjà disparu dans l'ombre du temple ressortit avant même qu'il ne se décida à y entrer.

Elles n'y sont pas, mais je pense savoir où elles sont, suis moi.

Elle lui passa sous le nez et galopa vers les collines où trônait la pierre tombale d'Akira. Il la suivit à petit trot, beaucoup moins exalté qu'elle et s'arrêta lorsqu'il reconnut les courbes charmantes et les couleurs carmins de ses autres petites sœurs, Mildred et Maxim, aux côtés de Mère. A les voir toutes réunies il sentit un pincement agréable lui envahir la poitrine. Mais cette sensation chaleureuse s'évapora aussitôt lorsque parmi tous ces regards braqués sur lui, celui d'Anianka le frappa.

Est-ce qu’elle ressentait encore vraiment quelque chose en venant ici ?

Ou bien n’était-elle triste que par principe ?

Son regard froid était posé sur la pierre insensible, posée au-dessus de restes d’os tout aussi froids quelques mètres en-dessous, et voilà tout ce qu’elle était capable de penser.
Le silence cérémonieux qui les unissait autour du petit mémorial suffisait probablement à faire naître pareilles pensées macabres.
Mais depuis quand ne ressentait-elle même plus cette blessure enfouie de la mort lointaine de sa soeur ?
N’avaient-ils pas autre chose à faire désormais que s’attarder autour des spectres ?

Un bruissement un peu plus loin fit pivoter l’une de ses oreilles, avant que le reste de sa tête ne suive.
Pour tomber sur deux silhouettes.

L’une, gracile et familière, celle de Elely bondissant par-dessus les buissons pour les rejoindre avec une joie sur le visage contrastant avec le moment.
L’autre, massive et abîmée, faite de rouge et de noire en touffes ébouriffées.

Et il n’y avait absolument aucune émotion dans ses yeux d’argent lorsqu’elle les posa sur lui.

Rhaegar.

Le loup au nom amer était de retour.

Rhaegar.

C’était presque un inconnu qui marchait vers elles désormais, et elle devait encore l’appeler frère ?

Son poil se gonfla d’une presque imperceptible manière tandis qu’elle l’observa s’approcher.
Plus il était proche, plus ses iris perçants détaillaient ce corps, plus elle se sentait comme prisonnière d’un songe grotesque dans lequel un épouvantail aurait pris corps de quelqu’un de sa famille.
Qu’était-il d’autre qu’un spectre du passé qui tentait de ramper vers le temps présent ?

Une partie d’elle cherchait à raccrocher ce qu’elle voyait à l’image de l’aîné dont elle s’était sentie si proche par le passé, elle le savait, elle le sentait. Ramassant les pièces éparpillées pour les lier ensemble et les faire tenir debout.
Mais que faire de tous ces morceaux qui ne collaient plus ?
Que faire du trou béant creusé par son absence, toutes ces années durant ?

L’autre moitié se battait farouchement à le repousser.

Alors immobile elle demeura, la mine sombre, devant le fantôme rouge.