Worst Behaviour — Narcisse

Worst Behaviour

Joaquín cherchait Justice.
C'était aussi simple que ça.

Pas de sombre dessein ou d'arrogance pour le pousser à longer scrupuleusement la frontière Etelkru. Un ennui mortifère, certes : c'était là la raison qui l'avait poussé à quitter son canyon au petit matin pour prendre la direction des Monts Célestes, dans l'espoir d'y croiser l'autre solitaire.
Ben sûr il ne comptait pas se présenter à lui en lui disant qu'il le cherchait. S'il avait réussi à le croiser, il aurait sans doute juste prétendu avoir croisé sa route par hasard. Fallait pas déconner.
Mais ça se résumait à ça.
Les derniers mois avaient été particulièrement mornes et pauvres en interactions sociales : après le départ de Misiek, et perturbé par les émotions inhabituelles que l'absence de la petite louve suscitaient chez lui, il s'était plus ou moins enterré dans son trou, ne quittant son bout de désert que quelques fois pour se rendre aux Côtes de Nacre. Dans l'espoir que. Peut-être.
Qui sait.

Et puis ce matin, alors qu'il rongeait pensivement une carcasse de coyote capturé la veille aux côtés de son oiseau, pour la première fois depuis des semaines, Joaquín avait eu envie de prendre l'air. Il avait bien vu le reflet que lui renvoyait le point d'eau où il se rendait quotidiennement pour se désaltérer. Il avait vu les cernes, celles-là même qui bordaient deux grands yeux jaunes et désormais bien mornes. Il n'avait pas aimé.
Ce matin il avait décidé qu'il était temps de se secouer un peu. Il n'avait pas quitté son Mexique et la mort rapide qui l'y attendaient pour une éternelle agonie dans ce pâle substitut à son canyon natal.
La seule chose vaguement productive qu'il avait trouvée à faire, ayant l'estomac déjà plein, avait été de se mettre en quête de l'autre mâle. Parce qu'avec Misiek il était celui dont il appréciait le plus la compagnie et parce que généralement, on ne s'emmerdait jamais avec lui. Même si, tout aussi généralement, cela signifiait qu'ils n'avait pas le temps d'échanger trois mots avant qu'un créature venue tout droit du dernier cercle des Enfers ne se jette sur eux pour tenter de les éviscérer.

Il avait donc gravi les montagnes, truffe au vent, quêtant l'odeur de son comparse, dont il soupçonnait fortement qu'il ait élu domicile dans l'une des nombreuses cavernes que l'on pouvait trouver dans les parages — mais n'avait rien trouvé jusqu'ici. Ixcanul scrutant les alentours depuis les cieux, prêt à émettre un cri au moindre signe de vie susceptible de l'intéresser. Pas de résultat là non plus.
Cela faisait trois heures et si l'exercice physique et l'air frais étaient appréciables, Joaquín commençait à perdre patience. Ce n'avait de toute manière jamais été l'une de ses vertus.
Mais il persévérait. Il finirait bien par trouver quelque chose.
Il arpentait actuellement un sentier qui débordait parfois sur les terres Etelkrus, songeur. Se demandait où l'autre échassier à poil ras avait bien pu se planquer, et songeant qu'il était peut-être un peu optimiste d'imaginer réussir à le trouver rapidement dans cette immensité de rocaille.
Soudain, son oiseau poussa un cri d'alerte, un peu plus loin. Il avait visiblement repéré quelque chose. Levant la tête, Joaquín hâta le pas, désormais au trot, ses yeux sondant les alentours. Pas de trace.
Il huma l'air.
Ah.

Il avait bien trouvé quelqu'un.
Ce n'était pas Justice.

Peut-être commençait-il à se montrer plus souple. Tss… Voilà qu’il avait partagé des fraises avec une solitaire. Enfin, au moins c’était moins dramatique que d’échanger avec un raeder. Puis bon… la petite louve avait été plutôt… gentille. Un peu comme ce peuple étranger qu’il avait rencontré durant son voyage. Peut-être devait-il apprendre à baisser ses barrières ? Les sourcils se froncent, alors qu’il sent le Phénix s’agiter. Un intrus. Le museau s’approche de la frontière. Quelqu’un était passé par là, récemment. Le disciple de Kiro suit la trace, constate avec agacement que plusieurs fois il y avait eu un pas de trop.
Avant de finalement trouver la source du problème.
Un mâle. Un cafard. Grand, avec des plumes… comme cette solitaire qui jadis… Non. Ils ne pouvaient pas avoir de lien de parenté, c’était il y a si longtemps… Qu’importe. La frontière avait été franchie.
Immédiatement le loup se met dans une position d’attaque, les crocs dévoilés, son glowstick se met à luire un peu plus fort.

« — Solitaire, cela fait plusieurs fois que je sens ton odeur de notre côté de la frontière. »

La voix est pleine de mépris, le grognement monte, en avertissement alors que le regard trahit un dégoût certains. Les solitaires n’étaient pas les bienvenues de ce côté de la frontière.
Le poil se gonfle alors que la queue féline se redresse. Il était prêt à combattre au moindre faux pas, au moindre mot de trop.
Et Narcisse n’était pas réputé pour sa patience…

« — Approches-toi encore et je t’écrase. »

C’était presque une provocation. Les solitaires savaient qu’ils ne devaient pas passer. Celui-ci se montrerait-il suffisamment stupide.

Regardes Phénix, peut-être auras-tu du cafard à dévorer aujourd’hui.

Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait eu le bonheur de croiser un Etelkru die hard. De ceux qui ne semblaient que porter peu d'estime à tout ce qui n'était pas de leur sang, et n'en accordaient carrément aucune à qui avait le malheur de n'appartenir à aucun clan. Comme lui.
Voilà qui lui permettrait de remettre le compteur à zéro puisqu'il semblait être cette fois-ci tombé sur un nazi pure souche, affublé qui plus est d'un étrange nez de chauve-souris qui n'était pas sans lui rappeler cette ado à la silhouette bien étrange qu'il avait croisée un peu plus loin sur la côte, quelques mois plus tôt. Peut-être y avait-il parenté. Peut-être était-ce seulement que les gens du coin aimaient bouffer de la chauve-souris, et que ça leur filait des maladies cheloues, de celles qui vous déforment, par exemple en vous faisant pousser un truc étrange sur le nez. Et en vous donnant un air de petit con prétentieux que ses parents n'avaient pas assez castagné quand il était môme.

Un large sourire étira les babines de Joaquín, dévoilant ses crocs légèrement jaunis par les années, lorsque l'autre mâle le menaça. C'est qu'il était mignon, à jouer les petits chefs autoritaires à la fierté territoriale mal placée.

— Ca serait dommage. Je ne voudrais pas ruiner ta coiffure.

Ou d'abimer ton joli minois.
Ses yeux allèrent de l'Etelkru à ses propres pattes, puis il huma l'air et pencha finalement légèrement la tête, pensif :

— Je sens l'odeur des gens de ta meute de notre côté de la frontière aussi. La prochaine fois que je croise Etelkru sur Terres Libres, je devrais peut-être l'écraser aussi.

Il appuya sa remarque d'un haussement de sourcils, moqueur.

Si il y avait bien des choses que Narcisse détestait, comme perdre son temps ou les mensonges, les solitaires qui ne respectaient pas de petites frontières pourtant évidente à reconnaître l’horrifiait. Qu’ils existent, c’est une chose. Qu’il s’en approche, fort bien. Qu’ils la traversent sans en demander la permission, ça c’était inacceptable.
Les traits se crispent, étirant sa cicatrice.
Le disciple de Kiro n’était vraiment pas d’un naturel patient, vraiment pas. Il préférait agir puis poser les questions ensuite. Aussi, quand l’insecte parle cheveux, puis passe aux menaces…

« — Je vois. »

Les longues griffent s’enfoncent dans la terre, alors que les babines de l’Etelkrus frémissent.

« — Langue bien pendue pour un insecte qui n’attend que se faire écraser. »

Et Narcisse comptait bien s’en occuper.

(Lancé de dé)

Et le disciple de Kiro bondit, bien décidé à faire taire cet insecte. À lui faire comprendre que jamais plus il ne devrait se moquer des frontières.
Dire que ce cafard pensait être en mesure d'avoir une chance d'écraser un Etelkrus.

Regardes un peu comment moi je vais t'écraser.

[Au vu de l'absence totale de dignité que m'offrent comme à leur habitude ces lancers de dés, et dans la mesure où sans être un gros PGM Joaquín est censé être un combattant un minimum crédible, je me permets de transférer ma propre malchance au RP en lui-même parce que jpp de ma ptn de vie là merde bref j'ai pas de chatte alors lui non plus il en a comme ça il perd pas totalement la face et puis c'est dans son perso d'être malchanceux wala wala ]

Joaquín 3PV

S'il était bien une chose qu'on pouvait considérer comme totalement acquise lorsqu'il était question de Joaquín, c'était qu'il n'avait jamais été chanceux.
Né avec un pelage noir de parents couleur sable, dans un endroit où on détestait tout particulièrement les pelages noirs parce qu'ils rappelaient justement celui de son psychopathe d'arrière-grand père qui lui ressemblait d'ailleurs presque comme deux gouttes d'eau, il avait très mal démarré sa vie avec un échec cuisant à la loterie génétique, et n'avait pas vraiment pu se targuer d'avoir compensé par la suite. Jeté comme un paria au premier faux pas — ok, sur ce coup, ça avait un peu été de sa faute, mais il avait voulu bien faire, il s'y était juste pris comme un manche –, il avait réussi à s'exiler dans une terre qui avait bien changé depuis l'époque où sa grand-mère y avait vécu. N'avait pas trouvé une goutte d'alcool. S'était par la suite évertué à aller de mésaventure en mésaventure, semblant doté d'une faculté innée à attirer les emmerdes et plus particulièrement les monstres sortis tout droits du cul des Enfers. Avait frôlé la mort plusieurs fois.
Avait peiné à faire des rencontres, lui qui, s'il était de prime abord taciturne, se savait totalement incapable de s'épanouir dans un cadre strictement solitaire.
Avait quand même rencontré quelques gens sympas. Dont deux qui paraissaient bornés à revenir dans sa vie de manière totalement aléatoire mais malgré tout sûre. Il avait osé s'attacher.
La première avait finalement quitté le navire avant qu'il n'ait pu lui proposer de venir avec lui, et le deuxième, eh bien... eh bien le voir était à la fois sympa et très désagréable, vu qu'ils semblaient incapables de se croiser dans un contexte qui n'activa pas le fameux misérable karma attractif de monstres de Joaquín. Il en arrivait à un stade où il se demandait s'il avait jamais pu échanger deux mots avec Justice dans qu'une chimère infernale ne vienne les interrompre.
Il avait une grande tanière, parfaite pour abriter une famille entière et même plus, et elle était bien vide.
La seule chose qu'il avait pour lui, au final, c'était son oiseau.
Sa seule petite victoire.

Son oiseau qui tournait dans les cieux au-dessus de l'Etelkru et de lui, et lança un cri aigu lorsque celui qui était passé de mec hostile à opposant se jeta sur lui.
Et dire que quand il était arrivé ici, sur ces terres, Joaquín l'avait fait avec l'espoir de peut-être intégrer un clan.
Il aurait pu être dans la meute de ce mec. Etre son camarade.
Si les idéologies avaient été différentes, il aurait pu.
C'était la meute du glowstick rouge. Celui de Daniel. S'il devait rejoindre une meute, il avait supposé bêtement, pendant ces longs mois à traverser le monde, pour rejoindre ce pays, qu'il irait chez eux. Il ne savait pas à l'époque que la nouvelle meute propriétaire du glowstick rouge était un nid à sombres connards.
Ils auraient pu être potes, putain.

C'est étrangement cette idée qui lui traversa l'esprit lorsqu'il vit l'autre venir. Il ne pensa pas à droite, vite ou roule. Il ne pensait généralement pas grand chose dans ces moments-là, tout n'était que mémoire musculaire et instinct. Ses idées étaient noyées sous l'adrénaline. Mais cette fois-ci, bizarrement, cette petite voix dans son crâne qui ressemblait fort à la sienne émit cette remarque.
Il ne prit pas vraiment la peine de s'attarder dessus. Ce petit péteux était rapide, force était de le reconnaître, et il l'avait très probablement sous-estimé — une autre erreur tragique qui relevait là encore de l'héritage génétique, à son niveau, sans doute. Joaquín comprit qu'il allait prendre des dégâts, mais cela ne l'empêcha pas de se ramasser sur lui-même pour esquiver. Lorsque le gros rocher incrusté dans le sol — pas si stable que ça, contre toute attente, et pas si incrusté, il allait vite le comprendre – sur lequel il était dressé émit un craquement sec et céda littéralement sous son poids, annihilant ainsi toute possibilité d'esquive puisqu'au lieu de sauter, il était en train de tomber, Joaquín réalisa que le cri d'Ixcanul ne visait sans doute pas à le prévenir d'une attaque qu'il était parfaitement à même de constater lui-même, mais à le mettre en garde sur la non-fiabilité du sol sur lequel il se tenait.
Sol qui présentement n'existait plus vraiment.
Le reste fut un fouillis que son cerveau ne put totalement assimiler.
Le rocher se détacha et commença à rouler avec d'autres plus petits parce que le terrain était en pente — et menait même à un ravin –, il perdit son appui et se prit l'autre de plein fouet. Ca fit franchement mal. De type tu aurais vraiment dû réussir à esquiver cette attaque, mec, même ne serait-ce qu'un peu, mais allez, c'est pas ta faute, tu pourras au moins te consoler en te disant que c'est pas tant toi qui a merdé que la malchance qui t'a encore joué un sale tour si jamais tu crèves. Il partit mi-en arrière — parce qu'il tombait toujours, de base, avec son tas de roche, et espérait juste ne pas se prendre une patte dedans, ça aurait été une fin de merde, une patte brisée dans les montagnes à côté de chez les Etelkrus, même pour lui –, mi sur le côté — emporté par l'élan de l'autre – et le pire dans tout ça était qu'il ne pouvait rien faire. A part essayer d'amortir sa chute pour ne pas se niquer encore plus.

Il roula donc, gros projectile hirsute, sale et désormais maculé de son propre sang. Roula dans la poussière, heurta des pierres, des souches peut-être, roula encore et encore jusqu'à ce que finalement sa chute s'arrête enfin. Quelques mètres plus bas — clairement plus loin de la frontière Etelkru qu'il ne l'était à la base, au moins l'autre ne pourrait pas râler à cause de ça –, au milieu des gravats et le souffle court. La lassitude présente. Pour une fois qu'il ne mordait pas exprès sur leur frontière, mais juste parce qu'il était occupé à chercher son pote. Le battant en lui aurait dû prendre le relai. Il aurait dû se relever, en dépit de ses blessures. Il avait un honneur. Il aurait dû repartir à l'attaque, même si c'était clairement mort pour ce coup-là — c'était assez évident, et il n'aurait pas réussi à survivre aussi longtemps s'il n'avait été capable de reconnaître une défaite lorsqu'elle lui venait dessus de manière aussi évidente. Mais là, pour le coup, rétamé par le combo vicieux d'un petit con hautain à l'éducation douteuse et de sa putain de chkoumoune de ses grands morts, Joaquín... avait la blase.

— Me cago en mi putísima madre, grommela-t-il, couché sur son flanc haletant, avant de renchérir, levant les yeux au ciel, semblant engueuler les nuages qui le fixaient tristement : ¡¡¡ JO-DER !!!

Puis de reprendre :

— EN SERIO. DE TODAS LAS PUTAS PIEDRAS DE LA PUTA MONTAÑA TENIA QUE SER ESTA. NUNCA ESTARE EN PAZ. SOLO PREGUNTO POR UNA VEZ…

Sa respiration était saccadée, oui. Mais ce n'était plus à cause de la lutte, qui de toute façon n'en avait pas été une. C'était juste... un étrange mélange de colère et de désespoir.

— ¡¡¡¡¡¡ JO-DER !!!!!!

Adieu toute envie de se battre ou de chercher la merde. Adieu même le désir de taper sur le système de ce pauvre type. A quoi bon, de toute façon ? Il ne pouvait même pas jouer au con tranquillement, il ne pouvait pas vivre sa putain de vie, pour le peu qu'il y avait, vu que le karma allait constamment se rappelait à lui. Ne pouvait-il pas lui arriver quelque chose de bien, pour une fois ? Ou ne pouvait-il pas lui arriver... juste rien du tout, en fait ? Que le destin le laisse vaquer à ses occupations sans venir lui filer des poutres dans les pattes ?
Parce qu'à ce niveau là ce n'était des bâtons.
C'étaient.
Des.
Poutres.

Narcisse se sentait encore en forme. Cela un faisait un moment qu’il n’avait pas eu un vrai combat. M’enfin, ce solitaire s’avéra ne pas être particulièrement doué. En plus… il était en train de… tomber ? Les yeux se plissèrent, alors que le disciple compris que l’autre était vraiment un poisseux et un maladroit de première. Une plainte sourde, quand leurs deux corps entrèrent un contact.
Finalement le solitaire finit sa chute un peu plus bas, alors que Narcisse se penche au-dessus du ravin, prêt à ré-attaquer de nouveau au moindre mouvement suspect. Si l’autre été blessé ? Rien à faire clairement.

Après, qui fait le malin tombe dans levain hein.

Et l’autre il commence à gueuler dans une langue que l’Épée ne comprenait absolument pas. C’était quoi ce foutu charabia vraiment ? Un grognement monte chez le loup, alors qu’il penche un peu plus sa tête. Descendrait pas l’aider cet imbécile de solitaire.

« — Fais moins de bruit, y’a rien de plus agaçant qu’entendre un cafard piailler. »

Sale insecte.
Prochaine fois tu resteras de ton côté de la frontière.

Péter son petit tantrum comme un grand avait eu le mérite de le défouler un peu. Ou peut-être de l'énerver encore plus sur le fond, tout en brûlant paradoxalement le surplus d'énergie physique qu'il s'était apprêté à mettre dans son premier coup, sa première esquive, ses premiers instants de combat.

C'était bien la seule chose qu'il lui restait, ici, le combat. Se battre avec des gens. Il savait faire. Normalement.
Il avait su faire. Et plutôt bien, même.
Avant que tout ne parte en couille, et que même cette toute petite chose qui n'appartenait encore qu'à lui et lui procurait la sensation d'être vaguement maître de son destin — ou plutôt de sa mort – ne lui soit retirée.
Y avait-il un sort ? Avait-il attrapé quelque chose d'immanent lors de son premier passage en terres Etelkrus, bien des années plus tôt, lorsqu'il avait abattu l'un des leurs, un peu plus au Nord ? Etait-ce un revers de médaille, une forme puérile de représailles venant d'une de leurs divinités ?
Pouvait-il seulement y échapp...

— Fais moins de bruit, y’a rien de plus agaçant qu’entendre un cafard piailler.

Ah. Il l'avait presque oublié, lui.

— Calla, jo ! aboya-t-il en levant un regard agacé vers lui, l'admonestant comme on aurait réprimé un gosse ou un conjoint relou. Et puis c'est les oiseaux qui piaillent, pas les insectes, madre mía putos nacionalistas en carton pas foutus de mieux parler leur propre langue qu'un étranger, heureusement que vous avez vos Dieux et vos pierres bancales pour vous aider sinon je donne pas cher de votre peau dès que les premiers colons débarquent... ¡ ca-brón !

Il jeta un regard noir à la grosse pierre qui avait cédé sous son poids un peu plus tôt, et trônait fièrement au milieu d'un tas de gravas un peu plus en contrebas. Même leurs cailloux étaient cons. C'était quand même incroyable.
Ne manquait plus que cette espèce de branleur aille se mettre dans la tête qu'il l'avait latté. Certes, Joaquín était vaincu, et son égo profondément meurtri. Mais qu'on n'aille pas dire de la merde. Il avait été vaincu par un glissement de terrain. Pas par un petit con.

En attendant, c'était de très loin la plus longue prise de parole ininterrompue qu'il avait réalisée depuis son arrivée ici, et sans doute aussi l'une des plus longues tirades de sa vie, toutes langues confondues. Il était intéressant de voir que le langage local semblait venir bien plus facilement lorsqu'on était échaudé.
Mais c'était peut-être culturel. L'énervement tendait à pousser les gens dans des envolées lyriques, là d'où il venait.
Ca déliait les langues et déconstipait l'esprit.

Il parle encore cette langue étrange, des mots que Narcisse ne comprend pas. Ça l’agace. Pas d’ignorer ce qui est dit, mais de voir encore la vermine s’attarder à proximité des frontières. Il voulait encore traverser, il traverserait sûrement encore et le disciple de Kiro n’aimait vraiment pas ça.

« — Un oiseau est chose bien trop belle pour la vermine que tu es, insecte. »

Un grognement.

« — Maintenant dégages de là, sinon je t’écrase une bonne fois pour toute. »

Rejoindre ce solitaire en bas ne demanderait qu’un petit bond, un moindre effort pour Narcisse.
Les griffes s’enfoncent légèrement dans la roche, alors que l’hybride fixe l’étranger, chercherait-il encore la provocation où allait-il comprendre cet ultimatum ?

Savoir qu'un dialogue ne pouvait être établi était pour lui quelque chose de familier : il l'avait maintes fois ressenti dans sa jeunesse. Beaucoup moins depuis son arrivée ici : cela ne l'empêcha pas de reconnaître cette certitude lorsqu'elle se manifesta.
Ce n'était pas bien difficile à constater, cela dit.
Il avait eu l'occasion de côtoyer des connards butés à la pelle dans son canyon et n'avait alors pas même pris la peine de tenter quoi que ce soit, préférant s'en tenir aux actions plutôt que perdre du temps et de l'énergie à tenter de discuter avec qui n'en avait tout simplement pas l'envie. Voire la capacité.
Le problème était qu'ici, au vu de l'état dans lequel il s'était retrouvé, s'en tenir aux actions était tout simplement exclu des possibles. Lui qui avait toujours pu compter sur son physique affûté se retrouvait trahi par ce qui avait sans doute été le seul allié durable qu'il avait jamais eu : un corps jusque là supposé infaillible.
Et ça le débectait.
Il se sentait si médiocre, si faible.
Toutes ces années passées du côté sûr d'une frontière qu'il croyait loin derrière lui. Voilà qu'il s'était retrouvé propulsé du mauvais côté de la barrière, sur un malheureux concours de circonstances.
Comme il s'en succédait bien trop, ces derniers temps.
Le nez de Joaquín se fronça de dégoût — dégoût de lui-même, dégoût de cette malchance qui s'acharnait contre lui depuis toujours, dégoût de se voir réduit à une telle position de faiblesse face à un gosse bien trop sûr de lui, dégoût d'un monde qui ne voulait pas de lui, dégoût de ce qu'il était devenu, dégoût de cette terreur qui le prenait aux tripes lorsqu'il se demandait s'il pouvait tomber encore plus bas, si oui, jusqu'où, quand, comment.

— Ce que tu dis ne vaut rien de ce côté de la frontière.

Il n'était certes pas en position de force, mais son orgueil lui interdisait de ployer sous les menaces de ce tocard à mèches.
Qui semblait oublier que contrairement à ce qu'ils auraient pu espérer, les Etelkrus disposaient d'un territoire limité. Qui s'arrêtait un peu plus haut.
Joaquín était en terre solitaire.
Tout autant chez lui qu'un autre.

Un grognement. L’insecte voulait jouer, il se pensait plus malin, pensait qu’être de l’autre côté de la frontière ça le protégeait. L’imbécile. Narcisse repoussait ceux qui pénétraient les limites, mais aussi qui s’en approchaient de trop.
Qu’il soit là, ne changerait rien.

« — Frontière ou non, ton odeur suffit à m’agacer. »

… et j’ai tendance à me débarrasser de ce qui m’agace.
D’un bond il rejoint le solitaire en bas, sa queue féline trahissant son agacement. Il perdait son temps à discutailler avec la vermine trop stupide pour comprendre les avertissements.

« — Il n’y a visiblement qu’un seul moyen de te faire comprendre. »

Peut-être que si Narcisse l’assommait, en utilisant l’accupressure que la Nakhus leur avait appris dans le nord, il pourrait être tranquille et terminer sa patrouille ? Hum… ou alors il laissait le Phénix dévorer ce solitaire… mais faire appel à l’oiseau c’était un peu à double tranchant.
Non, le disciple de Kiro allait s’en occuper, une bonne fois pour toute pour être tranquille.

(Lancé de dé)