La Veille - Narcisse

Elle le sentait toujours si fatigué, Narcisse.
Malgré tout, Hollyhock n'avait jamais douté de la place qu'elle lui souhaitait voir occuper au sein de la meute. Il était un individu brillant, en qui elle avait toute confiance.
C'était à ses côtés, dans les hauts rangs, qu'elle le souhaitait et l'incident de la bibliothèque ne changerait rien à ses convictions.

Conformément à ce qui avait été prévu avec Anita, ce serait elle qui s'occuperait de le trouver pour lui faire cette proposition. C'est donc ce qu'elle fit, cherchant sa fine silhouette aux alentours du Castel.
Un fin sourire vint fendre son visage, lorsqu'elle l'aperçut.

- Bonjour, Narcisse. J'ai à te parler.

Là, loin des oreilles indiscrètes, ce serait parfait.
Désormais, elle espérait ne rien avoir oublié d'important de son échange avec Anita et de ce rôle particulier qui était destiné, toujours si il l'acceptait ( :') ).

- Avec Anita, nous aimerions te voir devenir l'un des membres de notre hiérarchie. Nous avons pensé, surtout Anita, je dois bien l'avouer, à une légère refonte du Conseil actuel. De par ton expérience significative au combat, nous pensons que tu ferais un parfait Veilleur, c'est une sorte de chef de guerre.

Pour reprendre les termes d'Anita.
Son regard chercha la sien.
Si elle le laissait libre de choisir, l'espoir qu'elle plaçait en lui était grand.

C’était peut-être la première fois depuis son retour de l’atoll qu’il repassait au Castel, préférant le calme des bois. Il tendait l’oreille, perché sur de hautes branches, prêt à intervenir en cas d’alerte, profitant des maigres heures de sommeil, s’entraînant, réfléchissant.
Et il chassait pour assouvir sa bête. Son Oiseau dévoreur. Le rassasiait autant que cela était possible pour avoir l’esprit en paix, chassant trop par moments. Le disciple de Kiro vint ainsi déposer sa proie sur le tas de gibier, cherchant à ne croiser personne.
Mais Hollyhock, elle, semblait bien décidée à le croiser et l’intercepta alors qu’il rebroussait chemin.

« — Hollyhock. »

Devenir un membre du Conseil. Rejoindre ses soeurs. Faire partir des hauts-rangs comme ses mères le furent. Il était le seul après tout à être resté à l’écart de tout cela. Elle semblait avoir tant d’espoir, son alpha…

« — Non. »

La réponse est directe, son ton ne trahit aucune émotion.

« — Durant des années, je me suis entraîné, j’ai protégé, j’ai combattu pour les Etelkrus. Chaque goutte de sueur, chaque goutte de sang tout cela, c’était pour le clan. Chaque moment était consacré à la meute. Je ne suis pas un protecteur. Je ne suis pas un meneur. Cette meute, a piétiné ma loyauté, l’a broyé. »

Le disciple de Kiro fait un pas, son souffle se joignant à celui d’Holly.

« — Je te serais fidèle, Hollyhock, jusqu’à ma mort car tel a été mon serment. » Une pause alors que le regard se fait plus froid. « Mais aux Etelkrus, je ne dois plus rien. »

Ils ne méritaient pas qu’il y consacre sa vie.
Une lueur attristée dans le regard, alors qu’il avance, frôlant la louve.

« — Et tu sais très bien que les autres ne l’accepteront pas, pas après ce qui s’est passé. Alors rends-toi service, laisses-moi dans l’ombre. »

Ne t’infliges pas cela, ça n’en vaut pas la peine.

De ce "Non", prononcé avec tant d'assurance et sans la moindre hésitation, Narcisse balaya tous ses espoirs et tout ce qu'elle avait espéré, pour lui.
Il avait toujours fait partie des individus les plus loyaux : De ce fait, elle n'avait jamais douté de vouloir le voir haut placé. Mais lui, après tant d'années à servir, voyait désormais les choses différemment.
Sous l'effet de la surprise, la louve bleue entrouvrit la gueule.

- Je...

Il souffrait d'un malaise évident, mais elle ne l'avait pas soupçonné si grand.

- Je suis désolée.

Il avait fallu qu'elle soit une bien piètre Alpha et une amie bien pire, pour ne pas avoir réagi plus tôt. Oh, elle lui avait demandé de prendre du repos, avait également parlé avec Daisy du mal-être apparent du mâle mais... Mais ça n'avait pas suffi.
Et maintenant, il n'en pouvait plus. A quel point avait-elle échoué ?
L'une de ses pattes vint se poser sur l'épaule de Narcisse.

- Je ne peux que comprendre ton choix et le respecter. J'aurais voulu t'avoir pour ce rôle mais... Je n'agirai pas contre ta volonté.

Dommage, pour les Etelkrus, mais l'individu primait.

- Laisse-moi te libérer de ce serment que tu m'as fait. Vis librement, prend soin de toi. Telle est ma demande, désormais.

La déception semble grande chez Hollyhock, comme si elle s’était uniquement attendu ce qu’il accepte. Peut-être aurait-il du, en tant que bon soldat, se plier aux demandes de son alpha… peut-être que… Non. Ce n’était pas sa place là-bas, il le savait, elle le savait. Alors pourquoi forcer les choses ?
Aux excuses, un sourire qui étire ses babines.

« — Inutile. »

Ce n’était pas sa faute.
Au contact, il pose ses yeux sur la patte qui touche son épaule. C’était bien peut-être la première fois qu’elle osait le toucher. Et au serment qu’elle pense pouvoir briser, Narcisse fronce les sourcils, serrant les crocs.

« — Et que me restera-t-il après ? Je ne serais Etelkrus que pour Kiro, plus rien ne me retiendra après ça. » Une pause. « Et que deviendra ma parole ? J’ai juré de te protéger. »

Que serais-je alors ? Un menteur sans parole si je fais uniquement ce qui me plait ?
Je ne veux pas être comme ça.
Mais…

« — … mais si tu trouves que m’avoir à tes côtés est trop dangereux pour toi… alors je partirai. »

Peut-être qu’Hollyhock trouvait qu’il avait juré de protéger trop de personnes désormais mortes.
Peut-être que si elle le gardait à ses côtés… c’était sa propre fin qu’elle signait.

Et si tous te tournent le dos, tu fais un pas de plus vers l'obscurité, n'est-ce pas Narcisse ?

Elle secoua la tête.

- Trop dangereux ? Tu es de ceux en qui j'ai le plus confiance, Narcisse, parmi les nôtres. Et la confiance n'est plus quelque chose que je parviens à accorder facilement.

Les paroles n'avaient que bien peu de valeur à ses yeux. On lui avait trop menti, un en particulier, et elle ne voulait plus croire en rien par peur d'être déçue ou, pire encore, de souffrir lorsque l'affect rentrait en jeu.
Cette carapace, qu'elle se forgeait, c'était le seul moyen qu'Hollyhock avait trouvé pour se protéger. Elle essayait d'inculquer cette prudence à ses enfants pour ne pas qu'ils souffrent comme elle souffrait encore.

- Tu as toujours Anita et Alexandrine. Et Daisy aussi. Et j'espère ne pas être une compagnie trop désagréable.

Un sourire un peu triste vint soulever les commissures de ses babines.
Ne les oublie pas, s'il te plait. Personne ne mérite d'être oublié.

Elle comprenait cependant l'envie de ne pas s'encombrer d'un haut rang.
Mais pas ça.