Worst Behaviour v.2 - Désastre

Worst Behaviour

Joaquín cherchait Justice.
C'était aussi simple que ça.

Pas de sombre dessein ou d'arrogance pour le pousser à longer scrupuleusement la frontière Etelkru. Un ennui mortifère, certes : c'était là la raison qui l'avait poussé à quitter son canyon au petit matin pour prendre la direction des Monts Célestes, dans l'espoir d'y croiser l'autre solitaire.
Bien sûr il ne comptait pas se présenter à lui en lui disant qu'il le cherchait. S'il avait réussi à le croiser, il aurait sans doute juste prétendu avoir croisé sa route par hasard. Fallait pas déconner.
Mais ça se résumait à ça.
Les derniers mois avaient été particulièrement mornes et pauvres en interactions sociales : après le départ de Misiek, et perturbé par les émotions inhabituelles que l'absence de la petite louve suscitaient chez lui, il s'était plus ou moins enterré dans son trou, ne quittant son bout de désert que quelques fois pour se rendre aux Côtes de Nacre. Dans l'espoir que. Peut-être.
Qui sait.
Mais non.
Jamais.

Et puis ce matin, alors qu'il rongeait pensivement une carcasse de coyote capturé la veille aux côtés de son oiseau, pour la première fois depuis des semaines, Joaquín avait eu envie de prendre l'air. Il avait bien vu le reflet que lui renvoyait le point d'eau où il se rendait quotidiennement pour se désaltérer. Il avait vu les cernes, celles-là même qui bordaient deux grands yeux jaunes et désormais bien mornes. Il n'avait pas aimé.
Ce matin il avait décidé qu'il était temps de se secouer un peu. Il n'avait pas quitté son Mexique et la mort rapide qui l'y attendaient pour une éternelle agonie dans ce pâle substitut à son canyon natal.
La seule chose vaguement productive qu'il avait trouvée à faire, ayant l'estomac déjà plein, avait été de se mettre en quête de l'autre mâle. Parce qu'avec Misiek il était celui dont il appréciait le plus la compagnie et parce que généralement, on ne s'emmerdait jamais avec lui. Même si, tout aussi généralement, cela signifiait qu'ils n'avait pas le temps d'échanger trois mots avant qu'un créature venue tout droit du dernier cercle des Enfers ne se jette sur eux pour tenter de les éviscérer.

Il avait donc gravi les montagnes, truffe au vent, quêtant l'odeur de son comparse, dont il soupçonnait fortement qu'il ait élu domicile dans l'une des nombreuses cavernes que l'on pouvait trouver dans les parages — mais n'avait rien trouvé jusqu'ici. Ixcanul scrutant les alentours depuis les cieux, prêt à émettre un cri au moindre signe de vie susceptible de l'intéresser. Pas de résultat là non plus.
Cela faisait trois heures et si l'exercice physique et l'air frais étaient appréciables, Joaquín commençait à perdre patience. Ce n'avait de toute manière jamais été l'une de ses vertus.
Mais il persévérait. Il finirait bien par trouver quelque chose.
Il arpentait actuellement un sentier qui débordait parfois sur les terres Etelkrus, songeur. Se demandait où l'autre échassier à poil ras avait bien pu se planquer, et songeant qu'il était peut-être un peu optimiste d'imaginer réussir à le trouver rapidement dans cette immensité de rocaille.
Soudain, son oiseau poussa un cri d'alerte, un peu plus loin. Il avait visiblement repéré quelque chose. Levant la tête, Joaquín hâta le pas, désormais au trot, ses yeux sondant les alentours. Pas de trace.
Il huma l'air.
Ah.

Il avait bien trouvé quelqu'un.
Ce n'était pas Justice.

Ce n'était pas Justice mais ce n'était pas inconnu non plus. Avançant d'un pas plus méfiant, Joaquín, dont les yeux scrutaient les alentours avec attention, tentait laborieusement de replacer une identité sur cette fragrance dont il n'avait pas le sentiment qu'il fallait se méfier particulièrement, mais qu'il abordait tout de même avec réticence. C'était comme avoir un mot coincé sur le bout de la langue, un mot qu'il essayait de toutes ses forces de restituer, mais dont il ne captait que de vagues échos par flashes indistincts. Des intentions, des esquisses de mouvement, un lien, mais jamais le mot en lui-même.
Ici ce n'était pas un mot — quoi que si, il y avait quand même un nom derrière, en tout cas il supposait – mais un loup entier, mais rien à faire, il ne parvenait décidément pas à mettre la patte dessus.

Jusqu'à ce que ne pointe un peu en amont la haute silhouette. Familière, sans trop l'être non plus. Ca lui revint instantanément et la tension qui avait pu habiter des épaules disparut instantanément. La dernière fois qu'il l'avait vu, ce n'était qu'un petit gars un peu bizarre, un jeune ado qui n'avait pas forcément l'air bien dans un corps en pleine mutation, un esprit en pleine mutation peut-être, aussi. Quelqu'un de plus avisé que lui n'aurait peut-être pas relâché sa garde aussi rapidement qu'il le fit : de longues années s'étaient écoulées depuis et ces dernières avaient largement eu le temps d'altérer la relative candeur du jeune Etelkru. Il s'approcha malgré tout d'un pas tranquille, prenant la posture non agressive de l'autre comme un bon signe. Ils étaient de toute manière en Terres Libres.
Le gosse avait l'air un peu mieux dans ses baskets. Toujours un peu sociopathe, ou peut-être juste renfermé, mais il lui trouvait une allure un peu plus détendue, confiante, peut-être. Comme s'il était un peu plus près de la place qui devait être sienne dans le monde. Comme s'il avait trouvé où se mettre, pour que ça aille.

— Joder.

Les yeux de Joaquín s'écarquillèrent et avant qu'il n'ait pu y réfléchir à deux fois sa gueule se fendit d'un grand sourire, qui se mua rapidement en un court et honnête éclat de rire. Celle-là, clairement, il ne s'y était pas attendu. Ce môme qui n'en était très clairement plus un avait décidément bonne mémoire.

— J'espère que tu te rappelles aussi de mon nom ! fit-il lorsque ses zygomatiques se furent calmées.

Il aurait préféré lui dire qu'il espérait qu'il n'avait pas retenu ça comme étant son prénom, mais l'idée avait bien vite été balayée par la perspective d'une tournure de phrase bien trop complexe pour sa maîtrise de la langue, qui, si elle s'était améliorée, ne lui permettait tout de même pas les envolées lyriques et prouesses grammaticales qu'un natif n'aurait eu aucun mal à formuler.
Ni une, ni deux, l'autre mâle lui raconta, à sa manière synthétique, avoir voyagé. Le solitaire l'écouta avec curiosité, sa tête s'arquant involontairement sur le côté à mesure qu'il avalait les informations. Eh bien. Qui eut cru que la crevette irait quitter sa meute pour parcourir le monde.
Il se serait sans doute refusé à l'admettre en d'autres circonstances, s'il avait été de moins bonne humeur, sans doute, mais savoir que ce gamin étrange avait été voir ailleurs en dépit des croyances très ancrées de sa meute lui faisait étonnamment plaisir. Et peut-être autre chose. Une vague forme de fierté, peut-être mal placée, qui lui donnait le sentiment que son cœur enflait un tout petit peu, là, sous un épais amas de poils, de muscles et d'os.
Ce n'était pas Justice mais ça ne le chagrinait finalement pas : il découvrait qu'il était franchement content de revoir l'autre loup.
De voir qu'il n'était pas mort — surprenant, sachant qu'il était Etelkru.
De voir qu'il avait l'air en forme. En dépit des cicatrices. En dépit des attentes. D'un poids qui avait à l'époque paru bien lourd pour les frêles épaules d'un gosse.
De voir qu'il se souvenait de lui, aussi, et pas en de mauvais termes.
Qu'il n'était pas devenu une brutasse irréfléchie, versée dans la haine de l'autre, pour peu que l'autre ait eu l'audace de naître hors des frontières qui étaient siennes.

— Et alors ? Tu n'as pas été kidnappé par de vilains solitaires, au moins ? fit-il avec une moue amusée au coin des lèvres.

Qu'avait-il pu en penser ? Qu'avait-il pu voir ? Jusqu'où était-il allé ?
Il était revenu.

— Bien sûr. Joaquín.

Peut-être n'aurait-il pas dû tant apprécier que ça la perspective qu'un Etelkru, supposé ennemi mortel potentiel, se soit ainsi rappelé de son nom. Qui plus est dans un esprit qui relevait de la camaraderie. Mais il y avait là encore une forme de fierté dans l'idée que ce petit gosse socialement pas super épanoui et probablement destiné à devenir une arme de plus dans la lutte contre les gens comme lui se soit rappelé de lui. De manière positive. Visiblement.
S'en soit rappelé jusqu'à se remémorer son prénom.

Désastre enchaîna en lui parlant, à sa manière toujours aussi singulière, des peuples étrangers qu'il avait pu côtoyer lors de son périple. Ignorant une fois de plus la taquinerie qui se cachait derrière ses mots, éternellement empêtré dans un premier degré dont Joaquín se demandait s'il relevait, à ce stade, plus de l'inné ou de l'acquis. Les quelques autres Etelkrus non hostiles qu'il avait pu croiser semblaient moins robotiques que ce gosse-là. Joaquín avait bien connu quelques gamins qui lui ressemblaient, lorsqu'il n'était lui-même pas bien vieux, et voyait les clients défiler dans le bar familial, ou partait en ville avec son père. Il les avait rarement revus par la suite. Ces derniers ne faisaient pas long feu, chez lui. Dans un monde où le moindre petit accrochage pouvait rapidement tourner au bain de sang, et où les malentendus étaient extrêmement fréquents.
Mais ce désastre-là avait bien grandi, et était désormais un adulte accompli, ou tout du moins il semblait mieux dans sa peau que l'ado aux proportions hasardeuses qu'il avait pu croiser des années plus tôt.
Sans qu'il ne sache s'expliquer pourquoi, peut-être juste parce que d'une certaine manière, il retrouvait un peu de lui-même dans ce potentiel outcast qui lui faisait face, Joaquín en était heureux. Presque soulagé.
Il était tombé sur des muets adeptes des plumes. Ces dernières était un apparat assez fréquent — même si bien plus rares chez les mâles de son pays que chez les femelles, à présent –, néanmoins de mémoire le solitaire n'avait jamais croisé la route de tribus qui ne pipaient mot lors du long voyage qui l'avait mené jusqu'ici. Joaquín hocha la tête, avant de répondre :

— Je viens de México. C'est un grand pays très loin au Sud. Il y a la jungle et les montagnes là-bas, et le désert. Moi je viens du désert, il y a un grand cañon au Nord. On a... beaucoup d'oiseaux colorés, mais plus dans la jungle.

Son regard balayait inconsciemment les roches escarpées qui paraissaient découper le ciel autour d'eux, tandis que son esprit s'en allait vagabonder, durant quelques instants, dans ces contrées désormais interdites, mais jamais oubliées. Un maigre sourire étira le coin de ses babines l'espace d'une seconde, avant qu'il ne revienne poser ses yeux sur l'autre mâle.

— A quoi ça ressemblait ? Là où tu es allé ?

A mesure que Désastre continuait de lui décrire les paysages qu'il avait pu rencontrer, Joaquín se demandait si les pattes du jeune loup ne l'avaient pas effectivement porté plus près de chez lui qu'il ne l'avait pensé. Il y avait certes bien des jungles dans le Sud, et pour peu qu'on ait pris une direction un peu différente, il aurait été facile, en tout cas il le supposait, d'atterrir dans un endroit bien différent. Le monde était vaste. S'il était parvenu à arriver jusqu'à Punk Wolf, c'était uniquement en suivant scrupuleusement les indications que lui avait jadis fournies Arabella, lorsqu'elle lui racontait son long périple pour arriver jusqu'ici.
Sans boussole, sans discipline, il était facile de rater.
Mais c'était cependant le hasard qui avait mené Daniel ici à l'époque. Et pas mal de hasard, mélangé à une bonne dose de détermination, qui avait permis à Arabella de l'y retrouver.
Les chances étaient faibles, mais pas inexistantes.
Lorsque Désastre mentionna des temples, qu'il supposa pyramidaux à la manière qu'il avait de les décrire en triangles, c'est comme si une lueur s'allumait dans ses yeux. Il dévisagea l'Etelkru d'un air surpris, un maigre sourire désabusé fleurissant lentement sur ses babines. Peut-être avait-il été proche, en fait. Très proche.
Joaquín ne savait pas si beaucoup de peuples avaient décidé d'ériger de grandes pyramides en l'honneur de leurs Dieux, mais il savait que les natifs de son pays, et plus précisément ses lointains ancêtres, y avaient dédié leurs vies. Lui-même n'avait jamais eu l'occasion de voir ces fameux temples avant d'être banni de chez lui et de devoir traverser le pays pour aller voir ailleurs, et ne les aurait sans doute jamais vus s'il n'avait été contraint de quitter son canyon. Mais ces gigantesques structures tendues vers le ciel, au sommet des plus hautes collines, il les avait croisées. Celles qu'il avait vues étaient désormais désertées, leurs anciens occupants désormais décimés. Ne restaient plus qu'un tas de pierres soigneusement agencées et les histoires qui se transmettaient de bouche à oreilles parmi leurs descendants pour témoigner d'un monde et d'une foi désormais effacées.
Mais les temples de ce genre ne se limitaient pas au Mexique seul. C'était un pays qui avait été délimité par les colons, découpé dans la carcasse agonisante d'une culture qui s'étendait sur des milliers et des milliers de kilomètres.

— On dirait que tu n'étais pas très loin de chez moi, oui.

Ca ne te manque pas ?
Il pinça les lèvres, sentant naître en lui une amertume familière.

— Tout le temps, souffla-t-il, les crocs serrés.

C'était sans doute une marque ostensible de faiblesse qu'il n'aurait pas dû montrer, mais il était visiblement arrivé à un stade ou cela n'avait plus grande importance. Ou peut-être était-ce juste qu'il avait l'intime conviction qu'il n'y avait rien à craindre, avec ce gosse.
Ou juste le besoin irrépressible de partager, un peu, sa peine, pour une fois.
Mais pas trop. C'était déjà bien assez.

— Qu'est-ce qui t'a poussé à partir ?

Inutile de ressasser le passé. Autant se concentrer sur le moment présent, et ce qu'il avait à offrir.

La mort de sa mère.

Imperceptiblement, la mâchoire de Joaquín se resserra un petit peu. Car si les évènements, pour lui, relevaient d'un passé bien lointain — cela faisait plus de dix ans, maintenant –, il connaissait cette douleur. Et s'il n'y prêtait aujourd'hui plus beaucoup attention, tant parce que sa tête allait à d'autres problèmes plus modernes que parce que c'était là le cycle naturel des choses et la seule manière d'aller de l'avant, elle était toujours là, bien enfouie. Peut-être pas aussi cuisante qu'à l'époque, mais douloureuse. Douloureuse parce qu'elle traduisait un manque qui ne serait jamais comblé. Douloureuse, parce que l'évènement qui l'avait vue naître avait rapidement enclenché une succession d'évènements qui avait retourné sans dessus dessous toute sa vie. Des actes et des choix lourds de conséquences.
Qui l'avaient vu échouer ici, loin des siens et de tout ce à quoi il tenait.
De sa mère, justement. Son père, ses soeurs. Pas la moindre idée de ce qu'ils avaient pu devenir. Il espérait juste qu'ils avaient été heureux. Et si possible, qu'ils l'étaient toujours, et ne se rappelaient pas de lui en de trop mauvais termes.

— C'est très difficile de perdre un parent proche.

Il réalisa alors que le gosse qui n'en était plus un avait dû vivre bien des tourments que lui-même avait connus. Mais il semblait avoir bien mieux tourné que lui.
Certains étaient plus résistants que d'autres.

Il laissa s'écouler quelques longues secondes de réflexion après la question de Désastre, avant d'acquiescer lentement.

— La famille étendue, surtout. Après une nouvelle hésitation, décidant qu'il n'y avait rien à perdre à développer un peu plus, il ajouta : Certains pensaient que ma place n'était pas là-bas. Mes actes n'ont pas aidé.

Certains ne voyaient en lui que l'infâme héritier d'un aïeul qu'on tentait désespérément d'oublier. Un fantôme du passé revenu sous la forme d'un jeune loup un peu bougon au pelage désespérément noir.

— Et tu sais exister sans elle, maintenant ?

Parce que lui, pauvre incapable qu'il était, ne semblait toujours pas y parvenir totalement.

A la première question de Désastre, Joaquín fit lentement non de la tête.

— Ils n'ont pas eu leur mot à dire.

Si j'étais resté je n'aurais fait que les mettre en danger, aurait-il pu ajouter. Si j'étais resté, ils m'auraient de toute façon tué, et peut-être qu'ils auraient tué mes parents et mes soeurs, aussi.
Une pensée qui le révulsait au plus haut point et qui l'avait conduit à quitter son Cañon sans la moindre hésitation, mais non sans regrets. Malgré tout, peut-être que le départ aurait été plus difficile s'il n'avait alors entretenu l'espoir naïf de pouvoir revenir un jour, peut-être, rapidement. Sans trop savoir pourquoi ni comment. Sans doute avait-il choisi de s'embourber dans le déni. La négation d'un fait pourtant incontestable : jamais il ne pourrait revenir. Car même si Nacho en venait à mourir vite il resterait ses fils. Et leurs fils après eux. La rancune était tenace dans le désert, et s'il était à présent quasiment sûr qu'il ne restait personne au pays pour se remémorer sa personne sous des termes un tant soit peu élogieux — il était parti depuis si longtemps qu'il doutât que ses soeurs elles-mêmes soient encore en vie, surtout au vu de l'espérance de vie bien moindre chez lui qu'ici –, il ne doutait pas qu'on se souvenait de lui là-bas. Sans forcément l'avoir jamais rencontré. On se passerait volontiers l'histoire du descendant de l'infâme Miguel, chassé vaillamment du Canyon alors qu'il commençait à embrasser son maudit héritage.
Le portrait que l'on avait dû dresser de lui ne devait guère être flatteur. Il avait même dû empirer avec l'âge.
Tout ça pour quelques errances de gosse. Quel gâchis.

Face à la confession de l'autre loup, il resta de nouveau silencieux quelques secondes, avant de répondre :

— Je pense que c'est normal. Même si on est loin, la famille fait partie de nous, comme on fait partie d'elle.

La formulation était bancale, maladroite. Il lui était souvent difficile de mettre des mots sur ce qu'il pouvait ressentir, et même s'il avait au fil de ses années passées ici appris à mieux maîtriser la langue locale, il restait qu'elle n'était pas fondamentalement sienne. Il y avait des lacunes.

— C'est surtout difficile pour nous les loups. Une courte hésitation. Animal social. Une autre, plus longue. Esprit de meute.

Meute, famille. C'était presque la même chose, au final.
Un fait dont l'évidence ne se révélait à lui qu'à cet instant précis, après une vie entière passée solitaire, à la recherche de liens qu'il n'était jamais parvenu à vraiment retrouver.
Peut-être que la réponse avait été sous son nez tout ce temps, et qu'il n'avait juste pas été foutu de la voir, aveuglé par son putain d'orgueil de macho de la pampa.
A une époque, cette petite épiphanie l'aurait sans doute mis en colère. Aurait entraîné avec elle une nouvelle vague de déni. Mieux valait nier l'évidence plutôt que de reconnaître qu'on avait été dans le faux tout ce temps.
Mais aujourd'hui, alors que Joaquín se faisait chaque jour un peu plus vieux et désabusé face à une vie dont il sentait bien qu'elle passait totalement à côté de lui... eh bien, aujourd'hui, Joaquín se sentit juste con.
Con, et peut-être un peu plus vieux encore qu'il ne l'avait cru lorsqu'il s'était levé, ce matin-là.