Les aléas de la nature ➼ Epreuve de Vie

Tu trottines d'un pas leste et rapide, Agathe, avançant progressivement vers des sommets déjà vus.
Le soleil faisait briller toutes les facettes de l'émeraude qui te couvrait aujourd'hui, te rendant visible à des kilomètres sans que tu ne sembles te soucier de ça. C'était rare, que tu ais joyaux si précieux en guise de cornes, de queue, de griffes et de cils !
Tu te disais davantage ça que "oups, je suis une proie parfaite pour un prédateur affamé et j'risque fortement de claquos' avant ce soir si je reste autant à découvert".
C'que tu étais trop désinvolte.
Pour ne pas dire carrément je-m'en-foutiste.

En coulant un regard vers le large panorama que t'offrait l'altitude à laquelle tu t'étais rendu, en regardant la savane et en devinant les terres de l'ancienne meute de tes darons, tu te demandais d'ailleurs si c'était à cause de cette attitude que tes parents, 'fin... Il t'préférait un tout ptit peu moins qu'tes sœurs.
Oh !
Pas d'grand chose, sans doute. Juste assez pour qu'on vive avec elles des trucs un peu plus cools, qu'on les initie aux divins, toussa toussa. Des fois, c'est que t'aurais voulu en avoir quelque chose à foutre, toi, des dieux. T'aurais voulu comprendre, c'que ça fait d'avoir la foi en quelque chose. T'aurais voulu qu'on t'en parle, ou du moins savoir pourquoi elles et pas toi, parce que ça laissait un peu des pensées nulles dans ta tête.
T'avais bien essayé de t'y pencher, plus tard, juste pour voir... avant d'abandonner en deux deux.
C'était sans doute trop tard, maintenant ; ça servait à rien de forcer l'intérêt.

Y avait sans doute que dans tes pas, qu'tu pourrais avoir la foi.

Puis bon, t'avais aussi pensé à c'te réalité : t'étais peut-être pas assez belle ou pas assez déterminée, pour prétendre à leurs dieux à eux. En tant que disciple, c'est sans doute des choses qu'on savaient...
Bah !
Soit !
On allait quand même pas s'laisser abattre par ça ; puis t'serais pas la seule sur ces terres à être un peu moche et un peu conne hein. Puis c'pas d'ta faute si y avait pas d'dieu de la curiosité et de la marche, aussi là !!
C'que c'était le genre de pensée qu'on finissait par avoir à rester toute seule, ça, avec personne pour s'occuper. Parce qu'on préférait l'observation de l'endroit plutôt que la rencontre avec les autochtones, au point d'rester encore avec une seule amie.

Plic Ploc.

« Eewh..! »
Tu relevas la tête au même moment où la pluie s'abattit en masse, tremblant en moins de temps qu'il ne fallut pour te mettre à courir tes cheveux et ton corps tout entier. Trois pas, et te voilà trempé jusqu'à tes gros os ! Putain, c'était grave trop la loose, ça.
L'éclair qui tomba et le tonnerre qui s'en suivit te fit faire un bon, avant que tu n'ais l'impression que la montagne toute entière ne se mette à trembler.

Il était archi violent, cet orage. Si tu voulais pas que ta corne fasse paratonnerre, t'allait vraiment devoir te mettre à l'abri et fissa !! Captant c'qui semblait être une embouchure vers une grotte, un peu plus loin, tu forças l'allure pour prétendre gagner la cavité.
Mais bon.
HEIN FORCEMENT, qu'c'était trop facile de penser ça !

Dans un gasp que personne n'entendit, tu te fis faucher par une roche, avant qu'un mélange de terre et de pierres ne t'emporte en contrebas. Le choc fut rude et douloureux, tu te relevas en poussant un râle profond que l'orage cacha pourtant sans peine.

Le reste finit par devenir tout noir.
Une fois sur tes quatre pattes, un torrent de boue t'avait à nouveau déplacée de ton chemin.

Les yeux clos et les dents serrées, tout ne fut que précipitation de chocs, de tête immergée, de looping dans la boue et d'une veine agitation de tes pattes. T'eus malgré tout le reflex d'ouvrir les yeux, à un moment.
Et dans un instinct de survie terrible, de lutter contre la force du torrent dans lesquels tu te trouvais maintenant (quand est-ce que la boue était devenue eau ? T'étais plus foutue de le dire) pour atteindre cet îlot reculé.
Ton dernier espoir, de sortir de là.

« RaaaAaaaAAh ! »

Cri de la guerrière vegan qui se hisse sur son refuge.
Le cœur battant et les larmes aux yeux, tremblant un peu tant t'avais peur (et tenant sur tes pattes que grâce à l'adrénaline, sans doute), tu t’auscultas brièvement. Ta longue queue avait été raccourcie de moitié (snif), et sans doute trouverait-on bien plus d'émeraudes que d'or dans les rivières des monts Célestes. Le reste... De large ecchymoses, des plaies légères.
Ok, ok Agathe.
T'étais crado' de ouf, épuisée, sous le choc, mais t'étais en vie.

Alors...
Alors on allait s'en sortir, hein ?!

Tu prends une grande respiration, regagne ton calme alors que tu regardes tout autour de toi. L'eau qui touche tes griffes te fait comprendre qu'il faut vite que tu partes d'ici, parce que... Parce que si tu te faisais embarquer, t'étais pas sûr de t'en tirer vu la chute qui t'attendait.
Et malgré ton p'tit coup d'blues du début, qu'on pense pas qu'tu tenais pas à ta vie !!
Une grande inspiration.

Allez, allez, t'es maligne, tu peux trouver une solution !
C'était toi qui inventait les meilleures histoires d'aventure et les dips du soir. Alors, une solution pour s'tirer d'un ilot qui allait finir submerger dans cinq minutes, BAH, d'la gnognotte !

Inspire, expire.
Oh la vache, stressant quand même.

Observant les arbres là-bas, les roches, les plateformes que tu pouvais atteindre, tu décidas de tenter le tout pour le tout.
Le temps t'était compté, tu pouvais pas t'permettre d’espérer faire un radeau avec ces arbres. Faudrait-il encore que tu puisses les atteindre...
EH.
Tu brisas un peu plus ta queue, Agathe. Et de ton sac à dos magique, de sortir une corde où tu nouas le morceau de pierre.

Un, deux...

Tu courbas ton corps tout entier, te redressant sur tes pattes arrière puis formant une demi-lune aérienne alors que tu lançais ta fronde vers un des arbres. Là, bingo !
Coincé entre les branches, tu maintenus ta corde en gueule et tira de toute tes forces. Tu les sentais tirer de fou, tes cuisses, mais tu abandonnais pas pour autant.
Un accoup, puis un second.
Et l'arbre te céda.

Mais si t'avais déjà eu de la chance, que de l'atteindre du premier coup...
Tu ne pus prétendre à c'qui tombe sur la trajectoire désirée.

Et plus que de faire un pont entre le rivage et ton ilot, le tronc tomba à l'eau.

Putain.
de.
Merde.

Te faisans à demi-emporter par le poids du bois dans le torrent, tu te refusas pourtant à lâcher la corde. Nan, NAN, fallait vraiment que tu le récupères sinon c'était foutu !
Finalement, c'est que ça devenait carrément une épreuve de force, tout ça ; et tu regrettas de n'pas avoir Sakura à tes côtés, qui aurait su le tirer si facilement de l'eau tant elle était balèze...
C'est en pensant d'abord à elle, que tu tiras.
Puis à tes frangines. T'pouvais pas partir sans une dernière bêtise avec elles.
Puis à tes parents. Quand même, tu les aimais si fort.

Tes griffes raclent le sol, tracent des sillons.
Tu prends une profonde inspiration, joue de tes limites.

Allez...
ALLEZ.

Le tronc sortit de l'eau pour s'échouer sur l'îlot, te laissant pantelante mais pas déconfite. C'était encore le redresser, là ! A l'aide de tes cornes, puis de tes épaules que tu glisses sous l'écorce. Tu le hisses sur ton dos et...
Le fait tomber, en équilibre entre les roches.

Dans un rire mouillé de larmes, tu franchis en courant ce pont de fortune, laissant disparaitre derrière toi ce précaire refuge.
On avance, maintenant.
Et on ne regarde plus en arrière.