Je voulais juste voir la mer - Libre

Ce sera à la mer, qu'elle se poserait pour appliquer les premiers pansements sur son cœur brisé.

Hollyhock avait quitté le Castel, dès que l'échange avec Alexandrine avait pris fin. Elle avait tourné la tête, regardé son immense silhouette disparaître vers le Nord et elle... Elle s'était enfuie de son côté. Par ce qu'elle ne pouvait pas rester là, à poursuivre sereinement ses petites activités, après ce qu'il venait de se passer. De toutes manières, une grande partie des Etelkrus étaient désormais au courant de ce qu'il était advenu de son couple et...
Elle s'arrêta de marcher, les épaules secouées par un sanglot.

C'était bel et bien terminé, alors.
Il lui avait semblé avoir tout fait pour maintenir cette relation, qu'elle avait tant chérie, à flots. Elle avait renoncé à avoir des gamins. Lorsqu'elle avait avoué ses sentiments à Méridor, elle n'avait jamais cherché à lui cacher ceux, encore si vifs, pour Alexandrine, dans l'espoir qu'il comprenne... Qu'elle puisse les aimer tous les deux et qu'ils puissent être heureux ainsi. Durant des mois, elle avait essayé de prévenir son ex-compagne, de toute cette douleur qu'elle ressentait.
Elle avait tout fait, mais ce n'était pas suffisant. Et maintenant, c'était terminé.

Les doigts de ses pattes se refermèrent fermement sur le petit flacon qui contenait un trèfle à quatre feuilles.
C'était tout ce qui lui restait d'Alexandrine, ça, et des souvenirs, aussi nombreux que douloureux.

Elle leva la tête vers le ciel, du même bleu que ses yeux. Ouvrit la gueule. Là, elle aurait voulu hurler, dans l'espoir que cela puisse la soulager, mais l'on risquait de l'entendre, alors elle ne hurla pas.
Sa peine ne s'exprimerait pas autrement que par ces larmes qui inondaient ses joues, s'écrasaient contre son poitrail.

C'était terminé.

Y avait-il quelque chose de plus difficile à vivre, sentimentalement parlant, que d'avoir à quitter quelqu'un qu'on aimait encore ? Même lorsqu'il n'y avait, en apparence, plus rien à faire ? Même lorsqu'un choix se devait d'être fait, au risque de perdre l'autre être aimé ?

C'était vraiment de la merde, d'aimer plusieurs personnes.
Le Nord, c'était de la merde aussi. Elle ne l'aimait plus. Et les dinosaures, elle les haïssait encore plus.

Comment faire, pour ne plus souffrir ? Comment ne plus y penser ?

Elle s'élança en avant, le regard encore brouillé par les larmes. En bas, elle trouverait la mer. Elle l'aimait bien, la mer, c'était un bel endroit, celui qui lui avait donné Grandes-Ailes.
Bouleversée, elle ne fit pas attention au terrain, jusqu'à ce qu'elle se sente perdre prise sur la roche.

Perdre prise... elle ne faisait que cela, en ce moment.

La réception fut aussi rude que le reste. Holly glapit de douleur, lorsque l'os de sa patte se brisa.
Les larmes coulèrent davantage et cette fois ci, elle hurla.

De toutes manières, tout le monde savait.

Recroquevillée, elle sentit l'angoisse la gagner. Ce n'était pas souvent, qu'elle se blessait si sérieusement et la douleur ressentie ne présageait rien de bon. L'angle de sa patte non plus.
C'était tout bonnement immonde.

Elle redressa la tête, haletante et hébétée, lorsqu'elle entendit son prénom. Anette... Elle ne l'avait même pas entendu arriver. Cela faisait combien de temps, que leurs chemins ne s'étaient pas croisés ? Pourquoi fallait-il que cela arrive en ce jour si particulier, si douloureux, ou elle venait de plaquer sa fille ?
N'en demeuraient pas moins, outre le lien, par alliance, qu'elles avaient pu avoir jusqu'à ces derniers jours, qu'elle portait à Anette des sentiments bien particuliers.

Holly l'admirait, cette louve si forte, rassurante dans les moments de crise, dotée d'un charisme et d'une aura incontestables.
Un pilier.

Dans cet abîme sombre qui l'aspirait, Anette fut sa lumière.

- Dame Anette !

Elle n'eut cependant pas le loisir de se réjouir davantage de sa présence. Déjà, les pattes de la louve crème s'apposaient sur la sienne, brisée. Les muscles d'Hollyhock se contractèrent et elle ouvrit la gueule, réprima un gémissement de douleur.
C'était un mal nécessaire, elle le savait.

En trois morceaux, sa patte s'était brisée.
Elle le savait, aussi, d'avance, que les choses ne resteraient pas ainsi et elle avaient, de toutes manières, confiance en Anette pour ce genre de choses et pour bien d'autres encore. Elle ne souhaitait, par ailleurs, pas garder de séquelles de ce stupide accident, qui pourraient remettre en question son efficacité en tant que combattante.
Alors elle endura, les fermés, les crocs serrés à en avoir mal, sa tête contre l'épaule d'Anette.

Il fallait penser à autre chose. A la mer, se focaliser sur le son des vagues...

Son regard bleu se posa sur sa patte soignée. Un sourire discret, témoignant de son soulagement, vint doucement étirer les commissures de ses babines.

- Merci beaucoup.

Elle soupira.

- Je suis contente de vous voir, Dame Anette. Comment allez-vous ?

Cela n'avait rien d'une formalité, au fond. Il s'en était passé, des choses, depuis le jour ou Anette avait décidé d'aller vivre sur la plage. Elle l'avait vue si malheureuse, lorsque Pepper s'était éteinte.
S'en remettait-elle, désormais ?

Ce n'était pas terminé.
Si elle avait essayé de penser à autre chose, si elle s'était branchée sur une autre conversation, malgré cette patte si douloureuse en espérant que les choses s'arrêtent ici et pouvoir rentrer, une fois leur échange terminé, elle s'était bien leurrée. Peut-être avait-elle était un peu bête. Sûrement.

Aux paroles qui suivirent, elle ne songea même plus à la patte brisée.
Depuis quand se portait-elle si mal, Anette ? Son inquiétude se manifesta sous la forme d'un léger froncement de sourcil, et elle ouvrit la gueule. Mais déjà, son ainée revenait sur le sujet de la patte et la laissa, temporairement, seule avec ses questions, pour aller chercher de quoi la soigner.
Holly ne dit rien et, à défaut de pouvoir bouger, resta étendue sur le sable, la gueule entrouverte et le regard flou.

Ce qu'elle voyait là, c'était tout ce que fuyait Alexandrine.
Et enfin, Holly comprit, un peu, ce qu'avait pu ressentir la louve crème, quand bien même elle ne pouvait toujours pas accepter sa réaction, sa réponse à cette situation. Elle pouvait comprendre, à quel point il pouvait-être difficile de voir l'un de ses proches, voir même plusieurs, sur le déclin.
C'était à devenir fou.

Anette avait toujours été si forte... Si forte, qu'elle lui avait paru indestructible, invincible. Et c'était peut-être le cas : les crocs d'aucun loup ne seraient probablement capable de défaire une telle louve. L'ennemi était tout autre, invisible et traître, et elle ne l'avait pas même senti venir.

Le temps.

Perdue dans ses pensées, angoissée par ce constat, elle réagit à peine lorsque sa prédécesseur revint vers elle. Elle lui offrir, pour seule réponse, un gémissement de douleur et des crocs serrés lorsque la patte blessée se vit à nouveau bougée.

Le regard d'Anette chercha le sien, et elle le soutint. Ses paroles furent plus violentes encore que celles précédentes, peut-être plus encore, dans une autre mesure, que la douleur qui irradiait le membre blessé.
Je ne veux pas... !

Elle inspira.

N'y avait-il rien qu'elle puisse faire pour arrêter le temps ? Etait-elle impuissante, face à toutes ces choses qui lui échappaient ? Ses propres sentiments, sa blessure, la mort de Pepper, la fuite d'Alexandrine, l'état d'Anette. De par ce rang nouvellement acquis, elle faisait sûrement parti des loups les plus puissants de ces terres, et pourtant...
Et pourtant.

Elle ne pouvait que demeurer planter là, hagarde, comme une môme. Sa gorge se noua brusquement, elle papillonna pour chasser les larmes de ses yeux trop brillants.
Face au temps et à la mort, elle n'avait aucun pouvoir.

Ses épaules se mirent à trembler.

- Je ne l'oublierai jamais. Elle a été merveilleuse, elle a été un modèle, une mentor incroyable, elle a été la lumière dont j'avais besoin et m'a tellement apporté. Elle a été une mère. Je l'aimais tellement, je l'aime tellement. J'aurais voulu lui dire... J'aurais voulu lui dire au revoir. Je pensais pas... qu'elle pourrait partir comme ça.

Sa voix cassée finit par mourir dans sa gueule.
C'était peut-être la première fois, depuis la succession, qu'elle pouvait parler à coeur ouvert de tout ce qu'elle ressentait, qu'elle n'avait pas besoin de jouer à la louve forte et digne, à l'Alpha aux épaules assez solides pour porter toutes ces tragédies sans ciller, pour n'inquiéter personne.
Forte, elle le serait pourtant, pour Pepper, pour elle-même, par ce qu'il fallait continuer d'avancer, même si c'était difficile, même si elle sentait trop souvent son coeur se serrer dès qu'elle entendait son nom, ou même une allusion à sa personne.

- J'aurais tant aimé faire quelque chose... Je voudrais tant pouvoir faire quelque chose pour vous aussi, Anette.

Elle aussi, était importante. Elle avait été cette figure bienveillante et rassurante, lorsqu'elle avait douté.
Alors, pourquoi devrait-elle partir, elle aussi ?

Elle lui manquait, Pepper, à Anette, aussi.
Dans sa poitrine, le coeur de la bleue se serra un peu plus et elle ferma les yeux, un court instant, prit une inspiration difficile. C'était évident, quelle manquait, Pepper, pas qu'à elle, pas qu'à elles. Son départ n'avait pu être anticipé par la plupart d'entre eux et, maintenant qu'elle n'était plus là...
Le vide était si grand.
Il était pourtant difficile d'en parler, par ce que tout un chacun semblait vouloir rester fort, digne, et il y avait comme une atteinte à cette image de vaillant combattant Etelkru, dès lorsqu'une voix tremblait un peu ou que les joues se mouillaient.

Avec ceux qui l'aimaient, Pepper n'avait rien été de plus qu'une évocation rapide, douloureuse.
Elle n'avait pas été l'exception, avant qu'Anette ne vienne ouvrir les vannes.

Holly hocha doucement la tête.
Oui, elle pouvait le faire, ça, prendre soin de la meute. C'était son devoir, désormais, et, probablement, ce qui la motivait le plus dans ce qu'elle pouvait actuellement vivre.
Pour les meilleures valeurs, cependant, c'était à voir. Elle voyait, chez sa consoeur, une réelle volonté de changer les choses, d'avoir un clan plus ouvert, plus... bienveillant ? Avec l'extérieur. Mais Holly, elle, restait évidemment attachée à ses traditions, à la méfiance dont Pepper avait fait preuve.
Il était difficile, de sortir de son ombre pour affirmées ses propres idées, qui ressemblaient tant à celles de la petite Reine, de toutes manières.
Ca viendrait, un jour, pourtant, elle en était persuadée, sous l'influence d'Anita ou par d'autres facteurs.

- Promis.

N'était-ce pas un mot souvent prononcé par les enfants ?
N'était-elle pas, elle-même, une enfant à côté d'Anette ?

Elle se redressa, dans une grimace douloureuse. Son regard vint se poser dans celui de la louve crème, si reconnaissant, comme il l'avait toujours été.

- Merci, Dame Anette. Aujourd'hui encore, vous avez été formidable.

Elle le serait toujours, pour elle, pour eux aussi.

- Prenez soin de vous, vous aussi. A bientôt.

Son corps se détourna d'elle, pour la laisser se reposer, désormais.
Holly n'aurait pas de problèmes pour rentrer : Azymondias se trouvait dans son ombre.