La Traque de la Corneille [Lestat, Noé, Violette & Heinly]

En silence, elle se mit à arpenter les parages. A l'affut de la moindre trace. Ce fut Noé qui trouva le premier la piste. Aussitôt confirmée par le flair de Violette. Il ne restait plus qu'à les suivre. Pas à pas, le chemin le menait à l'individu recherché. Plus l'effluve était forte et plus le cœur de notre Colombe s'accélérait. Appréhension de cette rencontre. Crainte que son optimisme ne fut pas assez fort pour supporter une violente révélation. Elle jeta un long regard à son compagnon. Présent à ses côtés. Un soutien discret dans l'épreuve qui l'attendait. Qui les attendaient tous. Car nul ne sortirait d'ici sans être tâché. La question était de savoir si la tâche serait-elle indélébile ou lavable ? Et par quel moyen ?

Enfin, Heinly apparut. Avec derrière lui un arbre qui lui était impossible d'ignorer. Le Cognassier du Japon. Serket. Son amie. Une spectatrice à laquelle elle ne s'attendait pas. Le dénouement se jouerait donc en sa présence. Kerguelen s'immobilisa. Laissant une petite distance entre elle et le Recherché. Un comportement qu'elle n'utilisait qu'avec des créatures dangereuses. Normalement. Mais la situation ne l'était pas, normale. Elle était exceptionnelle. Si tendue, si prête à basculer.

Elle supporta l'échange de regard avec les iris glacés avec un calme apparent. Mais à l'intérieur, çà bouillonnait. Çà hurlait. Çà quémandait des explications. Çà suppliait de pouvoir innocenter. Supplique muette qui fut écrasée. Les mots prononcés par celui qu'elle considérait comme un frère et un protégé eurent une horrible saveur d'aveux. Il demandait son châtiment. Nulle réponse sur son geste ne sortit de sa gueule. Et ce sourire... ce sourire si sûr de lui. Si satisfait. Si révélateur de sa culpabilité.

Elle eut beau chercher dans son odeur, dans son attitude. Aucun signe d'une substance qui aurait pu altérer son comportement. Le mirage de l'Espoir se brisa en mille morceaux. Entaillant sa chair et brisant l'attache si solide de son éternel optimisme.

Comment as-tu pu faire çà, Heinly ?

Les yeux de la Colombe se remplirent de larmes. Elle avança d'un pas.

Il était coupable.
Il avait mis le feu à la Bibliothèque. Son âme sœur et elle-même avaient failli y rester. Il n'accordait aucune importance à la notion de vie. Cela lui était égal de sacrifier les siens, sa propre famille.

Est-ce que tu nous aurais tous brûlés si tu l'avais pu ? Comment un adorable louveteau comme toi a pu en arriver là ? Qu'avons-nous loupé ?!

Gouttes lacrymales qui courent sur son museau. Traçant leur propre chemin entre ses poils.

Il l'avait sciemment utilisée pour son ignoble tâche. Il l'avait entrainée dans son méfait. Et plus encore. Il l'avait entrainée dans sa chute. Sa propre naïveté l'avait corrompue.

J'ai été trop faible...

Douleur intense à la poitrine. C'était à son tour de brûler comme les livres. De sentir ses veines chauffer et propager les flammes de la désillusion.

Elle avait échoué. Tous les efforts faits pour être la Lumière d'Heinly avaient été vain. Tout n'avait été qu'apparences trompeuses. Aussi mensongères que ses fausse-oreilles.

Le filet de larmes devint ruisseau. L'incendie s'étendit impitoyablement dans tout son corps. Créant d'inutiles frissons. Destruction de son Monde.

Elle avait rompu sa promesse. Elle n'avait pas sû voir la noirceur de l'âme de l'être qu'elle aimait. Elle n'avait pas été capable de la faire briller. Serket devait être si déçue d'elle. Elle jeta un regard désespéré à l'arbre qui ne pourrait jamais lui pardonner sa faute. Elle était une mauvaise personne. Elle n'avait pas réussi à aider un être dans le besoin. Elle ne l'avait pas guidé sur la bonne voie. Elle avait fait preuve d'incompétence et d'un énorme manque de jugement. Elle était... elle était si aveugle.

Coupable.

Les fragments de son existence utopiques volèrent autour d'elle. Comme des corneilles déboussolées. En même-temps que tous les souvenirs des moments qu'elle avait partagé avec Heinly.

Elle s'était trompée. Sur toute la ligne. La bonté n'existait pas dans le cœur de tous ses congénères. Certains comme Heinly en étaient dénué.

Son cœur fut entièrement consumé par cette ultime prise de conscience. Au tour de son âme de se faire ravager. Par ce tourbillon de sentiments totalement nouveaux. Trahison. Déception. Colère. Un trio surpuissant. Face à lequel elle était impuissante. Elle n'avait pas les armes pour lutter. Elle avait déjà tellement intériorisé. Le combat pour sauver la Bibliothèque l'avait fatiguée. Son mental plia sous ces assauts répétés et si violents. Ils l'ensevelirent. Brûlant ses ailes. La clouant au sol. Prenant brutalement possession de son esprit.

D'un bond, elle détruisit la distance qui la séparait du coupable. Elle vint agripper ses épaules de ses pattes avants. Elle planta ses griffes dans ce corps offert, mélangeant diamant et mousse. Peut être même liquide vermeil, qui sait quelle force lui procura son état ? Son visage planté à seulement quelques centimètres de celui-ci d'Heinly. Son doux sourire habituel remplacé par un masque de pleurs. Et elle le secoua sans tendresse.

"POURQUOI !?"

Colombe, elle ne l'était plus. Elle n'avait plus cette pudeur à cacher ce qu'elle ressentait à Noé, Lestat ou Violette. Parce qu'elle n'était plus elle. Elle n'était qu'une ombre fermement accrochée à celui qui avait brisé le dôme de son petit monde utopique. Qui avait bousillé tout ce en quoi elle croyait.

Donner une réponse aurait été un seau d'eau fraiche sur le feu qui la dévorait. Mais elle n'en eut pas le droit. Cela aurait été si doux pour son cœur meurtri. Bien trop simple. Et rien ne l'était. Tout n'était que noirceur. Que douleur. Que pleurs.

Un silence lui fut offert. Mais pas que. Un simple sourire. Qu'elle eut envie d'agrandir. D'ajouter des sillons dans lesquels elle planterait des graines de plantes lumineuses pour embellir cette âme obscure. Pour tuer le mal à la racine. Une purification. Oui, voila ce qui pourrait peut être sauver Heinly.

Tourbillons d'idées en tout genre, alimentées par le Trio.

A côté, ses camarades ne restaient pas de marbre. Chacun s'exprimant à sa façon. Chacun réagissant à l'Aveu.

Le rappel à l'ordre de Lestat n'eut aucun effet. Ce n'était pas une question de raison, mais de sentiments. D'émotions violentes. Dominant largement l'amour qu'elle portait pour lui. Aveugle, elle était.

Seul le contact physique de Noé lui servit de lien. Bien maigre, mais suffisant pour la faire lâcher sa prise.

Ici n'était pas sa place. Alors, elle usa de son don. Elle s'envola sous forme de lumière. Mais cette fois-ci, les voiles ne furent pas teintés de douces couleurs. Non, c'était le rouge qui dominait. Rouge comme l'Upside Down. Rouge comme les flammes qui dansaient sur les livres.

Parce que l'aurore boréale extériorisait ce qu'elle était. Et elle n'était pas belle notre Colombe.

Elle laissa son manteau sanglant flotter au-dessus du petit groupe. Elle n'interviendrait plus durant le trajet. Elle avait déjà fort à faire là-haut. Sa propre bataille à mener. Pour contenir la souillure.