La seconde envolée † Libre

À quoi cela te sert d’honorer les morts, gamin ? Ils sont morts, ils n’en ont plus rien à foutre que tu vives ou que tu crèves.
Narcisse s’efforçait d’ignorer les mots du Phénix, ils n’étaient que poison, rongeaient son esprit, l’oiseau profitait de la douleur et de l’incertitude pour resserrer son emprise. Si fourbe. Si mesquin. Un bâillement, alors que le disciple de Kiro observe l’environnement qui l’entoure. C’était un endroit qui lui semblait si paisible, loin des autres, la chaleur qui rappelait le voyage aux côtés de Désastre.
Cet environnement le réconfortait d’une certaine façon.
Les griffes marquent l’écorce des arbres aux larges troncs. Ici, peut-être pourrait-il s’accorder un peu de repos, un abri loin des regards, loin des critiques de la vermine. De là, il pourrait rejoindre les siens ou à défaut Hollyhock.
Les fraises pousseraient bien ici.

Le museau se lève pour suivre une chauve-souris. Les ailes. Les oreilles. La truffe. Tout lui rappelait MaSheina.
Absolument tout.
Alors il aboie, menaçant sur l’animal qui n’a rien demandé, pour en voir d’autres prendre leur envol. L’Épée se redresse, fermant les paupières, sentant les ailes l’effleurer. Un bref contact, qui lui rappelait les étreintes de sa mère. Aurait-elle aimé qu’il importune ainsi ceux dont-ils partageaient de toute évidence le sang ? Bien sur que non.

Un moment il reste ainsi, avant de continuer d’avancer, pour suivre les chauves-souris.
De sa démarche féline, il est silencieux, il n’est qu’ombre.

Un sentiment étrange l’habite.
Et quand l’enfant apparaît, là où habituellement il n’aura montré aucune expression, voilà qu’un immense sourire (oui oui) étirait ses babines. Il se sentait toujours aussi triste, toujours aussi peiné, mais pourtant voir un inconnu, semblait étrangement le réconforter, plus même, l’enthousiasmer.

« — Whouahhhh mais tu es si mignonne, qu’est-ce que tu fais ici, hein ? Tes parents t’ont laissé sans surveillance ? Quelle bande d’irresponsables, lâchez une aussi mignonne créature dans la jungle… »

P’tain c’est quoi ce bordel, Narcisse ? Ça y est le chagrin t’a rendu complètement fou ?
Mais le disciple de Kiro n’avait pas le temps d’écoutait le Phénix, il était inquiet pour la petiote, c’était pas hyper sécurisé dans le coin. Et aussitôt il se retourne en voyant la rose passer la patte sur ses yeux.
Et son coeur semble se briser un peu plus.
Parce qu’il se voyait, lui aussi pleurer, aux côtés d’Alexandrine, sur le tombe de mère, quand la pluie pouvait masquer les larmes.
Et la panique le prit en pensant à l’enfant, en songeant qu’elle puisse être aussi tourmenté qu’il ne l’était avant de la rencontrer.

« — Oh non, ne pleures pas petite, je n’ai pas de mouchoir avec moi pour essuyer tes larmes euh… euh »

Oh. Ce n’était donc pas des larmes de tristesse ? L’Etelkrus se calma. Ou peut-être que la petite ne voulait pas l’admettre par fierté ? Par les dieux n’étais-ce pas trop mignon ?
Narcisse trouvait cela encore plus adorable. Était-il comme ça enfant aussi, à refouler ses larmes où à leur trouver une excuse ? Avait-il déjà pleuré au moins à cet âge ? Bah ça il s’en souvenait pas trop, c’était qu'un détail. Au moins si il avait pas chialer gamin, il avait rattrapé cela avec la mort de Sheina.
En entendant le commentaire sur son nez, Narcisse se sent gonflé d’orgueil posant une patte sur sa poitrine dans un geste théâtrale alors qu’il lève le museau.

« — Oui, en effet, je partage les gênes de ces divines créatures. »

L’Etelkrus se couche sur le sol face à l’enfant, histoire de ne pas l'intimider de par sa grande taille.

« — Est-ce que tu aimerais faire quelque chose dis-moi ? Je pourrais faire le destrier imbattable dans une superbe course-poursuite imaginaire ? Ou on pourrait ramasser des petits coquillages pour faire des bracelets, du genre bracelets d’amitié tu vois ? »

Dis-moi petite, ce que je dois faire pour plus que tu ne sois seule.
Dis-moi ce qu’il faut pour que tu ne pleures plus.

Parce que je ne supporte plus de les voir pleurer tout autour de moi, je ne supporte pas ma propres impuissance à les protéger.

Les petites dents sont pointues, comme les piranhas. Pourtant Narcisse ne voit pas la menace chez l’enfant, les babines toujours étirées en un immense sourire.
Oh, ainsi elle n’était pas seule ? N’étais-ce pas une charmante nouvelle ? L’une des longues griffes viennent toucher avec douceur la truffe de la petite.

« — Tu as de la chance d’avoir ta maman et un oncle en plus ! »

Lui avait perdu l’une et n’avait jamais eu l’autre.
Le regard se porte sur l’abri qu’elle lui montrait, avant de se reposer sur elle, quand elle évoque les larmes. Oh la lumière oui. C’est vrai qu’elle était là, cette inutile lumière. À quoi elle lui servait, mis à part lui gâcher la vie ? Cette lumière qui avait gâché celle de MaSheina, qui gâcherait celle d’Anita.
Un poison.
La patte retire le glowstick, l’observe un instant. D’un mouvement de patte, il pourrait le jeter, s’en débarrasser à jamais, mais…

« — Oh pardon, je peux le cacher sous mes cheveux regardes, hop ! »

Coincé au niveau de l’élastique, avec un peu de chance il ne bougerait pas.
À la question, Narcisse est quelque peu surpris, observant quelques secondes l’enfant. L’aimait-il ? Cette petite rencontrait quelques minutes plus tôt ?

« — Je crois… que oui d’une certaine manière. C’est bizarre… J’ai l’impression que mon esprit est libéré en ta présence, comme si je ne ressentais plus de peine, plus de culpabilité… comme si… j’étais quelqu’un d’autre. »

Pas l’antipathique. Ni celui qui avait échoué. Pas de jugement dans les yeux de cette enfant.
Narcisse leva ses pattes pour les regarder. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Et après tout… est-ce que cela avait une importance ?
Faisons tout ça, oui, pour commencer.
Oui, ensuite nous verrons pour la suite.
Les mauvais souvenirs, sont de nouveaux mis de côté, alors que l’Etelkrus rit de bon coeur (pour la première fois ?).

« — Oui, on peut absolument tout faire ici, même manger des fraises. »

Tout oublier.
Les serments. La famille. Tout cela n’avait plus aucune importance.
Les alphas. Les Etelkrus. Ils ne représentaient absolument rien en cet instant.
Kiro ?
Regardes, Anaconda, tu voulais que je joue pour toi encore, mais ma vie n’a été que théâtre, pendant des années.
Désastre ?
Regardes ami, comme toi je fuis la douleur et la peine, mais toi tu ne pourras pas me suivre comme je l’ai fait.
Parce que tu es dans la lumière.

D’un mouvement de museau, il invite la petite à monter sur son dos.

« — Montes donc et accroches toi bien ! »

Nous partons pour de nouvelles aventures, allons explorer la plage, et puis un peu les abords de la forêt si on le peut ?

Réveilles-toi Narcisse bon sang, quitte à perdre les pédales donnes-moi le contrôle, mais arrêtes !

Entendre l’enfant rire, ça l’appairait étrangement Narcisse. Dire qu’avant il pouvait pas encadrer les gosses, trouvait cela trop bavard, trop chiant. Comme quoi… suffisait qu’une daronne clams, un p’tit voyage à l’atoll pour se rendre compte que les gamins au final c’était pas si pénible.
Et toi tu préfères, être ce quelqu'un d'autre ?

« — Je crois que… oui… maintenant tout ce que les autres attendent de moi, j’en ai plus rien à faire. Plus besoin d’être loyal, de faire le sale boulot sous prétexte que deux zéros n’arrivent pas à faire deux pas devant l’autre sans s’emmêler les pinceaux… »

Deux nuls. Deux boulets. Pourtant c’était lui qui avait du surveiller leurs miches avec une débutante. Peut-être étais-ce parce que rien de mieux comme boulot à lui confier ?
Pour ce qu’il en avait à faire clairement… Pour ce que ça lui apportait. Quoi d’ailleurs ? La gloire il s’en fichait et de toute façon y’en avait pas (par contre casser du sucre sur sa mouille ça, y’avait du monde), les récompenses c’était le néant. Bref, rien.
Non y’a un moment stop.

« — … plus besoin de surveiller les frontières, de faire la courbette devant les alphas, dont l’une qui est ma propre soeur. Whouah, clairement, je crois que je ne préfère plus trop penser à l’ancien moi d’il y a cinq minutes. »

Elle était quand même un peu chiante cette ancienne version. Tout carré, droit dans ses bottes, pas un pet de travers, pff. Non, vraiment, trop c’était trop. Les oreilles se redressent quand l’enfant parle de se déguiser.

« — Te déguiser ? Comme pour jouer ?! Ah ça, c’est vraiment génial, j’avais fais une petite pièce improvisé pour mon dieu, c’était le pied, même si bon, il l’a un peu crié sur tout et du coup ceux qui savaient trouvaient cela drôle… »

Un moyen de se moquer. Pfff.
Et à la promesse de manger des fraises, la gueule s’ouvre, alors que Narcisse continue de sourire. Si c’était pas un programme d’enfer ça.

« — Oui on ne pourrait manger que ça pendant des semaines ! »

Parce que ça servait à quoi d’avoir une alimentation équilibrée ? Pour faire de meilleurs performances aux entraînements ? Ah ! Narcisse il en avait plus rien à carrer maintenant.
Qu’ils se démerdent les Etelkrus et leur bande de glandus.
Maintenant il voulait se réjouir de tout, faire des bracelets, bouffer des fraises, oublier les p’tits tracas de la vie pour n’être qu’un petit loup insouciant qui profite du monde qui l’entoure.

Une fois la p’tite bien accrochée, il commence par faire de léger bonds sur le sable, prenant garde à ce que sa passagère ne tombe pas (il s’en voudrait quand même de blesser l’enfant). À chaque bond, un rire, puis elle semble presque le défier en parlant des poissons.

« — Ah ouais tu crois ça ?! J’peux t’en attraper des dizaines des poissons ! »

Et il bondit dans l’eau, les éclaboussant.
Et il sent l’eau le rafraichir. C’est apaisant.
Il sent le museau dans ses cheveux, mais s’en moque.
Et les prunelles dorées se posent sur un petit banc de poissons, donc un qui avait une bonne taille.

« — Capitaine, là regardez un vilain poisson ! Mais n’ayez crainte, votre dévoué chevalier s’en va le combattre pour vous protéger ! »

Pas serviteur.
Mais Chevalier, parce que c’était plus glorieux, plus libre. La hiérarchie il lui pissait dessus.
Pour montrer à la petite que non seulement il était agile et rapide, Narcisse bondit derrière le banc de poisson (ça servait d’avoir des grandes pattes ma foi), avant de rebondir sur les flancs puis… bondir par-dessus pour refermer ses pattes sur sa prise. Bon c’était pas le plus gros… Il plonge juste le museau pour sortir le poisson qui remuait entre ses crocs.

« — Mouéhéhé »

Fait de beaucoup de choses, pour servir un clan. Je ne suis que le serviteur. Un ordre et j’exécute.
… Mais est-ce toujours le cas ici ?

« — Ça c’est sûr que j’ai vu du pays, même les terres par-delà la glace, peuplées de dinosaures ! »

Et de sauvageons.
Attentif, Narcisse écouta les mots de la petite, bah dit donc, elle en avait des déguisements. Princesse. Comme Mildred. Sorcière. Comme Onyx.
À la question il voit le changement chez la petite louve, quelque chose de bref, mais des mouvements qu’elle n’avait jusque-là pas effectué. L’Etelkrus ne sait pas trop si il doit quand même lui répondre, hésite quand elle reprend une attitude normale et enchaîne.
Il en ferait de même.
Au compliment il se contente de rire.

Et déjà ils repartent à la poursuite des poissons, avant qu’elle ne descende pour réclamer la prise.
Entre ses crocs, il resserre sa proie, assez pour que le poisson cesse de se débattre.
Et le goût du sang dans sa gueule. Un instant ça le trouble, lui rappelant des images du passé. Le sang du traître qui agressa du panseur, celui qu’il fut chargé d’éliminer.
Il a le goût de son propre sang en tête.
Celui des ennemis.
Celui de l’Ami.
Un frisson parcourt son corps, avant que la voix de l’enfant ne le sorte de ses pensées. De nouveau il sourit, balaie tout ça dans un coin de son esprit. Il pouvait les ignorer ici. Tout comme le Phénix.
C’était des choses qui lui était presque possible d’oublier.

« — Tiens, majesté. »

Délicatement, il pose le poisson dans la gueule de l’enfant.
Si impatiente la petite princesse, à vouloir faire tout ce qu’il lui avait promis.

« — T’inquiètes pas, on a tout le temps qu’on veut pour les faire ces choses là ! »

Déjà il se prépare à partir à la recherche de fraises.

Le Grand Nord, ça lui semblait remonter à si longtemps maintenant. L’époque où il y avait encore Pepper, où sa soeur ne se disaient pas que partir combattre les dinosaures dans le nord h24 était une bonne idée, où Anita n’était pas alphas.
Maintenant, tout était différent.

« — Oui ! Tout le monde portait des capes, mais je trouvais qu’il y faisait très chaud. »

Même sous l’eau glacée il aurait sûrement eu chaud Narcisse de toute façon.
Il l’observe dévorer son repas, n’esquisse de mouvements le temps qu’elle termine le poisson, puis incline son corps au sol pour lui permettre de monter. Il se sentait tellement utile aux côtés de cette enfant ! Pas de reproches, pas de jugement… simplement… tout qui allait bien.
Miraj, c’est son nom. Pourtant elle paraît bien réelle. Narcisse espère qu’elle l’est. Un instant, il doute, stoppe sa marche, l’enfant sur le dos. Peut-être avait-il perdu le contrôle et que le Phénix le plongeait dans cette illusion ? Ou peut-être l’esprit avait été rongé, laissant place à l’irrationnel.
Non. Ce n’était pas possible. Narcisse n’était pas aussi créatif, quand bien même son esprit aurait pu souffrir de n’importe quel maux. Quand à la possibilité que ce soit le Phénix qui agisse… alors que grand bien lui fasse.
Qu’il continue.
Parce que si c’était là une illusion, elle était bien plus agréable que la réalité.

« — J’aime bien majesté aussi. » Une pause, alors qu’il tourna légèrement le museau vers elle. « Et toi comment tu m’appellerais ? »

Quel nom devrais-je emprunter à présent selon toi ?
Sa Majesté sur son dos, Narcisse s’approcha des arbres sans s’éloigner de la plage, la truffe au sol alors qu’il cherchait les traces de fraises. Au bout de quelques minutes, il finit par trouver un bosquet de fraises. De quoi les satisfaire tout deux.

« — Tiens regardes des fraises, on prend les plus belles puis on s’en va faire ces p’tits bracelets, hein ? »

Les longues griffes arrachent une baie pour la tendre à l’enfant, histoire de voir ce qu’elle en penserait.

Ton esprit, tu vas le laisser ici, cette gamine est en train de ronger toute ta raison.
Peu importe.
Mais les autres ?
Ils n’ont plus aucune importance. Pendant cinq années j’ai veillé sur eux, afin d’honorer mon serment. Je n’en ai plus rien à faire.
Tu ne penses pas ce que tu dis. Ce lieu est un poison.

Narcisse conserva le silence, se concentrant sur la route, fermant parfois les paupières en laissant échapper un rire quand Sa Majesté jouait avec ses cheveux. Et au nom donné, un instant de silence, un moment d’arrêt alors qu’il semble réfléchir. Chauve-souris il était. C’était dans son sang. Il haussa les épaules sans oser contredire l’enfant, parce qu’il ne voulait pas la blesser.
Elle semble aimer les fraises, la petite princesse. Elle les veut toutes. Il rit de bon coeur Narcisse.

« — Seulement les plus belles, elles seront meilleurs. »

Les plus sucrées.
Et laissons les autres, pour quand on aura encore faim.
Il semble perdu dans ses pensées en sentant les pattes de l’enfant l’entourer. Ce n’était pas aussi brutale que l’étreinte d’Anita quand il était rentré… C’était…
Narcisse secoua doucement sa tête, emmenant avec lui le plus de fraises, les coinçant dans son harnais, priant pour qu’elles ne soient pas trop écrasées. Ils avancent sur la plage, s’arrêtant au bords de l’eau alors que la truffe pointue s’approche de coquillages échoués.

« — Regardes comme ils sont jolis ! Tu veux bien trouver les plus beaux, Majesté, histoire de rendre jaloux tout tes sujets ? »

Il l’observe avec un sourire.
Oui quand ils verraient ces beaux coquillages, tous seraient jaloux.
Narcisse posa les fraises sur plusieurs galets pour évité qu’elles ne soient salies par le sable.

Il grignotait des fraises tout en observant l’enfant ramasser des coquillages. Lui ne s’y connaissait pas assez et ses longues griffes pouvait briser même involontairement ces petites choses fragiles. Narcisse se contentait d’en retourner quelques uns, pour voir si ils n’étaient pas abîmés.
Mais déjà Sa Majesté a fait deux tas. Ils étaient jolis, un plus beau que les autres. À la demande, il abaisse son corps à sa hauteur.

« — Choisis celle que tu préfères ! »

Il y en avait de toutes tailles, petites, grandes, de quoi répondre à ses envies. À la question, l’Etelkrus passe ses griffes dans ses cheveux pour en retirer la lanière en cuir qui les retenait.
La lumière tombe sur le sable. La patte se pose aussitôt dessus, par réflexe. Un instant il demeure ainsi, sentant la chaleur de son glowstick. Si il le laissait là… peut-être pourrait-il vraiment ne plus penser aux autres ? Peut-être même que la lumière finirait par s’éteindre.
Peut-être qu’il pourrait enfin avoir l’esprit en paix sans que le Phénix ne vienne le tourmenter.
Mais il y a ce serment.

Le glowstick est -presque à contre-coeur- glissé sous son harnais, alors qu’il lui montre la lanière en cuir avec un sourire.

« — Tiens, si on se la partage on devrait avoir assez. »

Déjà il passe les dents sur la lanière pour la couper en deux, une un peu plus longue pour Sa Majesté vu qu’elle se chargeait du bracelet de son sujet Chauve-Souris. Une un peu plus courte pour que Narcisse puisse faire le bracelet de l’enfant.
C’était une activité qu’il n’avait pas fait depuis son enfance, de petits bracelets de coquillages. Il trie les coquillages par couleurs, allant des plus foncés aux plus claires, pour mettre au milieu celui qu’il estime être le plus beau. Avec soin, il saisit entre ses griffes chaque coquillage, essayant de mettre le moins de pression possible pour qu’ils ne se brisent. Certains avaient une petite fentes, d’autres nécessitaient que le loup perce, le plus délicatement possible il faisait tourner plusieurs fois le bout d’une griffe pour y faire un petit trous.
Il n’était pas le plus doué en travaux manuels, cela lui pris un peu de temps avant qu’il ne puisse faire un énième petit noeud pour coincer le dernier coquillage. Ne restait plus qu’à le passer à la patte. Il avait coincé la plume en perçant un coquillage, ainsi elle serait coincée.

« — C’est à ta taille ? »

Il tendit le bracelet à Sa Majesté, sa queue féline s’était redressée dans son dos.

Hum, au moins ça ne rendait pas si mal que ça sur la patte de la petite, même si c’était trop grand.

« — Si il est vraiment trop grand, tu peux le remonter un peu plus haut sur ta patte. »

En attendant que tu grandisses un peu…
Déjà elle tend son propre travail. Avec soin, Narcisse le tient un instant entre ses pattes pour mieux le contempler.

« — Il est très joli… » Un instant d’hésitation, alors que Narcisse fixe le bracelet. « ... tu es la deuxième à m’offrir un cadeau. »

Quelque chose qu’il pouvait garder aussi longtemps que le temps le lui permettrait. À sa patte, il y avait toujours le bandeau offert par Pepper à la fin de leur dernier entraînement.
Et maintenant, il y ajoutait le bracelet. Il est pile à sa taille, lui rappelle celui qu’il portait jadis avant de l’offrir à l’araignée. Celui-ci, il ne le donnerait pas. Sa truffe pointue le renifle, il sent la rose. C’est un parfum qu’il avait déjà croisé jadis, chez un loup. Un solitaire trop insignifiant pour que Narcisse ne tienne à connaître son nom.

« — Je le garderai précieusement, ce sera mon porte-bonheur ! Héhé, mon arme secrète qui sera jalousée par tous les au… »

… tres.
Il ne finit par sa phrase, baisse son regard sur Miraj. À ses côtés, il en oubliait le monde extérieur, son clan, les devoirs envers lui, les ennemis… plus rien n’avait de sens ici, tout était juste brouillé, comme si ils étaient sous une sorte de cloche...
La queue féline se balance, trahissant une certaine nervosité, il a besoin de penser à autre chose, de nouveau.

« — Que veux-tu faire maintenant Majesté ? »

Un sourire en guise de réponse. Narcisse l’observe faire des bonds au-dessus de sa queue, espérant qu’elle ne se fasse pas mal. L’enfant finit par s’installer contre ses pattes et lui ne bouge pas.
Le museau se lève pour observer le ciel s’assombrir doucement, puis les chauves-souris qui au-dessus de leurs têtes volent. Avant deux, maintenant des dizaines.

« — Je peux les écraser, les prédateurs. »

Il y a une certaine prétention dans sa voix, alors que le regard brille d'une certaine malice. Insectes vagabond ou prédateur de la jungle, quelle importance ?
Assis sur le sable, Narcisse continue de fixer le ciel. L’enfant n’aurait pas froid contre lui au moins.

« — Tu peux dormir, Majesté, je ne bouge pas. »

Oui, il avait oublié que les louveteaux fatiguaient si vite.

« — Je veillerai sur toi cette nuit. »

Un murmure.
Les nuits blanches n’avaient plus de secrets pour lui, alors il attendrait.

Une grimace, alors que tout semble se figer. La tête s’incline sur le côté, fixe l’horizon sans vraiment voir.
Et Narcisse a un déclic.
Une violente migraine qui l’assaille alors qu’il porte une patte à son front en grimaçant de douleur. L’impression que ses membres étaient de mousse et qu’il allait tout rendre… Les fraises… Le sang du poisson… rien que d’y penser ça lui donnait la nausée.

Tu te réveilles, morveux ?

Grognement léger qui monte chez le loup aux moqueries de l’Oiseau. Il n’aimait pas ça, cette sensation d’avoir vécu un temps dans les bottes d’un autre. C’était comme lorsque le Phénix prenait le contrôle… s’était-il retrouvé affaibli au point de laisser son pouvoir prendre le dessus ? Avait-il été aussi faible ?

Le disciple de Kiro s’apprête à se relever, quand il se rappelle l’existence de l’enfant entre ses pattes. Il la sent, quand bien même son corps bouillonne.
Et malgré les migraines.
Malgré la lucidité maintenant revenue.
Les prunelles dorées observent le petit corps dormir entre ses pattes. Elle lui avait fait confiance pour veiller sur son sommeil. Narcisse avait promis.
C’était une solitaire, une inconnue qui avait probablement sa part de responsabilité pour tout ce qui lui arrivait sur cette île.

Mais c’était une enfant qui lui avait confiance.

Désastre, lui faisait confiance, par amitié.
Hollyhock, lui faisait confiance par loyauté.
Et Miraj…

Pourquoi tu me fais confiance, petit insecte ?

Ça l’agace de ne pas comprendre, au point que sa queue féline vient remuer le sable. Pourquoi lui avait-elle accorder si facilement sa confiance à lui un étranger ? Étais-ce pas qu’il avait été si joyeux ? Ou avait-elle vu quelque chose chez lui qu’il n’avait pas perçu ?

Narcisse ne comprend pas ça.
Mais il comprend que cette rencontre avait mis quelque chose en relief. Toute sa vie, il s’était entraîné, surpassé, tant sacrifié pour les Etelkrus. Une meute. Qui en retour lui avait donné si peu. Bien sur il ne cherchait pas la gloire, ni la reconnaissance, tout cela était insignifiant… mais les autres… l’avaient jugé… avaient balayé son honneur, sa loyauté.
Et aujourd’hui si il restait Etelkrus, c’était pour honorer un serment auprès de son dieu, de son alpha.
Pour ne pas perdre ses soeurs.
Ni Désastre.

Mais qu’en était-il de sa propre volonté ? Quelle promesse s’était-il fait à lui-même ? … quelle genre de promesse pouvait-il réellement se faire ?

Le loup serra les crocs, alors qu’il sent ses muscles se contracter. Il a tellement mal à la tête à réfléchir. Il ne se sent pas bien.
Narcisse se coucha sur le sable, chacune de ses pattes avant autour de Miraj. Il continuait de la fixer, sentant contre sa poitrine la chaleur du glowstick. Que devait-il faire, hein ?

Ceux qu’il aimait semblaient devenir maudits un à un. Piclou. Pepper. Sheina. Holly dont l’âme avait faibli. Alex isolée au Nord.
Et Anette ? Et Anita ? Et Désastre ? Pouvait-il les sauver, leur épargner le malheur en restant ici ?

Phénix, que dois-je faire ?
Ne t’ai-je pas déjà dit que si ça devenait trop dur, si tu perdais le contrôle, je pouvais prendre les commandes ?

« — Laisses-moi dormir, maudit oiseau. »

Il posa son museau sur le flanc de Miraj, sans se soucier de son appartenance, sans penser au reste.
Juste pour oublier les migraines.
Juste pour ne plus réfléchir pour ce soir.