Inconditionnel - Narcisse.

Chaque fois qu'Anita s'était aventurée dans la direction des terres d'Ao, elle y avait fait des rencontres intéressantes.
Qu'il s'agisse d'une belle Nakhu au caractère entreprenant prompte à éveiller de nouvelles sensations ou d'une solitaire plus mystérieuse qui assumait sans hostilité se jouer de leurs frontières... Les abords du Lac Azuré semblaient regorger d'individus prompts à éveiller sa curiosité. Pour autant, c'était avant tout pour la beauté du lieu que l'hybride aimait s'y aventurer lorsqu'elle s'accordait quelques heures en-dehors des territoires Etelkrus. C'était quasi quotidien, à vrai dire ; mais ses absences ne s'éternisaient que rarement : l'usage de ses ailes lui permettait de couvrir une certaine distance sans trop de contrainte.
Le Lac demeurait assez proche pour faire l'objet d'une promenade à pattes, ceci dit, et l'Alpha ayant gagné les abords du point d'eau s'y allongea avec un soupir de contentement.

La sensation d'une présence non loin lui fit dresser les oreilles et tourner la tête, et la silhouette que croisa son regard n'avait rien de celle d'un quelconque inconnu qu'elle s'était préparée à potentiellement rencontrer.

— Hey ! Viens par là !

Son regard s'illumina.
Anita avait l'impression que la dernière fois qu'elle avait réellement profité d'un moment avec Narcy seule à seul remontait à une éternité : elle ne comptait pas le laisser s'esquiver et s'échapper si facilement.

Narcisse plissa les yeux, s’efforçant de chasser l’eau qui l’éclaboussait. Escalader près des cascades était un exercice intéressant. La roche y était humide, les prises plus glissantes et cela rendait l’exercice plus fatiguant.
Cela lui permettait de se vider l’esprit.
Terminant son entraînement, le disciple de Kiro rejoignit la terre ferme. Il reprit son souffle, avant de marcher au bord du lac, jusqu’à croiser la silhouette familière de sa soeur. La queue féline se redresse.

« — Anita, tu es bien loin des terres Etelkrus. »

Le ton est calme, presque chaleureux.
Les prunelles dorées étudient la soeur.

« — Tu sembles en forme. »

La remarque de son frère eut pour réponse un sourire et un regard tous deux espiègles.

— Oh, pas si loin que ça !

Le Lac Azuré profitait d'une proximité certaine avec leurs terres à eux. L'hybride tortilla son corps pour chercher la position la plus confortable possible sur le tapis d'herbe et tapota le sol à côté d'elle en regardant Narcy, l'invitant à venir se détendre aussi. Elle voyait bien à ses muscles saillants qu'il sortait tout juste d'un effort physique.
Le sourire resta sur ses lèvres à la seconde remarque.

— Ça va, je n'ai pas à me plaindre.

C'était vrai. Le printemps était de retour, souffle de vie bienvenu après l'hiver, elle supportait de mieux en mieux les absences qui s'étaient creusées dans sa vie grâce à certaines présences qui s'étaient renforcées... Elle pouvait se dire en forme, oui. La seule chose qui la gênait encore un peu était la blessure qu'elle avait glané en voulant imiter Alexandrine à la chasse aux dinosaures et qui n'avait pas encore tout à fait cicatrisé, la forçant à se garder de mouvements trop brusques et d'activités trop intenses.
Elle releva les yeux sur le visage de son frère pour l'observer quelques instants avant de reprendre la parole.

— Et toi, comment tu t'en sors ?

Les dernières années avaient été particulièrement dures pour lui, elle le savait. Pour eux tous, dans la famille.
Mais Narcy portait en plus cette certaine tendance à la solitude et de secret dans les émotions, ainsi que cette amertume qui l'avait éloigné du clan et dont il ne semblait jamais s'être défait.

Elle ne lui en voulait pas, mais elle voulait qu'il soit apaisé et heureux, et elle avait toujours eu l'impression de ne jamais parvenir à l'y aider.

Pas si loin en effet pour espéré un moment de tranquillité. C’est peut-être ce qu’il aurait répondu si il ne s’agissait pas d’Anita. Se doutant qu’il n’échapperait pas à une discussion, Narcisse s’assit.
Et bien sur la question que tous ne pouvaient s’empêcher de poser vint.
Durant un long moment, l’hybride conserva le silence soutenant le regard de sa soeur.

« — Mieux loin des autres. »

Ils sont tellement bruyants.
Ils le seraient moins si tu les dévorais.

S'éloigner du Castel avait été comme une libération. Prendre des nouvelles lorsqu'il jugeait le moment opportun, resté aux aguets en cas de menace afin d'honorer son serment auprès d'Hollyhock, tout en restant le plus à l'écart possible des autres... Narcisse se dit qu'il aurait dû le faire depuis bien longtemps.

Son regard ne se détourna pas non plus le temps que la réponse mit à venir.
Et elle accusa ces quelques mots d'une petite exclamation soufflée entre les lèvres et d'un nouveau sourire... Peut être un peu plus triste que les autres.
Oh, elle n'était pas surprise - même lorsqu'il ne vivait que par et pour le clan, son frère avait toujours été du type silencieux et plus épanoui à se concentrer seul sur ses activités et ses entraînements. Tout ce qui avait suivit n'avait pas tellement changé cette préférence qui n'avait rien de mal, même pour un loup de meute.
Pour autant, leur famille avait toujours été soudée et Anita aimait à considérer que malgré les différents choix de vie effectués ces dernières années, c'était toujours le cas. Voir moins ses frères et sa sœur que dans leurs premières années lui pesait parfois, bien-sûr, mais elle les aimait toujours aussi fort.
Devait-elle se sentir blessée de cette déclaration ?
Et qu'en était-il de Dez alors, qui partageait pourtant un lien fort avec lui ?

L'hybride étira ses pattes avant pour poser sa tête dessus avec un soupir, le regard dans le lointain.

— Mieux loin de tous ?

Il y avait malgré tout dans le timbre de sa voix le brin de malice qui la quittait rarement.
Après tout, quand bien même il était bel et bien plus heureux loin de tous...

C'était son choix, sa façon d'être. Anita se savait incapable d'en souffrir réellement si elle le savait épanoui.

Comme ce jour où elle fit le deuil de son départ soudain à lui et à Dez, au milieu de la Moere. Le moment où elle décida de s'affranchir du vide laissé et de la douleur pour simplement penser à eux avec un sourire aimant chaque fois qu'elle se souviendrait d'eux et s'imaginerait à quoi ressemblerait leur voyage.
Car ce qui importait avant tout, c'était d'être libre et vivant.

Un léger soupir qui franchit ses babines. Que voulait-elle ? Qu’il lui dise regretter de ne plus être aux côtés de la famille ? La queue féline s’agite un peu. Il ne sait pas trop quelles réponses sont cherchées. Les sourcils se froncent légèrement.

« — Que veux-tu vraiment savoir ? »

Narcisse n’avait jamais été friand de ces petits jeux. Si elle avait une question, qu’elle aille droit au but.
Poses donc ta vraie question.

Son frère ne se dérida pas et accueillit plutôt sa question d'une forme d'impatience.
Alors Anita à son tour eut un petit soupir en même temps qu'elle haussa les épaules, laissant ses yeux vagabonder vers le ciel. Narcisse semblait croire qu'elle le titillait et voulait lui soutirer des informations au moyen de sous-entendus, mais il n'en était rien. Elle voulait juste l'entendre s'ouvrir un peu et parler de sa nouvelle façon de vivre sa vie, savoir ce qui l'aidait à être heureux, de quelle manière il avait trouvé des moments de sérénité.

— Rien de particulier. Je veux juste que mon frère soit heureux. Quoi de plus normal ?

L'hybride ramena ses prunelles vers les siennes, laissant son sourire revenir. Puisqu'elle se doutait cependant que cette réponse lui paraîtrait peut-être un peu trop insuffisante, peut-être encore trop détournée, elle tenta de chercher des mots pour développer le fond de sa pensée.

— Ce que je veux dire... C'est que si ça signifie que tu désires vraiment t'éloigner et que tu te sens mieux ainsi, je le prendrai en compte et je garderai mes distances.

Tant que tu es heureux.
Sa gorge se noua malgré elle en prononçant ces mots. Déjà par le passé elle avait refusé de laisser tomber, de le laisser tomber quand le chagrin de la perte de leur première mère les avait ravagés. Elle avait tendu la patte pour ne pas qu'il sombre et qu'il s'enferme, mais seul il avait préféré demeurer pour affronter la douleur.
Et si c'était seul qu'il préférait vraiment être, qu'en toute circonstance il préférait cette solitude aux liens qu'Anita, elle, voulait maintenir et la présence qu'elle aimait offrir... Elle n'avait aucun droit de les lui imposer.

Elle aurait au moins essayé.

Silencieux, Narcisse écouta sa soeur, ne disant mot même lorsqu’elle eut fini de parler. Il la fixa un long moment de ses prunelles dorées, avant d’observer la cascade près d’eux, un sourire étirant ses babines.

« — Tu ne fais pas partie des autres, Anita. »

Ceux dont il méprisait la présence.
Qui ne faisaient naître que dégoût et mépris.
Ceux qui faisaient qu’il était cet être que certains décrivaient comme hautain.

Il cherche à croiser son regard.

« — Et toi l’es-tu heureuse ? »

À la tête de ce clan ?

L'attente qui s'installa après ses mots avait quelque chose d'un peu angoissant, comme si son frère réfléchissait à la situation et choisissait avec soin les mots qu'il allait dire.
Quels qu'ils soient, Anita s'estimait prête à les entendre néanmoins. Après tout, c'était elle qui avait abordé le sujet, elle qui avait demandé à recueillir son ressenti pour adapter son comportement.
Puis... Au sourire si rare de son frère, à son acceptation de cet amour filial qui les liait toujours, ce fut de joie que son cœur bondit et que sa gueule se barra d'un immense sourire en réponse.

Peu encline à masquer ce genre d'émotions, elle sauta à l'assaut de Narcisse pour en mordiller l'oreille, joueuse et soulagée. Car même si elle se serait tenue à sa parole, pour son bien, Anita savait pertinemment qu'elle en aurait souffert.
Elle n'accepta de se calmer et de reprendre un peu de sérieux que pour répondre à la question que cette fois lui posa.

— Je crois bien, oui. Tu me connais, tu sais qu'il ne me faut pas grand chose !

Malgré son air espiègle, ce n'était même pas vraiment une plaisanterie ou une façon de détourner et balayer la question. Elle avait toujours eu le sourire facile, Anita - et il n'était pas de façade. Elle avait bien sûr vécu des périodes plus difficiles comme tout un chacun, été ravagée par des tristesses, eu des moments sans soleil.
Mais elle était prompte à venir la chercher de nouveau, la lumière, plutôt que de se réfugier dans l'ombre. Au final, il était rare pour elle de se dire pas heureuse et de ne pas envisager chaque situation sous un jour où elle trouverait une forme de satisfaction et de sérénité.
Il en avait été de même pour le rôle d'Alpha, malgré des débuts plein d'incertitudes tant des temps troublés. Elle avait la sensation de pouvoir mieux aider à consolider ses valeurs ainsi - l'une de ses vocations les plus précoces afin de rendre le monde meilleur.

Il était vrai cependant que cela n'empêchait pas certaines frustrations de survenir quand avec toutes les cartes en main, les choses ne semblaient pas prêtes à fonctionner.

— Je suppose que j'aurais aimé mieux faire sur beaucoup de points, ou qu'il m'aurait plu de vivre d'autres choses. Mais on n'a pas assez d'une vie pour toit essayer, je crois bien. Et puis, ce n'est pas encore trop tard.

Ils n'étaient pas vieux, même arrivés à un point qui les rapprochait davantage de la fin que du début de leur vie.
Si le temps et les événements étaient cléments avec eux, ils pourraient encore découvrir tant de choses.

Narcisse eu un léger sursaut en voyant sa soeur lui bondir dessus pour lui attraper l’oreille. D’accord, il ne s’était pas forcément préparé à ce genre d’assaut…
À la réponse de sa soeur, il la fixa un instant. Pour avoir vu Pepper ainsi que sa mère tenir le rôle d’alpha avant, Narcisse savait à quel point c’était un poids lourd à porter.

« — C’est quelque chose de complexe, le pouvoir. Ne le laisses pas te consumer. »

Je ne veux pas que tu t’y perdes.
La queue féline remue doucement, alors qu’elle semble avoir quelques regrets.

« — Tu as des conseillers, reposes-toi sur eux. Toi et Hollyhock n’avaient pas à porter tout sur vos épaules. »

Les oreilles s’inclinent légèrement vers l’arrière, alors qu’il fixe sa soeur de ses prunelles dorées, l’air quelque peu peiné.

« — Je vais partir, Anita. » Une pause. « Et je veux que tu sois heureuse, pas que tu te sentes forcée d’endosser le rôle d’alpha si tu ne t’épanouies pas, que tu sacrifies ton bonheur. »

Je veux le meilleur pour toi, ma soeur.

Aux mots de son frère, la louve hocha doucement la tête, un sourire qui se voulait rassurant aux lèvres. Elle n'avait pas la sensation de pouvoir se laisser consumer par le pouvoir. Se laisser submerger par l'envie de mieux faire, peut-être, mais elle n'avait pas attendu d'accéder au pouvoir pour développer ce besoin de s'investir. Sa place en tant qu'Alpha lui avait surtout donné la sensation de pouvoir s'accomplir en toute légitimité - même si ce n'était pas si simple. Quant aux conseillers qu'il mentionnait... Bien-sûr, Anita leur accordait à chacun beaucoup de crédit. Et là encore, titre hiérarchique ou non, elle n'avait pas honte de demander à ses proches leurs conseils et à écouter l'aide qu'ils avaient à lui apporter.
La suite, ce qu'il annonça après que leurs yeux se soient entrecroisés, éveilla chez elle un léger soupir suivi d'un sourire un peu teinté de nostalgie.

—  Je ne suis pas surprise. J'aurais aimé que tu puisses te sentir à nouveau à ta place chez les Etelkrus, mais je suis heureuse que tu prennes la décision qui te correspond le mieux. Où que tu ailles, tu seras toujours mon frère et je t'aimerai tout autant.

Plutôt que de continuer à étirer les années dans la morosité qu'il semblait avoir accumulée.
Elle se souvenait de cette rancœur qu'elle avait tant regretté voir chez lui après les évènements chez les Nakhus ; lui qui était pourtant revenu changé - comme pacifié - de son voyage de l'Ailleurs. Anita avait espéré qu'il parvienne à s'en débarrasser, à la laisser de côté pour repartir sur de meilleures bases : mais tout avait trop changé, eux comme leur environnement. Son frère n'avait sans doute jamais pu renouer avec l'élan initial qui avait fait battre son cœur fougueux lors de leurs premières années de vie au rythme effréné des mentorats de Pepper, et de la vision qu'il avait tant partagé avec la Reine bleue. Une partie de tout cela était morte avec elle.
Plus doucement cette fois, Anita laissa à nouveau retomber une partie de son poids contre son frère, lovant son crâne au creux de son encolure. Paupières closes, elle inspira doucement son odeur et laissa son sourire grandir un peu plus.

—  Ne t'en fais pas pour moi. Je n'ai pas la sensation d'avoir eu à sacrifier quoi que ce soit pour en arriver où j'en suis.

Dans sa vie, elle considérait ne pas avoir de regrets. Des idées et des rêveries de ce qui aurait pu arriver différemment, de tous les autres chemins qu'elle aurait pu explorer, oui... Mais elle aimait tout autant celui qu'elle avait emprunté et continuait de savourer ce que les lendemains futurs lui apporteraient.
Se redressant, elle se détacha du contact et cligna des yeux pour glisser ses yeux clairs vers le visage de son adelphe.

— Que comptes-tu faire vis à vis de Kiro ?

Avait-il déjà eu l'occasion d'en discuter avec le Dieu dont tous deux portaient la couleur ? Comptait-il simplement rendre son glowstick, ou obtenir de l'Anaconda sa bénédiction pour continuer d'honorer sa foi même en dehors des bannières Etelkrus ?

Narcisse observa sa soeur, la laissant parler. Cette place dont-elle parlait, cette meute évoquée… tout cela n’existait plus. Une page qu’il était tant de tourner, qu’il aurait dû tourner peut-être bien avant, plutôt que d’essayé de forcer les choses.
À la mention de Kiro, un moment de silence. Oui, la question de son dieu devait être réglée, tôt ou tard.

« — Garder le glowstick, signifie devenir mercenaire Etelkrus... »

Le regard croise celui d’Anita.

« — … et je ne veux plus rien devoir faire pour ce clan. »

Il ne serait ni un serviteur, ni un protecteur.

« — Kiro est et restera mon dieu à jamais, même si je ne porte plus sa couleur. J’accepterai sa décision. »

Le punir comme ceux qui avaient essayé de lui tourner le dos bien avant si il le fallait.
Bientôt je t’enterrerai en même temps que mn appartenance aux Etelkrus, Phénix.

Sans surprise, son frère avait déjà réfléchi à la question et lui livra ce qu'il comptait faire.
Cependant, à la mention de mercenaire et des missions qui pourraient le relier au clan, Anita agita doucement la tête de droite à gauche.

—   Tu as servi avec loyauté pendant tant d'années, mon frère. Tu n'aurais aucun compte à rendre même en portant encore le jaune, je te le promets.

Elle leva une patte pour la poser sur son poitrail.

—   La décision de garder ou non ton glowstick restera entre toi et Kiro. Ne t'inquiètes pas du reste.

Après tout, les individus ayant eu le titre de mercenaire s'étaient retrouvés dans cette situation car aucun lien initial ne les rattachait aux Etelkrus. Ils avaient été solitaires et avaient voulu se lier à une de leurs divinités, là où Narcisse, enfant Etelkrus, avait déjà donné la majeure partie de sa vie pour le clan. Plusieurs fois, ils avaient failli mourir pour en défendre les membres.
Il serait injuste qu'après tout ce temps, Narcisse voit comme une obligation de couper le lien à son Dieu également - sauf si, évidemment, il préférait simplement se séparer de son pouvoir. S'il ne s'était jamais confié à elle sur sa nature profonde, Anita avait cru comprendre que son poids était plutôt dur à porter, même pour quelqu'un de solide comme son frère.
Kiro ne pourrait-il, dans ce cas, simplement en éteindre les propriétés pour lui laisser seulement sa couleur et sa substance et ainsi le laisser profiter d'une paisible retraite ?

Car après tout, ce n'était pas par soif de pouvoir qu'eux, véritables fidèles bercés dès les premiers battements de cœur dans la lumière de L'Anaconda, portaient sa lumière.
Il s'agissait avant tout de foi, d'une infaillible confiance et d'un lien qui se portait avec fierté et reconnaissance.

C’était donc entre lui et Kiro. Peut-être étais-ce ainsi depuis le début… une des vraies raisons qui lui faisait repousser son départ. Narcisse conserva le silence un moment, ses longues oreilles vinrent se coucher sur son crâne. Il aurait aimé dire tant de choses, mais avait peur d’être maladroit… de ne pas savoir comment formuler ce qu’il avait sur le coeur.

« — Saches que je serais toujours là pour toi et Alex, alors s’il te plaît… »

Narcisse s’approcha de sa soeur, avant de venir la serrer contre lui. Ce n’était pas le genre d’étreinte qu’il avait beaucoup eu l’occasion d’offrir à ses soeurs, peut-être essayait-il de se rattraper un peu…

« — … viens me voir. Que tu rencontres des problèmes, que tu te sois plantée une épine dans la patte ou tout simplement que tu aies besoin de parler… »

Pour des tests culinaires.
Pour me parler du mauvais temps.
Je veux que nous restions unis, toi, moi et Alex, comme une vraie famille.
Il ressert un peu plus son étreinte, ses yeux humides.

« — N’aies jamais peur de me déranger. »

Parce que ce ne sera jamais le cas.

Elle vit ses mots s'encrer dans l'esprit de son frère et y tourner, rejoignant sans doute une réflexion dense et déjà avancée sur le sujet. Anita ne le forcerait à rien : elle souhaitait simplement qu'il fasse le bon choix. Celui qui lui plairait le plus, et qui ne plairait enfin qu'à lui, sans le prisme d'autres volontés pour dicter ses objectifs.
Elle savait qu'il y parviendrait, et il avait maintenant toutes les cartes en main.
L'hybride dressa les oreilles lorsque son frère reprit la parole, son cœur manquant un léger battement au son d'une voix un peu changée, lourde de beaucoup de sentiments et de non dits.
Le battement suivant n'en résonna que plus fort dans sa poitrine et dans ses tempes lorsque leurs deux corps se rejoignirent, cette fois-ci sur l'initiative de Narcisse plutôt que de la sienne. C'était si rare.
Les yeux grand ouverts et perdus dans le vague, la tête collée contre la peau si chaude de son adelphe, elle écoutait les pulsations de cet autre cœur en réponse au sien et se laissait bercer des vibrations de sa voix grave. Les mots qu'il déroulait allumèrent dans son esprit de vifs et colorés souvenirs, images surgissant devant ses yeux et presque nimbées d'un halo doré à mesure que se rejouaient tant de moments passés ensemble, presque aussi clairs que s'ils avaient été enfants hier - le film d'une vie déjà longue dont elle avait chéri quasiment chaque instant.

Sa gorge se serra au même moment où son frère raffermit encore son étreinte. Et si sa première réponse ne fut d'abord qu'un reniflement discret, elle parvint après plusieurs secondes à articuler avec difficulté à travers le nœud dense d'émotions qui s'était noué et coincé quelque part entre son cœur et sa gueule.

—   Je t'aime, Narcy.

Il le savait déjà, bien-sûr. Tout comme elle savait déjà tout ce qu'il lui avait dit. Ils avaient formé une belle famille, à eux tous ; leurs mères pouvaient être fières de cela. Malgré les moments difficiles, les errances et les écarts, ils s'étaient toujours aimés et elle osait espérer qu'aucun d'entre eux n'en ait jamais douté, même dans les longs moments où ils n'avaient proféré aucun mot
pour l'exprimer, même quand des distances s'étaient creusées et avaient laissé moins d'occasion de le démontrer.
Ça ne faisait jamais de mal de se redire tout cela.
Au contraire, ça faisait beaucoup de bien, quelque part au milieu de tous ces sentiments qui lui piquaient le bord des yeux.
Quand Anita brisa le contact, ce fut pour relever l'encolure et regarder son frère en face, un sourire radieux sur les lèvres en dépit de la fine pellicule de larmes qui faisait briller l'améthyste de ses yeux.

—  Bien sûr, que je viendrai. Je compte bien m'assurer que tu vives heureux, et gare à toi si ce n'est pas le cas !

La louve plissa le museau pour révéler le bout de ses crocs et une langue tirée furtivement.

—  Et tu as intérêt à nous rendre visite également. Tu ne seras jamais un étranger.

Si ses côtés aventureux et vagabond se serviraient sans mal de cette motivation pour faire des excursions en dehors du territoire Etelkrus, il y aurait peut-être des moments où elle serait moins disponible, devoirs et imprévus obligeaient.
Mais surtout, elle voulait que cette information soit claire et énoncée.
Quelle que soit la décision de Kiro ou de Narcisse lui-même vis à vis du lien à son glowstick, qu'il porte encore une couleur Etelkrus ou non s'il venait un jour se présenter aux frontières... Son frère ne serait jamais chassé, ou vu comme un paria. Elle s'en assurerait.

Il n'avait pas trahi le clan, même s'il le quittait désormais.
Il l'avait honoré jusqu'au bout.

Un bref instant de silence, pour simplement profiter de l’instant présent. Étreinte qu’auparavant, Narcisse se serait montré plus réticent à accorder, trop plongé dans le rôle de soldat. Maintenant qu’il partait, tout ceci n’avait plus d’importance. Il n’y avait plus de rôle ou de mission.
Plus de Narcisse le soldat.
Simplement, un solitaire.

« — Je t’aime aussi, Anita. »

Jamais rien ne brisera cela.
Chaque années à ses côtés, ainsi qu’auprès de leur famille était un cadeau qu’il chérissait avec grand soin. Si peu d’ombres dans ce tableau, pour leur plus grand bonheur.
L’étreinte est brisée. Une expression semi-amusée chez l’hybride.
Oui, il comptait bien vivre heureux, par-delà le territoire Etelkrus. Quand à revenir…

« — Merci. »