Comme les grands - Anita

Demain, ils auront quatre mois, avec Iris. C'était Maman qui leur avait dit ça.
Iberis avait ressenti un grand élan de fierté, à cette annonce : Quatre mois, c'était beaucoup, se disait-il, ça faisait beaucoup de jours, beaucoup de lunes : il n'avait plus besoin de lait et, bientôt, plus besoin, non plus, de la surveillance de Maman.
Bientôt... Il irait même voir un Dieu et reviendrait avec un glowstick ! Il savait pas encore qui, mais ça viendrait et c'était pas pressé non plus, même si il y pensait de plus en plus.
Avant ça, il devait trouver un mentor.

Elle ne le savait pas encore, Anita, mais ce serait-elle, sa mentore !
Il n'avait pas fallu longtemps à Iberis pour faire son choix : Il ne voulait pas de Maman par ce que, avec l'âge, étaient venues les premières envies d'indépendance. Il ne voulait pas non plus de Sakura et Etna, bêtes et moches... Par ce qu'elles étaient bêtes et moches. Pas non plus de Maps par ce c'était même pas une grande vraiment grande. Pas non plus Séraphin, pas assez brillant à son goût.

Lui, il voulait la plus belle et la plus puissante -après Maman, évidemment !!- de toutes les Etelkrus.
Anita, donc.

Un sourire sur les babines et la queue haute, il était parti la chercher, passant sa petite tête dans les multiples tanières qui ne faisaient pas office d'habitation, cherchant l'endroit où la louve aurait pu se cacher.
Mhmh. Il réfléchit.
Elle n'était pas là, donc sûrement ailleurs ! Quelle superbe déduction, il venait d'avoir.

Son visage s'éclaira, lorsqu'il aperçut sa fine silhouette et il trottina vers elle, la queue battante.

- Bonjour Anita !

Lancée sur le chemin qui la mènerait vers l’extérieur d’un petit trot agile, Anita ne fut pas en mesure de passer les arches rocailleuse de l’une des sorties du Castel.
Car trottant vers elle de toute la vitesse de ses courtes pattes – enfin, plus si courtes maintenant que les mois défilaient et qu’Iberis semblait être en bonne voie pour faire partie des hautes têtes de leur meute, contrairement à son aînée – apparut une tête sombre qu’elle avait pris l’habitude de voir au détour d’un couloir ou d’une tanière, souvent collée aux flancs de son amie et consœur.
L’hybride fut presque tentée d’accélérer juste pour le plaisir malicieux de le voir passer au galop et étudier combien de temps il lui faudrait pour s’essouffler en la poursuivant, mais… Il avait l’air réellement content de la voir, et elle avait quand même un cœur, donc l’ignorer pour tenter de le distancer ne ferait sans doute rire qu’elle.

Une prochaine fois !
Quand ils seraient un peu plus grands, elle pourrait s’adonner à tout un tas de plaisanteries avec une prise de risque réduite de les vexer un peu trop fort.

C’est donc plutôt un visage avenant qu’elle tourna vers l’enfant quand elle cessa son avancée.

— Bonjour, Iberis. Tu me cherchais ?

Ou bien n’était-elle que la première silhouette sur laquelle il aurait jeté son dévolu pour tuer l’ennui ?

- Oui !!

La réponse ne s'était pas faite attendre, piaillée joyeusement.
Il était vraiment TROP CONTENT de la voir, par ce qu'il l'avait cherchée super longtemps avant de la trouver (non), puis il aimait bien passer un moment avec Anita vu qu'elle était gentille et c'était pour ça d'ailleurs qu'il voulait que ce soit elle sa mentore et pas Etna et Sakura. (si on ne l'avait pas compris.)
Iberis s'assit en face d'elle et prit un petit air des plus sérieux. Solennel ! C'était ça, le mot.

- Anita, j'ai beaucoup réfléchi et j'ai décidé que j'en ai marre de rien faire de mes journées ! Moi aussi je veux faire des trucs de grands et devenir fort ! Dis, tu veux bien être ma mentore sitoplait ?

Allez hop, des p'tits yeux brillants pour attendrir : C'était cadeau.

L'enthousiasme d'Iberis trouva en guise de réponse un sourire sur son visage.
Et comme il s'était assis au lieu de continuer à tourbillonner, la louve ne prit pas la peine de relancer la conversation ou de chercher à approfondir ce qu'il voulait.
La concentration et la tentative de sérieux qui se mêlèrent étaient des indices suffisants pour la laisser penser que la suite viendrait d'elle même, et bien assez vite.

Et en effet, elle eut droit à une grande déclaration, digne des discours les plus poignants des honorables orateurs ayant un jour foulé cette terre.

Sa mentore, mh ? Rien que ça.
D'une de ses pattes avant, Anita alla décrocher une des broches piquées sur sa manchette et la coinça entre deux griffes.
Puis elle leva haut cette patte vers le plafond, loin au-dessus de sa tête, bien au-delà de la capacité du jeune loup à pouvoir ne serait-ce que l'effleurer, fusse-t-il même doté d'un petit trampoline.

— D'accord. Quand tu pourras attraper ça.

Sourire radieux sur les babines et éclat malicieux au fond des yeux, la Prêtresse toisa l'enfant.

Son air très sérieux fut perdu, lorsque les conditions furent posées par l'Alpha.
Ah ! Mais il était encore trop petit, lui, c'était vraiment pas très gentil de lu demander quelque chose comme ça alors que c'était impossible de l'attraper. Maman pourrait, mais bon, il était pas sûr qu'Anita lui accorde la victoire si il demandait à quelqu'un d'autre de lui rendre ce service.

- Mais Anita ..!

Iberis fit la moue et analysa la situation.
Il y avait peut-être une solution pour venir à bout de cette épreuve tout seul... Enfin presque.
Le louveteau ramassa ses pattes sous son corps et, d'un bond, tenta de sauter sur le dos d'Anita afin de s'en servir comme d'un escabeau, ou un tabouret, au choix.

En vain.

L'Alpha haussa un sourcil amusé devant la protestation - previsible -  du jeune loup.
Mais elle pouvait aussi voir la détermination dans ces prunelles bleues au lieu de l'abattement et elle maintint sa patte en l'air, curieuse de la stratégie qui devait se tricoter à toute vitesse dans son cerveau tout neuf.
Et il tenta en effet, après quelques secondes de flottement, de bondir vers sa cible. Il y mit plein de volonté, elle pouvait bien lui accorder cela, mais ce n'était parfois pas assez pour outrepasser les liens terrestres et les contraintes physiques qui emprisonnaient leurs esprits dans une enveloppe bien plus pataude.

Au début, du moins.
Iberis était encore à l'aube de sa vie et avait tout le temps dont il pouvait espérer pour développer ce corps juvénile et en repousser les barrières, pour le former dans l'image qu'il se faisait d'un lui accompli.
Et si il le souhaitait, eh bien... Elle l'y aiderait.
Anita finit par ramener son antérieur puis bascula son avant-main de l'avant en le ramassant proche du sol, au niveau du fils d'Holly.

—   Ce n'est pas un non. Tu es juste un peu jeune, encore. Quand tu auras grandi et sue j'aurai pas peur de te casser en te faisant tomber d'un arbre, c'est d'accord.

Elle le gratifia d'une pichenette joueuse sur le bout d'une de ses oreilles bleu nuit, sourire aux lèvres.

—   Mais c'est pas une raison pour rien faire et se la couler douce en attendant ! Tu crois que j'ai attendu l'âge adulte pour devenir géniale ?  

L'hybride se releva d'un mouvement souple et fluide, étendit l'un après l'autre ses membres fuselés, contracta ses muscles pour en découpér la forme sous sa peau fine.
Son sourire dévoila tous ses crocs.

—   Alors viens, on va s'amuser un peu.

Son regard brilla d'un éclat presque sauvage à ces mots alors qu'elle se propulsa dans un trot soutenu, lancée vers la sortie du Castel sans laisser le temps au petit la possibilité de protester ni même vérifier qu'il la suivait.

C'était lui qui était venu la chercher, elle allait pas l'attendre non plus.

Alors, il était vraiment trop jeune pour commencer dès à présent son mentorat…
Dommage. C’était une perte de temps, il trouvait, que d’attendre d’être un peu plus vieux tant il était impatient. Mais bon, Anita avait été claire et il ne servait sûrement à rien d’insister.
A défaut, il espèrerait grandir rapidement. Au moins, elle avait dit oui et Iberis était bien content d’avoir trouvé une mentore aussi formidable qu’elle.
Le louveteau finit par remuer la queue.

Il ouvrit la gueule pour la remercier mais, avant qu’il ne puisse prononcer le moindre mot, la grande louve partir au trot. Il glapit et partir à sa suite, courant de toute la vitesse que le lui permettaient ses petites pattes.

- Attends moiiii !

Un rire la secoua et s'echappa de sa gorge, et sans ralentir l'hybride tourna la tête vers l'arrière pour que sa voix porte jusqu'à l'enfant.

— Absolument pas ! Ce sera ton premier exercice à faire en attendant qu'on s'y mette pour de bon : tu trouveras chaque jour quelqu'un à rattraper au pas de course !

Et elle n'était même pas désolée pour les malheureux qui seraient les élus du jour et qui se retrouveraient avec un louveteau aux trousses pendant plusieurs minutes.
Mais c'était un bon début pour travailler son souffle et son endurance, ce dont il aurait besoin tout au long de sa vie -  et pour assumer le rythme soutenu qu'elle lui imposerait sûrement.
Il lui faudrait désormais réfléchir à comment elle comptait endosser le rôle de mentor, et si quelque chose lui soufflait qu'elle ne serait pas une professeur très conventionnelle, elle n'epargnerait pas le jeune mâle pour autant sous prétexte qu'il était le fils de son amie et consœur.

Anita continua de trotter à bon rythme, un sourire fier sur les lèvres, s'éloignant de plus en plus du Castel.

Quel enfer, il n'avait pas envisagé, sot qu'il était, que le mentorat serait aussi... Physique.
Et pourtant, motivé à impressionner Anita -Ce qui allait être compliqué-, le jeune mâle s'efforça de la suivre comme il pouvait.
Elle allait vraiment vite.

Bon.
Elle avait dit qu'elle ne lui ferait pas de cadeau, mais elle oubliait peut-être un peu qu'il avait à peine quatre mois, quand même.
Après avoir poursuivi quelques minutes au même rythme, Anita commença à graduellement réduire la vitesse de son trot pour laisser l'enfant réduire un peu la distance qui les séparait, foulée après foulée. Le but étant de lui donner l'illusion qu'il avait suffisamment forcé l'allure pour la rattraper plutôt que de lui faire sentir qu'elle avait calmé le jeu.
Quand il ne fut pas très loin elle retourna la tête vers lui, l'air étonné.

— Hé, c'est pas mal ! Tu te débrouilles bien.

Encore quelques secondes à trotter, puis l'Alpha s'arrêta et attendit qu'il finisse complètement de la rejoindre.
Ils s'étaient assez éloignés du Castel pour voir l'entrée de la forteresse n'être qu'une petite ouverture dans la grande paroi rocheuse qui grimpait dans les Monts Célestes, et les quelques pins qui les entourait pourvoyaient des cachettes.
Pour s'amuser des imprudents qui ne surveillaient pas leurs arrières, évidemment.

Anita huma l'air en guettant les alentours, les oreilles en alerte au moindre son, puis s'aplatit d'un seul coup au sol en appuyant sur la tête d'Iberis pour qu'il la rejoigne contre le tapis d'aiguilles.

— Là-bas !

Un pelage clair et une aile dépassaient de quelques broussailles à quelques mètres d'eux. Son petit frère adoptif, Haniel, se dirigeait vers le quartier général sans trop se soucier de quel prédateur pouvait bien le guetter.

— Ton objectif est de lui sauter dessus sans qu'il te voit arriver.

Une flamme taquine brilla au fond de son regard.

Il était satisfaisant de constater que ses efforts -si grands- finissaient par payer et qu'il pouvait enfin rattraper la grande louve. Un sourire satisfait fendit son petit visage, mais il ne fut, pour autant, pas mécontent d'avoir à s'arrêter.
Cette course l'avait essoufflé.

Anita n'en avait, cependant, pas terminé avec lui et une part de lui ne s'en plaignait pas : Il s'était frustré de ne pas pouvoir apprendre, aussi jeune, mais elle lui donnait l'occasion de faire ses preuves.
Il observa le loup crème distrait et imprudent, et hocha la tête avant de se mettre en position de chasse, les pattes ramassées sous son corps.
Iberis s'approcha le plus silencieusement possible et...

Et le loup crème se retourna vers lui, pour l'observer, à son tour, d'un air curieux.
C'était loupé.

Le louveteau se mit en position sans attendre et Anita demeura immobile, souffle retenu dans sa gueule pour ne pas perturber ne serait-ce qu'une brindille.
Seuls ses yeux osaient bouger, effectuant de rapides allers-retours entre Iberis et celui qui jouait le rôle de la proie sans en avoir conscience. Le petit avait l'air de prendre cette chasse imaginaire tellement au sérieux que l'Alpha commençait de plus en plus à croire en sa réussite - s'il restait aussi concentré que ça, il allait parvenir à surprendre Haniel. Bien-sûr, le fait que le loup clair ne soit pas du genre de ceux à être constamment vigilants allait l'aider, mais tout de même.

Pas après pas, le petit loup bleu se rapprochait et la gueule d'Anita s'entrouvrit en anticipation. Encore quelques mouvements et il serait assez proche pour...
Crac !
Ce n'était qu'un minuscule son, le bruit à peine audible d'une fine brindille qui se délogeait et se brisait en deux. Mais ce fut assez pour faire tiquer l'oreille du mâle à l'aile unique qui se retourna vers eux, visiblement intrigué de les voir là.
L'hybride rompit sa posture et se redressa avec un rire, agitant la patte dans la direction de Haniel pour le saluer, avant de se pencher vers Iberis.

— Ah, c'est pas grave, tu l'auras une prochaine fois !

Et sa patte se retrouva dans ses cheveux bouclés pour les emmêler d'un geste vigoureux. Sa punition pour avoir raté.

— Bon, allez, retournons vers le Castel. Je vois personne d'autre à embêter. Tu n'auras qu'à faire comme je t'ai dis et t'exercer, tu finiras bien par réussir.

La louve s'étira en se levant, puis s'ébroua avant de jeter un regard équivoque à l'enfant.

— Et tu as intérêt à faire tes devoirs, je surveillerai.

Ce n'était qu'une moitié de plaisanterie. Perchée sur son rocher favori aux abords du Castel, œil discret dans les couloirs ou oreille impertinente dans les murmures de foule, Anita savait se tenir informée de ce qu'il se passait au sein du clan.
De là à vérifier qu'un louveteau sautait bel et bien par surprise sur ceux qui passaient... Bon, ça tenait davantage de son amusement personnel que d'un fait véritablement important.
Sur ces derniers mots qu'elle espéra convaincants, l'Alpha raccompagna l'enfant vers le Castel - où il serait sans doute lâché dans les pattes de sa mère ou de quelqu'un d'autre qu'il pourrait embêter.