Vive écume - Nirvana.

Aujourd'hui, ce ne serait pas l'après-midi qu'elle attendrait pour rejoindre les côtes.

La journée était belle et chaude et l'air estival qu'elle avalait à pleins poumons la mettait d'ores et déjà de bonne humeur.
Une idée s'était installée dans sa tête et elle n'avait pas tardé à l'exposer aux deux principales concernées.
Holly avait beau avoir tant désiré ces enfants, ils n'étaient pas tous faciles à vivre et elle se devait de prendre quelques pauses. Quelques fois elle les voyait parmi les enfants de Perrine, à d'autres moments ils accaparaient l'attention d'une autre nourrice.

Pour cette matinée, Anita s'était elle-même dévouée à emmener l'une des petites terreurs à la plage - après tout, Nirvana avait l'air de tant aimer les coquillages !
Il serait dommage de ne pas profiter d'un temps si agréable pour aller côtoyer l'écume de près.

Prête à rejoindre les côtes, l'hybride se planta devant le nez de l'enfant qui avait déjà bien poussé depuis la dernière fois qu'elle lui avait parlé - enfin, pas autant que d'autres, alors elle était sans doute destinée à demeurer petite louve.
Ce qui ne l'empêcherait pas de prétendre à un grand destin.

Elle fléchit les coudes pour se mettre à sa hauteur, sourire radieux ouvrant ses babines.

— T'es prête pour le grand départ p'tite Crevette !?

Dans son dos la silhouette de ses ailes noires s'agrandit.
Si la petite le voulait, elle pourrait s'installer entre les membranes et elles atteindraient les côtes beaucoup plus vite.

Non pas que faire la route la dérangeait, mais il serait dommage que Nirvana soit déjà fatiguée avant d'arriver.
Parce qu'elle comptait bien passer une journée sportive et dynamique et pas se contenter de bronzette.

Aujourd’hui était un grand jour. Anita l’emmenait en balade ! La gamine était toute excitée, ne tenant pas en place. Elle avait laissé sa mère se reposer avec Puceron et Moustique (pff faisaient encore la sieste à leur âge) et était venue embêter une Perrine qui n’avait vraiment pas envie de bouger avant d’attendre Anita dans le castel.
Prête pour partir à l’aventure ? La question n’avait même pas à se poser. Une lueur de défi brille dans les yeux de la p’tite, alors qu’un sourire étire ses petites babines.

« — Toujours prête ! »

Ok, être petite ça avait un bel avantage quand même. Tout en faisant attention, Nirvana s’installa entre les ailes de l’hybride, plaçant ses pattes avants autour du cou de la louve.

« — En avant touuuuuuuuuute ! »

C’était le cri de départ.
Ce serait la première fois que Nirvana volerait aussi.
À voir ce que lui réservait Anita une fois qu’ils seraient sur place… la petite sirène se doutait bien que sa tante avait une idée derrière la tête… Hum en tout cas ce serait drôlement amusant !

L'hybride fit en sorte de se baisser encore plus d'un geste discret pour faciliter l'escalade de l'enfant sur ses épaules.
Une fois solidement installée, Anita gratta le sol à la manière d'un taureau en colère et aboya en réponse au cri de Nirvana.
Décollage !
L'Alpha s'elança dans des foulées de plus en plus rapides avec juste ce qu'il fallait de rebonds pour amuser la petite tout en restant un destrier stable qui ne risquait pas de l'éjecter, elle remonta la pente d'un rocher qui pointait vers les cieux et... D'un dernier bond plus allongé que les autres, elles quittèrent l'attraction du sol.

Le vol ne dura pas trop longtemps, Anita ayant mis le cap sur le point le plus proche des falaises de leur territoire.
Quelques cabrioles aériennes pour rythmer le trajet, des torsions et des mots pour lui pointer de temps en temps quelque chose dans le paysage, mais surtout beaucoup de planage en douceur.
Et les voici arrivées de quatre longues pattes qui se posèrent avec délicatesse dans le sable.
Anita se baissa pour laisser Nirvana descendre et balaya la vaste plage des yeux, ferma les yeux et profita d'une profonde inspiration.
La marée était encore basse et leur offrait une large étendue de sable humide et solide, doucement léchée par le clapotis des vagues qui peu à peu grignotaient l'espace en sens inverse dans un cycle perpétuel.

Sa longue queue ondula quand elle reporta son regard violet sur la fille de Holly.

— Première étape, Reconstruire le Castel pour faire face aux vagues ennemies !

Et Anita de se jeter à plat ventre pour commencer à amasser du sable en une muraille compacte pour leur bâtir une petite forteresse à toutes les deux.
À croire qu'elle s'amusait encore plus que l'enfant qu'elle était censée divertir.

Whouah avoir des ailes ça semblait super cool. En tout cas Anita pouvait se déplacer super vite. Nirvana observait chaque fois que l’ailée lui montrer quelque chose, faisant attention à ne pas trop bouger pour ne pas déranger la louve.
Puis elles arrivèrent à la plage. La petite sirène bondit sur le sable, inspirant profondément l’odeur de la mer, mais déjà sa tante se lançait dans une super histoire. Construire le castel pour affronter les ennemis ? Rohlala vite, il fallait se dépêcher !

« — Oui dépêchons nous avant qu’ils nous envahissent, je vois déjà un de leur éclaireur là-bas ! »

Nirvana pointa une mouette (qui semblait plutôt occupée avec un coquillage). La gamine commença à son tour à rassembler du sable, creusant de ses petites pattes pour tenter d’en assembler un peu plus. Le castel il allait devoir être super grand quand même, parce que Anita prenait vachement de place.
La gamine consolida la muraille de la grise, tassant de ses petites pattes le sable humide, s’occupant d’un autre côté du Castel en sable. La louvette fait une petite tour en sable (bon ça ressemblait à un pâté plus qu’à une vraie tourelle) avant de mettre un petit coquillage en haut.

« — Comment allons-nous faire face à ces ennemis, Tante Anita ? »

En lançant des projectiles de sables ? En lâchant leur armée de petits crabes ?

L'enfant prit bien vite part à la construction de leur forteresse éphémère, plongeant avec elle dans la bataille imaginaire qu'elles allaient mener de front.
Leurs pattes à l'unisson redoublèrent d'effort pour faire monter en hauteur les barricades de sable, tassant par ici une muraille, consolidant par là les bases des tourelles.
Anita rit en voyant l'éclaireur pointé par Nirvana, une des nombreuses mouettes qui venait à marrée basse se servir dans les denrées échouées.

— Prends garde, faut pas s'faire voir !

L'hybride s'aplatit au sol en pouffant de rire, à peine dissimulée par les quelques dizaines de centimètres de leur muraille principale. Surtout avec ses ailes qui rebiquaient en pointe malgré les efforts qu'elle fit pour les plaquer contre elle.
De sa position allongée elle continua à ramener le sable autour d'elles, aidée par sa longue queue qui se mit à balayer en arcs de cercle pousser encore un peu plus de matière.

À la question de sa coéquipière elle tourna la tête, ses yeux vifs exorbités par l'adrénaline de La Guerre.

— Ils sont plus nombreux que nous, mais on est plus malines ! Creusons des douves pour ralentir leur avancée !

De quoi s'acheter un peu de temps supplémentaire pour réfléchir à une stratégie de défense pour la suite, quand la marée serait trop proche et menacerait l'intégrité de leur royaume.
Mais il ne fallait pas d'ores et déjà penser à quelconque bien qu'irremediable défaite : pour l'instant, il fallait lutter !

Et aussitôt dit aussitôt fait ; Anita prit le risque de temporairement quitter le précieux couvert de leurs défenses pour passer ses longues pattes par dessus la forteresse et creuser en profondeur une tranchée au pied de la muraille.

Cachée derrière la muraille de sable, Nirvana plissa les yeux pour mieux observer les mouettes. Y’en avait de plus en plus rohlala, seraient-elles de force contre tout ces adversaires ? Déjà Anita sort de leurs remparts pour creuser des douves.

« — Je couvre tes arrières! »

Comment faire pour contre-attaquer ? Oh elle pourrait mettre en place quelques pièges… Mais oui ! Nirvana bondit l’une des murailles, pour attraper des algues échoués et les ramener auprès d’Anita, tout en surveillant ce que faisaient les mouettes (bien trop occupées à profiter de la marée, mais c’était un détail).

« — Regardes avec ça, on pourra camoufler les douves ! »

Et hop si quelqu’un marchait dessus, il tomberait dedans. Nirvana secoua une longue algue dont tomba un crabe.

« — Un espion ! »

Fidèle coéquipière obligeait, Nirvana se jeta corps et âme dans la défense elle aussi.
Du coin de ses yeux rieurs, elle vit la petite louve se démener à ramener algues et autres résidus de l’océan vers leur forteresse pour faire office de pièges – l’espace d’un court instant, Anita se remémora les après-midi passées dans sa jeunesse à confectionner des pièges pour les disposer le long de la frontière – et ainsi protéger encore davantage le Castel de sable. De son côté, ses longues pattes agiles parvenaient à extraire beaucoup de sable pour creuser des douves de plus en plus efficaces.
Enfin, en théorie. Dans la réalité, les vagues qui se rapprochaient n’auraient que faire de la profondeur dérisoire de ces maigres tranchées : mais Anita avait décidé de laisser la part d’enfant en elle éclore au maximum pour profiter de cette journée avec Nirvana et elle s’amusait comme une folle.
Aujourd’hui, elle n’était plus Alpha des Etelkrus et Prêtresse de Kiro qui devait endosser ces doubles responsabilités. Aujourd’hui, elle ne pensait plus à cette mère qui était quelque part le long de cette immense plage et qu’elle irait voir plus tard dans la journée, avec toutes les angoisses qu’elle ne réussissait à complètement chasser.

Aujourd’hui, elle était juste Tante Anita du Royaume du Castel de Sable, fermement engagée avec Nirvana la Crevette dans la lutte contre les Soldats Vagues et tous leurs terribles alliés.

Au cri d’alerte de la petite, Anita fit volte-face et dressa les oreilles, souffle-court, ses yeux à la recherche de la menace – là ! Le crabe !

— Oh non ! Ils ont réussi à s’infiltrer ! Plus l’choix, faut évacuer la citadelle !

Et elle en ressentit un véritable pincement au cœur à l’idée de devoir abandonner leur fidèle foyer qui les avait abritées si longtemps au sein de ses fantastiques murailles.
Mais dévouée à son rôle de protection de la petite Nirvana, le plus important face à cette défaite était désormais d’assurer leur sécurité à toutes les deux. La grande louve se redressa de toute sa hauteur et fit claquer ses ailes une première fois avant de bondir près de l’adolescente. De ses pattes elle entoura le buste et le maintint contre son torse, sur ses pattes arrières elle poussa de cette impulsion familière qu’elle envoyait pour s’arracher à la gravité. En quelques instants elles furent mises hors de portée, pile au moment où une déferlante plus puissante que les autres venait de propulser son écume jusqu’à la base de leur château – emplissant d’eau les douves où demeurait encore le crabe, creusant cruellement dans les fondations de leurs remparts.

— TatAnita à la rescousse ! Vite, on va se perdre dans leurs rangs – ils n’y verront que du feu !

Bon, certes, c’était une logique plutôt douteuse – mais Anita décidait, et Anita avait de toute façon envie de se baigner. L’enfant n’eut pas le loisir de protester que deux secondes plus tard, elle les avait toutes deux condamnées à rentrer dans la mer dans une grande éclaboussure et un cri de joie.
Plouf.

Le crabe avait percé leur super défense, malheur ! Et en plus il n’était pas seul, avec sa super capacité de commander la mer, voilà que des vagues s’approchaient de leur château. Le regard de Nirvana fixa un instant l’eau, avant d’être bien vite distraite par Anita qui l’emporta dans les airs au moment même où une vague franchissait les barrières de sable. C’était moins une !
Mais la menace n’était pas écartée pour autant.
Anita les emmenait droit dans l’eau. Comprenant les intentions de l’ailée, la louvette se débattit.

« — Non att- »

La suite se perdit dans un plouf.
Nirvana sentit aussitôt les nageoires s’étirer sur son dos, tandis que les écailles recouvraient les poils. Non non non. C’était un cauchemar. Y’avait que maman et Puceron qui devaient savoir… La louvette fut tentée de rester sous l’eau et ne pas retourner à la surface, mais la situation serait pire encore. Lentement, elle sortit uniquement sa tête de l’eau, bien que les antennes sur sa tête s’avéraient tout sauf discrètes…

Pourquoi ça lui arrivait ce genre de situation ?

Elle entendit la protestation de Nirvana juste avant d'être avalées par l'eau salée mais elle n'en pensa rien -  quoi de plus normal que de lutter pour ne pas se mouiller contre son gré ?
Ses oreilles s'emplirent ensuite du son des vagues et de la cacophonie des bulles qui se formèrent tout autour d'elles pendant qu'elles coulèrent un peu, avant que l'impulsion ne se fasse en sens contraire et les redirige vers la surface.
Anita la perca dans un cri excité, secoua la tête pour se débarrasser des mèches noires qui s'étaient plaquées à son visage.

Et elle attendit que la fille de Holly ressorte à son tour, un large sourire barrant son visage, impatiente de voir sa tête.
Et elle ne fut pas déçue quand celle-ci émergea, changée par rapport à quelques secondes auparavant.

Des antennes avaient poussé sur sa tête et la gueule d'Anita s'ouvrit en même temps que ses yeux s'ahrandirent, pétillants en extase.

—   Oh ! Mais tu es une véritable crevette !

Et puisqu'elle vit l'air abattu imprimé sur son visage, elle se laissa aller à un rire attendri et enlaca la petite louve  de ses antérieurs pour la serrer contre elle.

Véritable crevette.
L’attitude d’Anita aurait dû apaiser les craintes de Nirvana concernant sa nature de sirène, mais ce ne fut pas le cas. Parce que sa Tante était gentille, très gentille, les autres ne le seraient pas autant. Ce côté poisson, ça la rattachait indirectement aux Raeders, à ce qu’ils étaient : des monstres.
La louvette agite doucement sa queue de sirène pour se maintenir à la surface, ne repoussant la louve grise quand elle vint l’enlacer. À présent elle devait sentir les écailles et les écailles. Un instant, Nirvana demeura immobile avant de reculer légèrement, une expression sérieuse.

« — Je ne veux pas que les autres sachent. »

Personne ne doit savoir tant que je ne l'ai pas décidé.
Ils étaient trois à présent à connaître sa nature, Nirvana ne voulait pas qu’un de plus découvre son secret, pas tant qu’elle soit certaine que ce soit le bon moment.

Elle vit dans le regard clair de la petite louve à quel point la situation était un sujet sérieux pour elle. Davantage qu'une simple frustration sur sa nature ou qu'un complexe sur son apparence, elle le cultivait comme un secret et cherchait surtout à le dissimuler.

—   Oh, voyons ! Tu n'as aucune honte à avoir, tu sais. Ce n'est pas comme si dans le clan on ressemblait tous à des loups complets.

Anita dirigea sa patte vers son propre poitrail et haussa les sourcils, sourire aux lèvres, pour désigner son évidente référence à elle-même - et bien d'autres. Kiro avait transformé sa mère en une hybride de chauve-souris, et cet héritage singulier s'était transmis ; et que dire ensuite des loups-crocodiles qui peuplaient les Etelkrus depuis plusieurs générations ? Malgré leurs écailles et leurs traits sauriens, Anita n'avait pas souvenir que quelconque les ait jugés ou dépréciés pour cette ressemblance avec le monde aquatique.
Puis elle ramena sa tête vers celle de Nirvana, le regard un peu plus intense.

— Et si quelqu'un te disait quoi que ce soit, il verrait que je ne me sers pas de mes crocs que pour manger.

Ses babines se plissèrent pour dévoiler le bout de ses dents, plus fines et plus nombreuses que celles des autres canidés. Si son ton était celui de la plaisanterie, ça n'en était pas vraiment une pour autant. Elle ne tolérerait pas que dans son clan, des préjugés deviennent des prétextes pour la moquerie ou la ségrégation.
Cela étant dit, Anita se recula un peu et d'une patte, attira à nouveau sa nièce contre son torse pour reprendre d'une voix douce.

— Enfin bon, c'est comme tu veux. Ce choix t'appartient alors je ne dirai rien.

Ce n'était pas comme si elle avait de raison d'en parler à quiconque, de toute manière - sauf peut-être avec sa famille avec qui le sujet pourrait venir plus naturellement. Anita jugea évident que Holly soit déjà au courant, mais elle ne savait pas ce qu'il en était pour Iris et Iberis, et la Prêtresse se fit note mentale de ne pas le mentionner au cas-où.
Bon, eh bien... Cela faisait beaucoup d'émotions pour la matinée, et l'excitation de leur jeu était un peu retombée à cause de cet interlude. L'hybride tapota la truffe de la sirène d'un doigt taquin avant de lui adresser un clin d’œil.

— Allez, rentrons, assez crapahuté. On pourra revenir un autre jour si tu veux !

Il lui tardait de s'adonner à une nouvelle guerre impitoyable contre les vagues, protégées par leur forteresse de sable.
La louve regagna la plage et s'ébroua avant de se baisser pour présenter son dos à la petite louve, ailes grandes ouvertes.

Elle pourrait alors grimper comme à l'allée et elles repartiraient par la voie des airs - le vent la sècherait vite et Nirvana retrouverait son apparence habituelle bien avant de reposer patte au Castel, parmi les leurs.