Écume - Alexandrine

- Tu viens avec moi ? Je vais te montrer quelque chose qui devrait te plaire.

Elle n'avait rien dit d'autre et ne dirait rien d'autre. A ce sujet, du moins.
Aujourd'hui, il faisait un temps magnifique. Le ciel était bleu, sans nuages et par conséquent, Hollyock avait décidé d'emmener sa petite Alexandrine... A la mer ! C'est qu'elle ne devait pas souvent quitter le Grand Castel, cette petite. Du moins, pas seule, alors elle s'était dit que voir les vagues s'écraser contre les falaises littorales et profiter des petites plages ensoleillées de ce lieu lui ferait plaisir.
Quel gamin n'aimait pas la mer, après tout ?

Tout en marchant, elle jetait parfois un regard à sa protégée, pour ne pas la perdre... Et au cas où il lui arriverait quelque chose. Par ce qu'elle était comme ça, toujours un peu inquiète pour ces petits êtres vulnérables qu'étaient les jeunes. Mais tout allait bien, pour le moment, c'était vraiment une belle journée. Un sourire se dessina sur les babines de la louve lorsque parvinrent à ses narines les premières notes à l'odeur saline et qu'elle entendit les cris des goélands. Elles n'étaient plus très loin !
Holly fit signe à son amie de la suivre, au bord de la falaise... Mais pas trop proche du vide non plus par ce qu'il ne fallait pas déconner.
Sous leurs yeux, il y avait la mer.

- C'est beau, hein ?

Chose incroyable, la petite Alexandrine resta muette comme une carpe avec des yeux de merlan frit.
Holly eut un petit sourire satisfait, heureuse de voir l'enfant à ce point subjuguée par la mer qui s'étalait sous les falaises. Moins, lorsque la louvette décida, soudainement, de lui foncer compagnie pour courir vers la plage. La femelle bleue ne put que trottiner derrière elle, inquiète, craignant qu'elle ne se brise le cou sur les rochers. Un soupir de soulagement franchit ses babines lorsqu'elle la vit dans les flaques, barbotant en sécurité.
L'Épée finit par se détendre et eut un rire léger, en la voyant si enthousiaste. Elle même décida d'aller tremper le bout de ses pattes dans l'eau, frissonnant un peu à son contact glacé.
Elles étaient bien, là.

Puis on cria son nom et ses oreilles se tournèrent vers l'arrière.
Cette voix, elle l'entendait dans ses rêves les plus sombres, par ce qu'elle hantait ses souvenirs. Une toute petite voix, toute aigüe, au ton un peu plaintif. Cette voix qui, quelques mois plus tôt, lui avait demandé tout et rien : Une dernière histoire, un câlin, une chanson. Cette voix qui s'était plainte du froid, du chaud, de l'absence de leur mère, de la fatigue et bien d'autres choses encore.
Celle de son frère cadet, emporté par un oiseau de proie quelques mois plus tôt. Se pourrait-il que... ?

- ... Muguet.

Un murmure. Un instant de calme avant la tempête.
Il l'appelait encore. C'était lui, elle en était persuadée, maintenant ! Il fallait qu'elle le retrouve, maintenant ! Elle voulait tellement le revoir, l'avoir contre elle, lui dire à quel point elle était désolée d'avoir été, à l'époque, si petite et faible. De ne rien avoir pu faire pour le sauver, de ne jamais avoir retrouvé son corps pour lui offrir un enterrement digne de ce nom.
Avec la force du désespoir, elle hurla son nom.
Un appel.


- Je... Je dois aller le chercher ! Il a besoin de moi !

Elle s'était tournée vers Alexandrine qu'elle ne pouvait pas laisser en plan, là, comme ça.
Il fallait agir. Maintenant.
Plus jamais elle ne resterait impassible.
Plus jamais.

Elle couru vers les falaises, rapide, totalement déboussolée, aussi. Où était-il ? A plusieurs reprises, elle cria son nom, encore et encore, sans relâche, à bout de souffle, se tournant parfois vers Alexandrine pour voir si elle était encore là.
Puis vint le silence, pesant. Il ne l'appelait plus.

- Il... Il ne m'appelle plus.

Et elle compris.
Elle compris, tout simplement, que cette voix n'aurait pas du être. Par ce que tout comme elle, son frère avait grandi et mué. Un loup mâle de plus d'un an ne pouvait avoir le timbre d'un bébé. C'était impossible.
Impossible.

Son regard bleu s'était posé sur les falaises, hagard. Et bientôt, les larmes qu'elle avait si longtemps retenues se mirent à couler sur ses joues, aussi salées que la mer, abondantes, glissant dans son cou et sur son poitrail. Un sanglot vint secouer son corps, accompagné par d'autres, et Hollyock s'écroula dans le sable.

- C'est... C'est fini...

Et ça faisait si mal.

Elle pleurait, sanglotait, occultait tout ce qui pouvait bien se passer autour.
C'était comme si, en quelques minutes seulement, tout son monde, ses certitudes, son envie d'aller mieux venaient de s'écrouler comme un château de sable balayé par les vagues. Toute cette sensibilité qu'elle avait enfouit au fond de son être, à laquelle elle évitait de toucher de peur de souffrir, resurgissait, impitoyable.
Pourquoi ne parviens tu pas à être heureuse, dis ?

Puis elle sentit des petites pattes l'entourer, la forçant à s'asseoir, la faisant relever vers leur propriétaire un regard brouillé par les larmes. Alexandrine.
Sa petite Alex qu'elle s'était jurée de protéger... Et qu'elle avait laissé en plan pour courir après une illusion. Sa petite Alex qui, loin de lui en tenir rigueur, venait la réconforter. Holly ferma les yeux, pleura encore un peu, là, contre sa jeune amie. Elle se sentait si nulle, si misérable... Une adulte tout sauf responsable.

- Je... Je suis désolée Alex... Je t'ai laissée toute seule, ça craint tellement...

A quoi bon courir après son histoire pour délaisser le présent ? Alex appartenait à ce présent et elle était là, c'était ce qu'elle lui avait dit, de sa petite voix d'enfant, incroyablement mature en cet instant malgré son jeune âge. A force de paroles réconfortantes, elle finit par l'apaiser. Elle, l'adulte ! Consolée par une enfant ! Mais soit, c'était ainsi. Alex lui était tellement bénéfique.
Hollyock sécha ses larmes, renifla un peu, posa son regard désormais plus rouge que bleu sur son amie.

- Merci infiniment.

La tristesse laissait doucement sa place à une prochaine reconnaissance.

La remarque d'Alex lui tira un petit rire.
Puis la gamine planta son regard vermeil dans le sien, lui demandant ce qu'elle souhaitait faire désormais. Elle avait donc trois options, parler, jouer ou rentrer. Parler, elle n'en avait pas envie par ce qu'il était toujours difficile de déterrer des squelettes et que, comme toute personne censée, Holly n'aimait pas avoir mal. Elle ne voulait pas non plus rentrer au camp. Qu'est ce que ça changerait, de toutes manières : Si Alex repartait vaquer à ses occupations, elle, resterait sans doute à broyer du noir.
Il lui fallait donc se changer les idées. Par ce que remuer les choses ne servait à rien, il fallait avancer, maintenant. Un jour, ça irait mieux et en attendant elle ne pouvait que tout faire pour rendre son quotidien plus joyeux.
Elle donna un coup de langue sur la joue d'Alex, affectueuse.

- Je préfère aller jouer dans la mer. Ce serait trop dommage de devoir rentrer.

Allez, un dernier câlin par ce que sa jeune amie le méritait bien, à être aussi choupette et on se redressait pour y aller.

- On fait la course ? La dernière dans la mer a perdu ! Et cette fois ci, interdit de tricher, jeune fille ~

Elle avait envie de courir, de sentir le vent marin fouetter son visage. Alors, quoi de plus approprié qu'une course, pour ça ?
Alors, sans attendre la réponse d'Alex par ce que, pour une fois, elle ne lui laissait pas le choix, elle se mit à courir, tournant parfois la tête vers la jeune louve. Un rire franchit ses babines lorsque ses pattes entrèrent dans l'eau.

A peine Hollyock eut-elle mis les pattes dans l'eau qu'elle sentit un poids sur ses épaules.
Un poids qui la fit plonger en avant, dans les vagues. Lui faisant boire la tasse et... Du sable, ce qui n'était pas vraiment agréable, disons le. Elle se débattit pour sortir la tête de l'eau -De toutes manières Alex ne voulait pas la noyer... Si ?- et toussa un peu. Son corps fut secoué d'un rire.

- Bah oui c'est dégueu et tu nous fait manger ça ! Vilaine !

Mais c'était drôle... De se faire embêter. Ouais, elle devait être un petit peu masochiste.
Enfin, elle ne se laisserait pas faire pour autant, ça non ! D'une patte experte (Sisi), elle envoya de l'eau sur la figure de sa jeune amie, hilare.

Le redoutable dragon pas très fair-play Alex, lui, usa de ses ailes pour l'éclabousser. RIP sa coupe de cheveux. RIP ses roses dont les pétales tombaient à l'eau, elle était bonne pour en trouver de nouvelles lors d'une séance de chasse, plus tard. Ce qui ne serait pas compliqué, donc ce n'était pas grave. Pour le moment, Holly s'en moquait bien, très heureuse qu'elle était de pouvoir s'amuser avec Alexandrine qui, décidément, avait un don pour lui changer les idées.
Oui, mais voilà, son amie avait faim.

- Eh ben ! Tu n'as pas mangé avant de partir ? Allez, on devrait bien te trouver quelque chose, comme un poisson ou une mouette.

Mais Alexandrine semblait préférer le poisson à la volaille, donc leur partie de jeu deviendrait une après-midi pêche. Alors, Holly, toute dévouée qu'elle était, se redressa pour venir en aide à la petite louve... Quand bien même il fallait avouer qu'elle n'avait jamais trop appris à pécher.

- Je pense qu'on ne trouvera pas beaucoup de... poi... ss

Elle ne put terminer sa phrase, sentant soudainement ses poumons s'écraser subitement dans sa poitrine. Elle leva vers Alex un regard de détresse. Mais que... Que se passait-il, aujourd'hui ? La voilà en train d'étouffer ! Elle avait beau ventiler, ouvrir la gueule le plus grand possible, c'était comme si l'air refusait de venir remplir ses poumons.

Elle crevait.
Et, pour ne rien arranger, à côté d'elle, Alex fut prise du même mal, se mettant elle aussi à suffoquer. Que... Était-ce ses propres malheurs, qui la plongeaient dans cet état anxieux ? Holly se mit à gémir, désemparée, ne parvenant cependant pas à retrouver le calme, malgré sa volonté de venir en aide à son amie. A son amie qui pleurait, maintenant.
Ce qui la fit pleurer, elle aussi.

- A... Alex... Ça... Va... Aller, Alex...

Elle ne voulait pas la voir comme ça. Ça faisait si mal, ça aussi.
Holly bougea à son tour, pour se rapprocher d'Alex et venir coller son front contre le sien. Ça allait aller, ça allait finir par passer, il le fallait, il le fallait. Calme toi.
Mais elle n'y parvenait pas, son souffle se faisant plus rapide, même.

Ni l'une ni l'autre ne parvenaient à se calmer. C'était un cauchemar.
Là, sur le sable, le corps à moitié dans l'eau, elles hyperventilaient, suffoquaient, tremblaient, toussaient. Alex bougea à son tour et la louve bleue la perdit du regard, momentanément. Elle décida donc de poser les yeux sur ses propres pattes, s'accrochant à cette vision totalement inutile comme à une bouée de sauvetage. Petit à petit, son souffle se fit plus lent, allant doucement vers un retour à la normale. La crise de spasmophilie laissa progressivement sa place à un état intense de fatigue. Elle aurait pu s'endormir, là, sur le sable, si Alex ne suffoquait toujours pas quelques mètres plus loin.

La louve se releva, chancelante, pour aller se coucher près de son amie. Calmement, histoire de ne pas faire remonter cette anxiété et repartir en crise. Sa voix fut douce, comme un murmure.

- Regarde moi dans les yeux, Alex, et respire doucement. Ça va aller. C'est juste un mauvais moment, ça va aller.