Chaos productif - Hedwige, (Ajani), (Narcisse), (Séraphin), (Chausson)

la journée avait été des plus banales, dans le meilleur sens du terme, lorsque tout était parti à vau l'eau. La dernière chose normale qui avait eu lieu ce jour-là était une conversation avec son père au sujet du phare dressé par les raeders, et dont ils pouvaient apercevoir la lumière d'un bout à l'autre du continent. Ajani n'avait pas paru très supris par la nouvelle, mais toutefois intéressé par ce qu'elle en savait. Ils avaient parlé un peu - très peu étant donné l'interruption soudaine de leurs propos - de la situation actuelle, de ce qui se passait pour leur famille. Puis soudain, au milieu d'une phrase, une voix déformée avait résonné à ses oreilles. A l'expression de son père, elle avait compris en un battement de coeur que lui aussi l'entendait, mais avant qu'aucun des deux n'aient pu réagir, une force l'enserra et sa vue se brouilla. Elle vit Ajani disparaître dans un tourbillon coloré qui emplit son champ de vision. Le cri qu'elle poussa, étouffé par la pression autour de son corps, ne résonna pas à ses oreilles, dans ce maelstorm qui la noyait.

Et un instant plus tard, à nouveau le sol sous ses pattes, à nouveau de l'air dans ses poumons, à nouveau quelque-chose de cohérent venant s'imprimer sur ses rétines. Elle vit une créature à l'apparence aussi bizarre qu'indescriptible s'éloigner et comprit sans peine que c'était cette chose qui l'entourait, un instant plus tôt. Elle disparaissait graduellement dans le paysage, à l'exception de ses yeux, en une vision complètement irréelle. Et elle parla, de cette voix bizarre et dérangeante, aux tons faux et qui bondissait entre les mots.

Hedwige capta à peine les mots que la chose prononça, encore sous le choc de ce transport inopiné, incapable de comprendre ce qu'il lui arrivait. Son coeur battait à toute allure contre ses côtes et ses hautes pattes tremblaient. Les pupilles de ses yeux immenses étainet dilatées sous la peur qui la saisissait de n'avoir absolument aucun contrôle sur la situation. Elle suivit sans pouvoir rien dire des yeux les mouvements de ce qui se trouvait en face d'elle, et commença enfin à prêter attention à ce qu'il disait, à ces mots tordus qui lui jetaient des frissons dans le dos.
J'ai besoin d'amis pour elles, il en fallait des biens, alors on les fait. Et toi, tu sera la maman !

Cette phrase la tétanisa. Quoi ? Comment ? Elle avait beau être candide, elle avait fini avec l'âge et quelques discussion parentales par comprendre qu'on ne devenait pas maman de qui que ce soit sans un minimum d'implication physique. Elle fut saisie par la pensée terrible que cette... chose allait essayer de faire des enfants avec elle. Son échine se hérissa, lui donnant plus de volume, et elle fit un pas en arrière, les oreilles rabattues et les babines frémissantes. En vérité, l'étreinte qu'elle avait vécu durant le trajet, la rapidité avec laquelle la créature l'avait attrapée ne lui permettaient pas vraiment d'espérer pouvoir lui échapper. Ce geste fut plus un réflexe, quelque-chose qu'elle ne maîtrisa pas tellement avant de l'avoir fait.

... Pourtant la créature ne s'approcha pas. L'une de ses pattes translucides se redressa pour révéler des touffes de poils au creux de ce qui lui servait de coussinets. Et lorsqu'elle les fit disparaître dans une poussière étincelante, elle comprit. Elle avait toujours été une louve sensible, et cela lui jouait de nombreux tours. Mais l'espèce d'extra-lucidité dans laquelle la terreur la maintenait combinée à cette sensibilité lui dessina très clairement le schéma de ce qui venait de se passer. Plus ou moins.
Il était déjà trop tard.

Elle sentit sa gorge se serrer alors que son cerveau tentait de raccrocher les wagons, de trouver quelque-chose de logique là-dedans. Peut-être le moment où la créature s'était enroulée tout autour d'elle avait été le moment fatidique. Elle manqua de se sentir mal à cette pensée, sans trop savoir quelle émotion cela éveillait chez elle. Rien de positif, elle en était certaine. Figée sur place face à la créature dont le ton joyeux jurait affreusement avec le mal être qui pointait le bout de son nez dans l'esprit de la louve, avec la panique qui manquait à chaque instant de la submerger, elle repsirait par petits à coups.

Freya. Il avait parlé de Freya.
Son cerveau occulta toute la première partie des événements, parce qu'il lui fallait trouver un moyen de revenir à quelque-chose de moins délirant, à une scène ou une présence plus terre à terre. Elle s'accrocha à ce nom et répondit d'une voix tremblante :

"Freya... Où est... Où est Freya ?"

Pour une fois, elle n'avait pas l'impression d'être ridicule. La créature était plus grande qu'elle, et tout dans son attitude l'effrayait, la terrifiait. Elle avait envie de courir le plus loin possible de cet endroit, avec la certitude bizarre que si elle se retournait, il serait toujours là en face d'elle. Peut-être n'était-ce qu'un cauchemar. C'aurait été l'explication la plus rationnelle.

De par son statut de louve ailée, Hedwige avait l'habitude de voler. Mais pas de voler comme ça. Lorsque la créature frappa le sol de sable et qu'elle s'éleva dans les airs sans avoir besoin de battre des ailes, elle sentit prise d'une sorte de vertige qui lui était complètement inhabituel. Ses larges prunelles se décrochèrent de son interlocuteur pour filer sous ses pieds, au sol qui s'éloignait à toute vitesse. Le tout ne dura qu'un instant, avant qu'on ne la repose plus loin, mais elle manqua de tituber lorsqu'elle retrouva le contact de la terre sous ses coussinets. Elle n'était jamais venue à cet endroit-là de leur monde, aussi ne savait-elle pas exactement ce que ce déplacement signifiait. Elle espérait que la chose avait accédé à son souhait et l'avait emmenée près de Freya - mais elle ne la voyait nulle part. Si son odeur était présente, elle ne la sentait pas, masquée sous celle de la mer - et probablement de sa propre peur.

Pour la première fois les paroles de la créature furent... rassurantes ? Ce n'était pas exactement le mot, mais au moins ne la plongèrent-elles pas dans une panique plus grande que celle qu'elle vivait déjà. Elle était presque sûre désormais, qu'il l'avait amenée à Freya. Si elle attendait le soir, sa camarade Nakhu arriverait et elle aurait quelque-chose de familier à quoi s'accrocher dans cette chose insensée qui lui arrivait. Elle déglutit avec difficulté. Elle avait la bouche sèche et la sensation d'avoir avalé de la poussière à en avoir les larmes aux yeux. La créature parla à nouveau, sourit à nouveau avec cette expression qui la glaçait.

A nouveau, son cerveau terra dans un coin de sa tête la réalité de cette aventure et elle tâcha de réfléchir. Tout son être était dans un état fébrile, elle se retenait à grand peine de ne pas s'effondrer en tremblant. Elle pensa à sa famille. Sa famille savait ce qui se passait, son père avait entendu la voix lui aussi. Et elle ne doutait aucunement du fait qu'ils viendraient la chercher, que la créature le veuille ou non. Peut-être même seraient-ils là d'un instant à l'autre maintenant qu'un peu de temps s'était écoulé.

"Est-ce que vous pouvez... envoyer un message ?" Bafouilla-t-elle en essayant tant bien que mal de soutenir le regard perturbant qui la lorgnait. "Il y a une louve, elle s'appelle Prudence... Je ne veux pas qu'elle s'inquiète... pour moi."

Certes, elle aurait eu toutes les raisons de s'inquiéter effectivement pour elle.
Mais les Nakhus allaient arriver et la sortir de ce pétrin. Et elle avait terriblement envie que cette créature quitte son champ de vision, disparaisse de cette plage, de son existence, peut-être même de ses souvenirs.
Ce visage souriant aux yeux tourbillonnants allait pour longtemps hanter ses cauchemars.