[Event Raeders] La porte close

Comme il était étrange de se retrouver là. Il avait toujours su qu'il ferait partie de ce tableau, mais la vision était irréelle, hors du temps, si différente de ce qu'avait été sa vie de Nakhu. Sa lourde silhouette avait suivi le mouvement, alors que surgissait le navire des flots, vers cette porte mystérieuse. Revenir dans cette grotte lui avait presque serré la gorge tant sa vision faisait ressurgir de souvenirs en lui. Des flash lointains, comme en noir et blanc, tirés de la vieille pellicule de son enfance. Alors que ses pattes parcouraient la pente qui menait au coeur de la caverne, les odeurs, les sons, la brillance légère des murs entre lesquels il s'aventuraient lui donnaient soudain l'impression d'être revenu dans un autre temps. Ou d'arpenter les sentiers d'un rêve.

Mais il était pourtant loin d'être dans un songe. L'ambiance était fébrile, chacun d'entre eux devait le sentir ; ou peut-être était-ce sa sensibilité de Prêtre qui le lui indiquait. Comme d'ordinaire, il avait tiré autour de ses propres émotions un voile protecteur, pour épargner ses états d'âmes à ceux qui se trouvaient proches de lui. En cet instant qui demanderait à chacun sa plus grande concentration, il n'était pas question de les parasiter. Ses prunelles claires parcoururent lentement chacun des sceaux qui se trouvait sur l'énorme porte de bois ; une seule d'entre elle était différente, et jetait sur l'assemblée une lumière verdâtre. Toutes les autres attendaient que l'on fit preuve des justes qualités devant elles pour s'illuminer à leur tour.

Il écouta sans mot dire ceux d'Astrid, hochant une fois la tête. Il avait aidé grâce à Mido également, à ce que les pirates comprennent que cette porte devait absolument être ouverte ; car derrière se trouvait la prison dans laquelle ils pourraient jeter Ceto, et enfin se libérer de son joug. Il avait conscience que les actions de chacun seraient déterminantes, aussi il se dirigea d'un pas assuré vers la serrure rouge une fois qu'on l'avait nommé. Il passa entre ceux qui se trouvaient là et se dirigeaient vers le panneau de bois, et fit signe de la tête à une autre silhouette massive de le suivre. Une des filles d'Hedwige, qui avait visiblement hérité un peu de sa carrure - plus que sa mère en tout cas. Il lui adressa l'ombre d'un sourire, puis s'arrêta devant le symbole de la force.

Aka était la Force.
Aka était le Courage.

Il se tourna lentement vers sa petite fille, et secoua la tête. Il n'ignorait pas que l'épreuve d'Aka était un combat, mais il ignorait à quel point ce serait nécessaire ici. Il rabattit les oreilles et abaissa la tête, prenant une posture évidemment intimidante. Ses yeux se plissèrent légèrement, alors que ses babines se retroussaient en un grondement sourd. Il banda ses muscles, se tint de toute sa large silhouette devant Galatyn. Son coeur battit un peu plus fort, alors que sa queue se redressait derrière lui. Il n'attaquait pas, parce qu'il se savait en position de puissance.

Il était la Force.

Il planta ses yeux clairs dans ceux de la louve au pelage vaporeux, et claqua des dents. Ses griffes crissèrent légèrement sur le sol, comme s'il la défiait d'oser l'attaquer.

Elle devait être le Courage.

L'arrivée d'Astrid et d'Umaïma concordait parfaitement avec le chaos qui grouillait présentement chez l'île des pirates.

Tandis que les deux discutaient la prochaine étape à faire afin d'aider au retour de Chimaera et du reste de l'équipage, un grondement sourd se fit entendre et le bateau était de retour en surface, la murène aux talons. Elles sortirent de leur cachette, Uma ne lâcha pas Astrid de vue et elle la suivait de près, car elle connaissait bien entendu l'endroit bien plus que quiconque. Elle osa regarder quelques fois l'horizon, essayant de retrouver le raeder parmi tout le monde, mais il y avait bien trop de mouvement partout, il ne lui restait qu'à espérer qu'il était de retour sur la terre ferme ou encore à bord.

Un groupe de loups portant tous des odeurs différentes s'était rapidement formé et Astrid prit la parole de nouveau, mais cette fois-ci pour tout le monde. La petite louve qu'elle avait rencontré en terre nakhus qui pleurait face à l'absence de ses parents était loin derrière elle à présent et avait fait place à une jeune adulte confiante en ses capacités. Uma était fière d'elle, bien qu'elle était traumatisée par les évènements en cours... tout allait si vite ! Elle écoute en silence, regarde les autres... et aperçoit curieusement Ajani. Elle n'était pas la seule nakhu ici alors, peut-être n'allait-elle pas avoir d'ennuis... quoique la plus grande menace en ce moment, c'était plutôt Ceto. La louve se ressaisit, car elle devait à son tour agir.

Alors elle pense, très fort. Entre les bruits de chants et de batailles, entre la vibration des coquillages que la louve rouge avait rapportés et la voix tremblante d’Astrid, Uma pose un doigt sur son glowstick, puis sur la serrure portant la même couleur.

La substance colore encore une fois sa patte, puis la louve, sans vraiment penser, commence à peindre un croquis. Elle peint le peu qu’elle a aperçu de la murène, les vagues, le bateau, Chimaera avec le reste de l'équipage, et puis la porte et des silhouettes de loups qui l'entouraient présentement... Elle se rend curieusement compte que les traits qu'elle a fait changent de couleur, pour s'accorder avec ses choix artistiques... comme si elle avait emporté avec elle une valise de peinture.

Devant se spectacle, elle se retourne pour voir si d'autres loups sont témoin de ce phénomène étrange, puis ses yeux se posent sur une raeder à l'apparence tant familière. Elle devait probablement être une autre sœur d'Astrid et Chimaera qu'elle n'avait pas eu la chance de rencontrer encore... quel mauvais timing pour apprendre à se connaître.

Elle lui montre sa peinture sur les doigts, puis la porte, lui demandant sans mots si elle voulait se joindre à elle, ne serait-ce que pour aller plus vite, car le temps manquait.

(Normalement la réponse de Cro devrait suivre !)

Ce qui se passait autour importait peu. L'esprit de l'Oracle, tout comme ses prunelles glace, était entièrement concentré sur la silhouette devant lui. Cette dernière, après un instant d'hésitation, fit elle aussi le gros dos. ses muscles se tendirent, son col et son échine se gonflèrent, et elle eut même l'audace de surenchérir en grondant plus fort encore que lui. Il garda une immobilité de marbre, sans la quitter des yeux. Il y eut un éclat rouge à côté d'eux, qui teinta de vermeille leurs pelages clair, plongea la scène dans une ambiance presque flamboyante. Il y eut un instant durant lequel ils ne firent que se jauger. Tout n'était qu'intimidation, esbrouffe, toute cette danse qui n'était qu'un prélude et qui permettait bien des fois d'éviter de vrais combats.
Mais ce n'était pas ce qu'on voulait ici, n'est-ce pas ?

Un pas sur le côté. Puis un second. Il vit la tension grimper soudain dans la silhouette de Galatyn, et ses muscles frémirent sous son pelage de neige. L'attaque n'attendrait plus. Un battement de coeur. Un échange de regards, et toujours ce même défi.
Et elle bondit en avant.

Propulsée par ses puissantes pattes, il comprit que la louve comptait sur sa carrure et son élan pour lui asséner un coup brutal. Pas de subtilité - si Eva avait vu ça, elle l'aurait sans doute rabrouée -, pas de stratégie. Une attaque frontale comme pouvaient se le permettre les loups qui avaient la chance ou la malchance d'être nés grands et forts. Mais peut-être pas contre quelqu'un de leur taille. Il fallut un instant pour que le grand ne décide de sa manoeuvre. Ses entraînements en tout genre lui avaient permis d'apprendre énormément d'adversaires en tout genres, et il décida d'utiliser cette force brute pour la retourner contre elle. Elle avait hardiment visé sa tête - un choix téméraire, un peu dangereux, mais au moins avait-elle pris la peine de se rassembler sur elle-même, le cou presque collé au menton, pour éviter une potentielle prise à la gorge. Il banda les muscles de ses pattes arrières et se jeta lui aussi en avant.
Si Aka voulait du spectacle, ils lui en donneraient.

Il se jeta en avant et s'arracha du sol dans une détente puissante qui fit crisser la pierre sous ses griffes. Juste assez haut et long pour que le choc ne frotte son ventre plutôt que de le heurter de plein fouet, juste assez court et ramassé pour pouvoir utiliser son poids pour retomber sur les reins de la louve. Ou presque. Il ne voulait pas la blesser gravement non plus, et une part de lui pouvait difficilement s'empêcher d'avoir une forme de retenue. Une seule de ses pattes appliqua la moitié de son poids sur un point précis destiné à faire basculer tout l'arrière main de Galatyn - qui avait mis toute son énergie vers l'avant - et l'envoyer rouler au sol. Son autre patte lui assura une réception un peu approximative, et il dut lui-même rouler et se redresser d'un bond lourd. Sa respiration s'était accélérée, et cette fois-ci il ne comptait pas laisser de répit à son adversaire.

Il bondit à nouveau vers elle, avec l'intention non masquée de la plaquer au sol avant qu'elle ne puisse complètement se relever. Un coup basique mais qui avec suffisamment de vélocité pouvait être redoutable efficace. Une lueur presque malicieuse passa dans son regard.
Il était curieux de voir ce qu'elle valait, cette combattante de petite-fille.

Uma continue, sans relâche, prise dans une transe de créativité.

Alors que la scène prend vie sous ses doigts minutieux, elle entend tantôt des cris de victoires, tantôt des mouvements de loups près et loin d'elle, elle entend aussi l'océan et le ciel qui gronde la venue de Ceto... Au lieu de se laisser emporter par l'anxiété de la situation, elle prend ces sons comme la musique d'accompagnement de son œuvre, œuvre qui devenait de plus en plus vibrante grâce à ses gestes si habitué à maquiller. Jamais n'avait-elle pensé que son talent allait pu être mis de l'avant de la sorte, afin de charmer une serrure magique... elle tentait aussi de comprendre comment son glowstick pouvait générer autant de couleurs et elle était surprise de la facilité qu'elle avait eu à contrôler cette matière sans nom... Alors que les illustrations qu'elle avait générées faisaient du sens, son état mental était tout le contraire.

Elle semble respirer enfin, arrêtant ses gestes. Après quelques temps, voilà que la louve était satisfaite du résultat, et attendait patiemment en regardant la serrure.

La louve renferma les yeux aussitôt, ne pouvant affronter la suite des choses si rien ne se produisait... il fallait que la porte s'ouvre.

Pour Astrid, pour Chimaera, pour les raeders.

... Rien n'avait changé.

Alors que ses paupières étaient encore closes, la louve attendait un bruit ou un mouvement quelconque... une changement qui allait indiquer sa victoire, leur victoire.

Rien.

Ses yeux se réouvrirent, brillants de larmes qui ne pouvaient pas se permettre de sortir. Elle ne pouvait pas encore abandonner, pas aussi prêt du but. Peut-être s'avait-elle trop mis en confiance, peut-être que la porte pouvait sentir son insécurité... mais elle devait laisser ses pensées sombres derrières elle, du moins, le temps que cet obstacle disparaisse... car on dépendait de son talent.

Son talent.

Car c'était ce qu'elle était en train de découvrir, n'est-ce pas ? La bénédiction de Moiro, la texture qui était sur ses doigts et autour de la serrure. Elle regarda à nouveau ses pattes, colorées par sa peinture magique... Il fallait qu'elle se pousse plus. Elle devait faire aussi partie de son œuvre, offrir de sa beauté, arrêter de détacher le regard sur elle, de distraire pour dissimuler sa présence. Ne faire qu'un avec sa créativité et se mettre de l'avant.

Alors Uma prit une grande respiration, avant de se mettre de nouveau au boulot. Heureusement qu'elle avait remarqué une petite flaque d'eau non loin d'elle, dans laquelle elle pouvait voir sa réflexion. Pensant aux mêmes couleurs et aux mêmes émotions qu'elle avait mit sur sa toile précédente, elle allait incarner un personnage de cette scène aussi. Elle allait être une pirate le temps de charmer la porte et les loups aux alentours d'elle.

Il était temps de peindre son pelage blanc, son canevas.

La cerise sur le gâteau.

Coquillages, plumes, perles, écailles, tissus... Umaïma faisait bien plus que se changer d'apparence, elle se transformait.

Entre les chuchotements des loups présents autour d'elle, elle ne comprenait pas trop ce qu'il se passait, mais elle se sentait différente, parfaite. Elle regarda ses pattes à présent bleutées, avec des nageoires entre ses coussinets. Elle avait les yeux ronds, complètement sous le choc. Ses ongles brillaient de milles feux... elle n'avait jamais rien vu de pareil.

Elle jeta un coup d'œil aux autres alentours d'elle, afin de confirmer que son imagination ne jouait pas de tours. Elle voyait des parcelles de sa perfection dans les yeux des autres, elle souriait de bonheur, osant un clin d'œil à un loup qui lui fit penser à Chimaera.

Elle fit face de nouveau à la serrure, s'en approchant avec une lenteur hypnotisante.

Uma n'allait pas accepter un non supplémentaire de la part de l'entrée magique.

La serrure obéit, sous le charme de sa prestance.

Nul temps pour s'effondrer de fatigue à la suite de cette prestation improvisée, voilà qu'Uma se concentra sur le dernier verrou, celui qui avait donné le plus de fil à retordre au groupe. Elle pouvait voir la désespération dans le langage corporelle d'Astrid et aurait voulu tout faire arrêter le temps de la prendre dans ses bras et lui dire que tout allait s'arranger. Car elle restait la petite boule de poil qu'elle avait rencontré en terre Nakhus, bien que le contraste avec l'Astrid de maintenant était énorme... c'était plus fort qu'elle, elle se devait de la protéger.

Sauf que la seule façon de l'aider, la pirate et le reste de son clan, était à présent de l'appuyer dans le dernier défi, jusqu'au bout.

Oui, jusqu'au bout, comme avait dit la jeune demoiselle avec la robe rouge.

La louve bicolore avait rejoint le groupe, frappant à son tour de toute ses forces, hurlant son désespoir.

Des larmes de guerre coulèrent sur ses joues, se mélangeant à son maquillage magique.

Elle brillait.