Ce que souhaitent les démons [Eredhys]

Emilitia

C'était un territoire divin, Emilitia l'avait senti mais lorsqu'on s'éloignait un peu des berges pour s'enfoncer dans les collines sans toutefois s'y rendre de trop prêt, il y avait une bande d'herbe agréable un peu en hauteur, parfaite pour y regarder le ciel nocturne sans ressentir cette gêne d'influence mystique opposée. Les nuits étaient fraîches en ce moment, sans doute que la louve noire finirait un peu plus tard par retourner après de ce petit abri trouvé dans les montagnes. En attendant, elle était là, allongée sur le dos, à contempler un ciel dégagé dans lequel brillait au moins un millier d'étoiles. Pour un peu plus de confort, elle avait enlevé son masque, le laissant poser à plat à côté de sa tête, les pattes tendues vers le ciel, elle embêtait Drippir à le faire passer entre ses doigt lorsqu'on fait courir ne fourmi qu'on venait d'attraper -supposément, les fourmis ne faisaient pas ça lorsque Emilitia les attrapait elle. A intervalle régulier, son souffle formait un petit nuage disparaissant rapidement a dessus d'elle.

« Drippir, si tu pouvais faire un vœu, lequel ça serait ? »
« C'est un truc de loup, elle est stupide ta question. »
« Je crois que j'aimerais vraiment devenir un démon complet. J'ai l'impression que jusque là, je n'ai fait qu’effleurer deux mondes sans jamais en atteindre un seul. »
« C'est ce que je disais, c'est un truc de ta moitié louve. »

Il répond un peu vite, ne semble pas vouloir réfléchir à la question. Le petit démon continua à marcher entre les doigts des pattes tendues avant de s'arrêter sur le bout des griffes.
Pendant quelques instants, Emilitia laissa le silence revenir, ses yeux bleus fixant la lueur de la même couleur émise par Drippir, observant les ailes noires d'insecte au travers desquelles passait un peu la lumière.

« Tu n'as pas répondu à ma question. »
« ... »
« Hum ? »
« Ta question reste stupide, les démons ne font pas de vœux. »

« Je souhaiterais retrouver ma nuée. »

La nuit n’avait jamais signifié une interruption d’activité pour Anita.

Qu’il s’agisse de son sang hybridé de chauve-souris ou simplement d’un trait qui lui était propre, ses tranches de sommeil morcelées avaient pour effet de la voir souvent s’éveiller en pleine forme au beau milieu de la nuit - et il lui fallait alors entrer en activité quelconque pendant un certain temps pour de nouveau ressentir la fatigue nécessaire à se rendormir.
Il pouvait s’agir d’un livre ouvert sous la clarté blafarde de la lune ou la lueur vacillante d’une bougie, d’une promenade nocturne, d’une séance d’observation silencieuse à son rocher privilégié aux abords du Castel. De là, elle surveillait sans peine tous les sentiers menant à leur forteresse rocailleuse et se tenait informée des allers et retours des âmes tout aussi nocturnes qu’elle : certaines l’étaient par obligation, assignées à une patrouille du soir, quand d’autres étaient comme elle en panne de cette lourdeur des paupières qui incitait à les fermer.
Et peu de monde la voyait, elle ; perchée plus haut qu’il ne l’était possible pour les non-ailés, dissimulée par quelques pins sylvestres qui montaient haut et dont les branches irrégulières brouillaient la lisibilité de sa cachette.

Il se pouvait qu’il s’agisse en fin de compte de son activité favorite si l’on excluait ses excursions à la Moere. Contempler un morceau du monde depuis cet endroit avait quelque chose de reposant et de galvanisant - pas que la nuit, d’ailleurs.

Mais pour celle-ci, Anita choisit plutôt de sortir.
La lune était ronde, gardée par ses fidèles armées d’étoiles et se fraya dans son esprit une pensée pour ses mères.
Sous ses pas elle sentit se briser les plus frêles des herbes rendues cassantes par le gel, autour d’elle se formait le halo de son souffle qui rejoignait la froide atmosphère. Seule contrastait avec le paysage baigné par la nuit indigo la lumière de son glowstick, langue dorée qui léchait les pourtours des arbres, des rochers et des graminées avant de s’en aller plus avant, soumise à la progression de la louve.
Elle ne fit pas attention où elle allait et laissa seulement défiler les minutes puis les heures à se perdre dans les terres, parfois menée un peu plus vite et un peu plus loin par quelques battements d’ailes.

Ce ne fut que lorsqu’elle entendit le bruit distinctif d’une chute d’eau qu’elle réalisa qu’elle avait fini par quitter le territoire de sa meute pour gagner l’un de ceux qui n’avait plus de meute pour le revendiquer.
Et non loin flottait une odeur inconnue qui lui fit un peu froncer le nez. C’était une fragrance qui appartenait à un congénère mais qui était empreinte de quelque chose de plus… âcre, comme de la cendre. Comme si quelqu’un avait eu la bonne idée de se rouler dans les vestiges d’un incendie.
Quelque part, ça lui rappela un peu Pepper et son cœur se serra quelques secondes.

Un peu plus prudente que la nonchalance qu’elle adoptait jusqu’alors, Anita suivit le son de la voix qu’elle entendait par intermittence jusqu’à trouver le corps duquel elle s’échappait.
C’était une louve noire aux flancs constellés de bleu, surmontée d’ailes de papillons noires. Oreilles pointées et corps devenu droit, Anita continua de s’approcher tout en gardant une trajectoire courbée qui lui permettrait de se mettre en évidence sans s’introduire dans l’espace de l’inconnue.
Un grand nombre de détails à son propos l’intriguaient mais lui soufflait aussi de garder une certaine distance, ne serait-ce que pour avoir l’occasion d’en apprendre davantage rien qu’en poussant son observation.

D’ailleurs, elle n’oubliait pas qu’elle l’avait entendue parler. Mais un rapide coup d’œil lui permit de dire qu’ici, les deux louves étaient seules.

— Y a-t-il ici un fantôme que je ne saurais voir ?

Cela n’était nullement une moquerie. Elle même en avait fait la marquante -et joyeuse- expérience.

Emilitia

Emilitia ne l’avait pas entendu arrivée, cette louve qui s’approcha dans la nuit tout en gardant une distance raisonnable. La noire tenta de relever les yeux, jugea finalement l’action très inconfortable en étant sur le dos alors fit s’envoler Drippir d’un mouvement de patte avant de se retourner, découvrant ainsi une louve haute sur patte - à moins que ce soit la finesse de son corps qui donnait cet effet?-

« Vous chassez les fantômes? Je ne saurais trop dire, je crains ne pas être capable de les voir non plus s’ils n’apparaissent pas naturellement. Ce n’est pas vraiment mon domaine de prédilection. »
Elle releva un instant le museau vers la luciole qui volait au dessus d’elle.
« En serais tu capable toi? »
« Non »
« Drippir non plus ne sait pas mais j’ai une amie qui s’y connaît en au-delà »

Emilitia termina de se relever, pas de restes d’herbe écrasé sur son dos, juste un peu de cendre de la végétation nécrosée par ses ailes. Debout, les fragrances de l’inconnue parvinrent à sa truffe alors qu’elle reprenait son masque pour le remettre sur son visage -il serait fâcheux de l’oublier.

« Oh vous êtes Etelkru n’est-ce pas? C’est amusant de constater  que c’est encore l’un d’entre vous que je rencontre, je vais finir par tous vous connaître.”

Elle se rapprocha de la louve, d’un pas, de deux, pour n’être séparée d’elle que d’une courte distance, sa queue relevée droite dans son dos, le bout remuant légèrement.

“Si vous me connaissez tous, il n’y aura plus de raison pour dire quelque chose si je passe les frontières, j’ai découvert depuis un moment déjà que vous ne cachiez aucun secret au centre de votre territoire.”

Les Etelkrus n’étaient plus une meute si intéressante, n’étaient même plus ces monstres de l’enfance qu’il fallait craindre. Ils n’étaient plus que des loups bien que parfois sympathiques, terriblement banaux et ordinaires.

L'inconnue se redressa en chassant au passage un genre d'insecte hors de sa patte, qu'Anita n'avait alors pas remarqué. Ses yeux améthystes en suivirent la trajectoire - et elle constata avec étonnement que la petite créature resta non loin de la louve.
Déjà la solitaire lui répondait cependant, et elle reporta sur elle ses prunelles. Sa voix avait quelque chose de... Particulier, sans qu'elle ne puisse pour le moment mettre le doigt dessus. Chasseuse de fantômes ? Pas tellement, il y avait méprise. Elle s'apprêta à ouvrir la gueule pour répliquer quand l'autre releva le nez vers la drôle de luciole pour lui... Poser une question.
Anita ne put entendre de réponse, mais apparemment Drippir, si tel était son nom, ne s'y connaissait pas davantage en spectres.

Un sourire discret releva l'une de ses commissures - la situation prenait déjà un ton un peu incongru et cela l'amusait. Elle-même tourna quelques instants la tête pour les rediriger vers l'obscurité qui s'étendait tout autour d'elle, fouillant les ténèbres à la recherche d'une lueur pâle et verdâtre. Clou, son Draginsecte, se serait peut-être bien entendu avec son Drippir - s'il n'était pas une créature aussi asociale qui était la plupart du temps trop loin d'elle pour pouvoir interagir.
Mais elle savait qu'il veillait sur elle, et elle appréciait sa présence fantomatique.
La Prêtresse ramena son attention sur les deux étrangers et profita que l'une termine de se redresser pour répondre.

— Je ne les chasse pas, non, même si j'ai déjà pu parler à l'un d'entre eux. Mais je t'ai entendu parler et comme tu étais seule, j'ai pensé à cette possibilité. Je comprends désormais que non.

Elle désigna Drippir du museau.
La louve reprit la parole et Anita hocha la tête - la lueur jaune de son glowstick, d'autant plus visible par la nuit encore complète, ne pouvait que trahir son appartenance - non pas qu'elle chercha à la dissimuler, de toute manière.
La solitaire se rapprocha et Anita ne bougea pas, se contenta simplement d'incliner le museau vers le bas pour pouvoir toujours la regarder dans les yeux, elle qui était plus petite.

—  Même nos alliés ne passent pas nos frontières sans s'annoncer. Je suppose que tu n'as pas fait la rencontre de certains d'entre nous en étant au beau milieu du territoire, ou bien cette conversation se tiendrait certainement en un autre lieu.

Dans les geôles du Castel, par exemple ; où certains ne tardaient pas à finir pour avoir impunément ignoré leurs frontières et opposé une résistance à en sortir.
Anita ponctua sa phrase d'un léger sourire teinté de mystère - elle avait été deçue de ne pas en trouver assez chez eux, alors ? - avant d'avoir un déclic.

Ce qui l'avait perturbée en l'entendant parler venait de lui revenir. Elle fronça les sourcils, perplexe.

—  Ta voix... C'est exactement la même que celle d'une louve que j'ai croisé très brièvement un jour.

Toute blanche, là où l'étrangère était aussi noire que la nuit qui les enveloppait.

Emilitia

« Non effectivement, je ne suis jamais véritablement seule. »

Il y avait toujours, depuis leur rencontre, Drippir à ses côtés et le démon était suffisamment petit, suffisamment insignifiant pour toujours être en mesure de la suivre qu'importe où Emilitia se rendait. Il lui suffisait dans le pire des cas de se mélanger à ses longs cheveux noirs.

« Jamais au milieu non. »

Cependant Emilitia avait cette fâcheuse tendance à sévèrement taquiner les frontières, les outrepassant au gré des humeurs et des envies sans jamais au delà de la raison. Ça, la louve noire le réservait aux Nakhus, connus pour être bien moins susceptibles concernant leurs règles. Emilitia ne l'avait jamais caché, les règles, elle ne les respectait pas toutes, elle n'était plus l'enfant sage de la plage.

« Je suis sans doute un peu chanceuse également. »

Quand les frontières du Sud avaient été traversées, elle n'avait rencontré guère plus que des enfants ou des adolescents. Aucun féroce guerrier des contes de l'enfance pour punir de l'odieux acte commis d'avoir bafoué et maudit de ses pattes portant la nécrose ces terres défendues. Ceci dit, elle n'en avait pas rencontré beaucoup en dehors non plus, ça avait un peu aidé à détruire l'idée faite des Etelkrus.

A la dernière remarque, Emilitia pencha sa tête sur le côté.

« Oh ! Je crois qu'elle ressemble à celle de ma mère, on m'a déjà appelé par son nom. »

C'était son oncle, alors inconnu jusqu'à ce jour, qui s'était laissé piéger.  

Chanceuse de ne pas avoir été prise loin dans les frontières et chanceuse d'avoir rencontré les bonnes personnes - Anita hocha la tête aux deux phrases. Il était probable que sans ce cumul de chance, la louve noire aurait eu une impression quelque peu différente de attitude vis à vis de leur territoire.
Après tout, leur réputation était la première barrière qui dissuadait de trop nombreuses intrusions - mais les loups qui étaient prêts à faire respecter de manière physique l'interdiction de passage étaient encore nombreux.

— Nous sommes plus nombreux qu'avant à montrer une certaine tolérance et à être plus ouverts sur les autres tant qu'il n'y a aucun danger identifié. Ça ne doit pas être confondu pour autant avec du laxisme.

Malgré elle, Anita ne put retenir une inflexion malicieuse à son sourire. Après tout elle ne pouvait décemment pas avouer que si, certains Etelkrus pouvaient sans doute la trouver au milieu du territoire et ne pas s'en prendre à elle si elle ne faisait rien de mal.
Par Kiro, elle même avait fait partie de ces jeunes âmes curieuses et bienveillantes et davantage tournées vers la découverte d'autrui que la stricte application des règles. Et cette part d'elle existait toujours.
Pour ce qui était de sa voix familière, Anita eut sa réponse. Du moins un début - quelque chose dans son esprit imaginait mal la louve aussi blanche qu'elle avait aperçu ce jour donner naissance à enfant aussi sombre ; mais après tout, Holly avait bien eu Iberis.

— Oh, alors je suppose que c'est ta mère que j'ai vu ce jour-là. Je n'étais qu'une adolescente mais je m'en souviens bien.

Le jour où elle avait préféré s'élancer jusqu'à entrer en collision avec son amie plutôt que de la laisser s'en prendre à l'étrangère qui n'avait démontré aucune hostilité.
Mais Anita ne rajouta rien à ce sujet et se contenta de lever le museau vers le ciel étoilé, pensive.

Emilitia

Elle hocha la tête pour appuyer les paroles de la louve. Oui, Emilitia avait pu l'expérimenter au fil de ses ombreuses rencontres, et ce n'était pas elle qui aurait fait peur aux grands guerriers etelkrus, simple demi démon, pour l'instant. Ceci dit, elle n'était pas certaine d'avoir croiser ces loups non plus.

« La réputation ne colle plus vraiment à la réalité. J'ignore si c'est mieux ou non, si j'aurais préféré que ce soit le cas ou non. Au moins les rencontres se sont révélés plus intéressantes que fâcheuses. »

Elle avait pu se faire une opinion autre que celle créé par les histoires de son enfance.
D'ailleurs l'Etelkru continua sur le sujet de sa mère, ça semblait la laisser pensive. Emilitia elle, se montra plus curieuse, peut-être un peu accusatrice également sans pour autant que son ton ne s'accompagne de quelconque animosité, peut-être un peu taquin cependant.

« Ce n'est pas impossible, elle a effectivement dû en rencontrer des etelkrus. Avez-vous fait partis de ceux qui ont consacrer à faire naître en elle, une profonde crainte à votre égard ? »

Sa queue ondula alors qu'elle remua un peu des épaules, se fit joueuse, un peu enfantine.

« Je ne la partage pas. Après tout, vous n'êtes jamais venu, ni pour enlever le louveteau que j'étais, ni pour lui tirer les oreilles s'il n'était pas sage. »

Mais sage, enfant, elle l'avait toujours été.

A la réflexion que la louve se fit à voix haute, l'hybride haussa les épaules sans répondre. Bien évidemment que de son point de vue à elle, cette amélioration était pour le mieux. S'ouvrir aux autres, se résoudre à s'intéresser à ce qu'il y avait en-dehors de leurs frontières au lieu de simplement les abattre à vue - ce n'était pas s'affaiblir.
Mais elle savait aussi qu'un certain nombre des siens n'étaient pas de son avis et ne le seraient probablement jamais. Et pas que dans la génération ancienne : même chez les plus jeunes, plusieurs têtes s'évertuaient à suivre les vieux principes Etelkrus.
Elle ne les en empêchait pas, tant que la barbarie ne s'invitait pas dans leurs rangs pour autant. Le changement était chose délicate à mener et lente à apporter, et elle ferait son possible pour transmettre sa vision qui se devait d'unir leurs traditions guerrières, leur force et leur indépendance avec un chemin plus lumineux et moins renfermé sur eux-mêmes.

Ultimement, Anita souhaitait qu'on regarde dans leur direction avec respect et estime davantage que méfiance et mépris, et que la crainte qu'ils puissent inspirer découle surtout des conséquences risquées à leur faire volontairement du mal plutôt que d'actes aléatoires d'une violence irraisonnée.
Ils avaient longtemps eu l'image de brutes assoiffées de combat, de guerriers butés qui ne voyaient pas plus loin que leur truffe.
Elle voulait garder de leur côté chevalier l'honneur et la respectabilité, l'entraînement pour ne dépendre de personne en cas de besoin ; mais cultiver l'esprit autant que les muscles.

Venait d'ailleurs le sujet dans les mots de l'étrangère et une des hautes oreilles d'Anita s'inclina dans sa direction, suivie peu après par le reste de sa tête.

—  Plutôt l'inverse, j'imagine. J'ai empêché deux des miens de s'en prendre à elle.

Elle ne se souvenait même plus pourquoi la louve blanche s'était pointée à leurs frontières. Anita se remémorait surtout l'urgence qui avait soudain fait battre son cœur et l'injustice qui l'avait révoltée quand Holly et Joy s'étaient apprêtées à se déchaîner sur elle qui avait pourtant respecté leurs limites et s'était contentée de formuler une question polie. Elle avait beau être Raeder, ça ne la privait pas de ses droits les plus élémentaires. Comment auraient réagi les Etelkrus pour la réciproque, si l'un d'entre eux s'était fait agresser aux abords de le leur île sans y avoir posé patte ?
Mal. Très mal.
La suite de ses paroles la fit sourire et dévoila l'une de ses fines canines.

—  Tiens, je pense que nous avions à peu près les mêmes fables d'enfance à votre sujet pour nous faire peur. A l'inverse que nous avions de bonnes raisons d'y croire.  

Il n'y eut pas d'accusation dans sa phrase qui demeura légère et amusée - après tout, elle ne pensait même pas que la louve qui était devant elle était Raeder même si elle était née de l'une d'entre eux. Son pelage ne portait pas leur odeur et rien d'autre à son sujet ne l'indiquait. Nulle recherche d'offense donc, simplement la vérité : quand elle était enfant, le rapt de Mint qui amena une bonne partie des troupes Etelkrus à envahir leur île pour récupérer l'enfant était évènement récent qui se baladait encore sur toutes les lèvres.

Alors allaient bon train les avertissements pour les maintenir sages : ne vous éloignez pas seuls, ne traînez pas près des frontières : sinon, un Raeder vous emportera.

Emilitia

« Alors peut-être qu’elle vous était reconnaissante. Je ne sais pas, elle avait beaucoup de chose à raconter »

Une vie et celle de plusieurs génération à narrer en plus du savoir de base pour vivre et survivre en tant que loup. Un an c’était court pour tout ça, La blanche n’avait sans doute pas suffisamment vécu pour que Emilitia puisse tout savoir, c’était pour ça sans doute, qu’elle avait fini par suivre la voie des démon. Maintenant , il y avait Drippir et lui ne lui apprenait pas à devenir louve.

Emilitia ne s’offusqua pas de la réflexion sur le fait que les Raeders aussi était les méchants dans d’autres histoires, elle ne fut pas surprise non plus, dans les siennes ils étaient les martyr subissant également.

« Il aurait été étrange que vous soyez les monstres de vos propres contes, comme il aurait été étrange que les Raedes soient ceux des leurs... chacun a ses propres démons. »

Emilitia eut un petit rire, pouffa de ses propres paroles.

« Un jour, tu seras peut-être celui de tous »
« N’est-ce pas un peu prétentieux? »

Si démon complet elle devenait, sera t-elle citée dans ces histoires d’enfants pour les tenir sage ? L’idée était amusante, mais peut être que les rencontres en deviendraient moins agréables. Un risque prit pour tout ces êtres qui étaient liés aux ombres, de par sa naissance, il aurait été difficile de s’en défaire, bien plus maintenant qu’elle faisait pencher sérieusement la balance de ce côté..

Aux paroles de la louve elle hocha distraitement la tête. Il y avait quelque chose de dommage à cet antagonisme inscrit jusque dans les contes pour enfants : comment espérer un jour que les vieilles rancunes s'effacent si elles étaient ranimées à chaque génération pour éveiller la peur de l'autre dans les plus jeunes âmes ?
Ne valait-il mieux pas faire passer l'apprentissage nécessaire au danger de leurs louveteaux par des images plus universelles, par ces menaces déjà nombreuses dont regorgeaient leur environnement naturel ?
Les prédateurs, les catastrophes naturelles, les forces de la nature contre lesquelles les simples mortels ne pouvaient lutter... Il s'agissait de dangers réels pour lesquels il convenait d'être alerté afin d'éviter de bêtes drames.

Alors que la peur de l'autre, celle qui menait aux conflits entre loups... Elle était souvent injustifiée.

Anita s'extirpa de ses pensées lorsque la louve noire s'exprima de nouveau d'une question rhétorique. Quelque peu intriguée, l'hybride se questionna sur le sens de ses paroles qu'elle n'était pas certaine de comprendre avant de se rappeler la présence de la luciole qui était son camarade, et avec laquelle la solitaire semblait être en mesure de communiquer.
Elle n'avait rien entendu, mais elle en déduisit tout de même que la petite bestiole avait du lui souffler quelque chose.
Alors elle ne masqua pas sa curiosité, les yeux posés sur le fameux Drippir.

—  Qu'a-t-il dit ?

Elle n'avait jamais pu parler avec Clou, ce draginsecte à la présence bien plus discrète - peut-être était-il d'ailleurs capable de communiquer mais ne daignait-il pas le faire au vu de son caractère antisocial, et se demandait bien quel genre de pensées pouvait l'animer.

Emilitia

« Quelques hypothèses d'avenir, rien de plus. »

Emilita se laissa distraire quelques instant, le temps de recueillir Drippir d'une patte, le laissant ensuite remonter sa jambe alors qu'elle la reposa au sol, son regard revenant sur l'Etelkru avec une énergie nouvelle.

« Comment l'envisagent-ils l'avenir, les Etelkrus ? Nous évoluons après tout plus ou moins dans le même voisinage, il est sans doute préférable d'être louve avertie. »

Un brin de malice dans l’intonation de sa voix, après avoir évoquer quelques brides de passé, parlons de futur mais accepterait-on de le partager avec elle ? Emilitia n'était que cette solitaire arpentant les montagnes à la lisière de quelques frontières. Tout les Etelkrus n'auraient pas voulu, il faudra peu-être un échange. Pour la louve noire, ce n'était rien de plus qu'un divertissement, au même titre que cette rencontre et tant d'autres.

Des hypothèses d'avenir.

—  Oh.

Ce fut sa seule réaction verbale alors qu'elle garda encore quelques secondes les yeux rivés sur l'étrange duo de cette petite solitaire et de sa luciole capable de formuler des visions du futur et de les communiquer dans le secret d'un langage privé avec la louve. Son regard s'apprêtait ensuite à se reporter sur le paysage baigné de nuit quand l'étrangère reprit la parole. Une de ses hautes oreilles pivota pour prêter toute son attention à ce qu'elle avait à dire. Ou plutôt à demander.
Un nouveau sourire discret s'invita au coin des lèvres d'Anita tout comme elle perçut un fragment d'amusement dans les paroles de la solitaire.

— Je crois qu'il pourrait prendre bien des directions différentes et je ne saurais encore dire laquelle l'emportera. Les actuelles dirigeantes ont des ambitions disons... hétéroclites.

Le choix du mot fut quelque peu délicat. Anita ne souhaitait pas laisser entendre qu'il puisse y avoir de véritable opposition entre les deux Alphas - autrement dit elle et Holly ; et diable qu'elle s'amusait à se fondre dans le rôle d'une Etelkrus parfaitement banale et sans incidence - car ce n'était nullement le cas.
Elle ne voulait cependant pas mentir sur les chemins divergents que pouvaient prendre le clan dépendamment des futurs évènements, car les deux louves de tête n'étaient pas les seules à pouvoir influencer cette direction. Une meute était avant tout faite des individus qui la composaient et leur avis comptait. Anita était cependant déterminée à distiller sa vision des choses.

Sans doute était-ce pour ces différences marquées entre la louve bleue et elle que Pepper et Anette les avait pensées comme nouveau duo de meneuses.
Pour ces visions parfois radicalement opposées mais l'amitié qui néanmoins les liait et les rendait à l'écoute de l'une et de l'autre, poussant chacune non pas à vouloir couper l'herbe sous la patte de l'adversaire mais à trouver un terrain d'entente. Il s'agissait d'un équilibre délicat à trouver, d'une balance bien singulière.

— Et à quoi ressemble l'avenir pour une solitaire qui a choisi comme seule compagnie une luciole télépathe ?

A question posée, question souvent retournée.

Emilitia

«J'espère que les décisions futures ne me porteront pas préjudices en tant que solitaire, ça serait fâcheux. »

Le ton restait léger, plaisantin. Bien que Emilitia n'aurait pas pris les Etelkrus trop à la légère, au même titre que les Nakhus, bien que plus pacifique, la louve sombre ne leur ferait pas cet affront, ils n'étaient pas à ces yeux cette même menace dangereuse que celle racontée dans les dires de leur réputation. Il y avait des choses bien plus à craindre sur ce monde, les Etelkrus n'étaient que des loups parmi les autres.

Ses oreilles se redressèrent vers la louve à sa question, moins légère, Emilitia se dit plus évasive.

« C'est une bonne question, je suis partie pour tenter d'y répondre, revenue dans le même objectif, pour savoir quelle place le monde m'a réservé. A défaut de véritablement trouver, je tente d'accomplir le plus évident. » Le regard derrière le masque s'arrêtant un instant sur le visage de l'Etelkru plutôt que de se laisser distraire sur tout et n'importe quoi. « Devenir plus entière. »
Un démon complet plutôt qu'un demi. Elle finit par rire cependant, se moquant un peu d'elle même cette fois-ci.
« Mais je ne suis pas très sérieuse, je n'avance pas beaucoup et me laisse distraire par les rencontres. Ça fait râler Drippir. »

Ce fut un petit rire qui secoua Anita en guise de réponse pour les espoirs de l'inconnue. Bien évidemment, si elle était aussi aventureuse qu'elle le disait vis à vis de leurs frontières, il n'était que logique qu'elle ne souhaite pas un durcissement de leur politique. Si elle avait jusque là pu s'en sortir sans trop d'encombres, d'autres s'étaient retrouvés dans leurs geôles.

Pour la suite, l'hybride se fit attentive aux explications quelque peu vagues qu'elle lui livra. La louve noire traçait des grandes lignes qui ne rentraient pas suffisamment dans les détails pour que Anita puisse véritablement comprendre de quoi elle voulait parler -  quelque chose lui faisait penser que derrière sa notion de devenir entière, il y avait plus que cette envie qui animait tout un chacun de vouloir se trouver pour se sentir complet et en phase avec soi-même.
C'était un tout formé par son apparence particulière, ses phrases, l'atmosphère qu'elle dégageait  ; qu'il s'agisse de cette légère odeur de cendres, de ces traces un peu noircies qu'elle avait laissé autour d'elle et qu'elle percevait un peu malgré la nuit, ou encore de ce lien avec le fameux Drippir. La fille de la Raeder décédée ne semblait pas être une solitaire tout à fait comme les autres.
Sans qu'il n'y ait pour autant de trace de danger émanant d'elle. Pour le moment, peut-être.

Anita résuma ses pensées par un sourire équivoque dessiné d'une simple ligne sans exagération et par des sourcils légèrement haussés.

—  Eh bien, je ne peux que te souhaiter de finir par réussir, j'imagine. Ça ne doit pas être très agréable de ne pas se sentir pleinement en phase avec soi-même.

C'était ainsi qu'elle interprétait les propos un peu mystérieux de l'inconnue.
D'ailleurs...

—  Et comment t'appelles-tu ? J'imagine que ne pas être vraiment entière n'empêche pas de répondre à un nom.

Son sourire se fit un peu plus prononcé, taquin sans être moqueur.
Ses parents devaient bien lui avoir donné un nom qui lui permettrait de l'associer à autre chose que l'inconnue ou la solitaire noire.
Au fond des pensées de la Prêtresse, il y avait aussi cet infime pressentiment de devoir être capable de placer un nom sur cette rencontre singulière.

Pas tout à fait méfiante, pas entièrement désinvolte pour autant.

Emilitia

« Non effectivement, il a cette sensation agaçante d'avoir une chose à accomplir sans savoir laquelle et une désagréable impression de manque. Ceci dit, je suppose que chacun se retrouve face à tel sentiment tant qu'il n'aura pas trouver le combler. Je ne le vis pas mal alors ça va, je continue simplement à explorer. »

Le monde comme les possibilités. Emilitia restait légère, si parfois le sujet la taraudait un peu, il ne l'affectait pas plus que, du moment qu'elle parvenait à avoir dans ce quotidien ces petits moments plaisant qui ne permettait de rester maussade. Peut-être que la louve noire se serait un peu plus appliquée à accomplir cette volonté de devenir démon plus entière s'il n'y avait pas ces petits moments et ces rencontres si intéressantes.
Elle se redressa à la demande de son nom.

« Oh oui bien sûr ! Je me nomme Emilita. Et quel est le vôtre, de nom ? »

Un échange, comme précédemment.
Derrière le masque, Emilitia guetta, simple curiosité, l'expression que prendrait le visage de l'Etelkru. Son nom, elle l'avait donné à beaucoup de loups, dont un nombre assez élevé de membres de cette meute. A quel point n'était-elle plus une totale inconnue ?

L’hybride hocha la tête aux quelques phrases supplémentaires qu’eut la solitaire sur le sujet de son identité.
Des quelques adjectifs qu’elle pouvait désormais lui apposer, bavarde était sans doute l’un des plus représentatifs : sans que cela soit un mal, mais il fallait avouer que c’était assez inhabituel, surtout entre loups qui jusqu’alors ne s’étaient jamais rencontrés et avaient à priori toutes les raisons de ne pas partager un trop grand nombre de leurs problèmes. Bien-sûr, Anita avait déjà eu un certain lot de rencontres où même avec les solitaires, elle avait pu échanger sur des thématiques personnelles : mais cette louve noire avait la particularité de beaucoup s’étendre sur des réflexions quand même de question il ne fut posée.
Elle-même ne s’étendit pas sur le sujet, l’esprit un peu trop occupé par la rencontre en tant que telle pour venir se perdre dans les méandres de ses propres impressions de manque.
Même auprès de ses amis, il s’agissait de choses qu’elle n’abordait que rarement. Sans volonté aucune d’être secrète, Anita avait simplement tendance à ne pas vouloir encombrer d’autres épaules des quelques pensées plus noires qui l’enveloppaient parfois.

Le nom que la solitaire donna fit se redresser ses oreilles. Emilitia. Elle n’était pas certaine de l’avoir déjà entendu, tout en ayant l’impression qu’il n’était pas tout à fait inconnu. Dans tous les cas, elle ne l’oublierait pas. Et quand ce fut à son tour de donner le change…

— Anita.

Juste Anita.
Elle lui adressa un clin d’œil puis un nouveau sourire, discret mais sincère.
Il y aurait sans doute un jour, proche ou non, où Emilitia apprendrait qu’avec ce nom de trois syllabes venait d’autres rangs. Mais en ce qui la concernait, elle n’avait jamais fait de ces titres le pilier central de son identité et appréciait, de temps en temps, pouvoir mener une rencontre dans laquelle n’interféraient pas ses rôles au sein des Etelkrus.
Parce qu’avant d’être Prêtresse ou Alpha, elle était surtout Anita.
Ceci étant dit, l’hybride se releva de sa position détendue et étira ses pattes avant puis tout le reste de son corps long et souple, se laissant même aller à un bâillement.

— Eh bien Emilitia, je crois que je vais retourner chez moi après cette discussion qui égaya ma nuit. Ce fut un plaisir.

Son avant-main cette fois se redressa et ses ailes noires furent la dernière partie d’elle à s’étendre avant qu’elle ne se retourne pour prendre la voie du départ, accordant à la solitaire masquée un dernier regard et un ultime sourire.

— Peut-être nous reverrons-nous… J’espère pas à travers des barreaux !

Elle laissa s’échapper un petit rire cristallin et, si aucune réplique d’Emilitia ne vint l’interrompre dans son élan pour la retenir un peu plus, disparut dans l’obscurité au son d’amples foulées légères suivies du claquement caractéristique d’ailes s’ouvrant au vent.

Emilitia

Les oreilles se redressèrent mais son nom ne provoqua plus de réaction. C'était mieux ainsi, il aurait été probablement déconseillé d'être trop connu des Etelkrus en était une solitaire comme elle. En échange, la louve ailée lui donna le sien de nom, aux sonorités simple à retenir, avant d'annoncer son départ. Emilitia ne retiendrait pas la louve, se contentant de simplement s'asseoir alors que l'etelkru étirait ses membres.

« Plaisir partagé, cette rencontre fut agréable. »

La louve noire eut un petit rire aux dernières paroles d'Anita.

« Je l'espère aussi, ce serait fâcheux. Au revoir. »

Et elle la regarda s'élever dans le ciel, laissant Emilitia sur place. La louve noire n'avait pas vraiment d'obligations ou de nécessités à rejoindre un endroit particulier, elle resterait ici pour la nuit. S'allongeant à nouveau dans l'herbe, elle reprit sa contemplation des étoiles.