I. Éveil [pv]

La verte avait eu une longue journée.

Toutefois, elle ne négligeait jamais sa visite chez les panseurs. C'était à présent une routine qui s'était installée dans son quotidien, soit de venir jeter un petit coup d'œil sur son grand frère. Elle lui parlait parfois, même s'il n'y avait jamais de réponse, et ça lui allait de toute façon. Elle qui avait tant essayer de trouver des points communs avec son frangin, autre qu'une partie de leur sang de Kalashnikov, mais il fallait se rendre à l'évidence que ces deux-là étaient à des opposés majeurs... Alors autant qu'elle l'avait toujours trouvé bien différent, elle se disait que Sushi devait penser la même chose d'elle et cela ne la dérangeait point.

Alors voilà que la bouclier est couchée près de lui, enfin plus encline à s'approcher de son corps depuis qu'il avait fini de cicatriser. Cela lui donnait un air de militant, alors qu'il était plutôt un prince douillet, mais l'évènement tragique qui lui avait donné ces blessures allait bien entendu le changer un minimum, elle n'était pas si bête. Il était naif de se dire que Sushi allait s'en sortir psychologiquement idem, déjà qu'il avait été immobile pendant si longtemps, elle espérait juste que son retour à la réalité n'allait pas être trop brusque, car il n'avait jamais mérité quelconque violence en premier lieu...

C'était sous ses pensées qu'Etna ferma les paupières, trop vidée de son horaire d'aujourd'hui.

Dormant profondément, l'etelkru n'avait même pas été extirpée de son sommeil par les mouvements brusques du loup.

Après la mort de Sheina, Anita avait passé beaucoup de temps chez les panseurs.
Pour se reposer et s’imprégner d’une atmosphère différente plus que pour demander des remèdes : sa guérison elle-même elle trouvait en se mêlant à ceux qui recevaient soins et attention, dans cet endroit quelque peu hors du temps où pour une fois être Alpha ne voulait pas dire grand chose.
Ici, les panseurs régnaient en maîtres. C’était leur domaine, leur expertise, leur royaume. Ici, elle pouvait rester à l’écart et simplement être un corps de plus qui avait besoin de s’étendre pour se remettre de ses blessures, fussent-elles même internes.

Et parmi ces autres corps qui changeaient tous les jours - malgré la présence de quelques habitués qui revenaient souvent - il y en avait aussi qui ne bougeaient pas.

Un seul, à vrai dire, qui lui ne se levait jamais. Quand plusieurs devaient rester des jours, parfois des semaines, lui demeurait depuis des mois.
A plusieurs reprises, Anita était allée se poster en silence à ses côtés, posant sur lui ses yeux clairs et soucieux.

Oh, qu’elle aurait souhaité qu’il se passe quelque chose.

Qu’un tressaillement plus puissant que les autres l’agite jusqu’à soulever ses paupières.

Qu’elle aurait souhaité comprendre.

Elle avait souvent hésité à aller demander à Aka lui-même ce qu’il s’était passé et de quel droit l’un de leurs pères fondateurs avait pu ainsi attenter à la vie d’un des leurs.
Partagée entre l’idée qu’il ne pouvait y avoir qu’une bonne raison pour que telle chose arrive suivie de la réplique horrifiée que quoi qu’il en soit rien ne justifiait un tel déchaînement de violence, Anita n’avait finalement jamais saisi cette occasion d’aller confronter le Grizzly à son sujet. Elle le connaissait peu, Sushi, pour ne pas dire pas du tout : à part qu’il faisait partie de ceux qui n’étaient pas nés d’amour et n’avaient jamais trouvé leur place, mais il avait toujours été gentil et dévoué à sa manière. Dur à croire que quelque chose de sa part ait pu provoquer la rage du Dieu de la Force.
Ainsi jour après jour se retrouvait-elle à voir au coin de la grotte l’éclat de ce pelage bleu-vert, et à souhaiter pouvoir faire mieux sans pour autant savoir quoi faire.
Au final, ce qu’elle désirait le plus était avant tout qu’il s’en remette pour pouvoir conter de lui-même son histoire, quand bien-même celle-ci n’avait rien d’une aventure joyeuse.

Elle souhaitait aussi que son histoire - de sa première lettre à cette pause inopinée au milieu de la vaste page laissée blanche au-delà - ne soit pas répétée et que pareil destin demeure exceptionnel.

Quand l’Alpha passa aujourd’hui dans l’antre du corps médical avec l’attention d’aller s’allonger dans l’ombre d’une alcôve, le visage barré des mêmes cernes qui l’avaient auparavant menée à cette habitude, elle faillit ne pas poser les yeux sur le duo touchant que formait Etna et son frère.
Mais par force d’usure et de répétition, son regard glissa quand même au-delà de la louve endormie pour tomber sur le visage du mâle blessé.

Anita se figea, bouche bée.

Là où elle avait oublié qu’il puisse y avoir autre chose que paupières closes se dessinaient deux yeux turquoise.
L’Alpha resta immobile quelques instants à juste le fixer, persuadée d’avoir imaginé la scène, avant de briser l’inaction et de trotter dans sa direction.
D’une patte qui se posa sur ses épaules et les secoua un peu elle chercha à réveiller Etna, et approcha son museau du visage balafré pour parler d’une voix basse et un peu tremblante.

— Sushi ? Est-ce que tu m’entends ?

Elle se rendit compte que son coeur battait plus fort dans sa poitrine et qu’elle retenait son souffle.

Pour le bien de tous mais surtout de sa famille, elle souhaitait qu’il ne s’agisse pas d’un faux espoir ou de pire encore.

...Elle rêvait, Etna.

Son poil virevoltait dans tout les sens, son museau haut dans le ciel. Elle volait, voyait Punk Wolf comme elle ne l'avait jamais vu auparavant. La femelle était sereine, en contrôle, sans soucis, tout le contraire de son quotidien. Mais c'était bien trop beau pour que cela dure, voilà qu'on la chassait des bras de Morphée, pour un retour brusque à la réalité.

Elle grogne, fronce les sourcils, avant d'ouvrir les paupières afin d'identifier qui avait osé la déranger - si c'était encore Épine, elle allait mériter une bonne baffe celle-là... mais son air agressif se changea quand elle vit le doux visage d'Anita. Il y avait-il quelque chose de grave ? Elle se releva aussitôt, alarmée par la situation, mais elle se rendit compte rapidement que l'alpha ne lui accordait déjà plus attention, l'hybride regardait plutôt Sushi... Sushi qui semblait de retour de son long voyage mental.

Elle hoqueta, outrée.

« SUSHI ?! »

La verte regarda le petit dessin étrange qu'il venait de faire sur la terre, puis ses iris bleu-vert qu'il lui avait tant manquées. Prise par les émotions, elle ne pu s'empêcher de se rapprocher de lui, collant son front contre le sien un peu trop brutalement. Oui, il était bien réveillé le p'tit gars, et son cœur battait d'excitation. Elle se recula de nouveau, afin d'être aux côtés d'Anita, qui était bien plus contenue dans son énergie qu'elle.

« JE SAVAIS QUE TU ALLAIS T'EN SORTIR SUSHI ! J'LE SAVAIS ! »

Elle bondissait sur place, l'envie d'aller crier sur tout les toits le retour de son frangin était si tentante.

La réaction de Sushi est ténue mais a le mérite d'exister.
Toujours son souffle retenu dans sa gorge, comme si relâcher cette brise pouvait aboutir à une tempête qui soufflerait toute amélioration de l'état du blessé, elle observa frémir le visage, les babines.
Comme s'il voulut parler mais n'en était pas capable.
Peu à peu la tension diminua chez Anita qui ne voyait pas s'éteindre son regard ou son corps se relâcher dans l'inconscience à nouveau.

Cela n'avait pas l'air d'être un sursaut, mais un véritable éveil.

Etna finit elle aussi par s'éveiller et se rendit bien vite compte de la situation. Le cri du cœur qui s'echappa de sa gorge et l'élan d'affection qu'elle lui témoigna ne purent que lui réchauffer la poitrine tout comme les mots qu'elle cria ensuite apportèrent un sourire sur ses babines.
L'Alpha aurait voulu la calmer un peu autant pour le bien de Sushi lui-même qui ne devait pas être très résistant à des stimulis aussi brusques que pour celui des autres convalescents au repos dans la caverne, mais elle n'en eut pas le cœur.
Anita se recula d'un pas pour laisser la réunion fraternelle se faire et ses yeux tombèrent sur la patte étendu de Sushi, et le symbole qu'il avait difficilement tracé.

Anita fronça les sourcils et se focalisa sur les formes.
L'orage.
Comme celui qui avait secoué leurs terres avec violence et apporté les hordes d'espadassins à leurs frontières, le même jour où contre Aka le fils de Kalashnikov tombait dans l'inconscience.

Un soupir la quitta et son visage se fit un peu soucieux.
Elle laissa passer quelques secondes avant de se pencher sur Etna de nouveau, à voix basse.

—   Surveille son état, je vais aller chercher un panseur.

Et la louve se releva pour faire volte-face, les yeux scrutant l'obscurité des recoins pour trouver le premier guérisseur qui serait présent.
L'un des expérimentés, de préférence.
Les tâches jaunes et brunes qui apparurent dans son champ de vision furent immédiatement reconnues et elle bifurqua vers Tawana pour l'aborder en vitesse, veillant tout de même à encore garder bas le volume de sa voix.

— Tawana, Sushi s'est réveillé. Tu peux venir ?

Elle lui laissa le temps de finir quoi qu'il ait été occupé à faire puis tous deux revinrent auprès du miraculé.

Il était à ses affaires. Regardant les nouvelles graines qu'il avait eu le temps de prendre avant l'arrivé de l'hiver, quand ses oreilles pivotent analysant chaque bruit qui lui était familier. Comme ses bruits de pas par exemple. En reconnaît l'aisance et la souplesse, un regard qui dévie de ses papiers pour voir la silhouette menu d'Anita, le visage de celle-ci traduisant une certaine...surprise ? Il ne saurait vraiment qualifié et de toute manière n'aurait pas le temps de dire quoi que ce soit que la fille de Sheina, s'approche pour lui murmurer que Sushi c'était réveillé.

L'expression devient stupéfaite à l'entente de la nouvelle, et ainsi rangea toute sa paperasse pour le mettre sur une étagère dans sa tanière et sortir avec l'alpha pour traverser la lande, de pas rapide vers la grotte des panseurs. Quand il arrive, voit effectivement Sushi dans un état bien léthargique et une Etna toute joyeuse, ce qu'il comprends parfaitement.

«_ Excuse moi Etna, je dois vérifier l'état de Sushi. Reste auprès d'Anita s'il te plaît.»

Avait-il demander calmement à la verte.
Et quand elle se pousse, fait en sorte de couper tout ce qui à pût lui être administré. S'approchera du fils de Kalashnikov pour constater que celui-ci le regarde simplement, un regard perdu quand aucun mot ne sort de sa bouche. Comprends alors qu'il doit le toucher et c'est ce qu'il fait, stimule les zones qui fonctionnent moins bien par le biais de celles qui sont intacte. Il masse doucement les tempes dans des formes circulaire tout en descendant doucement pour arriver au cou.

L'expertise est de mise, et continuera pendant un certains moment avant que la langue ne se délie.

«_ Mh, il va falloir le rééduquer de manière coordonné, jusqu'à ce qu'il soit de nouveau apte à se reprendre en pattes seuls. Cela peut prendre du temps, le monde extérieur l'aidera à la stimulation.» Le regard de braise se pose sur Etna «_ Il faudra que Épine et toi l'aidiez au quotidien.»

C'était non négociable.