Une boisson chaude · Cendres

Elle marche un peu mieux.
Si elle en croit le sortcellier qui s'occupe d'elle, les nerfs ne repoussent pas ; vrai qu'elle a du mal à les voir  fleurir comme des plantes et se reconnecter comme des racines. Sa démarche risque donc d'être à jamais oscillante comme elle l'est actuellement, peut-être juste un peu moins avec le temps.

C'est une nouvelle... étrange à appréhender.
Dans son esprit, elle allait retrouver la même chose qu'avant, à force d'haleine et de patience. Mais la vie ne roule pas comme ça, et elle sent passer le cocktail de déception, de colère, de tristesse. Elle se ment peut-être en disant qu'elle les affronte avec grâce et n'en montre pas grand chose, qui sait. Pour elle, c'est juste une décision de plus. Ouvrir des ailes métaphoriques et partir pour apprendre : une décision. Devenir solaire au lieu de toujours refléter les autres : une décision. Accepter qu'elle marchera tel qu'elle marche maintenant donc : une décision en plus.

La vie est froide, elle la réchauffera, tant pis.
Comme elle se réchauffe pour le moment avec un mug de chocolat chaud.

C'est son oncle qui l'a préparé, il est de bonne humeur car d'après la rumeur, leur conseillère a mis au monde des enfants. C'est son amie, lui a-t-il dit. Ça l'a poussé à cuisiner un peu plus que d'habitude, et Séléné ne s'est pas faite prier pour goûter une nouvelle fois les préparations de Sobieski, aussi savoureuse que les madeleines et que les plats de ses souvenirs de tendre enfance. Dans cet univers fantastique le chocolat ne leur est pas fatal et elle en remercie les dieux. Cet exquis goût de cacao et de sucre ravis ses papilles au plus haut point. Elle sait apprécier cet ingrédient sous toutes ses formes, du plus amer dans ses préparations avec du cacao maigre, au plus sucré comme cette boisson sous un grand lit de chantilly et de lait végétal. Mais elle tend quand même à préférer le chocolat noir, fondu, ou en ganache avec une base de noix de coco. Elle ne sait dire pourquoi, mais son alliance avec le fruit à la chaire blanche est très, très tentant.

Elle s'est posée à peu près stable, quand elle découvre Cendres.
L'autre fils de Yersine, une partie de famille qui n'en a que le sang, sans vraiment l'interaction. Elle croit bien qu'il n'aime pas leur père commun. Mais ce qui l'interpelle c'est son état ; la cicatrice qu'il porte ne passe pas inaperçue, ni même sa démarche.

"Tiens, deux enfants estropiés d'un borgne, c'est quand même cocasse."

Elle se relève et effectue quelques pas maladroits vers lui. Elle lui tend le mug.

"Partagerais-tu une boisson avec moi ?"

Il n'est pas obligé, mais elle aimerait quand même bien apprendre à le connaître. Ça lui semble être une opportunité perdue, et s'il porte le glowstick vert c'est qu'il doit au moins avoir assez d'intelligence pour mener une conversation interessante.

Elle s'est trompée.
La conclusion qu'il soit être intéressant de par le vert qu'il porte s'avère fausse dès qu'il ne réponds rien à son trait d'esprit. Ni ne se vexe, ni ne réponds par l'amertume, ni ne lui retourne une raillerie similaire. Sans même accepter ou refuser, il s'allonge tout simplement avec un regard bovin.

Elle ne pense pas ressentir quelconque pitié pour cet état puis-ce qu'elle le partage, et s'il sort sans prothèses comme Jun' c'est qu'il doit bien être capable de se déplacer. Elle a un peu de compassion, ceci dit, puis-ce que elle le partage, et reconnaît que personne ne tombe aussi passif sans de bonnes raisons. Même si toutes les personnes vides qu'elle a rencontré avant montraient pourtant un peu plus de réactions que ça.

Il a l'air d'être à un stade presque terminal d'apathie. Il n'a peut-être pas voulu d'aide ni s'aider.
Quelqu'un qui se laisse glisser vers un tel état d'esprit ne donne pas de bons résultats ; elle entrevoit le loup en face d'elle ne plus désirer se relever tout court un jour et claudiquer nul part, même pas pour manger et finir par se laisser dépérir sans se sustenter. Ou peut-être se dresser une ultime fois pour peut-être aller marcher vers un gouffre littéral pour sortir du figuré. Ou plus banal, un futur qui ressemble peut-être aux présent des apathiques, à essayer -sans trouver- de quoi remplir sa vie, jusqu'à être trop âgé pour pouvoir proprement réfléchir à ce qui aurait du sens.

C'est bien terne.

Elle penche la tête et se relève, elle sait ce que ça lui donne envie de faire.
Et s'écroule tout simplement sur lui, allongée de tout son poids plume sur cet autre être tout aussi incapable de bien bouger qu'elle. Le sourire le plus idiot qu'elle puisse avoir sur le visage, elle s'exprime d'un petit gloussement.

"Courgette."

Elle lèche même son oreille.

Voilà qui est mieux.

Ce n'est pas ce à quoi elle s'est attendue, elle doit bien l'avouer. En étant la plus enfantine que son état puisse émuler et en perçant des limites de consentement à le toucher sans demander... Elle a pensé qu'elle aurait son dégoût, son rejet, un peu de colère. C'est de la tristesse qu'elle obtient, et l'information qu'il ne semble au moins pas fermé aux contacts physiques.

Mais, c'est déjà mieux, c'est quelque chose.
Peut-être pas si apathique que ça, il a l'air de pouvoir être tiré de cette chronique absence de réaction ou d'envie de réagir. Il faut creuser un peu plus. Quoi de mieux pour ça que de poser sa patte sur son visage et enfoncer sa joue avec elle. Elle pousse, au littéral comme au figuré.

"T'as une tête de courgette."

Ça n'a pas l'air d'avoir de sens, mais elle enchaine comme si c'était évident. Elle fait tout pour être déconcertante, se balader sur les frontières du tolérable. Elle flirt avec le trop à chaque geste, chaque parole, chaque ton qu'elle emploie.

"Genre pleine d'eau, à manquer de câlins."

Elle tire la peau de sa joue comme font le grand-mères dans notre montre réel.

"Mais c'est moins moche que ta tête de poisson mort d'avant."

Ensuite, elle tripote les cheveux, et balade ses oreilles de gauche à droite. Elle papouille autant qu'elle emmerde, à mi-chemin entre chiante et réconfortante. À voir ce que ça va donner.

Mh, il divague.
Ça a l'air de soit ne pas être suffisant, soit ne pas être la bonne tactique. Elle avait tort, encore, friser l'insupportable n'est pas bon. Ou est-il définitivement trop parti ? Elle n'en est pas certaine. Elle l'a bien vu, la tristesse qui habitait son regard. Il faut juste qu'elle trouve ce qui a pu la déclencher. Ça avait l'air d'être cette étreinte première, avant qu'elle ne se mette à dire trop de bêtises abusives.

Elle réfléchit un instant et finit par occuper son dos et poser son menton sur la tête de Cendres. De là, elle a un point de vue vers là où il regarde, la pauvre roche grise autour d'eux. Vue incroyable sur ses cheveux verts avec les paillettes dorées dedans.

"Ça te fait pas peur, l'idée d'être une vieille coquille ?"

Elle babille un peu, en lien avec ce qu'elle a pu imaginer. C'est bien triste, de vivre ainsi. Elle dirait bien pathétique même à voix haute, sauf qu'il ne réagit pas à l'emmerdement idiot. Et si ça lui donne envie de le pousser, elle n'a pas non plus envie de percer l'éventuel cœur qui peut rester au creux de ce corps bien vide.

"Je veux dire, doit bien y avoir des gens qui veulent pas que tu vives comme ça. Que tu finisses comme ça."

Elle poke sa joue.

"Tu veux pas genre essayer pour eux ?"

Si ce n'est pour lui-même.

À quoi bon.
C'est l'apogée de l'apathie et du désintérêt, comme phrase. Tout ce que ça lui inspire pourtant est de peut-être donner une chance de réfléchir sérieusement à cette question. C'est une passion d'enfance qui revient sur le devant de la scène, faire de la psychologie de comptoir. Elle poussera la limite autrement, pas avec cette ligne de pensée, elle ne le fait donc pas forcément pour le persuader... Juste pour la philosophie.

Elle se laisse tomber de son dos et roule assez pour s'écraser, voir son visage et que le sien lui soit visible. Bien qu'elle doute qu'il ne la regarde. Elle déclare juste tout haut.

"C'est vrai ça, à quoi bon ?"

Elle étire une patte au-dessus d'elle.

"Quel avantage ça apporte, hm. En premier je suppose que ça offre la chance de créer des liens, c'est compliqué et douloureux quand ça s'arrête mais aimer est très gratifiant. Forger une amitié et commencer à tout apprendre de quelqu'un et se sentir compris est incomparable : connecter des similitudes est voir avec qui on est sur la meme longueur d'onde est un avantage selon mon point de vue aussi."

Elle se tortille assez pour changer de côté et retourner le corps vers lui, qu'elle ai gagné son attention ou pas. Elle enchaine juste en répondant sincèrement à la question.

"Avoir l'opportunité de perdurer au-delà du temps ! En ayant des enfants ou en s'inscrivant dans l'histoire, c'est un sacré avantage aussi je crois, marquer un monde ? Incroyable. Inventer quelque chose qui peut bénéficier à tous ou même rien qu'à soit, une sacré chose à faire aussi. Se repérer dans les étoiles et explorer, pourquoi pas graver de nouveaux paysages en mémoire."

Si elle réfléchit bien elle peut même dériver ces activités vers autre chose.

"Trouver des hobbys ! Ou en retrouver d'ancien. J'adore jouer avec morceaux d'osselets. Nager, boire de l'alcool, tailler des bijoux, combattre, lire, écrire, danser, chanter, jouer aux cartes, tenir un jardin, hurler à la lune, tant de choses diverses."

Peut-être que dans son apathie il ne va pas voir l'attrait de toutes ces choses. Elle les liste quand même.

"En somme je dirais... trouver des choses qui animent l'esprit. On peut faire ça qu'en étant vivant !"

Elle tend maladroitement un doigt de patte, comme un euréka.

"Et puis, tu perd quoi, à essayer ?"

Rien, il n'y a rien à perdre à essayer, quand on a atteint le fond comme il a l'air d'avoir fait. Mais il faut seulement croire qu'on est capable de remonter pour pouvoir retourner à la surface après.
Eh.

Il parle, il a écouté.

Elle est quand même un peu surprise qu'il lui reconnaisse ses arguments. Plus que ce qui l'a dit cependant, elle elle entends ce qu'il tait. L'exclusion dans ses mots prononcés. Surtout le mais qui traine dans sa gueule qui s'ouvre pour ne rien dire après. Et si elle ne part pas en croisade pour essayer de le persuader, elle n'aime pas quand quelqu'un ne termine pas ce qu'il veut dire.
Le "À quoi bon" avait le mérite d'être assez final.

Elle use de sa maladresse pour planter sa patte dans son museau. Pas une gifle, pas de violence, elle n'inflige pas de douleur avec ce geste. C'est plutôt de l'austérité, qui règne également dans son regard quand elle répond.

"Dis."

Vide, elle peut voir, triste se comprends. Mais lâche qui se dégonfle ? Ça c'est impardonnable. Le manque de communication est un fléau qu'elle ne tolèrera jamais, pas depuis qu'elle a mis un point d'honneur à elle bien le faire.

Un deuil, c'est donc ce qui l'a plongé si bas.
Il n'aura aucune chance de s'attacher à une nouvelle activité tant qu'il aura le désir de les faire avec la personne partie, c'est une évidence. Elle n'a pas encore entendu d'histoire qui relate comment dire aurevoir à quelqu'un, c'est bien dommage. Sinon elle lui aurait peut-être raconté. Il ne reste plus que le bon sens ou la curiosité pour continuer cette maigrelette conversation.

"Ah, je vois d'où tu viens alors."

Elle pose à nouveau sa tête sur une patte.

"Mais je vois aussi où tu vas, comme ça. Et la question c'est, est-ce que t'as vraiment envie de mourir ?"

Ce n'est pas moqueur, elle étale juste le sujet sans aucune once de peur.
Elle a bien faillit y passer dans son accident, elle, ça l'a fait flipper et ne fait que lui donner envie de redoubler ses efforts pendant la thérapie motrice. Il n'y a qu'en frôlant la mort de près ou en réfléchissant à la question peut-être qu'il saura s'il a encore envie de guérir et passer outre l'absence de quiconque "Elle" est, ou s'il veut encore les bras de la mort autour de sa gorge.

Même si elle espère quand même entendre que non, il ne préfèrerait pas. Elle croit en le potentiel de la vie.