La liaison des deux âmes † L'Autre

Miraj a ouvert les yeux quelques instants avant minuit.
Elle n’a point totalement deux ans mais s’y dirige d’une patte décidée, avec la hâte certaine de devenir adulte après avoir trop longtemps été morte-née, trop petit bébé. Elle veut que s’écoule bons nombres de nouveaux jours, tant chaque jour de sa vie de vivante fut porteuse de sa révélation, de cette joie certaine que de l’être, justement! vivante.
Elle prend tant plaisir à l’être et souhaite l’être encore longtemps.

Je te le dois en partie.

L’adolescente sent au creux de sa tête des pensées s’insinuer et des humeurs s’opposer. Sa vue se brouille de deux états et elle oscille entre sommeil et volonté de marcher. Le corps se berce entre les deux âmes.

Tu ne fus jamais aussi éveillé, parent mien.

C’est un sursaut avant notre épilogue.

Ainsi se lève-t-elle et quitte-t-elle la chaleur de son chez-elle.
Elle pose une patte sur la plage, écarte les doigts pour que mieux y passent les onze-milles grains de sable qui s'amoncellent sous chacun de ses pieds.

Ce fut la première chose que je me voulus ressentir.

Ou qu’elle accepta de retenir, le trop petit bébé n’ayant souvenir du sol froid et dur sous son ventre et du sang qui le maculait.
Elle croise sur son passage la première ombre de cette nuit, deux battements d’aile de chauve-souris et fixe la lune à son troisième décan. Elle se remémore son enfance entière qu’elle passa ici, et sa vie qui y continue. Elle se souvient de chaque rencontre, et même du chant de chaque vague.
Quatre s’écrasent sur la plage, à la suite l’une de l’autre dans un enchaînement permanent. Les éléments ici se veulent tous, au-détour de chacun elle se veut être le cinquième.

Combien de temps aurais-je dû passer ici ?

Elle a eu vent de ce que l’on tentait, au loin. Des murmures trop bas pour être entendus, dont elle ne saurait su retracer les dires. Elle ne sait ce que Maman en pense, elle ne sait ce que son Oncle en dit.

Tu es toi aussi resté ici, avec moi, quand tu aurais dû déjà partir. Est-ce tes septs ans de vie qui te tiendrons à moi ce même temps ?

Sur cette plage qu’elle foule pour une énième fois, elle manque un pas.
A-t-elle peur en cet instant, est-ce le doute qui en elle s’immisce ? Elle ressent une tristesse profonde, quelque part ancrée, différente pour une âme et pour l’autre.
L’une se veut attrister du départ de celle qui l’accompagna, de cette voix formatrice, des conseils comme des avis comme des réprimandes qui lui furent donnés.
L’autre se veut être affligé par sa proche extinction, sa fin définitive quand sa mise à mort seule ne sû l ‘être. Elle s’est ravie de passer ce temps en rabiot en compagnie de cette fille qu’iel aurait voulu de son vivant, pourtant adventice de celle-ci.

Elle ne sait pas et iel non plus.
Elle s’est arrêtée de marcher et elle ne veut point pleurer, pourtant les larmes côtoient le coin de chacun de ses yeux et menacent de tracer de longs sillons sur ses joues.
Parce qu’on ne montre ses émotions.
Elle l’exprime, elle le doit.
Parce que ce droit est celui des vivants, que d’ainsi éprouver.
Les deux âmes ne sont d’accord ; pour cela Miraj l’emporte.
Ce ne sont que quelques gouttes

Celles qui le plus débordent

Laisse-moi tarir ses larmes.

Nous ne furent en accord sur tous : sur cela non plus.

Il est vrai, mon enfant.
Pourtant cela fait déjà de toi une âme plus élevée que la mienne.
Il me faut cependant avouer, ma foi, que je ne congratule tous tes choix, comme cette aide que tu portes à ce peuple ennemi qui blessa un jour ma sœur…

Elle devine les sentiments, vagues et diffus, qui s’insinuèrent brièvement au-travers du cœur amer, et qui se voulurent exister tantôt pour une louve, tantôt pour un loup de cette meute.
Et sous les larmes qui cessent, revient un sourire charmant pour ces souvenirs adolescents et les joues qui rosissent pour une telle façon de s’éprendre. Elle pouffe, conquise par ce qui monte en elle.
Le cœur a beaucoup détesté mais il su un peu aimer, ces quelques personnes qui furent de brèves rencontres et qui perturba le quotidien morne et solitaire.
D’une façon, comme d’une autre.

Minuit passe.
Doucement l’âme est conduite à son trépas.

Sa tête est lourde, ses pattes ressentent le vertige et le monde semble se dédoubler, ou bien s’écrouler, elle ne sait plus vraiment. Si elle avait repris sa marche sur les grains de sable, elle se voulait désormais tanguer comme une voile face au vent.
Ce n’est pas la fièvre pourtant qui l'assaille en ce soir qui se transforme en un matin progressif, comme celle qui vint la cueillir aux toutes premières minutes de son premier anniversaire. Si elle aurait dû le décrire… Elle l’aurait dite pareil à une migraine, à ce mal tapant derrière la tempe et s’emparant de la tête toute entière. L’aura est similaire à celle qu’elle ressent quand elle a trop fixé la lumière qu’elle insupporte, la douleur se veut être différente.
Elle résonne, elle frappe, elle tape.
L’on dirait un combat qui résonne entre les deux hémisphères de son cerveau, une bataille qui fait rage entre l’âme et l’autre.

La peur envenime son ventre.


Diantre à quoi bon encore s’opposer.
Miraj laisse glisser ses pattes fines qui tremblent comme par grand vent sur le sable, et dont les mouvements ne s’accorderaient pas même à celle d’une décade danse, regrettant de ne plus disposer de ce don fabuleux qui lui avait tant servi par le passé et lui permirent bien plus que neuf traversées. En huit bonds ou moins, elle aurait rejoint l’endroit où elle se voulait vivre avec Maman, ses sœurs et Hedwige, là où elle menait une parfaite vie de solitaire loin d’être seule. Au lieu de cela, la voici allongée sur le sable.
Un long soupir s’échappe de ses narines et elle dispose sa tête sur ses pattes avants, celle qu’elle tend de façon droite et raide devant elle.
Sur les yeux bleus, souvent les cils blancs s’effondrent en de nombreux clignements. Elle papillonne, un sommeil la guette mais il n’est point de celui qui repose. Elle se sent proche de l’Océan et se rassure de sa présence : elle n’aurait ainsi voulu dormir sans l’écouter, elle y est bien trop attachée.


Au moins les deux âmes s’accordent sur une enfance sur une plage, sur la beauté du sable fin, sur les embruns qui se mêlent à l’effluve d’une mère.
Cela provoque à nouveau un sourire, sur ce visage qui se perturbe selon la prédominance de Miraj ou d’Isrâ, de l’émotion qui l’assaille ou de la discussion qui se dresse.


Elle dresse les oreilles et redresse un peu la tête.
Elle a l’air ensommeillée mais elle ne dort toujours plus.
Elle regarde l’horizon et se brûle les yeux sur le soleil qui y parait.


Le rire est léger et flué, quand les deux âmes se plaisent à se distribuer quelques parties. Elles se plaisent à partager leurs cartes pour en faire jeu commun, conservant tout as, rois et reines pour s’épargner des valets. C’est un moment de partage, un jeu.


Elle a hâte autant qu’iel redoute.
D’iel pourtant le choix n’a plus lieu d’être.

Miraj se pense être prête. Elle s’amuse à penser que leur partage sera équitable et que chaque âme acceptera de laisser ce que l’autre désire le moins en contrepartie de ce qu’elle désire le plus. Ielles avaient ma foi discuter, de leur particulière façon. Ielles avaient joués, à ce qu’ielles deviendraient ensemble : un nouveau tout, portant les qualités et effaçant ce que l’on trouvait défaut des vivant•e•s qu’ielles furent.
Isrâ persiste encore un moment mais sa présence se veut devenir moindre à chaque instant qui passe.
A cette aube, un nouvel avenir se dresse.
Son droit sur ce corps s’efface et iel n’en maîtrise plus rien, quoi que iel n’en avait jamais désiré en maîtriser ne serait-ce qu'un ersatz. De regarder ce monde par ses yeux nouveaux lui avaient suffi, se laissant saisir par tout ce qu’iel échoua à comprendre lorsqu’iel était encore en vie.
Diantre, que la vie lui aurait paru belle, si iel l’avait vécu comme Miraj.
Diantre…
C’est une révélation.
Si les disparitions s’étaient faites si peu nombreuses au cours de sa prime jeunesse, si les événements avaient été triomphants et le regard des autres emplie d’une telle considération à son égard, si iel avait ainsi su faire de telles rencontres et s’y attacher autant que l’on se serait attacher à iel… Sans doute, oui, aurait-iel connu davantage cette notion convoitée de bonheur. A son âme fébrile, se porte l’image que les seuls pleurs de sa fille furent

Son ventre se réchauffe et sa tête s’apaise. Miraj sent un apaisement se répandre en elle.


Toujours, elle regarde l’horizon et toujours, elle se brûle les yeux sur le soleil qui y est.
Ces yeux bleus qui coulent, par la lumière et une dernière émotion.
Miraj se relève et avance jusqu’à l’Océan. Elle y contemple son reflet et la clarté du fond, puis lève ses pattes pour attraper ses cheveux.
Elle les tire vers l’arrière, ne laisse tomber à l’avant que deux longues mèches qui ne suffisent pour autant à cacher ses yeux et son minois. Elle joint celles qui restent toutes ensemble, les serre en un chignon qu’elle maintient d’un élastique trouvé jadis et qu’elle avait laissé à son poignet.
Elle se coiffe dans un automatisme particulier, comme si chaque jour elle avait répété ce geste pour arborer une telle coiffure, comme si cela tenait davantage d’un mécanisme naturel que d’une première fois à demi-réelle.
C’est ainsi qu’elle contemple cette louve aux allures d’Isrâ et aux couleurs de Miraj, elle se plait dans cette image d’elle qui se veut être

Nouvelle



La louve se pense suffisamment préparée, comme elle croit en son Oncle et à ce qu’il lui apportera. Les paroles de Kerguelen lui sont biens revenues mais elle a davantage confiance en celui qui l'a sauver qu'aux dires d'une inconnue.
Elle s'est relevée de sa position, elle s’est redressée sans nul besoin de s’ébrouer pour chasser le sable de son ventre.
Elle a fit quelques pas, comme si elle savait que c’était vers-là
A l’entrée de la forêt
Celle où elle ne s’y rendait quasiment jamais.
Elle a quitté cette plage sienne pour dépasser les palmiers et trouver l’obscurité de la jungle, rendant grâce à ses yeux fatigués par la lumière au-dehors.
Elle s’est avancée
D’une voix, elle a murmurée

« Mon Oncle, nos âmes sont liées et je me veux tenir à cette promesse, qu’était celle de vous prévenir. »

Un sourire s’est tracé sur ses babines

« Aujourd’hui, nous pouvons jouer. »

Nous aurions dû allumer la bougie de notre deuxième année,
Au cas où le jeu en viendrait à s'éterniser.
Celle aux senteurs de terre et de mer,
Nous l'allumerons dès notre retour, la louve n'en sera point amère.

Elle n'a point temps pour se retourner vers l'océan et sa plage, retrouver son gite et le cadeau qui s'y trouve. Celui qui l'attendrait, elle ne manquerait à cette promesse faite à cette louve qui tenaient à Mère comme à sa tante.
Car déjà le voilà ! Son Oncle dont elle susurra le nom et ce qu'il était advenu des deux âmes. Il répond à cet appel d'une imminente façon, se glissant parmi les arbres comme s'il n'attendait que son aveu pour ainsi lui venir.

Quand il jaillit, elle sourit.
D'un sourire qui éclaire ses yeux des particules qui le composent, captivé par la noirceur de son corps qui n'aurait su abimer le regard bleu. Il lui semble aujourd'hui plus grand et charmant qu'à son accoutumée, d'une chaotique élégance et d'un enthousiasme qui se veut contagieux.
Elle passe d'une patte à une autre, en de petits sauts rapides, elle piaffe et s’extasie avec lui, accompagne ses mouvements et son sourire de rires.
Miraj ne cache son émotion et ses sentiments, elle s'exprime car Isrâ n'aura eu droit sur cela.
Elle n'a point le temps de lui demander, à quoi il souhaiter jouer.
Quel était ce jeu !
Il s'approche et ses pattes aux aspects qu'elle ne décerne qu'à lui, l'unique, se posent sur son visage. Il s'empare de ses joues et elle sent son petit cœur de vivante battre contre sa poitrine, quand elle aurait pu se blottir tout contre sa grandiose personne.



Le temps se fond un instant sur son visage maigre, les couleurs qu'elle percevait hier encore dans leur exactitude perdent en densité.
Son Atoll se mue comme si Emilitia, soudain, avait posée une patte immense sur celle-ci pour la faire flétrir sous sa nécrose.

Nous savons...

Que pourtant ce n'est point elle, et
Miraj prend vive bouffée d'air quand s'achève la transition. Celle-ci est profonde, elle gonfle ses poumons jusqu'à menacer de les faire céder. C'est comme le souffle après la noyade.
Elle sait.
Elle sent.

Elle y a passée quatre ans quand de deux années seulement se composaient sa petite vie.
Jamais ô jamais, pourtant
Comment aurait-elle pu, l'enfant d'une minute de vie qui y avait passé ses quatre ans ? Sur la pointe des pattes elle danse parmi les spectres, pour ne point effleurer ceux qui installe le froid sur ses pattes. Elle tourne sur elle-même, regarde toute autour d'elle.

Ces filaments et ces restes de morts bels et biens morts,
loin des vivants déjà morts.
Ces lumières, rares, qui ne peuvent l'abimer.
Ces êtres. Puisse-t-on seulement les nommer ainsi.


Elle le suit et à nouveau sourit, effaçant l'air grave qu'elle prit lors de cette contemplation.

« Mon Oncle, je ne vous pensais capable de m'offrir tel voyage ! »

Cela lui soutire un rire fluet, alors qu'elle déambule la queue levée
Fière, si fière
D'être à ses côtés.
Elle lui parle, comme elle aurait parlé à Mère.

« Je vous trouve allure plus fabuleuse que les autres jours, est-ce pour le jeu que vous vous êtes ainsi paré ? »

Cela va être amusant !
Elle le sent.

Notre Oncle se pare de quelques allures enfantines, n'en est-il point plus amusant encore ? Il nous fait tant rire.

Un sourire se dresse sur ses babines et elle souffle doucement par le museau, suivant les cabrioles et les mouvements fantasques de son Oncle. Elle accélère parfois l'allure pour se mettre à égal niveau, de ses pattes frêles qui engloutissent en de longues foulées les distances qu'il parcoure. Elle ne cesse d'observer les environs familiers, écartant les doigts pour mieux sentir le sol sous ses pattes. La texture lui rappelait presque les plantes corrompues que la Dame Noire laissait en son sillage, et cela la fait sourire davantage.
Elle est cependant contrainte de tourner la tête lorsque son Oncle s'en vient la lui saisir, ses joues dans ses doigts longs. Sur lui, elle accorde toute attention, le cœur palpitant d'affection.

Nous entendons, que c'est grâce à nous !

Elle se réjouit en trépignant de cette aide portée à celui qu'elle aime tant.

« Ainsi, votre rêve est réalisé, mon Oncle ? D'avoir contribué à sa réalisation est un plaisir que je ne saurais vous cacher. A votre égard, ma gratitude est grande ! »

Nous ne pouvons oublier ce qu'il a fait pour nous : il nous a permit de vivre.

Elle glousse et elle piaille, levant ses pattes avants pour les poser contre les mains enserrant son visage.
« Je serais r a v i e de tous vous les nommer, au mieux vous les décrire lorsque leur nom m'est ignoré. »

Ainsi il la lâche et elle repose au sol ses pattes, reprenant une marche digne et noble sur ce royaume qu'elle faisait un peu plus sien à chacun de ses pattes. Il la voyait comme grande connaisseuse de ce lieu et elle tenait à cette image, s'accaparant un rôle de guide pour celui venu pour visiter.
Ses yeux cherchent parmi les ombres, détaillant les formes et les silhouettes. Ce n'est point la mémoire de la petite vie qui se voulait ici trouver usage, mais celle issue de l'âme plus âgée et de ses moult rencontres.
Il y a les liens filiaux, ceux moins salubres que celles de la petite vie.

« Voici d'abord Akira, la sœur devenue enfant noyée. Puis père, Gloriel, parti bien avant mère, Anianka. »

Les deux ne se côtoient pas même d'un regard, l’intérêt pour l'enfant noyée au corps gonflé reste commun. De sa famille, elle ne reconnait qu’eux : le loup noir du cauchemar n’est point présent, point encore.
Miraj foule davantage le chemin de la mort, sur lequel elle retrace les rencontres.
Certaines furent écliptiques, quelques regards que l'on accroche. Les souvenirs sont issus d'une enfance au sein de la meute Lazulis, tous ces morts furent de cette meute.

« Il y a tous les morts d'une meute morte... »

Ainsi elle désigne et identifie Serket-Beatriz, Méluciole, Absalon, Quartz, qu’Isrâ vit sans connaître. A l’exception de Leikn, qu’iel côtoya en herboriste et qu’iel connaît de ce fait un peu plus, sans l’apprécier.

« ...Ceux qui ne furent que de bref passage dans une de nos vies… »

Elle identifie Iolite. Un peu plus loin, celle qu’elle croisa, du moins iel, lorsqu’en groupe ils allèrent reprendre la sœur volée, plutôt perdue : Anette, alpha Etelkrus, en présence d’une louve petite aux oreilles évidées et d’une louve chauve-souris, qu’elle ne connaît point mais qu’elle mentionne puisqu’elle raccroche pour l’une à une parenté avec ce loup qui partagea quelques brides mêlés d’un rêve, pour l’autre à Neiter sa soeur à qui elle ressemble davantage que ses autres soeurs.
Puis elle poursuit cette analyse, avant que ses fines épaules ne s’abaissent et qu’elle ne se stoppe.

« Voici Exxus, celui qui imposa mon existence dans les entrailles de mon parent. Iel que je ne retrouve ici… »

Car nous sommes iel, nous le savons.

« Tout comme je ne relève que l’absence de cette poupée de solitude, Lewis. »
Elle participa elle aussi au rituel et pourtant n’existe point ici. Peut-être eût-elle droit à une renaissance, ou bien… Miraj se fige et soudain se questionne, à propos de sa petite vie

Qu’adviendra-t-il de nous ?

Elle se tourne vers son Oncle.

« Mon Oncle, reviendrais-je ici après ma petite vie ? »

La vie est courte quand ici existe l’éternité. Sur le chemin, elle s’est arrêtée.
Elle ne veut point se perdre.

Loin fut ce temps où, enfant, il lui dit avoir un rêve.

Comme nos années se sont multipliées, ses ambitions se sont décuplées.

N'est-elle point plus ravie ? Oh, qu'elle s'en réjouit, oui ! Son Oncle méritait toute puissance et consécration, il fallait que l'on vienne à le vénérer pour ce qu'il était comme ce qu'il faisait. Elle croyait en ses capacités et à la réussite de ses projets.
Elle croyait en lui.
Et pour cela comme pour l'affection qu'elle lui portait, voguer ainsi à ses côtés se voulait être une fierté.

Devant l'échantillon reconnu de la myriade de morts ici présents, son Oncle s'emballe, fait quelques débandades, danse à sa façon puis toujours revient à ses abords. De savoir qu'elle fait sa joie la contente et augmente le tempo de son cœur, il tambourine dans sa poitrine aussi prestement que si elle s'était présenté aux côtés de son cher mari. Sa longue queue sinue derrière elle, elle se tourne et se retourne pour ne guère perdre une miette de ce qu'il lui présente ici.

Nous confiera-t-il ce qu'il sait, pour le parent et la poupée oubliée, pour notre petite vie ?

Dans la mélodie emballée de son palpitant, il se sème quelques croches malvenues. Il s'est rapproché, triture l'air plus que ses cheveux et ce manque de contact l'effraie presque autant que les mots escomptés.
Enfin ! Il dit.
Le parent et la poupée oubliée n'avaient plus d'âme désormais. Dissipé dans des limbes inconnues, ou plutôt dans une non-existence... Elle, à leur place, se tenait en ce monde.

Et nous menons notre petite vie sans solitude.

Miraj ne finirait comme ielles, sans savoir comment elle finirait puisque même l'Oncle ne saurait répondre. Elle hoquète, dans une petite inspiration triste et discrète, une inquiétude légère aux fonds des yeux bleus. D'un pas elle vient frôler son Oncle, juste avant qu'il ne bondisse.

« Je l'espère, oui. »

Qu'elle puisse ici le revoir, lorsqu'elle aura achever sa petite vie. Celle qu'elle devrait de rendre plus grandiose encore ! Si ici, elle ne pourrait point prétendre. C'est alors de chaque âme croisée et aimée qu'elle se devrait de profiter, à n'en plus finir, c'est alors de chaque occasion de briller, qu'elle se devrait de saisir. Elle se devait de se porter plus haut encore, elle dont le nom comme le surnom défilait sur le bout des gueules, tant avec hostilité qu'avec inquiétude.

Plus qu'une louve, nous deviendrons une légende.

Un souffle profond emplit ses poumons et l'air triste s'en veut retrouver pleine détermination.
L'on aurait pu dire d'elle qu'elle aurait faite formidable disciple de la dragonne.
C'est au titre de prêtresse du Chaos, qu'elle se voulait ma foi prétendre.

Miraj porte à sa gueule une patte, masquant un rire bref et charmant quand survint la proposition. Ses yeux se plissent et s'égaillent, c'est amusant.

« J'en dis que de tous les sortir aurait été plus amusant, mais qu'un pour commencer suffira. »
Elle achève de glousser, tourne un doigt et lève les yeux au ciel d'encre.
« Il me faut vous dire que deux d'entre eux me semble être plus intéressants que d'autres.
Il y a elle, Anette, pour prouver aux Etelkrus votre supériorité en leur offrant aperçu de vos capacités. Une telle revenue les bousculerait ! Mais... Mais je crains que le jeu ne soit guère amusant bien longtemps, et que leur hostilité ne me devienne problématique. »
Elle roule des yeux, avant de se fixer sur un second choix. C'est un choix d'enfant :
« Puis il y a Exxus, mon père qui bafoua une moitié d'âme. C'est par son pouvoir que je pris vie comme je perdis celle-ci... Ma foi ! Je veux à mon tour lui donner et lui reprendre, s'il venait à ne point me reconnaitre comme sa lumineuse. Oh ! Oui ! Ce serait amusant, vous ne trouvez pas ? »

Elle s'enthousiasme pour cette référence à sa propre histoire, basculant sur son train arrière pour taper deux fois dans ses pattes. Elle voulait ramener ce Roi, ce fragment de son sang, elle voulait qu'il la découvre et la reconnaisse supérieure. Elle voulait avoir capacité d'influer sur son propre géniteur, comme lui avait eu influence sur l'autre âme comme sur elle.
Diantre !
Pourvue que son Oncle accepte !

Diantre ! Son Oncle avait donc eu de précédentes créations, il existait depuis bien plus longtemps qu'elle. La curiosité brûle le bout de ses babines, Miraj veut lui demander comment est celle-ci, et espère farouchement qu'elle ne lui est point préférée.
Ne perdons point de temps à l'imagination, elle se veut davantage recentrée sur le moment concret. Ses yeux bleus ne quittent la forme erratique, une moitié d'elle qu'elle n'imagine n'être la meilleure partie. Plus encore ! Quand son Oncle le considère peu amusant, elle roule des yeux dans une attitude contrariée... Mais l'enthousiasme bien vite lui revient, lorsqu'il pense qu'il pourrait bien plus le devenir.

Il aurait été dommage qu'il ne le soit, bien qu'au fond ne le savons nous pas ?

Il y a pour lui autant de méprise que de curiosité.
Miraj n'est point fixée.

Proche de son Oncle, le regard se rive sur lui.
Qui s'empare, autant de son père mort que d'elle ! De violet et de tourbillons, son monde se dédouble et le flou occupe ses sens.

Sous notre corps, le sable froid de notre Royaume.

Elle frémit à son contact, et la reine sur ces terres revenues se relève avec grâce et splendeur. Elle n'a besoin que de s'ébrouer, pour que d'un don bien acquis, elle chasse le moindre grain et la moindre mèche folle pour paraitre des plus impeccables.
Ainsi se dresse-t-elle devant celui qui, aux premiers abords, lui parait bien misérable et pathétique. L'on aurait dit chose aussi faible que le ver qu'elle vint logé au creux de son oreille, jadis, en compagnie de la Dame Noire.
C'est d'abord la méprise qui prédomine. Celle de l'autre âme, trahie à maintes reprises. Par l'aboutissement imprévu d'une charnelle relation, par les mots soufflés à Mère, par la mère qu'iel n'obtint pour prouver toute sa force à cette dernière. Les yeux jauge le corps insignifiant, dans un état à mille lieu du sien pourtant si faible.

Au moins était-elle belle et bien portante.
Un regard complice se porte sur le visage de son Oncle.
Puis toute l'attention s'en détourne pour revenir sur son père...
C'est enfin la curiosité qui lui vint. Celle dont dispose Miraj et qui éclate lorsqu'il lui parle, en même temps que jaillit un sourire ravissant sur ses babines. Le sourire n'efface la froide fureur qui dort au fond des yeux bleus, mais ainsi le visage parait sans hostilité.

« Je préfère le terme grandiose à celui de brave.»

De quelques pas légers, qui à peine marque la plane surface, la louve s'approche de lui. Elle se stoppe et redresse sa queue, la laisse lourdement tomber sur le bas de son dos alors que le cou est tendu pour mieux venir le frôler.

« C'est donc à cela que vous ressemblez, mon père... Je ne vous imaginais point si frêle, vous allez prendre froid ! »

De ses épaules, elle retire la cape noire pour la glisser sur les siennes.
Son Oncle le dit Roi...
Elle ne reconnait que son amour à cette place.
Soutenant sa fine gueule d'une patte, elle tarda sur lui un regard attentif, dans l'attente de quelques remerciements pour cette charmante attention et, puisque rien ne pouvait être trop beau pour elle, d'une initiative ma foi amusante qui ne devrait se faire attendre.

Il est de ceux qui apprennent vite et savent se plier à ses quelques exigences, portant sur le bout de ses babines le terme de grandiose préféré à tout autre. Ses longs cils tombent en un clignement sur ses yeux bleus, elle porte à son menton sa patte pour mieux soutenir sa tête et ainsi l’observe, belle et attentive.

Son regard ne se lève que lorsque son Oncle s'en vient à ses abords, survolant le Père pour mieux revenir près d'elle. Sa longue queue s'enroule autour d'une patte chimérique, lorsqu'elle lui coule vers lui minois affectif.
Ainsi donc ! Oncle et Père, déjà, se connaissait. Fusse pour cela que son Oncle vint ainsi la secourir d'une inexistence certaine, puis d'une mort probable ?
Ils n'ont l'air de vieux amis, au plus, de vagues connaissances.

Les yeux sont de courroux fait, quand le père veut nommer son Oncle invocation.
Il n'aurait su n'être que ça, pour cela s'en vient un peu plus proche de lui. Indéniablement, Miraj aimait son Oncle, quand le père était soupçon de curiosité, de frustration, d'ersatz d'haine froide et d'envie de reconnaissance.


Le sourire s'érige, léger sur ses babines. Il y a des questions qui lui viennent, une déception qu'elle doit à demi-mot avouer.

« Si mon Oncle ne fut oublié... J'espère que je ne le fus point non plus. Il me faut demander, mon père, l'exploit que vous me préférez, autre qu'est celui de votre revenu. De Là-Haut, vous avez bien eu le temps de me regarder, à défaut d'avoir visité Isrâ pour prendre connaissance de mon état. »

Après l'acte de gratuite gentillesse, qu'était celui de le parer de ce qui lui tiendrait un peu plus chaud, revenait l'épine de la rose.
Sa patte se pose avec délicatesse sur la peau sombre de son Oncle, à qui elle sourit bien plus grandement :

« Oh ! Nous devrions aussi jouer, Mon Oncle ! Il me tarde que nous nous amusiez tous ensemble. »

Miraj dodeline de la tête, mêlant sur son crâne les mèches blanches à celles écarlates, puis les écarlates mèches aux blanches autres. Ses yeux scrutent le visage du géniteur, comme si elle y aurait cherché quelconque véracité aux propos tenus là.

Nous étions là. Il est vrai que perfide était l'être qui lui ôta la vie...
Il parle si bien de lui.

La pensée s'étire en un sourire sur le coin de ses lèvres, elle plisse les yeux et lui offre en réponse un air ravissant. Argumenter quant au fait que, plutôt que d'assumer, il avait préféré se tuer (goujat!) n'aurait été point amusant en un tel moment. Ainsi s'abstient-elle, sans oublier pour autant !
Il aurait, ma foi, était dommage d'ainsi ternir un si bel anniversaire, alors que se jouait la musique de son violon tenu par son Oncle, formant ensemble un délicieux assemblage dont ses oreilles autant que ses yeux prenaient plaisir à savourer.
Elle attrape la patte du père et se laisse porter en une valse,
se laissant bercer par l'effluve de framboise et d'épice.

Ce n'est point sans nous rappeler... Nous !
Il ne peut s'agir là qu'hommage supplémentaire en notre personne.

« Volontiers, Père ! »

Elle tourne sur elle-même,
Il l'accompagne, un instant
Élégante, elle étire un autre pas
Et lui se gratte, gratte, gratte
C'est répugnant !

La moue amusée se plisse en une expression de dégoût, alors qu'elle se recule prestement et porte à son cœur une patte offensée. Le regard se fit inquisiteur, elle le jauge et au fond

Nous le savions

Que la curiosité de l'enfant s'étendrait bien vite au profit des connaissances de l'adulte, que l'enfant et l'adulte réuni ne saurait apprécier tel cancrelat. Un Roi bien loin du sien, son Ibéris aux manières régaliennes et aux attentions sincères...
Et c'est la nausée qui la prend aussi, quand il crache un noir mucus. Elle papillonne de ses longs cils et tourne un peu la tête, n'ayant guère plus envie de danser proche de lui.

Et alors qu'elle s'apprête à protester, tant auprès de lui que de son Oncle...
Il faut qu'elle surprenne son père en pleine course vers celui-ci.
Son cher, son si cher Oncle !
La bouche décousue sur ses crocs, l'air d'une bête affamée prête à les planter.

Nous ne pouvons le laisser ainsi agir, car
Personne
PERSONNE
Personne
ne touche à notre Oncle.

La lame noire aux reflets mauves irisées a trouvé place en sa gueule, retirée de l'arrière de son collier, et son corps se soumet au reflex d'une partie d'âme qui mania souvent une arme.
C'est une colère piquante qui soulève ses babines et serre ses dents sur le maintien aux centre de l'acier, c'est des yeux qu'elle écarquille et dont les pupilles se dilatent sous le venin qui monte en elle.
Miraj est furie.
Et dans son dos elle surgit en un bond venue à la suite d'une course acharnée pour le rattraper,
Décidée à le planter.

Mon Oncle, nous reprendrons quiconque osera vous considérer comme un monstre, comme nous abattrons quiconque souhaitera vous atteindre.
Nous vous le promettons, et ici
Nous vous le prouverons.

A son saut et à sa volonté de planter en son dos l'arme acérée, succède un atterrissage sans que ne jaillisse une moindre goutte de sang. Elle a cessé de vouloir le mettre à mort lorsque son Oncle le figea, dressant sur lui des yeux attentifs qui dévorait tant l'image de cet instant que son Oncle surpuissant. Il aurait pu lui ordonner qu'elle se serait exécuter.
Au lieu de cela, c'est lui qui lui fit payer son méfait.
Sa longue queue ondule et elle l'observe changer pour cette sublime apparence (la considérer divine aurait été l'insulter, tant les dieux étaient à rejeter). Et c'est la vertu de sa lame qu'il emprunte
Tranchant il devient.
C'est lui tout entier qui transperça ce goujat de père, ce père (diantre ! il ne méritait pas même ce nom) qui n'eut pour elle qu'une attention maigre et voulut s'en prendre à son Oncle, et c'est sans une once de pitié qu'elle dévisage ce corps qui s'échoue sur le sol et semble dépourvue de toute vie.

Remerciant d'un regard chaleureux d'avoir été épargné de toucher celui qui s'était mué en être répugnant, elle se rapproche de son Oncle dans une foulée enjouée, tournant autour de sa personne, lui adressant milles affections de ses yeux scintillants de bonheur. Elle n'a plus de considération pour celui qui se fait ainsi absorbée par la substance étrange, bienheureuse seulement d'avoir récupérée la cape qu'elle lui avait prêtée lorsque celle-ci s'échoua et qu'il lui faudrait désormais laver de son odeur.
Le ciel au-dessus d'eux se veut pourtant lui voler un instant son attention, alors qu'il s'y masse les nuages épais et opaques de ce qu'elle prétend être orage.
Sa bouche s'entrouvre et son sourire s'étend, devant leur rapidité à s'étendre.
Elle fait tomber à moitié ses paupières sur les iris bleues et s’attend à une pluie soudaine comme à un grondement imposant.

Pourtant, sans bruit, les éclairs mauves parsèment ce noir ciel.
Et l'eau ne vient nettoyer son Royaume.

Aux côtés de son Oncle, qui entreprit de faire partir d'ici ce père qu'elle déshérita de sa généalogie, tant il était décevant de descendre d'un tel pleutre quand bien même il n'y aurait eu autre loup capable de faire enfanter Isrâ, elle profita un instant de tel spectacle. Et si ses yeux tourbillons paraissent plus immenses et lumineux qu'à leur habitude, les siennes revêtent les traces de l'épuisement.
Aux paroles elle murmure, frôlant son corps long et fin avant qu'il ne prétende à une ascension vers les cieux.

« Portez-moi ce que vous y trouverez, Mon Oncle, et surtout, oh ! Surtout ! Prenez soin de vous. »

Elle respire les odeurs qu'il dissémine en son passage et qui ici persisteront, alors que tremble ses frêles pattes. Lorsqu'il devient un point à peine reconnaissable parmi le tonnerre, elle se détourne de cette vue et s'en va prendre son violon porteur des couleurs de son Oncle, qui lui plait plus encore.
L'énergie dont elle dispose ne lui permet cependant d'y faire glisser l'archer, et elle prit rapidement la décision de rentrer chez elle pour y trouver le repos.
Avant qu'elle ne se laisse gagner par le sommeil, elle prit soin d'allumer la bougie léguée par la louve Nakhus venu ici.

Ainsi s'endormit-elle, au milieu des peaux et des odeurs de sauge.