Le départ du lion blanc - Anita

Elle entendit avant de la voir l’approche de sa consoeur, dont l’odeur se détacha des fragrances habituelles du lieu. Tout comme ses enfants, Holly ne venait pas beaucoup ici. De ce qu’elle en savait, il n’était pas impossible que la dernière fois remonte à ce jour où elle l’emmena pour la défier au volcan de vase, peu de temps avant de se faire emporter par un dinosaure volant.
Quelque chose lui disait donc que si elle s’aventurait sur son territoire plutôt que d’attendre son retour au Castel, c’est que son amie avait quelque chose à lui dire.
Aussi descendit -elle de l’arbre dans lequel elle s’était allongée pour regagner la terre d’un bond souple, là où Holly la verrait sans avoir besoin de chercher.

Un sourire vint sur ses babines en la voyant enfin apparaître, mais il s’effaça l’instant d’après à la vue de son visage perturbé.

Elle n’eut pas besoin de poser de question : la réponse vint directement de la gueule de sa consoeur, sans détour.

Les oreilles d’Anita tombèrent vers l’arrière et chez elle aussi les traits se froncèrent d’un certain chagrin. Elle avait apprécié le peu qu’elle avait vu de l’Oracle, et l’expression de Holly trahissait que contre toute attente au vu de sa première impression à son égard, elle avait aussi aimé ce qui était ressorti de sa rencontre avec Ajani.

—  Oh… Je ne pensais pas que…

Que les Raeders cherchaient à se libérer ? Que l’alliance entre les Nakhus et les Raeders avait des racines si profondes ?
Qu’Ajani irait jusqu’à sacrifier sa vie pour eux ?
Ce dernier point… Si, elle pouvait s’en douter. Cette force et cet engagement altruiste envers les autres émanaient de lui et de ces discours - et il venait de prouver par son acte et sa mort qu’il ne s’agissait pas que de paroles.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Elle qui ne possédait pas ce lien du Cauchemar, elle ne savait pas à quel point Holly avait une vision claire des événements.

L'information sur le détail de son trépas la fit frissonner avec une horreur à peine dissimulée. Dévoré.

—  C'est horrible.

Surtout pour un Nakhu dont la vie était réglée par des espoirs de paix, dont le chemin devait les amener à profiter d'une mort douce entourée de leur grande famille.
Mais elle imagina sans mal que ce sacrifice fut un choix éclairé de la part de l'Oracle, et qu'il n'avait pas du accorder son soutien à la légère. Sans doute le combat des Raeders avait-il été honorable pour qu'un chef s'y dévoue autant - à moins qu'il ne s'agisse que d'une affection dont il ne put jamais se détacher pour ce groupe qui était une partie de sa vie.
Même dans ce cas, elle pouvait comprendre cette volonté de se mettre en danger pour les libérer. Mais de quoi ? La question restait ouverte, et Holly ne semblait pas pouvoir creuser plus loin.

De quoi qu'il s'agisse, ce ne pouvait pas être une mauvaise chose pour le Continent si les Nakhus avaient apporté leur soutien. Elle souhaitait que son sacrifice n'ait pas été vain.
Elle fronça les sourcils.

— J'espère que le monstre qui l'a tué n'est pas encore en liberté.

Quelques souvenirs brouillés du Nord, du combat contre le mosasaure où elle avait failli être victime du même sort, lui revinrent.
Mais Anita secoua le museau pour les chasser et releva un regard intense dans les yeux de son amie.

— Il faut aller leur offrir nos condoléances et lui rendre hommage.

Ne pas le faire n'était pas une option.

Que toutes deux s'y rendent ensemble lui paraissait en effet idéal - et elle était heureuse que sa consœur soit du même avis.
Anita se déplaça de sorte à s'asseoir à côté de Holly et posa son épaule contre la sienne, s'appuyant dans ce contact.

Se rassurant de sa présence après la sombre annonce.

La mort brutale de l'Oracle leur rappelait que malgré les pertes réduites qu'ils avaient à essuyer, malgré la chance qu'ils avaient eu à affronter de terribles créatures au Nord qui avaient la capacité de les tuer d'un coup de mâchoires et à ne s'en tirer qu'avec de vilaines blessures à part quelques cas isolés de loups partis en solitaires contre cette menace... Ils n'étaient pas invulnérables. Leurs Dieux avaient beau les soutenir, l'union avait beau faire la force, un chef avait été vaincu par une autre force de la nature. Ajani n'avait pas été seul, après tout, elle imaginait bien que tous les Raeders même s'ils étaient moins nombreux que les Etelkrus ou les Nakhus s'étaient unis dans ce combat.
Et si un jour, c'était l'une d'elles qui disparaissait ainsi en voulant protéger d'autres ?

Ou l'un de leurs proches ?

Anita relâcha un soupir.

—  Il faudrait trouver quelques cadeaux pour sa meute et sa famille, ou une façon de rappeler sa mémoire.

Elle baissa le museau, en réflexion.

— Les couleurs le représentant le mieux sont le blanc et le violet. On peut constituer un bouquet avec ces teintes et l'agrémenter d'autres éléments, peut-être même se faire des peintures ? Avec de la craie on peut faire des tracés en blanc, enfin... Il faudra trouver quelque chose pour faire du violet sur toi.

Un petit sourire ne put s'empêcher de venir étirer ses lèvres. De la craie sur Holly ne se verrait pas beaucoup.

— Ou bien c'est peut-être trop ?...

Elle ne savait pas trop comment rendre cet hommage à la fois sobre et sincère.

Ah, bon.
Elle ne tenta pas de défendre son idée de peintures corporelles. Anita avait parfois un sens du spectacle peut-être un peu exagéré et si Holly jugeait que c'était de trop elle lui fit confiance avant de laisser son regard améthyste glisser vers les fleurs qui naissaient à ses pattes.
Un petit sourire releva le coin de ses lèvres et elle regarda la fleur pousser et se développer à toute vitesse sans avoir besoin d'attendre que la nature fasse son œuvre. Elle avait un peu oublié que son amie avait cette faculté, et cela faciliterait les choses pour créer le bouquet, elle qui pensait devoir parcourir les terres à la recherche de plantes ayant survécu à l'hiver.

—  Je connais pas bien les noms. Tant que c'est blanc et violet, un peu n'importe quoi ira, non ?

Elle n'était pas experte en significations florales. Et elle ne pensait pas qu'il puisse y avoir des fleurs qui risqueraient de troubler leur message, du type guerre ou trahison et mépris.
Il n'y avait pas de fleur négative, si ? A l'exception des rafflésias, des chardons et de celles qui dégageaient des parfums nauséabonds peut-être, mais ça leur laissait un panel assez large pour le reste.

— Pourquoi pas des bruyères par exemple ? Il y a plein de couleurs et c'est assez neutre.

Sauvage tout en étant appréciable au regard.
Curieuse, elle ramena son regard sur les pattes de Holly.

— Comment ça marche ? Tu dois penser à un nom précis pour les faire apparaître, ou imaginer l'apparence ou... l'idée dans ta tête suffit ?

La première option obligeait à s'y connaître beaucoup.