[Séléné et Anita] L'aube

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Un réveil un peu irréel, une aube enchanteresse pour nimber le monde de lueur rosée.
Séléné à cette couleur accordée, chemine déjà, cahin-caha.

Cette marche déterminée n'est point un hasard, elle a quelqu'un à aller retrouver. Le fil qui la tire est celui d'une rencontre inattendue, une verve idéale et des yeux pétillants. Des contacts qu'elle égrainait sans attachement ont finalement fait germer dans sa tête de l'affection. Quelle drôle de situation !

Il y a tant à construire et à explorer, de ce nouveau sentiment qui s'est mis à tournoyer.
Une histoire à vivre plutôt qu'à entendre, voilà ce qui presse Séléné.

Les pas désordonnés aplatissent quelques herbes claires, il n'y a pas de fatigue qui tienne. Elle la sait présente là, dans cette drôle de clairière qu'elle ne reconnait pas tant si ce n'est pour l'endroit où elle l'a déjà vu plusieurs fois. Parmi les rayons du matin, le charbon de son visage éclairé de ceux-là, Séléné l'aperçoit.

"Ah, Anita," soupire-t-elle.

Tout près, elle vient, penche la tête sans comédie aucune.

"Je voulais te surprendre en arrivant première. Dommage."

Elle n'attendit pas l'aube pour prendre la voie des airs, s'élever pour côtoyer les étoiles qui désormais lui évoquaient une toute autre beauté.
Si Anita était déjà coutumière de ces éveils nocturnes qui l'amenaient souvent à ne pas toujours voir les premiers rayons du soleil mais plutôt ceux qui mourraient encore de la lune pour débuter ses journées, elle se prit à se demander si ces derniers temps, ces précoces émergences n'étaient pas motivées par quelque chose de plus.
De plus qu'un simple hasard, de plus qu'un rythme à demi-nocturne sans doute hérité de sa part chauve-souris.
Quand elle se levait une impatience certaine habitait ses entrailles et un sentiment prenant, addictif culminait sur tous les autres.

Et la certitude de savoir que d'ici quelques heures elles se retrouveraient faisait fleurir et éclore ce mélange dans une passion grandiose qui n'avait pour inconvénient que d'occulter ce que son quotidien avait de plus banal.
Mais le voile plus terne que cette aventure jetait sur le reste du monde n'en rendait que le cœur plus étincelant.

Cette clairière qui a vu naître cette histoire lui est maintenant une seconde demeure, un écrin précieux qui n'appartient qu'à elles. Heureuse d'y être rendue juste à temps pour voir percer cette aube elle se devait désormais de patienter malgré les picotements qui parcouraient son corps et le sourire qui déjà tirait haut ses pommettes.
Enfin elle la vit paraître et fut, une fois encore, subjuguée par l'apparition irréelle qu'elle incarnait.
Sans être véritable esthète, Anita se savait apprécier le beau. Elle se plaisait à poser le regard sur d'élégants objets ou créatures et des paysages bien composés, aimait aussi le ciel quand il se parait des teintes chatoyantes de l'aurore ou du crépuscule ; plus encore quand s'allumaient sur la toile indigo des millions de lueurs.

Par un certain miracle elle rassemblait tout cela à la fois, Séléné.

Et de son pelage changeant au gré de l'heure et du temps comme de tout le reste qui la constituait, elle ne pensait pas être capable de se lasser un jour.

L'approche de la belle combla un peu cette grisante impatience, mais ne calma pas sa faim dévorante. Alors d'une patte qui s'enroula autour de l'encolure blanche Anita attira la louve un peu plus contre elle, dévoilant le bout de ses crocs dans son sourire taquin.

— Tu peux encore me surprendre de bien d'autres manières.

Sa longue queue brossa l'herbe humide de rosée.

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La dame l'attire contre elle, et Séléné s'amuse de sa réponse.
Les taquineries est le langage de base qui les a réunies, celui que parle Séléné au quotidien, même avec des connaissances amicales comme Prudence. Elle s'étale un peu plus contre Anita, pavanée dans sa plus belle position et pour s'engorger de la chaleur d'un corps, ce genre de langue elle sait aussi user avec les gens moins importants.

"Vois-tu, j'avais justement une pensée peut-être surprenante."

C'est puis-ce qu'elle fait toutes ces autres choses avec tout le monde que Séléné injectee un peu de sérieux dans sa voix. Elle veut distinguer cette base de jeu et l'élever.  Elle continue sans trop d'hésitation, Séléné n'est pas de ces gens là.

"J'ai lu une histoire un jour, celle d'une princesse intelligente qui charma un roi avec milles histoires. Elle m'a inspirée. J'aime être cette louve cultivée, qui divertie les esseulés."

Elle se roule assez pour couvrir Anita cette fois, et jouer avec ses cheveux.
C'est dans ses yeux que se trouve l'éclat de prudence face au sujet qu'elle va ouvrir. Pas de gravité, néanmoins, tout se doit de rester léger. Une simple conscience de ce qui peut se passer.

"Mais je crois que je suis un peu moins seule, dans tes bras." Elle marque une pause. "J'aimerais je crois ne pas abandonner ma voie... tout en explorant cela."

Elle pense qu'elle peut le concilier, elle n'a jamais donné son cœur.
Mais Anita pourrait-elle l'envisager ? La question était à poser.

En accueillant tout contre elle le corps sublime au pelage doux, Anita fit mine de hausser grand ses sourcils et ouvrit la bouche sur un son étonné.

—  Ah ?

Pour cette pensée elle se fit toute ouïe. L'hybride nota sans mal la légère inflexion de sa voix, celle qui atténua quelques notes de mélodie pour ramener ses paroles à un fil qu'il fallut suivre avec un peu plus d'attention que d'amusement. Son histoire l'intrigua et lui plut, elle s'en délecta autant que de chacun de ces mots bien formés que Séléné avait le don de savoir assembler. Et quand cette dernière se roula pour venir jouer avec ses mèches du bout des griffes, Anita ne put que répondre à l'invitation de ces contacts dont elle était avide par l'un des siens. Son museau alla s'enfouir dans quelques longs poils, pelage et cheveux mêlés, sa longue queue se resserra pour entourer leurs deux corps proches.
A l’aveu de leur lien elle sentit un peu plus de chaleur la gagner et elle y répondit d'un sourire mi-complice mi-victorieux, que d'avoir conquis cette merveille. Puis les yeux d'améthyste plongés dans ceux d'aigue-marine, elle attendit la note finale.

Et marqua un certain suspense, d'un visage qu'elle garda fermé plusieurs secondes après la conclusion.

Avant de se décontracter d'un énième sourire, incapable de garder plus longtemps ce sérieux forcé.

— Loin de moi l'idée de vouloir te retirer ta liberté, belle princesse.

Elle souffla dans ses cheveux.
A vrai dire, pouvait-elle poser l'idée qu'elle-même se sentait soulagée de cette confidence et de cette envie ?
Il s'agissait-là d'une question qu'elle n'avait pas abordé dans cette idylle naissante, dans cette relation qui les unissait sans pour autant y poser les notions d'amour ou de couple. Il y avait des choses qui l'effrayaient dans la dernière des deux, pour ce qu'il y avait d'exclusif et qui pouvait détruire - elle en avait été témoin et en avait conclu que l'amour, aussi vaste et puissant qu'il était, pouvait devenir prison sous certaines conditions.
Ce n'était quelque chose qu'elle ne désirait ni pour elle-même, ni pour la sublime créature à son flanc.

D'autant qu'Anita aussi avait appris à s'amuser en abordant certaines rencontres de manière un peu plus charnelles, et si Séléné avait pour le moment chassé de son esprit toutes autres envies tant elle était radieuse ; ce n'était pas plus mal de s'imaginer pouvoir faire cohabiter plusieurs soleils.

— Tout ce que j'espère, c'est de pouvoir continuer à allumer ce même intérêt dans ton regard.

Et que si chez ces Autres tu t'évades, tu puisses au moins revenir souvent près de moi.

Comme un foyer qui resterait allumé et accueillant, que l'on pourrait rejoindre à toute heure du jour ou de la nuit.

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Tout contre elle une promesse est formulée, celle de ne pas la retenir.
Quel matin chatoyant ! Un entrain s'empare de Séléné. Elle l'avait pressentit, tout est facile avec Anita. Une similitude d'âme et d'esprit. C'est un confort sans pareil, que de trouver quelqu'un qui semble vivre sur la même longueur d'onde à bien des niveaux, une compatibilité exquise qui ne s'explique pas.

Elle bénit juste le concours de circonstances qui ont façonné telle personne.
La louve bleutée cajole à nouveau l'ailée en se tortillant d'une façon tout à fait enjouée.

"Oh, eux ont mon intérêt."

Elle se redresse assez pour faire courir maladroitement deux doigts comme un oiseau qui marchent le long de son museau, les fait remonter jusqu'à la naissance de ses cheveux, et tapote son front. Elle pétille, du visage entier, une expression solaire, chaleureuse. Enamourée.

"Toi tu allume mes sens, oserais-je. Je ne saurais limiter au cœur qui bat, à l'esprit qui crépite, à l'estomac qui se retourne. C'est une fête de tout cela à la fois, qui me fait penser que c'est un peu plus pour notre cas."

Oh, oui, c'est cet emballement total.
Elle peut sentir les palpitations pour ses comédies, elle sait son esprit s'illuminer à une bonne conversation, son estomac danser face à certains traits de beauté... C'est quand tout se mélange qu'elle a envie de revenir, qu'elle commence à envisager de changer la nature de ce qu'il se passe quand bien même elles ne pensent toutes deux à de l'exclusivité. La combinaison, lui fait dire que c'est différent.

"Je pourrais en écrire un poème. L'aimerais-tu ? Tu serais l'héroïne d'une de mes histoires."  

Et les pensées d'Anita se firent miroir quand elle dévora un peu plus du regard la louve qui se pressait près d'elle : c'était en effet un merveilleux concours de circonstance qui avait amené pareille créature céleste à s'échouer entre ses pattes.
Ses oreilles sont encore levées pour attendre la suite, tout comme elle se fond dans les contacts qu'elle continue de lui offrir avec générosité.
Ce qu'elle voit sur ce visage pâle aux yeux radieux, elle est sûre d'aimer. Et dans ces confidences qui se poursuivent et s'enlacent pour former le début de quelque chose de nouveau Anita ne peut que se laisser couler et envelopper, heureuse de s'y abandonner. Ces mots encore si mélodieux décrivaient ce qu'elle ressentait elle aussi pour la belle louve dévorée de blancs nuages, et c'était une porte ouverte vers l'inconnu ; cette notion qu'elle avait toujours trouvé si attirante et excitante.

Si elle avait aussi appris à aimer sa routine à mesure des années qui passaient et du réconfort qu'elle réalisa être capable d'y trouver, elle demeurait éprise de l'inattendu. La première rencontre qui les avait rassemblées l'avait été ; la découverte mutuelle le fut tout autant, danse savoureuse dans laquelle elles se réinventaient constamment.
L'hybride s'apprêta à lui répondre après s'être un peu plus fondue dans le contact qui reliait leurs corps souples mais déjà Séléné reprenait le flambeau.
Les yeux améthystes s'illuminèrent, curieux et -une fois encore- surpris.

—  La plupart de tes phrases sonnent déjà comme des poèmes à mes oreilles profanes. Mais soit, j'accepte gracieusement de te prêter mon personnage pour que tu en fasses quelque chose de grandiose.

Et son menton se posa sur ses antérieurs qu'elle étira, le regard pétillant dirigé tout entier vers Séléné, prête à entendre une nouvelle mélodie se développer hors des lèvres de sa belle.

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Elle consent, et Séléné, non sans allégresse, lui délivre une expression ravie et inspirée.
C'est à son creux, en laissant courir une griffe depuis son cou jusqu'à son menton, qu'elle déclame le premier quatrain de sa création.

"Rêve d'Alchimiste.
Au visage digne de Nyx,
Cascade chevelure d'onyx,
Habitent mondes d'améthyste."

Elle s'amuse à continuer de faire traverser à ce doigt toute la ligne de sa nuque puis de son dos. Ses yeux s'attardent quand elle prononce profonde tendresse ses vers, sur ce qu'elle décrit.

"Rêve d'Écrivaine.
Dégradent vers l'aventurine,
Sur paysage de cornaline,
Des filaments d'obsidienne."

Elle revient à son visage, et module sa voix plus rapide, insiste sur chaque syllabe pour jouer une petite mélodie guillerette, charmée.

"Rêve Maestro.
Danse par son chant allegro,
Divin tempo montant crescendo,
Parfaites notes contralto."

Elle tapote une mèche qui s'envole et elle s'amuse de la voire bouger de son fait. Elle miroite ce qu'elle raconte ainsi.

"Rêve de l'Aède.
Accède avec plaisanteries,
Érigée enfant de Ganymède,
Aussi à celle de l'esprit."

Séléné rapproche leurs visages, glisse son museau le long du sien et près de son oreille, confesse ce qui vient.
Son ton n'est plus qu'un murmure harmonieux.

"Rêve de l'Errante.
Recueille sa voile, avenante,
Songes au cap des mêmes nuages,
Que deux âmes fassent voyage."

Elle salue en action ultime, d'un geste un peu raide par sa condition. Cela ne l'empêche pas de tenter d'y mettre toute son exagération de comédienne.

"Rêve d'une amante,
Pour honorer chante,
Bonheur de l'émoi,
Humble amour courtois."

Elle signe ainsi la fin de ce poème.
Impossible de nier qu'elle se repose sur des réflexions égrainées au fil des jours, pour ainsi construire sur le pouce une telle ode pour la belle ailée. L'entrainement paie cependant, elle est reconnaissante de l'avoir pratiqué. Il y a peut-être aussi la qualité idéale de l'instant qui facilite la venue de ces mots enchanteurs.

Oui, c'est un doux rêve. 

Ne tardèrent pas à naître les premières syllabes en même temps que la belle louve s'adonnait à quelques gestes pour illustrer son histoire.
Si elle n'avait pas douté un instant de ses capacités et de son inspiration, Anita se trouva néanmoins stupéfaite de la rapidité et de l'aisance avec laquelle les mots se développèrent dans la gueule de Séléné devenue poétesse. Comme elle venait de l'affirmer, ses oreilles étaient profanes et inaptes à se montrer juges des vers qu'elle lui livra.
Mais ce qu'elle savait reconnaître, ce qui gonflait bel et bien sa poitrine d'un mélange d'admiration et de plaisir, c'était la beauté des versets qui s'alignaient.
Et plus que dans des jolis mots bien choisis, la louve d'étoiles y mettait toute son âme et accompagnait chaque strophe d'un langage corporel dont l'hybride se délectait ; elle modulait sa voix pour y faire correspondre l'ambiance.

Anita vécut chaque instant avec une attention acérée qui lui permit de suivre la mélodie autant que ses caresses et quand s'acheva ce texte qui lui était dédié, ses hautes oreilles demeurèrent droites, comme dans l'attente de plus. Pour que jamais ne s'achève ce moment.

Elle finit par détendre un peu ce corps qu'elle avait crispé tant elle fut captivée, comme un spectateur aurait suivi sans respirer toute l'action intense d'un jeu qui tenait en haleine - avant de réaliser que c'était bel et bien fini.
Anita souffla, un air subjugué gravé sur le visage.

—  Tu me laisses muette.

Et ne sachant bel et bien que dire de plus, elle se contenta d'avancer son museau pour presser ensemble leurs truffes, d'un geste appuyé mais délicat. Elle savoura ce contact et les dernières bribes de rimes qui flottaient encore dans son esprit avant d'oser briser encore le silence.

— J'aimerais pouvoir te créer pareille poésie, mais je n'ai clairement pas ton talent ! Tout ce que je trouverai sera bien pâle et fade en comparaison de ta verve.

Mais Anita n'était pas du genre à avoir honte de ses capacités moindres sur certains sujets, et elle n'était pas connue non plus pour se laisser abattre si facilement.
Son sourire plissa le coin de ses yeux dans un regard taquin et elle approcha ses lèvres de l'oreille bleue nuit.

— Permets-moi tout de même de m'essayer à une piètre mais sincère performance.

Un petit rire éclata entre ses crocs et elle dégagea quelques mèches anthracites de son visage avant de se racler la gorge, cherchant ce qui pourrait bien venir à son esprit davantage inspiré par l'espièglerie que par un riche raffinement.

— Je n'aurais jamais cru
Que la nuit et la lune
Que les nuages et les étoiles
Aient un jour eu l'idée

De se mêler aux mortels.

Je ne connais personne
Qui face au météore ou l'éclipse
Qui parfois nous visitent
Ne ressente autre chose

Qu'une parfaite admiration.

Je t'avoue sans rougir
Que nulle aube ni couchant

N'eut sur moi même effet

Que de te voir paraître

Toi, fille du Ciel et des Soleils.


Il y eut des pauses, des hésitations, des ratures orales.
Elle ne s'essaya même pas à l'idée de faire rimer ses vers, se contenta de l'exercice déjà difficile de concilier ce qu'elle ressentait en peu de mots choisis avec parcimonie.
Finalement plutôt satisfaite de sa performance, elle attendit le verdict, les yeux pétillants.

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Le poème fait mouche, et Séléné s'en enorgueillit.
Apercevoir toute l'attention qui a rempli d'énergie le corps d'Anita a été captivant. Captivant est un terme qu'elle accorderait à cette envie viscérale de passer chaque jour un peu plus de temps en sa présence. Cette envie de creuser une place dans sa vie, pour cette personne, d'appairer leurs emplois du temps. Puis, elle ne peut nier aimer se faire dire qu'elle laisse muette l'autre louve.

La meilleure surprise vient quand Anita déclare vouloir rendre la pareille.
Elle sourit avec les yeux en plus de sa commissure relevée, et s'étale pour être la plus confortable possible. Un peu plus loin certes de ce doux visage qu'elle aime toucher car la tendre aime tant ça. C'est pour mieux voir son expression, mieux capter ses mots cependant, cela en vaut le coup.
Et dieux seuls savent, qu'elle aime ça, entendre ce poème.
Chaque parole, compliment, coule en elle et alimente un peu plus toute cette histoire. Elle tolère cent hésitations rien que pour pouvoir entendre les rythmes involontaires et la magie délivrée par les figures de style insoupçonnées. Dès que le silence fait place et qu'elle se trouve devant ce regard plein d'attente, elle n'hésite pas.

"Ce n'est piètre ! Tu rassembles tout le champs lexical du ciel. Et sais-tu, que tu as fait au moins deux personnifications et hyperboles ? Une anaphore en ke aussi, et une métaphore à la fin dont je me vanterais maintenant."

Elle continue, radieuse, peu avare de compliments pour cette analyse rapide.

"Et les allitérations, assonances qui en font le rythme ! Cru, nuit, nuage, lune, eu ; la, lune, les, l'idée, mêler, mortels... ce rien que pour le premier quatrain et ton premier monostique. Tout ton texte, il répète aussi six, et neuf syllabes, tu as une musicalité qui s'est faite inconsciemment."

Séléné connait bien elle, tout ça.

"Ne te sous-estime point, ce n'est pas du talent, c'est du travail pur qui m'a mené où j'en suis. Tu serais tout aussi capable d'apprendre et de délivrer odes et sonnets."

Il n'y eut pas longtemps à attendre pour qu'un verdict soit rendu.
L'ailée se trouva comblée d'apprendre que la poétesse débusqua dans sa poésie improvisée une certaine richesse : et elle se laissa une fois encore être l'oreille attentive qui réceptionnait un savoir auquel elle n'était pas coutumière.
Dans sa famille et sa jeunesse, la science des beaux mots avait une teneur bien différente ; des inflexions militaires et chevaleresques pour imposer du respect et impressionner d'un dialogue bien ficelé. Cette nouvelle façon de manier les syllabes que lui enseignait Séléné était davantage dédiée à faire naître des sentiments légers.

Et la louve étoilée était tout aussi belle lorsque la passion enflammait son visage d'une autre manière, s'adonnant à lui partager l'analyse qu'elle fit de son texte.
Pour être tout à fait honnête, la moitié de la complexité de cette discipline rentrait dans une oreille pour ressortir par l'autre ; pas par désintérêt, simplement car elle se savait incapable de retenir du premier coup tous ces détails. Tout comme elle n'était pas certaine d'être autant motivée par cet art que ne l'était sa délicate comparse. A bien des aspects, les passions d'Anita se regroupaient dans des domaines plus bruts.
Et puis, il fallait également l'avouer... La quasi totalité de son attention se retrouvait peu à peu absorbée par le désir mordant qu'elle ressentait de retrouver près d'elle la belle louve à force de la regarder palabrer avec enthousiasme.
Cela faisait bien plusieurs minutes maintenant que leurs corps étaient décollés, et c'était une source d'inconfort.

L'hybride attendit que s'achève cette fine étude avant de se relever d'un geste souple pour revenir contre elle, allant ficher son museau fin et ses lèvres noires tout près de l'oreille blanche cette fois-ci.

—  Si tu le dis, je te crois. Cependant... Ne m'en veux pas, mais je crois que je préfère dédier ce temps et ce travail auprès de toi à des disciplines un peu moins pures.

Une langue alla lui chatouiller les poils d'un geste fugace et elle se recula pour mieux dévoiler le bout de ses crocs d'un sourire presque carnassier.
L'éclat facétieux au fond de ses yeux mauves ne laissait que peu de doutes ; le sous-entendu n'était pas involontaire.

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C'est une langue lascive qui passe sur son poil, avec des paroles qui n'en sont pas moins.
Séléné ne retient pas le gloussement qui s'échappe d'elle, si elle n'est timide elle est toujours fort amusée d'oser. Que dirait celle qu'elle était il y a de cela des années, incapable de regarder les gens dans les yeux, quand maintenant une telle évocation ne lui fait même plus battre une paupière.

Anita doit bien le savoir. Mais cela ne l'empêche pas de taquiner en jouant la prude, la dame de bonne éducation au comportement bien rangé. Les princesses ne sont point dévergondées, n'est-ce pas ? Modèles de droitures ; Séléné est plutôt du genre ondulé volontaire. Avec un faux rire pincé, elle glisse un regard à Anita sous ses cils.

"Allons, pas en plein air."

Elle s'échappe autant qu'elle peut sans tomber de son doux pelage ras, et laisse le vent agiter le sien. Sous le soleil, elle s'éloigne de quelques pas.

"Trouvons un endroit abrité à appeler nôtre, et nous batifolerons."

Ses yeux tournent autour d'elle, cette clairière est déjà recluse et une parfaite bulle intemporelle, tout ceci n'est que semblants. À la différence près qu'elle veut bien un toit contre la pluie, où se lover et converser la chaleur qu'elle se partagent.

"Nous y mettrons quelque satin, des fleurs pour le parfum. Une lampe tamisée, pour l'intimité."

Oui, elle s'amuse, elle fait genre... Mais une petite tanière où se retrouver hors de leurs meutes respective est une perspective enchanteresse. Mais Anita, qu'y veut-elle, dans ce petit endroit rien qu'à elles ?

Anita fit mine de bouder, que d'être ainsi repoussée.
Pis encore, voilà que sa belle louve couleur nuit et nuage s'esquivait un peu de son emprise. Mais elle ne la retint pas ; et s'amusa de cette résistance qu'elle savait majoritairement feinte. Les oreilles à nouveau hautes et le regard toujours vif, l'hybride avait gonflé la poitrine et revenait à la charge pour cette fois partager ce nouveau jeu.
Elle avait toujours aimé s'amuser du semblant et du paraître. Après s'être déclamé des textes, il fallait s'imaginer décoratrices ? Soit ! Ça lui allait.

—  Vos désirs sont des ordres. Quant à moi, j'y mettrai, mh...

La réflexion fronça ses traits un instant alors qu'elle chercha l'inspiration comme pour la poésie. Il était vrai qu'elle ne s'était pas trop posé la question de comment constituer une tanière idéale, elle qui se contentait de choses simples et agrémentait son quotidien de ce qu'elle trouvait au jour le jour, plutôt qu'en y pensant longuement à l'avance.

— ... De quoi me rappeler ce que j'aime, des souvenirs de la Moere par exemple. De quoi s'adonner à quelques loisirs, comme un carnet pour dessiner de temps en temps. Il nous faudra surtout de la place en prévision, pas mal de place, pour entreposer tout ce que nous ramènerons de nos voyages.

D'un coup d'épaule qu'elle pressa contre la sienne puis d'un museau qu'elle ramena contre sa joue, Anita lui fit les yeux doux.
N'est-ce pas, qu'elles partiraient en voyage ?

Ça n'avait pas besoin d'être très loin, ni très longtemps. Mais Anita aspirait à découvrir plus que les terres qu'elles connaissaient déjà toutes deux à ses côtés.

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Du loisir, des souvenirs.
Des aspects très importants Séléné le reconnait, bien qu'elle pense à l'esthétique de l'endroit il lui faut aussi du corps avec quelque objets destiné à sa familiarité. Et pour l'âme, de l'espace pour le futur. L'idée soutire à Séléné une expression étonnée, tout autant que passionnée.

"Voyager, dis-tu. C'est un projet."

Elle gratte d'un doigt malhabile le museau qui est venu contre elle, tout en observant le ciel à la recherche de quelques pistes de réflexion. Elle les donne à voix haute dès qu'elle les trouve.

"Il y a bien des choses à voir. D'ici je sais qu'à l'Est il y a des peuples oiseaux colorés. De la bouche de rencontres du Nord avec des tribues dans des terres gelées, ou du Sud avec une civilisation entière où l'on compte des milliers."

Son voyage personnel n'a pas été si éloigné, elle s'est retrouvée majoritairement au milieu d'autres voyageurs. Une caravane avaient-ils appelé leur groupe. Puis elle s'est stoppée parmi cette meute où elle a été adulée, puis... Elle sourit, pour délaisser cette mauvaise pensée.

"Ces souvenirs pourraient aller sur un mur. Et sur celui en face iront tes souvenirs, le contraste serait amusant. Au milieu la douce couche de tissus dont je rêve, et une seconde pile pour habiter à côté d'une petite bibliothèque qui contiendront mes histoires préférées et les carnets de tes œuvres."

Cela lui semble parfait.
Plus qu'à trouver l'endroit ! Elle se remet en route,  avise dans ces herbes folles et ces arbres joyeux vers où creuser ! Voir même, quelle structure naturelle exploiter. Bien qu'elle se dise, elle aimerait peut-être bâtir, elle lance l'idée.

"Une tanière pourquoi pas, mais que dirais-tu d'une petite construction ? Un autre projet à deux ~"

Si Anita aime bien établir des projets, Séléné a des millions d'idées.

Son museau s'avança un peu plus sous le contact de la griffe, comme un chat aurait tendu le cou pour s'enfoncer dans une gratouille.
Il n'y eut pas de réserve dans la voix de Séléné quand elle se mit à théoriser sur leurs voyages - en avait-elle douté ? - et que déjà peuvent alors se dessiner dans l'esprit d'Anita les paysages imaginaires de tout ce qu'elles pourraient visiter.
Elle comprit de ses mots qu'elle l'avait déjà un peu fait, voyager, et elle dressa haut ses oreilles portées par la curiosité. Elle ne connaissait pas cet aspect de la belle louve et ce serait une nouvelle piste pour une énième discussion.

A l'aménagement qu'elle imagina ensuite, Anita ne trouva pas grand chose à redire. Elle n'était pas la meilleure pour contextualiser des idées : elle se contentait de les avoir et de les sentir naître, leur développement se trouvait ensuite effectué sur le tas la plupart du temps. Mais se représenter ce que lui racontent les autres lui était en revanche une activité agréable.
D'un trot aérien elle la suivit dans la petite exploration des alentours, se prêtant au jeu de la recherche de l'endroit parfait.

—  Oh, tout ce que désirera ma belle amante ! Je m'y prêterai volontiers, nous pourrions même nous construire un somptueux palais ! Mais qui pour faire nos sujets ?

Un léger rire s'échappa de sa gorge alors qu'elle se mit à bondir à petits sauts fluides autour de celle qu'elle voulait bien pour reine de ce château imaginaire.