This side of me which I never knew - Narcisse.

Plusieurs jours passèrent après son entrevue avec Moiro.
Plusieurs jours d'une solitude retrouvée et cette fois bien plus teintée de quiétude que de ressentiment.
Même si l'euphorie était doucement retombée, même si des ombres étaient venues tâcher le tableau presque immédiatement après sa réussite, comme si la vie s'acharnait à lui faire comprendre qu'il n'y aurait pour elle jamais de paix véritable et de victoire sans souillure...
Mildred ne retomba pas pour autant dans une humeur aussi sombre qu'auparavant. Le changement amorcé quelques temps auparavant se consolidait et résistait malgré tout, pas après pas, à mesure qu'elle se réconciliait en partie avec elle-même et abordait de nouveau le monde autour d'elle non pas l'échine basse et le museau plissé mais le port de tête haut et le pas sûr. La lumière qui illuminait maintenant son encolure l'y aidait par la force nouvelle qu'elle insufflait.

Il y eut également un drôle de rêve peu après, alors qu'elle s'était endormie non loin de l'Île aux Roses - probablement provoqué par les souvenirs qu'elle y remua, au moins pour la moitié de ce rêve dans lequel elle s'était retrouvée adolescente d'une noblesse reconnue et unie avec un prince Etelkru, fils de leur Alpha aveugle qui y avait régné en même temps qu'Anette par le passé.
Le songe l'avait laissée confuse et un peu troublée, sans doute un peu mélancolique aussi, de ce sentiment qui s’éveillait de temps en temps au réveil de certains rêves dont on aurait préféré l'histoire à celle qui s'écrivait dans la réalité.
L'autre partie du même rêve avait en revanche froncé ses babines d'un peu de dégoût et elle s'était empressée de ne pas cultiver ce souvenir de la Raeder bleue pour lui préférer le prince bicolore, et malgré la disparition mystérieuse de l'une de ses propres dagues qui l'avait frustrée puis l'apparition simultanée d'un autre type de couteau qui ne lui appartenait pas, elle avait rapidement cessé de repenser à ce rêve.
Sauf quand elle tomba ensuite sur une salamandre qui se débattait dans une flaque peu profonde, dont le corps blanc et mou était imprimé de rayures sombres presque identiques à celle de cet époux imaginaire.
La salamandre avait aussi un œil rouge et un œil jaune, et même si elle s'y connaissait bien peu en reptiles et amphibiens, Mildred se doutait néanmoins que cette combinaison de caractéristiques n'avait rien de tout à fait normal et que la coïncidence était trop forte pour être ignorée.
Ce fut donc avec un soupçon de méfiance mais surtout beaucoup d'interrogations que Mildred, qui n'avait jamais senti la nécessité ni compris l'intérêt de se lier à un animal de compagnie , ramassa la fragile créature pour la garder contre elle.
Elle alla se lover contre le cuir de son collier, enroulée autour d'une pique et en grande partie dissimulée par las cascade de poils roux et de cheveux carmins.

Pour le moment, la petite chose n'avait toujours pas de nom. Peut-être n'en aurait-elle jamais.

Ce fut presque par hasard qu'elle se retrouva par la suite à la Vasque de la Lune, là où ses pas finirent par la porter suite à sa déambulation - c'était un terme qui en cet instant et pour de nombreuses raisons lui paraissait bien plus approprié que l'errance.
Narcisse avait flotté dans ses pensées comme un élément instable au gré des courants ; présent par moments, absent à d'autres. Elle avait songé à cette réalisation un peu brusque à son sujet lors de l'épreuve de Moiro et en demeurait perplexe. Mais surtout, la façon dont ils s'étaient séparés la dernière fois qu'elle l'avait vu, s'était rejouée plusieurs fois dans cette dérive désordonnée de réminiscences. Et avait souvent été repoussée aux confins de son esprit, pour les quelques sentiments négatifs qui s'en éveillaient au moment où elle goûtait enfin quelque chose de proche de la paix.
Malgré ce réflexe qui s'était développé au fil de sa vie de repousser à plus loin certaines choses qui lui paraissaient difficiles et désagréables, Mildred savait pourtant qu'il lui fallait le revoir.

Oh, la petite voix sournoise qui ne manquait pas d'intervenir malgré sa récente présence réduite s'était demandée si c'était bien la peine.
Elle n'avait plus besoin de lui, maintenant, n'est-ce pas ?
Le glowstick à son cou le lui prouvait ; elle avait regagné force et dignité. Si elle le désirait, elle pouvait reprendre une vie proche de celle qu'elle avait mené pendant tant d'années et juste l'oublier.
Pourtant, il lui semblait qu'elle ne pouvait pas tout à fait s'y résoudre.

Alors que sa foulée la menait vers l'endroit où elle était restée de longs mois, l'endroit où l'Etelkru était aussi censé venir chaque jour pour qu'ils puissent savoir où et quand se retrouver, des émotions plus contrastées revinrent s'emparer d'elle.
Voudrait-il encore la voir après les derniers mots échangés ?
D'ailleurs, serait-il là ou aurait-il simplement rapidement repris ses esprits en réalisant qu'il n'avait rien à faire avec elle, sa mission personnelle de la remettre d'aplomb étant de toute façon achevée ?
Mildred secoua la tête pour essayer de chasser ces doutes. Au creux de son estomac, il y avait aussi d'autres choses. Une sorte... D'anticipation à l'idée de revoir ce visage devenu familier, pour ce qu'il y avait eu malgré tout de positif avant qu'elle ne gâche encore tout. Une impatience ténue et grandissante, aussi, gonflée de fierté quand elle s'imaginait déjà lui montrer cette lumière durement obtenue.

Au fond, malgré les quelques nuages noirs troublant son esprit, c'était surtout de plus en plus leste que se faisait la démarche de son corps redevenu jeune alors qu'elle approchait du rendez-vous et de l'heure de l'après-midi durant laquelle il avait toujours fait en sorte de se libérer pour venir lui rendre visite.
Un peu plus loin, derrière cette colline...
La louve ralentit sur les derniers mètres, gueule entre-ouverte pour mieux laisser passer un souffle devenu frêle et qui manquait de peu de se suspendre.

Maintenant son cœur battait plus fort dans sa poitrine alors qu'il ne lui restait plus que quelques pas à faire pour obtenir un visu sur son ancien abri de fortune.
Et s'il n'était pas là ?
Elle ne donna pas suite à cette pensée. Elle se contenta d'attendre un peu afin d'être sûre que l'heure de son passage soit entamée, puis elle se propulsa sur le terre-plein qui lui révélerait la clairière en contre-bas.

Le dos droit, la queue dressée et recourbée dans la continuité de son échine, les quatre pattes campées et la tête tenue haute pour mieux montrer le rose qui étincelait dans la fourrure de son encolure.

Narcisse remua ses griffes, le corps engourdi. Contre son flanc, son familier somnolait.
Comme chaque jour depuis son départ, il venait. Restait ici du coucher du soleil jusqu’à son lever, veillant, attendant son retour. Dans son esprit, l’hybride repassait en boucle leur séparation, ça l’hantait.
Et à chaque fois jour qui passait, il lui semblait de plus en plus improbable qu’elle ne revienne.

Et cette pensée était terriblement douloureuse.

Parce qu’il avait besoin d’elle, bien plus qu’il ne l’aurait pensé. Ces derniers mois, Mildred avait été son seul repère, celle qui l’avait empêché de complètement sombré.
Ses sœurs et ses amis furent là, certes, mais ce n’était pas pareil. Eux ne pouvaient pas comprendre.
Parce qu’ils ressentaient cette appartenance envers les Etelkrus.
Ce que le disciple de Kiro lui avait perdu.

Au bruit, Narcisse se redresse, les poils s’hérissent sur son dos. Qui donc osait venir jusqu’ici ? Les babines qui se retroussent laissant apparaître ses canines. Personne, absolument personne n’avait le droit de venir ici, mis à part elle. Les autres seraient chassés.
Qu’importe leur appartenance.
Qu’importe leur statut.
Il n’hésiterait pas à….

« — Mildred ? »

Le disciple de Kiro fixe la silhouette, une certaine incertitude dans son regard. Étais-ce vraiment elle ?
Un pas.
Puis un autre.
Il doit baisser légèrement le museau pour l’observer dans ses yeux. Leurs souffles se joignent. Un instant il conserve le silence, avant de lever une de ses pattes afin de la serrer contre lui. Fermement, il maintient son emprise un instant, posant le dessous de sa gueule sur son crâne.

« — Je suis désolé. »

Pour la dernière fois.
D’avoir laissé la fierté prendre le dessus.

« — Tu m’as manqué. »

Ne repars plus, s’il te plaît.

Un peu plus loin, il y avait quelqu'un.

Elle dut battre des cils quelques instants pour que ses yeux s'habituent à la luminosité des rayons du couchant qui se mirent à pleuvoir sur son visage depuis les arbres alors qu'elle avait jusque là cheminé dans leur ombre.

Mais avant même de pouvoir tout à fait distinguer les détails de son pelage ou de pouvoir apercevoir la lueur jaune à son oreille, avant même d'analyser l'odeur persistante qui imprégnait l'endroit, Mildred sut que c'était lui.
Qu'il avait bel et bien continué de venir.
Pour elle.
Et l'instant d'après il fut près d'elle, sa voix résonna près de son oreille et il l'a serra contre elle.

Son corps se raidit par la surprise et la fermeté de ce toucher.
Ils avaient déjà partagé quelques contacts, mais jamais... Comme ça. Jamais leurs poitrails ne s'étaient ainsi appuyés l'un contre l'autre, jamais son museau ne s'était-il retrouvé contre son encolure.
Là où s'il avait été ennemi à abattre, il lui aurait suffit d'un coup de croc dans cette gorge offerte.
Mildred fronça les sourcils à cette pensée parasite et finit par se détendre après quelques secondes contre le mâle.

Ce n'était pas désagréable.

Il s'excusa - sans qu'elle ne sache réellement pourquoi, sans qu'elle n'ait vraiment le temps de se poser la question avant qu'il ne lui dise qu'elle lui avait manqué.
La louve resta muette, toujours figée contre l'Etelkru.
On ne lui disait jamais, qu'elle avait manqué. On ne lui disait pas, qu'on était désolé.
Tout comme il s'agissait de choses qu'elle-même avait appris et assimilé à ne pas dire, en potentielles marques de faiblesse qu'elles étaient.
C'était comme se dire Je t'aime , que sut lui dire sa nièce, née presque libre de l'ombre et du poison de sa famille quand Isrâ et d'autres n'avaient jamais su l'avouer, quand elle même n'avait su le dire en retour.
La gueule entre-ouverte, elle voulut répondre quelque chose mais se trouva vide de mots.

Alors elle déglutit et se racla un peu la gorge avant de reculer d'un pas, se détachant doucement de son étreinte.

— J'ai réussi. Ce que j'avais besoin de faire.

Ce glowstick dont il n'avait même pas commenté la présence.
Le constat piqua son cœur d'une pointe de déception, mais savoir la lumière à son cou suffit à la chasser alors qu'elle fit de son mieux pour se grandir et se tenir haute, de sorte à mettre en valeur le rose de Moiro, les yeux brillant d'anticipation à sa réaction.

Et sur ses lèvres, un sourire.

Les paupières closes, Narcisse conserva le silence. Sa présence ici lui semblait presque irréaliste après tous ces jours d’attente. Il accentue légèrement la pression entre ses pattes, pour s’assurer qu’elle est bien là.
Puis elle se recule, pour mettre en avant le glowstick à son cou.

J’ai réussi.

Le sourire qu’elle affiche le trouble brièvement. Narcisse ne l’avait jamais vu sourire de la sorte, avant tant de sincérité.
L’une de ses longues griffes se lève, venant effleurer la lumière rose. C’était ce à quoi elle aspirait depuis leur première rencontre, à la couleur de la Tigresse.
Un mouvement du museau alors qu’il se redresse pour l’observer droit dans les yeux.

« — Je suis content pour toi. »

Tu y aspirais.
Tu y es parvenue.

Le bout de sa queue féline remue doucement. Une minute de silence ne s’écoule avant qu’il ne vienne reprendre la parole d’un ton calme.

« — Et maintenant ? »

Que veux-tu faire ?

Leurs yeux se croisèrent et ce fut une griffe qu'il leva pour venir la faire tinter contre la pierre illuminée.
Le cœur de Mildred continuait de battre un peu plus vite par cette anticipation qui la gonflait, par cette fierté à peine retenue qu'elle avait de s'exposer non plus en simple solitaire désavouée mais en disciple de la Tigresse.
Dans sa gueule les mots de félicitation furent éparses mais elle les savait sincères, pour lui qui n'avait que rarement été animé de longues phrases.
Cela suffit à la faire se dresser un peu plus, d'un poitrail qu'elle poussa vers l'avant et d'un sourire qui se fit encore plus assumé.
Dans la courbure asymétrique qu'il prit, il en devenait même presque malicieux et joueur.

La suite fut un moment de flottement durant lequel Mildred se concentra sur ce qui les entourait et s'en imprégna avec un plaisir simple récemment retrouvé - l'air du soir de plus en plus doux à mesure qu'arrivait le printemps, la clairière baignée des rayons dorés, les odeurs riches du sous-bois et de la rivière qui coulait non loin... Il s'agissait là de choses qu'elle avait réappris à apprécier au lieu de simplement dériver à travers ces terres comme un fantôme.
Et cet endroit lui avait manqué, elle le réalisait.
La voix de Narcisse fit frémir ses oreilles et elle ne lui répondit pas tout de suite, prenant le temps de soupeser la question. Oui, et maintenant ?
Il y avait bien quelques choses qui lui restait à faire. Mais la plus urgente de toutes s'était retrouvée balayée et ce n'était pas une pensée sur laquelle elle voulait se concentrer pour le moment, alors elle inspira et secoua la tête pour dégager quelques mèches carmins de ses yeux clairs.


—   Maintenant... Il serait temps que cet endroit ressemble à quelque chose, non ?

Elle s'avança à pas lents vers la tanière qui lui avait servi d'abri basique durant ces mois de convalescence sans que jamais l'abri n'évolue vers quelque chose de moins sommaire et de plus accueillant.
Si elle désirait revenir ici plus souvent, il était temps que cela change.

Elle refusait désormais d'associer ce qui pouvait faire office de foyer à une relique hybride du passé, souillée des ombres les plus obscures et des souvenirs les plus nauséabonds. Ce n'était pas un terreau fertile pour aspirer à mieux.

La louve adressa un petit sourire entendu - presque mutin - à l'Etelkru.

M'y aideras-tu ?

Il l’avait connu prétentieuse.
Il l’avait vu au plus mal.
Aujourd’hui, elle était rayonnante, abordant cette victoire à son cou.

La surprise passe un instant dans son regard.
Car il lui avait assuré être ici pour l’aider, mais il n’avait pas eu le sentiment qu’elle souhaite revenir passer du temps dans cet antre.
Ses babines frémissent alors qu’il observe l’intérieur de la tanière, étudiant les parois, le moindre recoin. Lui n’avait jamais été un grand décorateur, préférant depuis un moment déjà les nuits à la belle étoile, mais il pouvait comprendre que Mildred aspire à quelque chose d’un peu plus… personnel.

« — Oui, cet endroit est tient. »

Nul ne viendra te troubler ici.
Nul ne viendra t’en chasser.
Je m’en assurerai.

Narcisse regarde encore autour de lui, affichant une expression un peu perdu. Le poil se gonfle légèrement.

« — … tu veux y mettre des fleurs ? »

C’est tout ce qui lui vient à l’esprit.
C’est bien ce qu’avait dit Hollyhock non, que les louves aimaient bien les fleurs ?
Non ?

La queue touffue de la disciple de Moiro s'éleva dans les airs pour décrire une arabesque quand il affirma que cet endroit était le sien - et bien, elle en avait déjà décidé ainsi et n'avait pas eu le sentiment d'avoir besoin de son aval mais la façon dont il prononça ces mots réveilla encore cette sensation qu'elle eut lors de son épreuve.
Celle du contrôle mêlée du plaisir de sentir qu'il serait prêt à s'investir personnellement pour que cela s'accomplisse, et le mélange de ces sentiments était grisant.
L'Etelkru s'avança pour détailler l'endroit à son tour et Mildred garda les yeux tournés vers lui, dans l'attente de son avis pour débuter l'aménagement.

Sa proposition lui fit froncer les sourcils et darder un regard perplexe dans sa direction avant d'étirer un sourire un peu narquois sur un côté de ses babines. Des fleurs ? Pourquoi diable commencer par là ?

— Pourquoi pas, mais plus tard.

Narcisse voulait débuter par les détails qui viendraient plutôt en dernier. Sans doute n'avait-il jamais auparavant pris soin de faire en sorte d'améliorer un peu son environnement.

— Non, il faut d'abord travailler la structure en tant que telle.

L'abri s'apparentait en l'état à un grand terrier à même la terre, souvent humide, et rien ne garantissait que cette espèce d'enfoncement dans l'une des buttes de la forêt ne s'effondrerait pas un beau jour.

— Il va nous falloir des branches à placer tout le long pour constituer des murs et quelques autres bouts de bois plus épais en guise de poutre pour soutenir le plafond. Ça va prendre un moment, mais à force d'en faire petit à petit... Nous pouvons même créer une avancée avec le bois restant pour faire comme un auvent.

La louve désignait de la patte et de quelques moulinets les différentes parties au fur et à mesure qu'elle expliquait ses idées. Elle se l'imaginait plutôt bien dans sa tête, mais il pouvait être difficile de le communiquer... Et de le réaliser.
Elle même n'avait pas beaucoup d'expérience après tout, à part...

— J'ai aidé ma mère et ma sœur à réparer le temple de Moiro quand j'étais jeune. C'était il y a longtemps, mais ça me donne quelques notions.

Une ombre passa dans son regard à la mention de ce souvenir et son visage se fit soudain moins lumineux tandis que se figea sa posture.
Mais elle secoua doucement le museau et força un petit sourire à revenir sur ses lèvres en jetant un regard à Narcisse.

— Et seulement après nous pourrons rajouter des tissus, des décorations, des... Fleurs.

Voudrait-elle des roses ?
Elle n'en était pas sûre. Son explication achevée, la louve se dirigea vers l'extérieur de l'abri pour se laisser toucher à nouveau par les rayons du soleil et inspirer l'air du soir, sans avoir réussi à tout à fait chasser le léger malaise qui était revenu l'étreindre après la pensée de ces lointains souvenirs et de ces foutues roses qui étaient toujours partout, dans le meilleur comme dans le pire.

En la voyant sourire, les oreilles de Narcisse ont un léger mouvement vers l’arrière. Étais-ce quelque chose qui ne l’intéressait guère les fleurs ? Peut-être que toutes les louves n’aimaient pas ça ?
Plus tard.
Elle parle de consolider la structure, d’ajouter du bois, d’un auvent. Tant de détails. C’était bien plus compliqué qu’une mission de surveillance ou un simple combat. Il s’efforce quand même de suivre, d’imaginer ses demandes et de réfléchir à comment les réaliser.

« — Oui, nous pouvons faire ça. »

Essayer.
Il n’était pas le plus habile de ses pattes pour tout ce qui était travaux manuels, mais ferait au mieux.
Pour ne pas la décevoir.
Lorsque Mildred évoque sa famille, le disciple de Kiro voit l’ombre sur ses traits, comme à chaque fois que ce sujet était mentionné. Bien vite pourtant, l’ombre laisse de nouveau place au sourire, alors que déjà elle se dirige vers l’extérieur pour profiter du soleil. S’attardant un bref instant dans l’antre, son regard étudiant une dernière fois les lieux, il la rejoint pendant que le koridé continue à dormir.
À ses côtés il se place, laissant leurs pelages se frôler.


« — On pourrait mettre des fraisiers, juste là. »

Du bout de la griffe, il pointe un petit coin.

Et après quoi, Narcisse ? Tu te mettras à planter de petites pâquerettes et à arracher les mauvaises herbes ?
Peut-être bien.
Ce n’est pas pour ça qu’ils t’ont formé.

L’hybride secoua doucement son museau, le bout de sa queue féline s’agitant alors qu’il sent son cœur battre la chamade. Il ne sait pas quoi dire, ne sait pas si il faut dire quelque chose.
Peut-être aspirait-elle à un moment de calme ?
Peut-être que justement ce n’était pas ce qu’elle voulait ?

La louve avait fermé les yeux quelques secondes, museau dressé pour que son visage puisse se réchauffer des rayons diffus avant la nuit qui s'annonçait froide en cette fin d'hiver, et les rouvrit quand elle sentit la présence du mâle venu la rejoindre.
Il s'assit suffisamment proche pour que leurs flancs s'effleurent de quelques poils agités par la brise et un léger frémissement descendit le long de son échine.
Mildred haussa encore un sourcil quand il désigna un emplacement pour un fraisier - décidément, les Etelkrus et les fruits ce n'était pas qu'une lubie passagère - mais fit en sorte de garder les mâchoires serrées pour ne rien trouver d'acerbe ou de moqueur à répliquer. Elle laissa plutôt passer quelques secondes avant de simplement hocher la tête et de commenter quelque chose de sobre.

— Si ça te fait plaisir. C'est vrai que ce n'est pas... Mauvais.

La première fois que Narcisse lui avait apporté les fraises, Mildred ne les avait pas touchées et avait même eu tendance à les ignorer totalement. Mais dès qu'il fut parti, ce soir là, la louve finit par se montrer curieuse et par les manger.
Et elle ne put nier que c'était bon. Cela ne l'empêchait pas de se demander de quelle manière il en était arrivé à accorder tant d'importance à ces baies, et elle tourna la tête pour l'observer, apparemment un peu perdu dans ses pensées.
Elle sentait émaner de lui une forme d'incertitude, comme s'il n'était pas tout à fait à sa place, ce qui n'était pas entièrement faux.

Une question lui vint sur le bout de la langue, mais elle choisit de ne pas la poser tout de suite pour ne pas risquer de précipiter le moment sur des chemins plus sombres et de se reporter plutôt sur sa pensée précédente, plus légère.
De quoi mieux l'aider elle-même à délaisser les mauvais souvenirs qui s'étaient agités sous la surface.

— D'où vient cette fascination pour les fruits qui sévit chez les Etelkrus ?

Les sourcils haussés donnèrent à son visage un air inquisiteur, mais le petit rictus qui flottait au coin de ses lèvres suffisait à retransmettre son amusement et une forme de curiosité sincère.

Malgré la nuit qui s’apprêtait à tomber, Narcisse trouvait qu’il faisait toujours affreusement chaud.
Pas mauvais, c’était délicieux.
À la question, il est brièvement perplexe. Dans le clan, il n’avait jamais remarqué d’intérêt particulier pour autre chose que des proies… après tout ils étaient des guerriers, la plupart n’avaient de toute évidence pas de temps à perdre à la cueillette.
Certains ignorent ce qu’ils ratent… peut-être pour cela qu’ils sont simples d’esprit.

« — Chez les Etelkrus, je ne sais pas. Le peu de repas que j’ai partagé avec certains des miens, j’y ai vu principalement de la viande. »

Mais il en avait partagé bien peu pour savoir ce qu’ils mangeaient en réalité. Se mélanger aux autres ne l’intéressait guère, ils parlaient bien trop et étaient insignifiants.
Et derrière votre dos, ils n’hésitent pas à vous piétiner.

« — Les fraises, c’est une amie qui me les a fait découvrir. »

Sa première rencontre avec Onyx, c'était de à qu'était né l'intérêt pour ces baies rouges.
Le disciple de Kiro tourna son museau vers Mildred.

« — Des Etelkrus sont venus t’importuner ? »

Les sourcils se froncent. Il ne tolérerait qu’on vienne la déranger.

À l'expression qui passa sur son visage, il ne semblait pas au courant que d'autres loups de son clan accordaient aux fruits une grande partie de leur temps et de leur pensée.
Le panseur qu'elle avait rencontré était pourtant assez âgé, Narcisse avait très certainement eu l'occasion de se faire soigner par lui. Là encore, peut-être qu'il ne connaissait pas les petites manies de chaque membre de sa meute... Car peut-être qu'il ne s'y intéressait pas.
La remarque fit remonter à la surface la question qui lui chatouillait la langue, mais elle écouta d'abord les réponses de l'Etelkrus.
La façon dont il posa ensuite sa question et l'air intransigeant que prit son visage eurent pour effet de refaire gonfler un sentiment positif et chaud dans sa poitrine.

Mildred redressa l'encolure et prit un air désinvolte en roulant les yeux au ciel, rejetant l'événement passé d'un geste de la patte comme une mouche un peu agaçante mais insignifiante.

— M'importuner est un bien grand mot. J'ai simplement croisé la route de l'un de vos panseurs et il m'a lui aussi proposé des fruits. Ce serait bon pour mon organisme et cela m'apporterait du réconfort.

La louve laissa ressortir un ton plus acide sur les derniers mots et les appuya d'un rictus railleur.
Elle ne gardait pas de mauvais souvenir de cette entrevue, mais ce Tawana avait tout de même remué des émotions amères.
Si elle se montrait tout à fait honnête avec elle-même, elle ne pouvait pas vraiment lui en incomber toute la faute.
Un rien lui suffisait à rassembler des nuages noirs dans son esprit, ce n'était pas quelque chose dont le loup cornu était responsable. Il avait au moins eu pour volonté de se soucier d'elle, elle le reconnaissait, et c'était déjà bien plus que les dernières attentions de certains membres de sa famille à son égard.
Mildred serra les crocs et se mordit les lèvres quelques instants, des yeux durs fichés dans les ombres du sous bois, avant de rapporter son attention sur Narcisse.
Elle hésita, une de ses canines toujours proéminente de sa babine, avant de se décider.

— Tu ne parles pas de tes compatriotes avec beaucoup d'amour.

Voilà qui était dit.
Ce ne fut finalement même pas une question, tant les quelques mots qu'il avait avait eu auparavant et les émotions émanant de lui avaient été criantes.

Qu'était-il arrivé au parfait petit soldat arrogant des Etelkrus pour qu'ils leur préfèrent maintenant la compagnie d'une solitaire abîmée ?

Un panseur qui vante les mérites des fruits… Hum. Mis à part Désastre, Narcisse ne profitait des soins d’aucun autre soigneur de sa meute, mais ce n’était pas du genre de l’ami de proposer des fruits. Ne restait que Séraphin et Tawana.
Qui que ce soit, il l’a importuné avec des paroles futiles.
Du réconfort. Quelle étrange idée.
La queue féline s’agite doucement. Ça ne lui plaisait pas de savoir que d’autres Etelkrus avaient remonté la piste jusqu’ici, mais c’était à prévoir.
Restait à espérer que d’autres à l’âme moins charitable ne viennent.

« — Je n’ai pas l’impression que les fruits apportent un quelconque réconfort… c’est juste bon. »

Rien de plus.
Cela dépendant peut-être des individus après… Il n’empêche que cette idée avait laissé Mildred plutôt amère.
À la remarque, il se raidit.

« — Je n’en ressens aucun à leur égard. »

La réponse est sèche.
Aussitôt, Narcisse regrette, ses griffes s’enfonçant dans le sol tandis que ses longues oreilles se couchent sur l’arrière de son crâne. Un soupir finit par traverser ses babines, alors qu’il essaye de détendre son corps.

« — Ça ne s’est pas très bien passé à mon retour des Nakhus. L’absence d’aide Etelkrus pendant l’incendie m’a été reprochée, mais ce n’était pas la mission qu’on m’avait confié. »

Protéger ton frère coûte que coûte, voilà ce que je devais faire.
Je t’ai sauvé pour le sauver lui.
Mais cela aussi m’a été reproché.

« — Pendant des années, j’ai tout donné à mon clan par loyauté… je me suis senti comme trahi par eux. Je ne reste Etelkrus que pour honorer le serment fait à mon dieu, ainsi qu’à mon alpha, mais aux autres qui ne sont pas de ma famille, je ne dois plus rien. »

Il y a une pointe de colère dans sa voix.
Il n’était Etelkrus non plus par choix, mais uniquement par devoir.

Un mouvement de sa queue et un léger acquiescement firent office de réponse à l'avis de Narcisse sur le soi-disant pouvoir des fruits. Elle était bien de son avis -  le sucre contenu dans les baies pouvait éventuellement apporter du plaisir, mais le réconfort...
Dans sa vie, cela avait été chose compliquée à obtenir ou accepter.
Ce n'était pas une cure de fruits qui allait changer la donne.

Pour la suite, Mildred ne put que hausser de nouveau un sourcil à la véhémence de la réponse du disciple de Kiro. La louve garda le silence pour le laisser s'expliquer, se contentant de garder les yeux sur lui et les oreilles droites, attentive à la portée de ses paroles.
Alors c'était depuis l'incendie.
Un peu avant que Meridor ne s'enfuit encore et à jamais, un peu avant la mort d'Isrâ, un peu avant celle de sa mère qui suivit... Un peu avant qu'elle ne se retrouve à errer puis à s'échouer à leur frontière.
Tout cela paraissait à la fois lointain et si proche, tant les mois puis les années passaient mais les souvenirs restaient gravés et les conséquences peinaient à se dissiper.

Du reste, elle pouvait comprendre le sentiment de Narcisse -  elle-même était rancunière et peu prompte à oublier une offense.
Sa colère semblait toujours vive, sans doute n'avait-il même pas essayé de reprendre une place parmi eux, dégouté de ce qui avait aboutit. C'était ironique, un peu, qu'elle retrouve ce même mépris qu'elle put avoir par le passé envers les Etelkrus -  et qu'elle avait toujours en partie -  de la part de quelqu'un qui portait leurs couleurs.
Toujours silencieuse, Mildred continuait de passer son regard sur le corps tendu du mâle. C'était peut-être la première fois qu'elle le voyait réagir ainsi sans que son agacement ne soit dirigé vers elle.
La trahison et la déception avaient le même goût pour tout le monde.

Elle passa sa langue sur ses crocs tout en gardant la gueule close, avant de lever une patte vers les airs comme un salut et de laisser un nouveau rictus moqueur envahir sa gueule.

—   Gloire aux ingrats, aux indécis et aux traîtres.

Je leur porte ce toast, à eux qui semblaient bien mieux s'en tirer dans la vie à la fin.
La louve se releva de sa position assise pour aller faire quelques pas dans la clairière. Dans les ombres qui se faisaient de plus en plus noires la lueur de son glowstick se rendait plus visible et les teintait du rose de la Tigresse.
Elle en était la disciple, maintenant.
La Déesse lui avait accordé son confiance, elle estima qu'elle sut lui faire honneur. C'était le genre de pensées qu'elle enclenchait souvent ces derniers jours pour lancer son esprit dans une boucle plus positive que ce qu'elle connut avant, pour éloigner les ténèbres qui menaçaient encore de s'immiscer à de nombreux instants.

Je suis la Tigresse, pensa-t-elle en accomplissant un tour d'un pas chaloupé.

Je suis la Tigresse, pensa-t-elle lorsque ses yeux pâles retombèrent sur l'Etelkru.
Elle s'immobilisa dans sa marche, redressant le corps pour l'observer durant quelques secondes.

Je suis la Tigresse, pensa-t-elle alors qu'elle franchit la distance qui les séparait pour aller presser son poitrail contre le sien et glisser son museau contre l'angle de sa mâchoire, pinçant la peau fine du bout des crocs.

Oui, gloire à eux.
Aux ingrats, ces insignifiants insectes qui pourtant parviennent à se hisser au sommet.
Aux indécis et aux traîtres, qui par leur lâcheté ne font que blesser.
Et qui pourtant semblent si heureux.

Nous aurions dû dévorer les traîtres quand nous en avions encore l’occasion.

Narcisse la suit du regard alors qu’elle se déplace, ne tenant visiblement pas en place. Maintenant que la nuit est tombée, seuls leurs glowstick font office de lumière. Le rose lui sied bien, se reflétant sur la canine qui dépasse de ses babines.
Les prunelles dorées suivent la démarche souple et élégante.
Fixent les yeux pâles quand de nouveau elle se tourne vers lui.

Elle est bien silencieuse.

Et la voilà soudainement à ses côtés. Surpris, il ne bouge pas, son poil se gonfle légèrement. À son contact, tout lui paraît tellement insignifiant, il n’entend même plus le bruit des grillons.

Il n’y a qu’elle.

Il abaisse son museau, laisse sa truffe inspirer son odeur, descendre de son oreille jusqu’aux contours de sa gueule. Puis il vint poser son front contre le sien, l’observant.
Un instant il conserva le silence, profitant juste de l'instant.

« — Je t’aime. »

Les autres disent que c’est important de le dire.
Qu’il faut que tu saches.
Mais je n’attends rien en retour, je veux juste te le dire.

Contre elle, le peau du mâle était aussi chaude que dans ses souvenirs.
Comme un souffle d'été, une tanière chaude, l'étreinte d'êtres aimés et tous rassemblés. Elle n'avait jamais compris d'où lui venait cette particularité, mais ce n'était pas en cet instant qu'elle allait s'y attarder plus que d'habitude. Elle le sentit s’accommoder du contact et s'y trouver une place, leurs deux corps serrés, sa tête plus haute au-dessus de la sienne.
Le moment s'étira sans rien pour le perturber.
Jusqu'à ce qu'il ne fasse tomber ces quelques mots, si simples mais si puissants, au creux de son oreille.
Mildred n'eut pas de mouvement de recul ni de sursaut, c'était figée qu'elle demeura, les yeux comme la bouche entrouverts.

Je t'aime.

Il y eut dans sa poitrine un mélange complexe qu'elle n'était pas sûre d'avoir déjà connu.

Je t'aime.

Et elle, que ressentait-elle ?

Je t'aime.

Peut-être qu'il n'y avait pas besoin de réponse.
Car Mildred ne savait pas quoi faire de ces émotions qui dansaient main dans la main. Un peu de confusion, d'abord ; en conséquence de ces trois mots simples qu'elle n'avait pas l'habitude de recevoir.
De l'anticipation suivie d'une pointe de déception, ensuite, à constater qu'il n'y avait pas chez elle une manifestation magique et irréelle de quelque chose de fort, de quelque chose de puissant.
Mais un sourire et un brin de fierté, aussi, d'avoir eu raison lors de l'épreuve de Moiro à son sujet. D'avoir compris pourquoi il s'échinait à rester auprès d'elle malgré ce qu'elle lui faisait subir, malgré sa compagnie qui pouvait être des plus désagréables. Elle ne s'était peut-être pas attendue à ce dénouement en particulier, mais elle en avait au moins perçu la substance.
Et la disciple de Moiro ne pouvait nier le plaisir ressenti à se savoir au centre de tels sentiments et de pareilles attentions.

Mais pouvait-elle l'aimer, elle ?
Dans son cœur meurtri par tant d'années de désillusion, elle ne sentit aucune révélation subite poindre comme une éclaircie venue chasser les ombres.
Elle avait pourtant aimé avec force, Mildred. Mais cet amour, elle n'avait su toujours le diriger que vers sa famille, cette famille maudite qui traînait dans son sillage bien plus de malheurs et de chagrin que de tendresse.
Surtout... Tous ceux qu'elle avait aimé avaient fini par l'abandonner.
Même si Narcisse avait persisté à rester et à revenir, honorant sa promesse, même s'il n'était pas de ce sang damné, était-elle capable de lui accorder la réciprocité de ses sentiments ?

C'était ce que sa nièce avait dit. C'était ce qui rendait Miraj plus lumineuse qu'eux tous.
Elle savait aimer, et aimer bien, et lui avait dit de suivre le chemin. Alors sans doute devait-elle essayer ?

Mais Miraj était une âme jeune, Miraj avait eu une nouvelle chance dans le jeu de la vie. Elle... Elle était un corps abimé qui avait su retrouver un peu de vigueur mais qui ne pourrait guérir de tout.

Un souffle désolé quitta ses lèvres tandis qu'elle resta contre l'encolure dans laquelle elle était venue se réfugier pour se soustraire au regard de l'Etelkru, par crainte d'y voir des choses qu'elle ne désirait affronter.

A défaut d'une réponse, ce qu'elle pouvait offrir en échange de ses mots n'avait pas besoin de son pour s'exprimer. Une intimité différente de celle des sentiments.
Mildred ramena sa truffe contre la tête de Narcisse, le cœur battant et les joues réchauffées par une chaleur qui ne provenait cette fois pas du mâle, promenant son museau le long de ses poils de longueur variée.
Doucement elle se leva et se détacha de lui pour attraper entre ses crocs le tissu noir de son harnais et l'attirer vers l'abri de la tanière, ses yeux d'argent dans les siens si dorés.

Il n’attend rien de sa part, ne se froisse pas face au silence, ni même quand elle cherche à ne pas croiser son regard.
Du moment qu’elle ne prend pas la fuite.
C’était peut-être ce que Narcisse avait le plus redouté, qu’elle s’enfuie pour ne jamais revenir. À chaque fois qu’il était venu ici pour l’attendre, une part de lui s’était demandée si ce n’était pas en vain.
Mais elle était revenue.
De ses prunelles dorées, il étudie la disciple de Moiro, se demandant à quoi elle songeait. Trop imprévisible. Narcisse se laisse guider jusqu’à l’abri sans la quitter du regard.

C’est le point de non retour.

L’expression sérieuse, il s'arrête et vint lever une griffe pour doucement repousser une mèche de cheveux rouges.

« — Je ne t’abandonnerai pas, Mildred. »

Pas comme eux.

« — Je t’en fais la promesse. »

Je n’ai qu’une parole.
Il joint son souffle au sien.

Une ombre plus forte que la nuit tombante se mit à les envelopper quand il se laissa entraîner, seulement brisée par le contraste de leurs deux glowstick dont la lueur se côtoyait, luttait presque.
Les éclats dorés repoussaient les contours rose, parfois le magenta venait chasser le jaune - la danse des couleurs suivait chaque mouvement de leurs corps.

Ce fut le mâle qui interrompit ce mouvement pour lever une patte près de son visage et dégager l'une des mèches folles.
Cette fois-ci, Mildred ne détourna pas le regard pour recueillir les mots qu'il prononça. Elle l'affronta avec une neutralité presque effrontée, les yeux d'argent fixés sur lui avec l'éclat défiant de ceux qui avaient entendus beaucoup de promesses mais avaient surtout vu beaucoup de néant.
Et elle laissa passer un temps qui semblait avoir pour finalité un énième silence, avant que ne s'élève finalement sa voix.

—   Alors montre-le moi.

Il y avait une dureté certaine au fond de son timbre, mais aussi une note de vulnérabilité, et peut-être un peu d'espoir.
La louve laissa leurs museaux se côtoyer puis revint à un contact plus direct, attrapant cette fois son collier pour l'entraîner avec elle au sol de l'abri.
Elle était une disciple de Moiro, après tout.
Le langage du corps était chose aussi importante que les mots, l'intimité et l'appartenance ne passaient pas que dans les syllabes.

Demeurait pour elle une légère appréhension malgré la chaleur qui montait le long de son corps alors que, étendue, la louve verrouilla son regard dans celui du mâle.
À lui de conclure ce dernier pas ou... Ou de se défiler.
Mais maintenant qu'il en était là, cela n'arriverait pas, n'est-ce pas ?

Le cœur battant et l'esprit parasité par quelques fragments de souvenirs de ce rêve qui la vit être épouse d'un prince Etelkru bien différent de Narcisse, elle l'attendit.

Trop lui ont fait de promesses, trop les ont réellement tenu. Narcisse ne voulait pas qu’elle le croit, il le lui démontrerait. Chaque soir, ici il avait attendu son retour.
Il ne l’abandonnerait pas maintenant.
Les mots de Mildred sonnent presque comme un ordre. Ces gestes sont tantôt doux, tantôt plus brutaux.
Elle restait imprévisible.

C’est du collier cette fois dont-elle se sert pour le mener. Narcisse en est presque amusé, haussant un sourcil. Sa griffe vient toucher le glowstick rose, ses prunelles dorées ne quittant le regard de Mildred. Son museau vient une dernière fois toucher le sien.

Même maintenant tu trouves le moyen de me défier.

Narcisse lui montrerait.
Qu’elle pouvait avoir confiance.
Parce qu’il ne pouvait pas la trahir.

Il ne se défilait pas.

L'Etelkru franchit le peu de distance qu'il restait entre eux.
Mildred ne brisa pas le contact de leurs yeux, aucun mot ne fut ajouté. Il n'y en avait plus besoin. Une autre forme de dialogue prit le relais et elle s'y abandonna quand leurs corps se rejoignirent.

Et il y avait du plaisir à se savoir pleinement voulue, à avoir mené jusqu'au bout cette danse improvisée.

Par la suite, lorsque la nuit s'étira complètement pour durer jusqu'au matin, Mildred ne parvint pas à réellement trouver le sommeil.
Sa tête reposait contre le corps chaud de Narcisse mais ses yeux pâles ne parvenaient pas à demeurer fermés assez longtemps pour s'assoupir. Ils étaient braqués vers l'extérieur et les pensées dans son esprit défilaient, nombreuses et sans réel fil conducteur.

Au moins pour une fois elles ne hurlaient pas.

Seulement lorsque le ciel commença à prendre des teintes plus claires qui rappelaient la couleur de son glowstick, de ce pourpre foncé et intense qui découpait peu à peu la silhouette des arbres, finit-elle par enfin clore les yeux et relâcher la tension de ses muscles pour se blottir davantage contre le corps de L'Etelkru, un sourire discret sur les lèvres.