Une jolie collection | Ft. Grimalk

L'air s'était réchauffé en ces dernières périodes. Un peu plus de soleil, agréable chaleur sur le pelage de la jeune Lagertha, jouant dans le sable d'une terre qu'elle découvrait. La dragonne aimait explorer mais jamais elle n'avait décidé d'aller au-delà de ses frontières, de s'envoler plus haut qu'elle s'était autorisée jusqu'à maintenant. Et puis, elle avait toujours entendu parler de ces berges remplis de jolis coquillages, de quoi en faire de belles décorations. Bien sûr, l'etelkru n'était plus un petit louveteau, ça ne devrait plus être de son âge. Mais on avait bien le droit de s'offrir quelques plaisirs de temps en temps, n'est-ce pas ?

En tout cas, Lagertha s'amusait bien avec Ragnar, son oiseau. Couchée dans le fin sable de la plage, les ailes dépliées sur le sol, la jeune louve essayait de faire un trou dans les coquillages que le familier rapportait, puis de les rattacher ensemble. Peut-être qu'elle pourrait en offrir un à sa soeur Vérose ? Et Désiré ? Papa aussi serait sûrement content. Puis, elle remarqua que son petit tas de coquilles commençait peu à peu à descendre, et qu'une nouvelle cueillette était nécessaire, si elle voulait faire plus d'accessoires avec.

Alors, la dragonne se leva, gardant dans ses poils et sur ses écailles quelques grains de sable, cherchant de ses yeux les objets tant désirés. Il y en avait de toutes les formes, de toutes les couleurs. Elle les prit dans sa gueule, retourna à sa place avant de les poser sur son tas. Avant que celle-ci se repose, son regard se posa alors sur un reflet, se trouvant sous les quelques vagues de la plage. La louve reptile s'en approcha mais une vague vint lui chatouiller les coussinets et dût reculer de quelques pas, soupirante.

Ah, si seulement Vérose était là. Elle serait partie chercher ce trésor, au fond de l'eau.

Lagertha aimait la plage, mais pour son paysage et son sable chaud. À vrai dire, contrairement à sa soeur, l'eau n'était pas son élément, même, elle ne savait pas du tout nager sans qu'elle se noie et être repécher par sa cadette.

Les terres du Sud demeurent un endroit qu’il rallie souvent. Leur climat y est plus riche, plus proche de ce qu’il connait et qui convient à son corps même si peu à peu il s’habitue de force à l’humidité et aux vents frais qui règnent chez les Nakhus et que la meilleure saison diminue de plus en plus l’écart ressenti entre les différentes terres.
Marcher reste cependant l’une de ses activités principales, pratiquée au jour le jour sur des distances plus ou moins grandes - plus souvent grandes que courtes. Grimalk sait aussi que malgré la taille relativement réduite de ce morceau de continent, la diversité y est grande et que s’il a posé patte à beaucoup d’endroits, il ne les a pour autant pas explorés jusqu’au bout.
Il y a aussi toute une partie dont il n’a longé que la frontière et qu’il n’a pas encore franchi. Les terres des Etelkrus, le peuple du Sud.
Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne tente sa chance en s’appuyant sur un certain nombre de piliers pour plaider sa cause.
En attendant, il a d’autres motivations pour marcher loin en-dehors des frontières Nakhus - d’autres priorités à exécuter.
L’une d’elle, longtemps laissée en tâche de fond, est récemment passée dans le peloton de tête.

Il doit apprendre à se confronter à l’eau pour pouvoir suivre Violette dans un endroit encore plus froid et détestable - mais qui abrite les bêtes immenses et dangereuses qu’il veut voir.

La plage qu’il longe en ce jour est une candidate idéale pour débuter cet apprentissage solitaire.

Ses yeux sont davantage portés sur le sol que sur la mer alors qu’il y trotte de son rythme de croisière, le regard attiré de toutes parts alors que brillent milles coquillages différents.
Il s’arrête régulièrement pour les observer, pour accorder à chaque coque et à chaque galet ayant su se démarquer des autres sa minute - ou plus - de gloire.
Le mâle en a ramassé quelques uns pour les glisser contre son brassard quand ils lui plaisaient particulièrement. Il ne sait pas quoi en faire, mais ils sont faciles à transporter tant qu’il ne s’en encombre par d’une dizaine.
Plus loin le long de la rive, ce n’est plus un reflet irisé qui fait dévier ses iris, mais la silhouette d’un congénère.
Plutôt une, conclut-il en s’approchant quand les embruns portent une odeur agressive de sol mais aussi plus de détails sur l’identité de l’individu. Grimalk a modifié sa trajectoire pour marcher dans sa direction et l’entend parler alors qu’il s’approche, mais le contenu de la phrase est perdue dans les vents forts qui balaient parfois le bord de mer.
Ce qu’il ne perd pas, en revanche, est le reflet qu’il voit reluire sous la surface de l’eau et sur laquelle elle a posé son regard.
Ses yeux à lui effectuent plusieurs allers-retours entre la louve et la lueur, son esprit partagé dans l’intérêt qu’il porte à l’une et l’autre. La louve a une apparence singulière qui ne lui déplaît pas et se différencie par une hybridation qu’il n’a pas encore pu voir - elle ressemble à Abaddon pour ces traits reptiliens qui la décorent d’écailles et lui attribuent une longue queue de lézard, mais il y aussi chez elle des plumes d’une couleur vive qui peuvent lui rappeler Cheza et plusieurs autres loups affublés de plumes.
Il y en a beaucoup, chez les Nakhus. Le mélange lui paraît plutôt unique : entre lézard et oiseau, la génétique de la louve n’a pas su choisir.
Le reflet sous l’eau, lui, gagne peut-être le duel en attirant un peu plus souvent ses yeux. Parce qu’il ne sait pas ce que c’est, parce que la louve de plumes et d’écailles semble le convoiter, parce que ce mystère fait se lever sa queue pour qu’elle décrive quelques gestes amples derrière lui.

Il ne la regarde déjà plus et s’est approché au plus près des vagues jusqu’à sentir l’écume lécher le bout de ses doigts quand il lui adresse la parole.

— Qu’est-ce que c’est ?

Si elle s’y intéressait, elle en avait peut-être une idée.
Sinon… Ils seraient deux à devoir élucider la trouvaille.

Elle fixait longuement l'eau, la jeune Lagertha, alors que ses pattes se faisaient lécher gentiment par quelques vagues venant de la mer. Elle se sentait hypnotisée, envoûtée par ce petit soleil au fond de ce liquide salé. Non. Ce n'était pas un soleil. C'était la lune. Une toute petite lune qui scintillait et qu'elle voulait tenir entre ses pattes, un objet qu'elle voudrait tant tenir. L'astre était-il tombé du ciel pour se retrouver en ces lieux ? Ou était-ce un de ses petits ? La dragonne ne s'était pas rendue compte pendant ce temps, non, elle n'avait pas senti la présence se glisser près d'elle, fixant à son tour la chose au fond de l'eau. Mais l'etelkru ne sursauta pas, son état était stable, respirant calmement, toujours les yeux fixés là où se trouvait le trésor tant convoité. Doucement, elle agita les oreilles alors que ses lèvres se mirent à bouger.

La lune. Je crois. Regarde comme elle brille de mille feux sous ces vagues.

Répondit calmement la louve avant de diriger son regard vers le loup qui l'avait rejointe. Elle ne le connaissait pas, son odeur ne lui disait rien. Mais Lagertha savait au fond de son coeur que se n'était pas un ennemi, qu'elle n'avait pas à en avoir peur. Après tout, il l'avait rejoint sans se jeter à sa gorge et était lui aussi intéressé par la jolie sphère au fond de l'eau. Lui, il était le contraire de la lune, il n'avait pas un pelage blanc et luisant, mais un poil sombre. Pourtant, rien n'était désagréable à le voir, c'était un beau sombre, comme l'ombre qu'on retrouve dans les forêts la nuit tombée, et ses yeux sont des lucioles. C'est ce qu'elle pensait, Lagertha.

Je voudrais bien cette lune, la montrer à ma soeur. Mais ne devrait-elle pas rejoindre le ciel, pour qu'elle éclaire nos nuits ? Pourquoi est-elle au fond ? Dans ce beau coquillage si grand ? On dirait que celui-ci va l'avaler.

Elle poussa un léger soupir alors qu'une de ses ailes s'étira pour rejoindre la surface de l'eau. Non, clairement, elle n'était pas faite pour nager.

Une réponse ne tarde pas à lui parvenir mais celle-ci lui fait froncer les sourcils au lieu de lui apporter quelconque satisfaction et il rompt son observation du reflet dans l'eau pour plutôt braquer son regard sur le visage de l'autre adolescente, perplexe.
Mais elle n'a pas l'air de plaisanter et demeurait absorbée par l'éclat miroitant, elle aussi. La lune ? Il trouve cela ridicule mais il sait aussi qu'il doit garder une forme de prudence sur ses conclusions.

À peu près tout était possible, ici, excentrique ou non.

Peut-être qu'elle ne veut pas parler de la vraie lune et qu'il s'agit d'une métaphore.
Leurs yeux se rencontrent alors qu'elle les dirige vers lui quand les siens ne s'étaient pas détournés et il les détaille en silence. Leur couleur est incandescente, pareille à une braise qui rougeoie dans les flammes.
Puis la louve parle encore et reprend le fil précédent - elle persiste sur son histoire de lune et le visage de Grimalk se fronce à nouveau.

Cette fois il s'exprime, de cette voix qui côtoie la frontière de l'adolescence et de l'âge adulte dans des intonations qui deviennent plus graves sur certains mots tout en conservant un timbre jeune.

— Ce n'est pas la lune. Une lune ne peut pas tomber.

Techniquement, il n'en est pas certain. Mais toute histoire concernant les astres dont il eut connaissance mentionnait qu'ils puissent s'éteindre ou exploser, pas se retrouver au fond de l'eau.
Et qu'ils étaient très grands, même si de leur perspective ils n'étaient que points dans le ciel.

Cependant, il n'y a qu'une seule façon d'être certain et de pouvoir définitivement rayer cette théorie des possibles, pense-t-il tout en laissant ses iris s'accrocher sur l'aile que la louve déploya pour effleurer la surface des vagues.

— Je vais aller voir.

Une résolution ferme résonne au fond de sa voix et ses yeux se sont de nouveau braqués sur la lumière qui concentrait toute leur curiosité.
Après tout, c'est pour cela qu'il est venu sur cette plage initialement.
Pour se confronter à l'eau.

Ça ne peut pas être si difficile.

Alors Grimalk s'avance et enfonce les pattes dans cette mer qu'il n'a jusqu'alors autorisée qu'à l'effleurer, éveillant un frisson le long de son échine. Il trouve la sensation désagréable mais il ne marque pas d'hésitation avant de continuer à avancer, les crocs serrés et le regard plissé. Toute réserve qu'il put avoir encore gardée s'efface au profit d'un rythme cardiaque qui s'accélère et d'une détermination qui s'érige en arme.
Il deviendrait une lame capable de pourfendre cette surface indomptable.

La surface de l'eau l'enveloppe de plus en plus, une résistance qu'il n'a pas l'habitude de connaître commence à détacher le contact que ses pattes ont avec le sol pour le porter vers le haut et il les agite plus fort par réflexe. Chaque pas supplémentaire le soustrait de plus en plus à la possibilité de s'y reposer jusqu'à ce que même du bout de la griffe il ne puisse plus toucher de vase et son souffle se fait plus court alors que ses mouvements s'intensifient encore pour lutter contre ce sentiment de perte de contrôle.
Plusieurs fois, les vagues s'octroient le droit de passer par-dessus son museau ou d'éclabousser ses yeux et ses cheveux et c'est une agression supplémentaire que de devoir gérer cette eau salée qui inonde truffe et gueule et lui brûlent le fond des sinus.

Son visage se déforme d'une grimace et le mâle gronde mais continue de se démener pour progresser et dominer la houle.

Mais ce n'est pas tout.
Pour récupérer la lune au fond de l'eau, il faut plonger.
Grimalk ne se pose pas davantage de questions pour établir une quelconque stratégie - il pressent que c'est inutile - et aspire autant d'air qu'il le peut avant de s'immerger complètement et d'actionner ses pattes différemment. Non plus pour le maintenir en surface, mais pour atteindre le fond au plus vite.

[Lancer de dé pour déterminer si Grimalk arrive à récupérer le machin]

Sa tête disparue sous l'eau, celle-ci l'agresse avec une intensité redoublée.
Tous ses sens sont malmenés, voire lui sont retirés - tenter d'ouvrir les paupières brûle ses yeux, sa truffe noyée n'est d'aucune utilité, ses tympans inondés ne font écho qu'à un bruit profond et indescriptible issu de la mer, toute la sensation du toucher est parasitée par la présence de cette eau qui l'enveloppe et l'écrase, partout.
À mesure qu'il laisse son corps couler, il comprend à quel point cet environnement n'est pas le sien et est puissant. La maîtrise qu'il a de son corps en temps normal ne compte pas, ici, alors qu'il tente simplement de se concentrer suffisamment pour ne pas perdre le contrôle, luttant contre les injonctions que lui envoyait son corps - respire, écoute, observe !
Dans cet élément, il doit tout réapprendre.

Grimalk n'a cependant pas oublié son objectif premier - et heureusement pour lui, son estimation des distances et des trajectoires est affinée et s'est montrée correcte.
Il ne doit pas batailler bien longtemps pour effleurer du bout de la griffe ce qu'il espère être son objectif. Il le prend en gueule, puis parvient à toucher le fond d'un postérieur pour se propulser vers la surface.

La perçant d'un mouvement violent de la tête, le mâle continue de se débattre sans grâce mais avec grande énergie pour regagner la berge : ce n'est qu'une fois de retour sur le sable, où il peut lâcher sa trouvaille, qu'il a enfin l'occasion d'ouvrir grand ses mâchoires et d'inspirer une profonde rasade d'air.
Du coup de l'œil, il voit que la louve est toujours là et qu'elle se précipite vers lui.
Il entend ses mots mais est toujours trop essoufflé pour réagir autrement qu'en la fixant simplement, à travers de longues mèches noires collées à son visage.
Il n'aime pas du tout cette sensation pesante et entravante d'être toujours gonflé d'eau et ruisselant, ça dérange tout son corps, ça parasite sa perception du monde et le contrôle de lui-même.

D'autres paroles viennent ensuite et cette fois, après quelques secondes de flottement, Grimalk se racle la gorge pour répondre d'une voix éraillée par l'eau de mer ingérée par erreur à de multiples reprises lors de la manœuvre.


— Il suffit de se convaincre d'y aller et de ne pas reculer.

Il ne sait pas s'il s'agit de courage.
Il sait seulement qu'il fonctionne ainsi, et que c'est au final plutôt... Simple.

Après un petit moment à s'être encore absorbé dans l'observation minutieuse de l'hybride étrangère, le Nakhus finit par regarder à ses pattes, se rappelant de la présence de ce qu'elle avait appelé la lune.
C'est... Une perle.
Une très grosse perle.
Sa surface nacrée renvoie encore mieux les rayons du soleil que tous les éléments brillants sur la plage autour, et Grimalk se penche davantage vers la trouvaille, les yeux exorbités. Sa vie ne l'a que très rarement amené à être en contact avec des trésors de l'océan - les seules perles qu'il avait déjà vues, de taille bien plus modestes, faisaient partie de quelques rares ornements portés en bijoux. Et leur souvenir était flou.

Mais sous ses yeux, cet objet-ci lui paraît bien plus merveilleux que tout simulacre qui puisse se trouver dans sa mémoire.
Et c'est une fascination pleine et entière qu'il consacre à son observation intensive, imperturbable, devenu imperméable à son environnement.