Illidan ▬ Cataclysm [Edessa]

Tout est perdu.
Dans les abîmes aux profondeurs insondées, un mouvement. Une lueur vibrante, une éclosion, l’aube d’une naissance. Ou d’une renaissance ?

Du moins, je l’eu cru.
Il n’y a ni haut ni bas, ni clarté ni ombre, juste des flux en perpétuel mouvement, entre deux éclairs verdâtres. Des voix chuchotent en permanence, susurrant des cauchemars incessants, crachant des formules interdites, pernicieuses et obsédantes. Mais au milieu de tout ça, perdue, la lueur vacille jusqu’à disparaître. Elle était venue là, portée par des maléfices interdits, s’égarant entre deux erreurs et mots maudits ; mais ce n’est pas le lieu pour ce genre de lumière, elle n’est pas d’ici, et n’aurait jamais dû venir là.

Rien de tout ça n’a de sens.
Elle est cependant trop forte pour être absorbée vers les terres de l’ombre, trop teintée pour être jugée comme les autres. Rien ne lui ressemble, sa nature même s’approche plus de la malédiction que d’une âme de vivant. Elle tombe, accélère dans le précipice brisé à l’intersection des milles univers, se fait aspirer vers là d’où elle vient.

Alors pourquoi ?
Un éclair vert déchire le ciel au-dessus de Morne-Oeil, alors que l’île se fait recouvrir par le tsunami. Un autre type de malédiction. Celui-ci n’a pas trop de rapport avec notre maudit, cependant. L’éclair fend les nuages et la marée, il traverse les vagues et les abysses jusqu’à retrouver quelques ossements dispersés au fond de l'eau. A son impact, un cratère empli d’étincelles et d’écume vertes, ainsi qu’un tas rabougri de poils et d’os. Le fel est revenu frapper Punk Wolf.

Pourquoi suis-je revenu ?

Ses yeux ne peuvent s’ouvrir, ses poumons moisis se remplissent rapidement d’eau. Ses lambeaux d’os et de peau ayant eu l’apparence d’aile sont douloureux, ses pattes incapables de vraiment bouger. Il paie un prix dont il n’a aucun souvenir de la note, revient dans un monde qu’il avait pourtant quitté de lui-même. Son esprit n’arrive pas à se raccrocher à ce qui l’entoure, tout n’est que fièvre et panique. Quand tout à coup, un flash le traverse, le secoue tel un chiffon dans les tréfonds, et tout lui revient. Sa vie, son passé, ce qu’il a fait, ce qu’il est devenu. Le goût iodé de cette île maudite, aussi maudite que lui, sur laquelle il est resté prisonnier la moitié de sa vie.

Le monde semble arrêter de tourner, et une force qui n’est pas la sienne lui permet de bouger, de battre rapidement des pattes vers ce qu’on lui souffle être la surface. Il est mû d’une énergie impossible, son corps manque de se déboiter à chacun de ses gestes, mais il finit par arriver à terre, sur un sol boueux dont la marée quitte peu à peu les sommets. Il tousse tout ce qu’il a, crachant sang et eau de mer, tremblant de tout son être, effrayante silhouette d’une finesse cadavérique, tenant à peine debout au milieu des terres inondées.

Le vent et la pluie lavent son corps sale et rougi de sang, ébouriffant les restes éparses de fourrure qui subsistent sur son corps faible et malade. Il tousse encore, la morsure de la douleur dans sa gorge lui coupant le souffle pendant de longues secondes. Il entend toujours les chuchotements…ceux qu’il entendait dans sa grotte, pendant ses expériences. Ils sont encore là, ils ne l’ont jamais quitté. Même lorsqu’il pensait avoir tout perdu, ils étaient là, entêtants, masquant ses pensées, aspirant ses dernières volontés. Mais, doucement, tout doucement, il se surprend à les entendre s’éloigner, à mesure que le nuage vert ayant frappé ses restes dans l’océan s’estompe dans le ciel. Ils se taisent un à un, le laissent peu à peu. Quand enfin, il le laissent seul, plus seul qu’il ne l’a jamais été.

Il est terrifié. Terrifié de ce silence, après avoir été habitué tant d’années à leurs brouhaha incohérent, à leurs mots dégradants, à leurs suggestions obscènes. Il écarquille les yeux mais la douleur le fait vaciller : ses orbites vides n’aiment pas être titillés. La force qui l’a ramené à la surface le quitte avec les voix, et dans le silence assourdissant des trombes d’eau tombant autour de lui, il s’échoue sur le flanc, perdant conscience.

Laissez-moi mourir…

Mais c’est bien vivant, qu’il émerge à nouveau le lendemain.
Détruit, hagard, perdu, mais indubitablement vivant. Son premier réflexe fut d’attendre à nouveau la mort, là, étendu et faible sur le sol, mais le soleil et le sel lui brûlaient la peau, et il a fini par céder à ses instincts lui suppliant d’aller s’abriter. A tâtons, ne sachant où aller, il a déambulé quelques heures, le silence lui donnant la nausée. Il n’arrive à se concentrer sur rien, ne pense à rien de concret, et marche par automatisme de palmier en palmier pour rester à couvert, ses pattes tremblantes le portant à peine. Il reconnaît un peu les lieux, mais la mémoire lui faillit, après tout il avait arrêté de se promener ici depuis bien longtemps.

Il l’entend venir de loin, l’ouïe ayant toujours été son sens le plus affuté puisque la nature ne lui a pas confié d’yeux fiables à la naissance. L’ombre rachitique qu’il est s’immobilise, et il espère la venue d’une créature suffisamment violente pour lui arracher la vie rapidement. Mais il lâche un soupir dépité : le pas est léger, et même sa truffe pelée sait encore reconnaître l’odeur d’un loup. Y avait-il encore des Raeders, sur l’île ?

Cette île est habitée. Qu'est-ce que tu fais là, tu t'es perdu ?

Il ne reconnaît pas la voix, mais entendre un autre loup vivant lui parler le perturbe plus que prévu. La dernière voix qu’il a pu écouter est celle de sa sirène…mais ses chuchotements entêtants sont loin du ton impérieux de cette louve. Il met quelques instants à répondre, reniflant péniblement son effluve, cherchant quelques indices sur une réponse adéquat à donner. L’odeur a un peu changé, ses membres ayant dû tourner…mais ça ressemble bien aux Raeders.

Un vertige le prend, mais il maintient suffisamment son équilibre pour rester debout. Devrait-il se présenter ? Honnêtement, il n’est pas sûr de la réputation qu’il a pu garder auprès de son ancienne meute. Est-ce que Safran était encore vivante ? C’est probablement la dernière Raeder qu’il a vue avant ce retour imprévu à la vie. Combien de temps seulement s’est écoulé depuis ? Peut-être…peut-être devrait-il oublier tout ça, après tout rien de cette existence n’avait plus d’intérêt aujourd’hui.

Il essaye de parler, mais s’étouffe dans une quinte de toux, avant de croasser faiblement :

« Oui. Mais je vais essayer de m’en aller, ne t’en fais pas. »

Probablement essayer autrement de retourner là d’où il est revenu.

Il aurait été étonné qu'elle le laisse partir si facilement. Mais il est à bout de forces, et n'a pas la patience nécessaire pour ce genre de querelle, et ses questions l'agacent déjà. Sa voix n'est qu'un souffle, comme la caresse d'un fantôme lors d'un soir brumeux.

« Je viens de...la mer. »

Sur le plan strictement technique, c'est vrai : c'est là dont il est ressorti.

« Les souvenirs me manquent, mon passé est brouillé. Je serais incapable de te dire comment je me suis retrouvé ici. »

Ce qui n'est pas faux non plus. Il en sait plus qu'il n'en dit, mais s'il soupçonne les démons de l'avoir ramené en ces terres, l'éclair vert l'ayant ranimé étant une piste, il n'est néanmoins sûr de rien. Dans l'instant, son instinct ne lui hurle que deux choses : eau et repos. Il est aussi sec qu'il n'en a l'air, la migraine qui lui vrille le crâne l'empêche de vraiment réfléchir, et il savait que s'il s'écroulait il ne se relèverait pas. En même temps, n'est-ce pas ce qu'il cherche depuis la veille ? Lorsqu'il trébuche ses pattes se relèvent d'elles-même, son inconscient le pousse à trouver de quoi vivre, mais dans le fond il ne sait pas ce qu'il fait là. Il était censé avoir mis fin à ses jours, bon sang...

Peut-être devrait-il l'énerver, pour qu'elle plante ses crocs dans sa gorge et abrège ses souffrances, mais il est trop fatigué pour être autre chose que semi-honnête. Quelle ruine.

Elle est discrète, mais il sent qu’elle s’approche. Les loups voyants pensent toujours pouvoir profiter de la cécité des concernés, mais il n’en a cure. Qu’elle s’approche, qu’elle vienne achever sa douleur perpétuelle. Mais il devine qu’elle ne fait que vérifier ses mots en analysant son odeur, et ses épaules s’affaissent de fatigue.

Laisse-moi t'accompagner à la sortie.

Il n’exprime pas la moindre réaction, physiquement ou verbalement. A peine debout, il est là, et las, de tout. Il l’entend commencer à avancer, et ses pattes la suivent machinalement, ses articulations le lançant. Ils avancent dans l’eau glacée, et il est pris d’un haut le cœur à l’idée même d’être à nouveau baigné dans l’océan. La sensation de l’eau salée dans ses poumons est encore vive dans son esprit, et malgré lui sa peur lui hérisse la fourrure pelée et teinte son odeur. Intrinsèquement, il est trop dissocié de ses propres émotions pour se sentir réellement apeuré, mais son corps sait. Son instinct tout juste ramené des morts est à vif, et la dualité des intentions se battant dans son esprit lui donne la nausée.

Je ne crois pas que ton corps résistera à la traversée. Veux-tu te noyer ?

Il tremble, de froid, de faim, de douleur, de fatigue, d’à peu près tout ce qu’on ne veut pas avoir.

« Oui, » souffle-t-il, ayant à peine la force de desserrer ses mâchoires crispées par ses frissons.

Le loup décharné reste debout malgré tout ça, ses vestiges d’ailes piteusement serrées le long de ses flancs, dans un réflexe primaire de conservation de chaleur.

« Cependant si tu souhaites que ça aille plus vite, je t'autorise à m’achever ici et maintenant. »

Sa voix est monotone, chaque mot craquant sur ses cordes vocales. Il ne réfléchit même plus, tout chez lui n’est devenu qu’automatisme.

Il aimerait résister, ne pas la suivre. Rester là, dans l’eau, et poursuivre son chemin malgré elle ; mais il est si fragile qu’elle n’a qu’à l’épauler pour le mener où elle veut. La rançon de toujours avoir été un poids-plume, il y avait longtemps que le mot ‘‘muscle’’ ne faisait plus partie de ce qui le définissait.

Il ne dit rien, sa mâchoire s’est trop serrée pour le lui permettre, il n’aurait de toute façon réussi à rien d’autre que de claquer des dents. Le revenant est perdu, entre tout ce qu’il ressent et ne ressent plus, et n’a aucune idée de la moindre direction dans laquelle aller. Alors, suivre les pas de l’inconnue…là, ce n’est pas si mal.

Illidan s’allonge là où elle le pose, et se roule misérablement en boule, les pattes ramenées sous lui et ce qui lui reste de queue ramené près de son museau. Son corps ne lui évoque qu’une grande fracture, et lui donne envie de ne plus jamais bouger. Il ne se rend pas compte qu’elle part, et remue les moustaches de surprise lorsqu’une odeur de poisson lui envahit les narines.

Tiens, boit, ça te réchauffera.

Le soleil lui réchauffe efficacement la peau, et c’est presque sans tremblements qu’il tend le museau vers ce qui lui a été proposé, avalant presque tout rond quelques morceaux de poisson, avant de s’intéresser à l’outre.

Il fait une pause, son flux de pensées s’étant réactivé en mangeant. Pourquoi fait-elle ça. Je n’aurais pas dû lui répondre ça. J’aimerais être seul. Je ne veux pas être seul. Je n’ai pas demandé à revivre. Pourquoi ?

« J’aimerais juste dormir, » souffle-t-il sans aucune voix, celle-ci ayant quitté le navire pour aujourd’hui.

De la façon dont il l’entend, il a presque l’impression qu’elle lui propose un poison. Dans son état, il ne lui en faut pas bien plus pour le convaincre. Illidan connait l’alcool, tout bon Raeder y goûte assez tôt, mais cela fait si longtemps qu’il s’étouffe à moitié avec, avant d’en reprendre. Le liquide lui brûle la gorge, réchauffe son estomac, et le poison lent qu’est l’alcool lui rappelle d’aussi bons que mauvais souvenirs. Heureusement, on dit que ça fait tout oublier, alors il accepte la vague de nostalgie sans trop broncher. Tant qu’il est encore conscient, il demande d’un ton monotone :

« Qui es-tu ? »

Il n’y prête que peu d’intérêt, mais une part de lui se demande ce qu’il est advenu de la meute. Il espère qu’elle parlera longtemps, ça l’aidera à s’endormir.

Ainsi il était fixé, les Raeders vivaient encore. Quelque chose enfoui très loin au fond de lui sembla être comme rassuré, satisfait. Ses intérêts s’étaient largement détournés de la survie de son ancienne meute, si bien qu’il avait été un très piètre Capitaine les dernières années de sa vie, mais il n'avait jamais souhaité leur malheur. Il était entré en contact avec les démons pour trouver un moyen de contrer les dieux...dans le but originel de le, et les protéger.

Une deuxième chance...c’était rare, en effet. On n’avait généralement pas la chance de revenir d’entre les morts.

Il ne savait que répondre. Comment savoir si le retour d’un très ancien et honteux Capitane leur ferait plaisir ? Il ne souhaitait à aucun moment s’établir là, sur cette île maudite, auprès de gens qu’il ne connaissait pas. Il n’avait aucune idée de quoi faire, d’où aller, ni même était réellement certain de ce qu’il faisait, mais il avait une seule et unique envie : quitter cette île, et être seul. Longtemps. Il était enfin défait de toutes ses attaches, responsabilités, malédictions...démons. Illidan souhaitait en profiter avant que cette deuxième chance ne lui soit reprise. Peut-être pouvait-il mourir de nouveau à chaque seconde : cette idée le terrifiait.

« Visiblement, un petit veinard, » commence-t-il, son ton sans vie ironisant ses propos.

Le meilleur moyen de ne pas évoquer de doutes, était de donner une réponse à ceux posant des questions. Elle n’avait ceci dit pas besoin d’être vraie, c’était bien l’avantage.

« Je suis...la Ruine d’Oiseau. »

Ses derniers mots sont chuchotés, plus doux. L’Effluve avait toujours été son petit secret, même si Safran devait se douter qu’il voyait parfois quelqu’un. Personne ne connaissait ce nom qu’elle lui avait donné, alors il ne mentait même pas vraiment.

« Je vivais par ici, et un jour j’ai donné ma vie à l’Océan. Mais il semblerait qu’il n’ait voulu la garder, » murmure-t-il en posant son museau sur ses pattes, la fatigue le rattrapant doucement.

Edessa.

Ce sera retenu, quelque part, au fond de sa mémoire.

Si l'Océan ne l'a pas gardée, c'est probablement qu'il avait d'autres plans pour toi.

Un faible sourire se dessine sur son museau quand il se rend compte qu’ils parlent tous les deux de l’Océan comme des Raeders. Mais elle ne semble pas le remarquer, et ses mots résonnent dans son esprit. D’autres plans pour lui ? Il n’était pas certain que ce soit l’Océan, qui ait des plans. Mais plutôt qu’une autre force l’ait arraché des bras de l’Océan...

Sa pensée se fait plus faible, son fil de réflexion se perd dans la fatigue. Il l’entend à peine se lever, et la voix d’Edessa le berce ultimement vers un sommeil profond. Il reste inerte de longues heures durant, presque mort, son corps trop abîmé pour se permettre de dépenser la moindre énergie ailleurs qu’en récupération.

Quand quelque part le lendemain il émerge enfin, il met peut-être une heure avant de se décider à se lever, puis se lève difficilement, sans un mot, et s’en va vers l’eau, résolu à traverser le bras de mer pour retrouver le Continent qu’il n’a pas vu depuis tant d’années.

[Fini donc !]