À la nouvelle lune — Illidan

Vell trouvait la chasse particulièrement ennuyeuse dans ce monde. À tel point, que cela en devenait une corvée. Le but de cette partie de chasse n’étant pas de se restaurer, mais de composer une offrande.
La nouvelle lune était idéal pour cela. Le démon avait rassemblé plusieurs cadavres de volatiles, empilés les uns sur les autres, un petit cercle d’autres cadavres tout autour. Mmmhhh.

« — En avons-nous un nombre suffisant ? »
« — Espérons. »

Ombre vint s’étendre pour mieux observer, ricanant. Vell n’y voyait rien d’amusant et espérait que tout ceci ne soit pas en vain. La longue queue vint onduler sur le sable, alors que concentrée, la louve vint taper deux silex entre eux au-dessus d’un peu de lichen déposé sur les corps des oiseaux. Frottant les deux pierres jusqu’à obtenir quelques étincelles, elle se recula, observant de ses prunelles vairons le cercle prendre progressivement feu.

« — Espérons que cela les attire, les ténèbres ! »
« — Oui, attendons de voir si ce qu’il y a de plus sombre en ce monde, viendra jusqu’à nous. »

Que nous sachions si les ténèbres sont déjà ici.
Ou si nous devons les instaurer.

Errant comme à son habitude, ses pattes aux pas hésitants crissant doucement sur le sable, Illidan cherchait découverte intéressante. Si possible, découverte qui se mangeait, mais à tout hasard il s’ennuyait suffisamment pour que n’importe quoi l’intéresse.

Il vivait généralement de jour, malgré sa cécité, ayant toujours été aveugle il était parfaitement capable de lire les étapes de la journée dans les subtils changements de température, et par habitude selon le lieu, d’où provenaient les rayons du soleil. Actuellement, il faisait nuit, mais comme toute autre personne, l’ancien était parfois pris d’insomnies. Ses rêves étant régulièrement chaotiques dû à son passé chargé, même s’il arrivait à être suffisamment dans le déni pour vivre sans y prêter trop attention, la nuit révélait souvent ses faiblesses accumulées avec le temps.

Ce soir, il avait donc décidé de s’aventurer au bord de l’eau à la recherche de distractions, la nouvelle lune lui important très peu puisque la lumière ne l’affectait pas. Quelle ne fut pas sa surprise de remarquer plusieurs passages dans le sable, tous agrémentés d’un fumet très agréable de gibier, mener vers un petit espace de la crique d’où émanait l’odeur de feu. Cela faisait si longtemps que l’odeur d’un feu, de nourriture y brûlant, le tout mêlé à celle de la mer ne s’était pas manifestée à lui, que la nostalgie lui fit avoir un léger mouvement de recul. Mais son estomac le rappela rapidement à l’ordre, et sans plus de cérémonie, ne remarquant pas de geste spécifiquement agressif de quiconque dans les environs, il s’approcha du tout et s’empara d’une proie laissée près des flammes pour en arracher avidement les plumes à la recherche de chairs.

S’il avait su que tout cela avait été organisé en cercle d’invocation, il en aurait été sincèrement honoré.

Les yeux bandés n’excusaient rien. Vell toisa ce nouvel arrivant, d’abord indifférente, avant d’adopter une attitude agacée. Ombre s’approcha des oreilles tombantes pour venir y murmurer (quelle importance, visiblement à part la petite demi-démon noire personne ne comprenait son langage).

« — Est-ce donc cela, l’obscurité sur ces terres ? »
« — Non, ça c’est une épave. »

Un déchet même.

« — Oh. »

Ombre marqua une pause.

« — Il souille le rituel. »
« — Peut-être que son sang sera plus efficace. »

La louve se redressa, elle n’appréciait pas qu’on vienne se mêler de ses affaires sans y avoir été invité.
Encore moins si c’était pour y porté atteinte.
La patte de Vell vint serrer le museau de l’étranger pour l’empêché de mâcher.

« — Que crois-tu faire ? »

L’ouïe d’Illidan était fine, mais il ne déchiffra pas les mots susurrés à l’oreille par l’une des personnes présentes, le crépitement des flammes brouillant certains sons. Il profita de l’échange tant qu’on débattait visiblement la réaction à avoir face à lui, mais se fit interrompre par un contact physique, ce qui lui fit froncer les sourcils. Sa truffe s’agita pour analyser la situation, tandis que ses moustaches remuaient d’inconfort. Encore une dame.

« Mademoiselle…me voilà fort contrit, cela ressemblait à s’y méprendre à un buffet, » articule-t-il comme il peut malgré l’emprise de l’inconnue, le ton innocent contrastant avec sa ruine de corps.

Il sentait la chaleur des flambeaux et les entendait répartis à distance égale, probablement en cercle, déduisait-il. Si ça ne ressemblait pas à une salle des fêtes cherchant convives, qu’il en soit damné. Ah– fichtre, c’était déjà le cas.

« L’air porte les effluves de moult gibiers, cela fait beaucoup pour vous et le chuchoteur, non ? Attendiez-vous autre compagnie ? » ronronne-t-il.

Tss, il parvenait à parler malgré l’emprise. Qu’ils aimaient ça sur ces terres, jacasser encore et encore, comme si cela les sauverait.
Qu’on leur arrache la langue.

« — Le chuchoteur ? »

Ombre s’approcha du bandeau qui couvrait les yeux du vieux loup.

« — Ce vieillard n’a pourtant pas l’air d’avoir quelque chose en commun avec nous. »
« — S’il t’entend, c’est que les démons ne lui sont pas inconnus. »
« — Donc, nous ne le mangerons pas ? »

Une pointe de déception dans le ton d’Ombre. Vell retint un soupir, ses paupières mi-clauses dans cette expression de désintéressé et d’ennui. La patte relâcha son emprise.

« — J’attendais la venue des miens… ou de quelque chose y ressemblant… »

Les prunelles vairons se posent à nouveau sur le brasier, sa longue queue venant soulever du sable.

« — … mais ce monde ne semble rien avoir d’intéressant en matière d’obscurité. »

Mis à part des mi-démons et quelques intéressés par les sciences occultes.

« Donc, nous ne le mangerons pas ? »

Voilà quelque chose qu’Illidan n’avait pas entendu depuis longtemps. Le souvenir d’une effluve lui caresse l’esprit, mais la patte lui tenant le museau le relâche, et son attention est ramenée près des étrangers.

« — J’attendais la venue des miens… ou de quelque chose y ressemblant… »

Le loup décharné reprend vaguement contenance, exprimant de ses oreilles son écoute, tout en s’asseyant poliment, la silhouette décharnée de son corps courbé faisant toutefois perdre en noblesse à sa position.

« — … mais ce monde ne semble rien avoir d’intéressant en matière d’obscurité. »

C’était là un sujet sur lequel Illidan ne pouvait être que d’accord.

« Malheureusement oui, sa demoiselle a raison. D’origine ne sont implémentées que ces déités détestables, malgré mes moult efforts pour ouvrir une porte à quelques forces sombres, dans l’espoir de contrebalancer un peu, » dit-il le ton las, désabusé.

Il porte alors son attention vers le chuchoteur, qu’il ne perçoit pas très bien physiquement, mais dont il entend bien la voix.

« Vous semblez cependant apporter un peu de nouveauté en ces bas-fonds, votre timbre de voix me sonne familier et étranger à la fois. Puis-je vous demandez si vous êtes une créature, ou un autre loup touché par les ombres ? »

Sa voix est calme, mais sa gueule salivante rêve de retourner déplumer l’animal entamé juste avant. Il est si proche, il le sait…

Ouvrir une porte ? Intéressant. C’était la première fois qu’un loup de ces terres faisait mention d’une porte. Bien que cela fut un échec… cela ne demeurait pas impossible.

« — Des dieux ? »
« — Ceux qui donnent la lumière. »

Un certain dégoût dans le ton de Vell.
Des dieux qui berçaient les mortels d’illusions. Ombre adopta une posture étrange, ses yeux colorés observant leur interlocuteur.

« — Touché par les ombres ? »
« — Nous sommes nés de l’ombre et de la noirceur des vivants. Nous cherchons à faire régner les ombres. »

Voir peut-être même plus sombre… si cela leur était permis.

Le ton de l’inconnue à propos des dieux ravive un certain plaisir en Illidan. Il sait qu’il fait partie d’une minorité, qu’encore aujourd’hui ces créatures aux sublimes faux-semblants avaient trop d’emprise sur les faibles esprits des groupes peuplant le continent. Même parmi les Raeders il n’avait souvent entendu qu’un certain désintérêt, au plus une lassitude. Mais rarement de dégoût.

La réponse à propos du chuchoteur intéresse la ruine ; ils avaient deux voix, ce qui l’avait poussé à imaginer qu’ils étaient deux. Mais peut-être la louve était la personne touchée par les ombres, et le chuchoteur...l’ombre en question. Après tout il n’en entendait aucun son indiquant une présence physique tangible.

« Je n’aurais imaginé trouver en ces lieux quelqu’un partageant ainsi mes intérêts, » répond-t-il, le museau se fendant d’un sourire malsain.

Était-elle encore une conséquence de ses actions ? Une autre engeance de ses expériences passées ? Emilitia ne l’avait jamais mentionnée, mais il n’était pas impossible qu’Azzinoth ou Méluciole aient eu une progéniture...

« D’où peuvent bien venir deux intéressantes personnalités comme vous ? » ronronne-t-il.

Il reste encore sagement éloigné de la proie entamée, le sujet l’intéressant suffisamment pour garder son estomac à distance. Illidan était tout de même positivement étonné de la propagation de ses rencontres aux sombres desseins, peut-être la gangrène des démons arrivait enfin à gagner du terrain sur la lumière maladive de ces terres. Ou bien avait-elle toujours été présente, et seul son exil forcé sur Morne-Œil l’avait empêché de rejoindre les autres convaincus...encore des plans de ces créatures, pense-t-il amèrement, mais mes efforts parviennent enfin à éviter leurs machinations. Rien de tel qu’une résurrection démoniaque pour passer outre quelques malédictions...

Étais-ce si important, de savoir d'où ils venaient ?

« — D’un monde où nous avons chassé la lumière. »

Dévoré, avant que nos frères et soeurs ne viennent asservir les fidèles.
Korangar, le nom du monde où se trouvait le Puit du néant. Celui qui les avait vu naître, eux les enfants de Chaos. Pourtant, Vell ne ressentait aucune attache particulière envers ce lieu. Les barrières des mondes étaient faites pour être détruites, les frontières pour être franchies. Tant qu’il y avait de la lumière, leur travail n’était jamais terminée.
Elle était la première enfant de Chaos à fouler ces terres, mais ne serait pas la dernière.

« — Tu n’es pas un démon, même si tu nous comprends. Qui es-tu ? »
« — Il n’est pas comme la louve ailée et Drippir, il ressemble à un simple mortel… »
« — Il n’y a pas de lumière en lui. Même si c’est un mortel, son âme est corrompue. »

Sa réponse lui fait dodeliner de la tête, peu convaincu d’une éventuelle filiation. Oh, peu importait pour l’instant, consœur prêcheuse de l’ombre ou bien famille éloignée, en l’état ça ne changerait grand-chose à leur relation.

« — Il n’y a pas de lumière en lui. Même si c’est un mortel, son âme est corrompue. »

Il inspire, redressant vaguement son échine, relevant dramatiquement une patte sur son poitrail.

« Cette question semble faire de l’écho en ce moment… » et il prend plaisir à y répondre différemment à chaque fois. « …j'ai joué dans les conditions menant à la naissance sombre d’Emilitia. Sur d’autres standards, je suis l’équivalent de son oncle ; Ruine me définit, Illidan est mon nom. »

Il se relève, laissant trainer ses longs doigts sur le sable en décrivant un arc de cercle désinvolte qui le rapprochait par tout hasard vers la proie entamée.

« J’ai effectivement échangé toute, lumière, » laisse-t-il traîner avec dédain, « dans des pactes et arrangements avec les démons. C’est probablement leur sang coulant dans mes veines qui m’a permis de revenir pourrir à nouveau sur ces terres. Et vous ? »

Il tend hasardeusement une gueule entrouverte sur le volatile abandonné.

La lumière contre la puissance. Probablement des démons mineurs, les plus forts exigeant un prix bien plus élevé, comme celui de l’âme. Vell observa les griffes s’approcher d’une des proies. Ainsi, il avait aidé à la naissance du demi-démon, intéressant. Ombre s’approcha du vieux loup.

« — Les as-tu dévoré ? »

Pour que leur sang coule dans tes veines ?
Le bout de la queue de Vell vint taper sur le dessus de la patte du loup. Un sourire vint étirer ses babines.

« — Montres-nous… »
« — … comment tu invoques les nôtres. »

Montres nous comment tu as essayé d’ouvrir la porte.
Comment tu as acquis leur puissance.

La voix du Chuchoteur le fait frissonner, le timbre des créatures provenant d’autres dimensions résonne toujours étrangement dans sa tête. Peut-être parce qu’il les a entendues sans arrêt des années durant, lorsqu’il s’était enfermé au fond de sa grotte sur Morne-Œil. En même temps, maintenant qu’il ne les entend plus, il se prend à en être nostalgique de temps en temps. Est-ce que cela veut dire qu’il est temps de pactiser à nouveau ? Non...tu oublies ce qu’elles te disaient. Tu oublies la raison pour laquelle elles te suivaient. Tu avais attiré toutes ces créatures misérables, à la puissance larvesque, qui s’étaient accrochées à toi à chaque erreur de débutant...pour te le rappeler, encore, et encore. Elles soulevaient mes faiblesses, mes regrets...
Il se contenterait de ses connaissances plus poussées, finalement.

Le loup d’un ancien temps oublie presque de répondre. Est-ce une question piège ? Il ne souhaite pas mourir ce soir suite à un mot de travers, pas comme ça, pas ici. llidan fronce les sourcils au geste provenant à priori de la demoiselle, se recroquevillant à sa place pour s’éloigner de la proie entamée.

« Leur saveur infecte hante mon palais. »

Il en eut croqué, à ses débuts. Le sang de démon brûlait gencives et gorge, le prix de certains rites était difficile.

Un rire un peu étouffé lui échappe. Montrer ? Là, en ces lieux et conditions ? Il tend à nouveau le museau vers les torches les entourant, le sang versé dans le sable. Il est vrai que, en soi, l’aménagement est propice...mais tout de même, il méritait un peu plus de préparation.

« …soit, cela peut se faire. »

Il laisse traîner un peu sa voix, avant de se redresser, et glisser doucement vers eux de son pas fantômatique.

« Que proposez-vous en échange ? » susurre-t-il.

Un autre enseignement de ses années en démonologie : en ce monde, rien n’est gratuit. Et il n’est certainement pas un saltimbanque offrant spectacle de sons et lumières au premier venu.

Infect. Tel est le goût de la faiblesse. Ombre lui s’en moquait, mais Vell n’oubliait pas la saveur désagréable. C’était pour cela qu’elle appréciait si peu dévorer, du moins ceux qui n’en valaient pas la peine. À la demande du loup, le démon retint un soupir. Où était donc passée l’époque où il leur suffisait d’exiger pour obtenir ?
Peut-être quand ils nous connaîtront un peu mieux.

« — Qu’ils aiment échanger ici ! »
« — Une fâcheuse habitude que leur ont donné certains des nôtres. »

Mais soit, lui voulait un échange, un échange donc il y aurait.
Tel un serpent, la longue queue de Vell vient s’enrouler autour d’une des proie avant de la laissé suspendre au-dessus de la tête du loup aux yeux bandés.

« — Ceci. Peut-être plus gros, en fonction de ce que tu nous montreras. »
« — Si tu parviens à nous montrer quelque chose… »

Ombre ricana.
Parce que si le vieillard n’avait rien à leur montrer, alors il deviendrait la prochaine offrande. Un sourire qui tire les babines de Vell à cette pensée.

« — Qu’ils aiment échanger ici ! »
« — Une fâcheuse habitude que leur ont donné certains des nôtres. »

L’échange est la base de tout marchandage lorsque l’on a pas les moyens de forcer la patte, ce qui fut le problème principal qu’Illidan eut rencontré en faisant ses premières expériences.

Comment convaincre un démon de vous donner quelque chose, lorsque l’on donne déjà tout pour seulement les contacter ? Les habitants de Punk Wolf n’étaient que de misérables mortels à leurs yeux, et seuls l’intérêt ou la force peuvent convaincre un démon d’être de votre côté. Illidan n’a jamais eu la force, alors fur obligé de travailler ses discours afin d’attiser chez eux l’intérêt. C’était plus lent, mais il avait fini par se créer ses contacts. Cependant, donner simplement de soi afin d’attirer l’intérêt revenait à courir à sa perte, et il avait été hors de question pour lui de se transformer en buffet gratuit, alors il avait effectivement répliqué la technique de l’échange.

Visiblement elle ne le considère pas (encore ?) suffisamment inférieur à elle pour se contenter d’appliquer la force, mais il se garde bien d’y faire quelconque remarque.

Le tribut qu’elle lui propose est assez maigre pour ce qu’il s’apprête à faire, mais il doit bien lui admettre qu’elle lui a mâché tout le travail en créant le cercle de feu et le rituel.

« Bien, c’est un marché. »

Son estomac gargouille d’espoir à l’idée d’être rempli, et il traîne ses pattes autour de la scène, l’analysant sans yeux.

Il n’aurait pas accepté s’il n’avait pas senti la nature aussi sombre de son interlocutrice, qui le rendait très curieux de ses capacités. Ils partageaient semblerait-il déjà des croyances et convictions communes, peut-être pourrait-elle devenir une alliée…encore fallait-il réussir son petit tour de magie.

Le loup miteux fait le tour du cercle de feu, reniflant les tas de proies, l’odeur de plumes brûlées imprégnant sa fourrure sale. Tout cela manque de bougies à son goût, mais il faut parfois renouveler ses habitudes. Il prend son temps, réfléchit, puis lentement, commence à tracer dans le sable quelques runes du bout de ses longs doigts osseux. Ajoutant au tableau quelques cercles supplémentaires, le tout en murmurant en langue des démons le début de ses incantations, il finit par traverser les flammes, imperturbable, pour rejoindre le tas de proies au milieu. Là, il décale les bandages couvrant perpétuellement ses pattes antérieures afin de plonger ses crocs sur une plaie encore fraîche, et ainsi ajouter son sang au tribut. Enfin, après bientôt une heure de préparation, il sent le portail s’activer, lui aspirer ses maigres forces forces vitales afin de creuser une brèche entre les dimensions...mais, il tiendrait debout, il le devait.

Pour une rencontre aussi intéressante, Illidan y avait mis l'effort. Il aurait pu se contenter de ses habitudes, mais il était un homme d’expériences, et cela faisait longtemps qu’il n’avait pas tenté une telle manipulation.

Le vent se lève subitement, faisant crépiter les flammes du cercle qui se met à luire d’un feu verdâtre, tandis qu’il repasse à l’extérieur et se poste au bord, résigné sur son sort. La décevoir, tout comme réussir ce rituel, était risqué. Vivrait-il encore ce soir ? Un frisson d’excitation lui court le long de l’échine.

« Azhir mudas ethanul. »

Patiente, Vell observe. Chaque geste, chaque détails. Étudiant la respiration du vieux loup, les déplacements qu’il effectue dans le cercle, les symboles qu’il ajoute. Les sourcils se froncent en sentant l’odeur de sang. Un frisson qui parcourt le corps du démon. L’invocateur était âgé, probablement faible… son sang malgré le rituel, ne serait pas assez appâtant, pour ses frères.
Nous ne serions pas venus, alors pourquoi eux le feraient ?
Toutefois, le démon demeure à sa place, observe voir si dans ce monde, les démons sont moins exigeants. Quand l’invocation est prononcée, Vell a une étrange sensation. Quelque chose s’agitait. Le portail fonctionnait. Ses prunelles vairons brillent d’une lueur nouvelle, alors qu’elle se redresse.
La gueule s’entrouvre.
Et elle entend Ombre rire, quand une étrange matière noire tombe.

La longue queue noire vient claquer sur le sable, cette fois c’est Vell qui traverse le cercle, s’approchant du vieux loup. Son museau se fronce, alors qu’elle enfonce ses crocs dans sa patte. Le sang coloré s’échappe de la plaie, venant se mélanger à celui du vieillard.

« — Ne te ries pas de nous, pas ce soir. »

Qui que tu sois, de l’autre côté du portail.
Nous n’avons guère le temps de nous amuser.
Encore moins si tu n’es qu’une petite entité mineure.

À la volonté de l’aveugle, Vell y joint sa force.

« — Skaat krankluk. »

Viens donc, frère, nous montrer la puissance des démons de ce monde.

Les babines de Vell s’étirent en un sourire. Oh oui, qu’il était douloureux pour certains démons d’être ainsi invoqués.
Alors cries, de l’autre côté, voyons ce qui se passe, si nous forçons ta venue ici.

D’abord un bref silence, comme si le portail avait aspiré tout bruit environnant. Figé, Illidan est fébrile, le moindre de ses sens en attente. Il entend gargouiller de l’autre côté, puis...quelque chose jaillit du portail. Un bruit humide suit sa chute, et le Chuchoteur ricane au loin.

Fichtre.

Voilà qui était largement décevant. On se riait d’eux, là-bas. De lui. Avait-il déjà donné tout ce qui pouvait les intéresser ? Était-il désormais voué à n’attirer que de misérables créatures, faibles et idiotes, avec son sang et son corps affaiblis ? Quelle déchéance, pour l’auto-proclamé maître des invocations. Son savoir ne lui servait plus à rien, s’il ne pouvait plus les attirer de ce côté du portail.

Un claquement attire alors son attention, et ses oreilles fendues suivent les pas de la démone qui se rapproche de lui. Il ne sait à quoi s’attendre, mais son museau se fend d’un sourire dément lorsque l’odeur du sang atteint sa truffe. Oh, oui.

La voix de sa camarade d’invocation sonne dangereusement, tandis que le bruit des gouttelettes rejoint l’intérieur du cercle, le faisant vrombir d’un impressionnant regain de puissance. Qu’est-ce ! Comment se peut-il ! Qu’est-ce que ce sang, apparemment si goûtu qu’un cri déchire soudain l’outre-tombe dans l’autre dimension ? La maigre fourrure du vieux fou est hérissée d’excitation, tandis qu’il sent que quelque chose se passe. Quelque chose de gros. Plus gros qu’il ne l’a jamais ressenti de sa vie, ou seulement de loin, murmuré, conté par les démons qu’il a extirpés des failles ouvertes sur Morne-Œil...l’incantation de la démone fait son effet.

Il gronde. Ils grondent. Car ils sont deux, il l’entend ; il pense d’abord à un seul, grand, mais rapide, cependant des énormes pas retentissent en plus du premier, quelque chose de monstrueux, gigantesque. Ils sont extirpés de leur monde, et leurs grondement gutturaux résonnent dans la poitrine d’Illidan.

Voilà une soirée qu’il n’avait pas prévue ainsi.

Il ne peut les reconnaître ne les ayant jamais entendus de lui-même, mais il sait qu’il a affaire à quelque chose d’impressionnant. Son visage est hilare, silencieusement figé dans une expression béate d’émerveillement. Tout disparaît, la faim, la fatigue, sa vie, le reste du monde. Il est plus concentré que jamais sur l’instant présent. Il hausse la voix, les accueillant chaleureusement de son timbre grave et usé :

« Bienvenue en ce monde, funestes terreurs de l’ombre. »

Aussi deux, l’un comme l’autre. Aucun mouvement n’est laissé au hasard. Les démons de ce monde, Vell ne les connaissait pas, mieux valait tâter le terrain. La longue queue fait un geste devant Ombre pour lui intimer le silence. Elle entend ses cliquetis d’excitation, mais ne veut pas qu’il parle, pas encore.
Ils ne devaient pas broncher, montrer qu’ils étaient plus forts qu’eux.
Le moindre instant de faiblesse et ils nous dévoreront.

L’un est beaucoup plus imposant. Une sorte de grosse limace pourvue de pinces et d’une grande gueule difforme.
Nous lui crèverons son oeil unique si il tente quelque chose.
L’autre a trop de pattes aux formes différentes.
Et au loin le tic et le tac qui résonne.

Le vieillard prend la parole. Ne quittant pas les démons des yeux, Vell entend quand même à quel point il est heureux. Mhhh. Peut-être était-elle tombée sur le plus fou.
Au moins il faisait attention aux mots employés. Les babines de la louve s’étirent en un sourire qui dévoile ses canines.

« — Ces terres attendaient votre venue. »

Pour être purifiées de la lumière.
Vous vous plairez ici, si votre but est de la dévorer.

Glabrezu // Cuirracier
PVs : 30 // 50
For : //
Ing : ? // ?

La pince massive s'abat sur vous, vous tranchant, vous découpant comme l'on déchire un morceau de papier. Enfin, c'est ce qui aurait dû se passer, mais voila qu'elle heurte le champ autour du cercle les emprisonnant. Une fois. Deux fois. Trois fois. Les tentatives de carnage sont vaines. Et il rugit alors, à vous faire vrombir le corps de ses puissantes ondes basses.

Et une main se lève, faisant instantanément taire le cuirracier ravageur.
Le glabrezu vous scrute, un rictus déçu sur le visage, dévoilant deux rangées de crocs qui disparaissent sous un doigt pensif. Et une voix, rauque et pourtant chaleureuse, résonne dans vos esprits.

- Pardonnez mon... acolyte. Nous n'avons pas l'habitude de la surface. Et encore moins le contact des... vôtres. Son visage se fend d'un sourire mesquin, comme si un souvenir lui revenait en mémoire. Ou plutôt, un contact non-agressif des vôtres.

Il se déplace, ondulant comme un serpent, touchant du bout de l'une de ses pinces ce champ de protection qui frémit d'étincelles, avant de s'arrêter sur le côté de l'immonde démon titanesque. L’œil géant se pose alors sur lui, et son corps s'abaisse, se tasse comme un simple blob dépourvu de squelette, avant de vous fixer avec envie.

- Je suppose que vous désirez quelque chose ? Les vôtres n'ont pas l'habitude de nous invoquer et enfermer ici sans raison... fit-il en s'inclinant, avant de s'avancer de nouveau vers vous, juste à coté de l'oeil qui vous dévore d'envie. Nous sommes... enclins à marchander avec vous.

La voix de la démone accompagne la sienne, avant que ne résonne la puissance fantastique d’un membre gigantesque cherchant à passer outre leur cercle d’invocation. Les sons assourdissent Illidan, son cœur battant à tout rompre tandis que sa cage thoracique vibre violemment avec le rugissement du monstre. Le temps semble à la fois figé et filant à toute vitesse, et son esprit extatique dissone complètement avec sa montée d’adrénaline liée à une intense peur de mourir. S’il devait décéder là et maintenant, il devait avouer être un peu déçu de ne pas pouvoir suivre ce qu’il allait advenir de trois puissants démons sur une plage, mais il partirait au moins avec l’immense satisfaction d’avoir repoussé ses limites à ce point.

Cependant, avec la voix si caractéristique de l’un des démons résonnant dans sa tête, il comprend que le destin n’a pas choisi de lui donner la mort. Du moins...pas encore.

- Pardonnez mon... acolyte. Nous n'avons pas l'habitude de la surface. Et encore moins le contact des... vôtres. Ou plutôt, un contact non-agressif des vôtres.

Comment ? Certains en ce bas-monde avaient déjà réussi à entrer en contact avec eux ? Mais sa dernière phrase lui fit froncer les sourcils. Si certains cherchaient à éliminer l’ombre...c’est qu’ils devaient probablement porter la lumière. Même si un vaillant combattant avait cherché un but ultime pour prouver sa force, il n’aurait pu faire une telle folie que de choisir des démons sans être commissionné par une volonté divine quelle qu’elle soit. Quand bien même un fou aurait décidé de le faire pour son propre plaisir, sa stupidité aurait probablement ravi les démons, qui n’en auraient pas parlé ainsi.

Il n’aime pas vraiment l’idée que d’autres réussissent à entrer en contact avec l’ombre, mais il doit avouer que cette entreprise semble aujourd’hui aller en sa faveur.

- Je suppose que vous désirez quelque chose ? Les vôtres n'ont pas l'habitude de nous invoquer et enfermer ici sans raison... Nous sommes... enclins à marchander avec vous.

Silencieux, patient, son expression s’est largement calmée depuis la prise de parole du héraut de la destruction. Le visage sérieux, quoique toujours hanté par l’ombre d’un sourire mutin, Illidan réfléchit.

Le vent continue de faire crépiter les flammes dansantes, soulevant les longues mèches de l’invocateur, son expression sans yeux restant difficile à lire.

« Votre venue ce soir est un évènement inestimable, et accepter la discussion ne vous rend que d’autant plus respectables. Il est en effet rare que nos espèces soient amenées à se rencontrer dans des conditions...favorables. Cependant, les temps changent. Et aujourd’hui pourrait nous réunir sur un terrain d’entente. »

Il pause, choisissant ses mots avec soin.

« Notre but est simple : détruire la lumière sur ces terres. En ces contrées sévissent des autoproclamées divinités, subsistant par la foi qu’ils instiguent chez leurs fidèles, en leur transmettant physiquement une part de leur lumière. »

Son expression se fait dure, contrastant avec le calme imperturbable, presque inexpressif, de sa voix.

« Elles doivent disparaître. »

Il détend son corps qui s'est légèrement crispé sans qu'il ne s'en soit rendu compte, et fait quelques pas lents autour du cercle.

« Votre nature vous oppose à eux, et vos desseins sont larges, ce que je vous propose ici est la victoire d’une de vos innombrables guerres contre la lumière, » dit-il, avant de tourner son visage scarifié face à eux. « En échange de votre force, nous vous aiderons à entrer dans notre dimension, et vous promettons le sang et la destruction de sept de vos ennemis naturels : Dairo, Kiro, Yurai, Ao, Moiro, Aka, et Mido. »

Vell soutint le regard du plus imposant, l’observant s’acharner sur les barrières du portail. Y parviendrait-il ? Devrait-elle le lui crever, cette horrible et unique oeil ? Et puis finalement, l’autre fait un mouvement.
Et une voix qui résonne dans l’esprit de la louve.
Un sourire qui vint dévoiler ses canines. N’étais-ce pas là ironique de la par de démons, de se faire passer pour des victimes ? Vell les trouvait bien mal placé pour parler d’agressivité, quand l’un des deux ne souhaitait qu’une seule chose : les dévorer. En même temps que le démon à pinces, la louve suit les déplacements, les imitant tel un miroir. La barrière pouvait céder.
C’est ce qu’ils voulaient.

Marchander ?
Vell pencha sa tête, ses pupilles vairons fixant un moment leur interlocuteur. Déjà, le vieux loup s’avance, bien enthousiaste. C’était là sans nul doute, l’invocation la plus impressionnante qu’il ait pu faire.
Notre collaboration créa le chaos.
Et nous n’avons pas l’intention de le laissé s’échapper.
La démon fit un pas, Ombre la suivant, s’approchant de la barrière pour observer sans crainte les deux créatures.
Paraître faible, c’était risqué de se faire dévorer.

« — Mon ami, se contente des dieux, tandis que nous souhaitons tout voir disparaître. »

Le regard s’assombri.

« — Qu’ils goutent au chaos. »

Eux, petits loups asservis par leur lumière.
Qu’ils découvrent la noirceur, pour ne jurer plus par qu’elle.
Une patte qui se lève.


« — Cette terre, représentera la fin de la lumière et le commencement du chaos, pour ceux qui ne prendront pas la fuite. »
« — Ceux qui ne reculeront pas. »

Reculerez-vous ?
Le regard se pose sur le démon à l’oeil unique.

Glabrezu // Cuirracier
PVs : 30 // 50
For : //
Ing : ? // ?

Ils vous écoutent, sans une once d'émotion sur leur visage déformé par les Abysses. De longues secondes s'écoulent après vos derniers mots, sans un geste, un bruit, avant qu'enfin, sa voix ne brise le règne de silence.

- Vos invocations ne seront pas suffisantes. Nous sommes d'un autre monde, un autre plan. Le nôtre, fit il en tapotant la tête aigrie du Cuirracier, n'est relié à celui-ci que par une maigre porte, créant une zone de conflit que vous nommez... "Abysses". Et que nous nommons "Portail".

Il fit quelques pas autour de cette prison magique qui l'empêchait d'aller plus loin, l'examinant avec intérêt.

- Pour faire simple, tout êtres est relié à son monde d'origine par un "filin". Suivant les créatures et les mondes, ce filin peut être plus ou moins solide et long. Comprenez par là que si nous pouvons voguer dans le Port- je veux dire, les Abysses, au même titre que vous, c'est uniquement parce que cette zone est proche de nos deux mondes. C'est aussi pour cela que lorsque nous sommes abattus, nous finissons par disparaitre dans notre monde. Tout comme vous, qui êtes rejetés. Par conséquent, nous ne pourront terrasser vos temples et dieux, bien trop loin des Abysses. Quant à ce cercle d'invocation... Il pourrait agir comme relai, mais de manière bien moindre et très temporaire.

Il fit volte face pour se planter devant les loups, son visage à quelques centimètres seulement de la barrière qui les séparaient.

- Si vous parvenez à créer un cercle identique dans la zone que vous désirez que l'on rase, et que vous brisez la barrière de protection, alors nous pourrons, pour quelques temps seulement avant que le filin ne se brise et nous renvoi dans notre monde, ravager et détruire tout notre content. Je ne pense pas que cela fonctionnera aux abords des zones sacrées, vos dieux ont des auras bien trop puissantes qui pourraient... brouiller les cercles d'invocation. Mais sur les terres de ceux qui nous ont envahis...

Un sourire carnassier, dévoilant deux rangées de dents semblables à un requin, étira son visage.

- Nous servirons de soldats, et vous... de transporteurs. Avons nous un deal ?

Et il posa sa patte griffue sur la barrière, la faisant crépiter avec violence, comme si elle cherchait à le repousser.