Hold my hand — Mildred

En difficulté pour trouver une prise, Narcisse se stoppa dans son ascension. Il prit appuie sur ses pattes arrières, relâchant tour à tour ses griffes. Si il prenait une impulsion suffisante, peut-être pourrait-il atteindre… Sans trop réfléchir, le disciple de Kiro, attrapant de justesse son objectif.
C’était ça qui rendait l’escalade si excitant.
La queue féline se balance, faisant balancier. Le Koridé pleurniche en contre-bas, mais aucune importance. Narcisse est trop concentré pour s’occuper du familier. Après quelques minutes supplémentaires, il sent la plate-forme sous sa patte et se hisse dessus pour reprendre son souffle. Ce n’était pas un grand parcours, mais la difficulté rendait l’exercice intéressant.

Nous devrions le faire ensemble mon frère, cela te plairait.

Le regard se porte alors vers l’horizon, sur le soleil qui se lève. C’était un rituel qu’il appréciait, partir s’entraîner à l’aube quand tout était encore calme puis revenir une fois le soleil levé.
En entendant le Koridé qui continuait de couiner, le loup poussa un soupir avant d’entamer la descente - la partie qu’il aimait le moins.- Les prises glissaient un peu sous ses griffes par moment, laissant des marques dans la roche. Lorsqu’il toucha le sol, sa patte vint se poser sur la tête du familier dans une tentative pour le faire taire.
Avant de comprendre pourquoi il faisait tout ce raffut.

« — Tu es matinale. »

Le museau s'est tourné dans sa direction.

L'été bien installé sur les terres la motivait de plus en plus régulièrement à élargir les territoires qu'elle parcourait.
C'était une forme de lutte implicite, autant contre elle-même que contre tous les fantômes que portait cette terre, que de s'efforcer à traverser des paysages en gardant au maximum des pensées neutres. De la même manière que lorsqu'elle revint à l'Île aux Roses pour y confronter Moiro et se trouva face à tous les spectres, tous les souvenirs dissimulés à chaque recoin, elle dut avant tout cesser de leur laisser cette emprise. L'exercice était similaire à tant d'endroits et de chemins parmi tous ceux empruntés au long d'une vie entière.
Partout pouvait se cacher un regard effacé, le résidu d'une odeur depuis longtemps envolée.

Mildred n'en pouvait plus de les autoriser à la malmener.

Malgré tous les doutes qui persistaient, malgré ses incertitudes, malgré ces sentiments qu'elle n'effacerait jamais de son coeur, elle le savait... Pour la première fois, elle avait rassemblé suffisamment d'éléments pour toucher d'une griffe l'espérance d'autre chose.
D'une forme de complétion qu'elle avait poursuivi tant d'années sans jamais la trouver.
Et pour pouvoir y prétendre, elle ne pouvait pas demeurer chaque jour à cet endroit qu'elle façonnait pour devenir un chez elle.

Ses pas avaient ce jour pris la direction des Monts Célestes au fil des sentiers qu'elle laissait défiler. Des nuits sans sommeil creusaient encore leur place de temps en temps et elles avaient le mérite de la lancer dans une prise d'activité plus précoce.
Là encore, plutôt errer dans l'espoir de trouver de quoi s'occuper que se laisser tourmenter par des voix du passé.
Les montagnes avaient l'avantage de ne pas être autant chargées de ces mémoires que d'autres lieux. A mieux les regarder, frappées par le soleil levant qui se reflétait sur la roche, elles lui inspirait majesté et sérénité. La vue était belle.
Et le calme... Fracturé par des couinements devenus familiers.

Les yeux pâles de la louve s'agrandirent légèrement quand elle vit la silhouette du Koridé un peu plus loin.
Elle n'avait pourtant même pas cherché à suivre son odeur, habituée à le voir là où tous deux savaient se retrouver, laissant le reste de ce vaste monde à leurs pérégrinations respectives. Mais cette matinée en avait décidé autrement, et l'Etelkru ne tarda pas à paraître à son tour, sautant à bas de la façade qu'il venait d'escalader.
A sa courte salutation, Mildred esquissa un sourire discret.

—  Il faisait bien trop froid pour dormir.

Dans cette tanière cette nuit laissée vide.

Il se plaisait à contempler son sourire. Après l’avoir vu détruite par la trahison des siens, la détresse… voilà qu’elle reprenait goût à la vie.
Et cette renaissance est belle à voir.
La patte relâche le Koridé pour s’approche de Mildred. Doucement Narcisse vint effleurer son museau du sien avant de se reculer haussant un sourcil à sa remarque.

« — Hum… je peux sûrement te trouver quelques couvertures si tu le souhaites… »

Voir même des peaux si elle préférait.
Lui ne ressentait plus le froid depuis plusieurs années, cela ne l’impactait plus, mais il pouvait comprendre que d’autres y soient plus sensibles…
Le loup s’assit, fixant la disciple de Moiro.

« — … je peux rester à tes côtés cette nuit si tu ne veux pas avoir froid. »

À l'approche du mâle Mildred releva la tête de sorte à pouvoir lui faire face, compensant leur différence de taille par un port le plus droit possible.
Elle laissa leurs museaux s'effleurer et un frisson la parcourir. Sa réponse eut pour effet de raffermir légèrement son sourire : elle n'avait pas vraiment eut froid cette nuit. L'été adoucissait suffisamment les écarts de température pour que la tanière, maintenant presque terminée, soit un lieu où s'endormir sans craindre les heures les plus fraîches. La louve se prenait même à espérer que l'hiver y soit agréable grâce aux façades de bois en guise d'isolant.
En revanche, elle ne savait pas si Narcisse avait saisi le second degré de ses paroles au vu de ses propositions.

Ou bien il en jouait, lui aussi.

La deuxième phrase lui fit rouler les yeux au ciel et tirer un peu plus sur ses lèvres, révélant la pointe de ses crocs.

— Et tu ne viendrais pas sans cela ? Dois-je m'en sentir vexée ?

Son regard se fit un peu provocateur quand elle le fixa de ses yeux pâles.

Quand elle allait mieux, presque bien, l'amertume laissait volontiers place à d'autres éclats de caractère, ceux qui avaient été enfouis et qui ne ressurgissaient que rarement.
Comme la taquinerie et les plaisanteries insolentes.

Oh.
C’était donc de la taquinerie ? Les longues oreilles ont un bref mouvement de recul quand il comprend le vrai sens des mots de la louve. À son sourire, il répond, inclinant un peu son museau pour mieux l’observer.
Être loin d’elle trop longtemps n’était pas envisageable.
Il avait besoin de savoir qu’elle allait bien.
Que nul ne venait encore la faire souffrir.

Essayant de jouer le jeu, il fit un mouvement de patte théâtrale, comme Cendres le lui avait montré lors de leur pièce pour Kiro.

« — Une journée sans te voir, ne serait pas parfaite. »

Narcisse se montre peut-être un peu plus taquin cette fois.

« — Le serais-tu, vexée ? »

Une pointe de curiosité aussi.