Frustrée, vexée d'avoir été une fois de plus laissée à l'abandonner par un être cher, sans raisons qui plus est, elle s'était laissée engloutir par des pensées sombres, Elely. Elle s'était baignée toute entière dans la noirceur et s'était laissée guider par le chaos de ses émotions. Toute la journée elle avait fait couler du sang, elle avait arracher des vies. Mais il y en avait trop, trop pour un appétit englouti par la souffrance. Alors elle les avait nettoyé et mis de côté. Elle s'était ensuite lavée, pendant plus d'une heure dans l'eau douce d'une rivière et s'était brossée, coiffée, avec le plus grand soin. Lorsqu'elle fut enfin prête, les cadeaux attachés sur son dos elle se dirigea, résolue, vers l'Île aux roses où l'attendait certainement sa déesse. Au moment où ses yeux revirent pour la première fois depuis de nombreuses années l'Île de sa naissance elle sentit son cœur se pincer violemment, dans sa poitrine. Rien avait changé et pourtant dans le fond, tout était différent en réalité. Elle, était différente. Ces lieux n'étaient plus habités comme jadis, fièrement, par son sang. Il ne restait que le souvenir amère de la joie, de la vie, d'une Mère impitoyable et de sa fratrie uni. D'un frère qui l'aimait.

Le regard vide, le cœur lourd, elle marcha jusqu'au temple en observant avec tristesse le silence des fleurs qui se mouvaient au gré du vent. Elle monta les marches, celles mêmes qu'elle avait façonné avec la prêtresse et sa sœur au prix d'un dur labeur. Puis elle s'arrêta devant le temple et inspira une grande bouffée d'air. Au fond d'elle, Elely espérait voir apparaître l'imposante silhouette d'Anianka l’accueillir, avec son regard glacial et son sourire maternel, comme à son habitude. Mais ce n'était qu'un rêve éveillé. Le souvenir, d'un être aujourd'hui inanimé.

Ces lieux lui causaient plus de souffrance encore que ces dernières années de solitude, parce qu'ils étaient chargés des fantômes des seuls êtres qu'elle avait aimé dans sa vie. Cependant, il restait quelqu'un encore de vivant qu'elle aimait à l'intérieur de ce temple, un être qu'elle considérait comme sa marraine parce qu'elle avait toujours été auprès d'elle depuis sa naissance. Elle était la divinité liée à sa famille, celle que Mère chérissait et qu'aujourd'hui, Elely considérait comme sa seule confidente. Elle devait se montrer forte, pour lui faire honneur, pour rendre fière Mère de là haut, alors elle s'avança dans la roseraie la tête haute, la poitrine et la queue redressée comme une digne disciple et une digne fille de la grâce. Malgré les cicatrices et les années difficiles qu'elle avait vécu, elle avait toujours un corps svelte et bien dessiné, un pelage soyeux et ondulé et un visage lisse, Elely. Le portait de sa mère, bien qu'à l'intérieur le cancer de ses émotions avait propagé sa gangrène de folie.

Elle s'arrêta brusquement lorsque son regard choqué tomba sur la silhouette tant espéré de sa mère dans l'obscurité. Ses prunelles saphir brillèrent et son cœur fit une embardé, elle accouru vers elle, un grand sourire rayonnant sur son visage. Mais lorsque l'or étincelant se découvrit à la lueur de la fontaine et des quelques rayons de soleil son visage redevint froid et vide, réaliste. Malgré ce fugace espoir, elle l'admira un long moment, silencieuse. Elle était si élégante, elle imposait le respect par sa grâce et la puissance qu'elle dégageait dans son regard, dans sa posture droite et fière. Elle lui manquait, terriblement.. Elle déposa une rose écarlate qu'elle avait cueilli en dehors de l'île au pied de la statue et lui adressa quelques mots, par le biais de ses pensées.

Puis elle s'orienta vers la majestueuse statue de la Tigresse, la raison de sa venue jusqu'ici. Elle courba son corps dans une gracieuse et respectueuse révérence, puis déposa les nombreuses proies à son pied.

Bonjour, Moiro.

Une salutation, douce, qui lui réchauffa le cœur car elle aussi, lui avait manqué.

Je suis partie depuis si longtemps maintenant, pardonnez moi..

La comprendra-t-elle ? Elle, simple mortelle torturée par ses démons. Moiro pouvait voir tout ça, toute la souffrance qui la rongeait de l'intérieur, toute cette haine, cette tristesse, ces incompréhensions, ces doutes, ces... -
Elle, était la seule qui pouvait voir la noirceur de son être, le chaos de ses émotions, la folie qui la tourmentait. Elle était la seule à pouvoir l'aider, lui donner un peu de réconfort.

Je vous offre ces présents, butins d'une journée entière de chasse. J'espère qu'ils vous apporteront un peu plaisir.

Renard, lapins, biche, corbeaux, sanglier.. Il y avait de quoi faire une cape entière de diverses fourrures, de quoi manger une semaine entière.

Un frisson parcourut sa nuque lorsque le regard perçant de la tigresse la percuta. Son cœur eut un pincement, un court instant, car elle aperçut dans son inflexibilité la froideur et la fermeté de sa défunte mère. Elely était loin de lui ressembler, loin d'être à la hauteur des espérances qu'elle avait eu pour elle. Face à la déesse rose, face à celle qu'elle considérait comme une marraine elle se sentit soudainement pitoyable et elle ne put s'empêcher de baisser le regard, honteuse.
Honteuse d'être partie aussi longtemps dans une quête vaine.
Honteuse d'être devenue ce qu'elle est aujourd'hui.

Je n'ai aucune excuse digne de votre pardon..

Quand bien même elle ignorait que cette quête serait si longue. Quand bien même elle cherchait simplement des réponses, comme des pansements à mettre sur ses plaies trop douloureuses. Mais tout ceci n'était qu'une mascarade pour ne pas se confronter à la réalité, comme du sel sur ses plaies elle n'a fait qu'aggraver la situation. Et le pire c'est qu'au final ces foutues plaies ne se sont jamais refermées avec le temps.

Une larme coula sur sa joue, qu'elle tenta de cacher avec sa mèche de cheveux écarlate.

Je crois que je suis devenue plus que l'ombre de moi même.

Elle eut un sourire nerveux, comme pour se moquer d'elle même. Au fond qu'importe la pression, la solitude, qu'importe les moqueries et la discrimination qu'elle a subi, elle est habituée à sentir les muscles de son cœur se contracter, habituée à la douleur physique et psychologique. Rien ni personne ne pourra lui faire plus de mal désormais. Elle est plus forte que jamais.

Son sourire s'agrandit sur le coin de son visage, plus sombre. Elle releva la tête, le regard brillant.

Non, je suis devenue plus forte.

Affirma-t-elle d'une voix certaine.

La question est répétée et ses sourcils se froncèrent au dessus de son regard glacial. Elely garda la tête haute, prenant la situation très au sérieux.

Je suis la fille de la grande prêtresse Anianka et de l'ancien alpha des Lazulis Gloriel. Je suis la disciple de la puissante Tigresse et je porte sa couleur ainsi que la férocité de son charme. Je suis l'épine qui fait saigner tout ceux qui essaient de me cueillir. Je porte depuis l'enfance le masque de la froideur et de l'indifférence mais voilà déjà bien longtemps qu'il a déteint sur mon vrai visage et sur mon cœur. Me voici ainsi devant vous aujourd'hui devenue plus riche d'expériences et plus impitoyable.

Elle avait parlé avec honnêteté, d'une voix appliquée et emprunte d'une nuance grave. Il y avait beaucoup de colère dans son cœur et en même temps elle était fière d'être devenue ce que Mère avait toujours voulu qu'elle soit : Inébranlable, indomptable.