L'idiot du village - Désiré

Regardez qui voilà : L'idiot du village !
N'était-il pas terriblement ridicule, avec son nez lumineux ? Kiro lui même semblait peiner à le prendre au sérieux.
Il lui tardait de pouvoir partager cette anecdote désopilante avec son épouse.

Couché sur des couvertures qu'il avait installé à l'extérieur pour profiter des dernières semaines avant le froid, Iberis regardait, le regard las, les loups passer.
Enfin, las, il l'avait moins été, lorsqu'il avait vu Désiré passer. Il était même, plutôt, amusé.
Le mâle bleu nuit se redressa, s'ébroua, et s'approcha du disciple de Kiro, un sourire confiant sur les babines.

- Bonjour Désiré. Toutes mes félicitations pour ton glowstick, il me faut bien avouer que cette couleur te va à ravir.

- J'en suis persuadé. L'on ne peut faire plus assorti à ton teint... Et peut-être que pour cela, je devrais, moi, me rendre auprès de cette déesse bleue que l'on trouve au delà des frontières.

Il pouffa.

- Je plaisante, mère ne l'accepterait point.

Et il avait, d'ailleurs, bien d'autres projets, bien plus intéressé par le Rose symbolisant la grâce et le charme, qui le représentaient bien mieux que la détermination.

- Je me porte plutôt bien, merci de t'en soucier. Le temps va et je m'occupe comme je peux. A ce sujet, que dirais-tu d'une tasse de thé ? Nous serions davantage à notre aise en sirotant ce breuvage délicat dans ma tanière. Ainsi, tu pourras également m'informer de ton état, également.

A l’abri des oreilles indiscrètes, dans sa tanière, Iberis s’affaira à faire chauffer l’eau et émit quelques confidences.

- Eh bien, Mère est de ces loups encore attachés à l’image de notre meute. Elle ne jure que par Aka, Dairo, et Kiro et je sais qu’en empruntant d’autres sentiers que ceux qui sont prévus pour nous, je la décevrais.
Cependant, je dois t’avouer que, plus que dans celles d’Ao, ce sont dans les valeurs portées par Moiro que je me reconnais le plus : Elle est déesse de la grâce et, sans prétention, je ne pense en être dénué.

Il était, après tout, le loup possédant le plus de manières de tout le clan, et avait à coeur de toujours se montrer sous son meilleur jour.
D’un renfoncement qui faisait office d’étagère, le loup sombre descendit deux petites tasses.

- Cet enfant dont tu parles, est-il bien celui mis au monde par la louve qui perdit la vie à la mise bas, Solelio, je crois ? Je serais curieux de savoir qui en est le géniteur. Peut-être un loup du Nord, là où elle fut jadis perdue.

Iberis appréciait les commérages et ne put réprimer sa curiosité plus longtemps.

- Je t'en remercie.

Il n'avait, cependant, que bien peu d'espoirs pour cela.
Sa mère était une louve rigide, très attachée au fonctionnement ancestral du clan : L'on vénérait Dairo, Aka ou Kiro, l'on devenait corps, Epée, Bouclier ou Panseur.
C'était aussi simple que ça.

Il versa l'eau chaude sur les feuilles de thé.

- Il est courageux d'élever un enfant à ton âge, je dois le reconnaître. D'autant plus que tu n'as pas pu t'y préparer.

Lui, jeune loup, s'était montré enthousiaste à l'idée d'offrir une portée à son épouse.
Puis, il grandissait, un peu, et alors que cela ne venait pas, c'était comme si il en avait de moins en moins envie... Voir, redoutait l'instant ou cela viendra.
Cependant, Iberis était toujours décidé à honorer sa promesse, pour rendre sa chère Miraj heureuse, et de faire le nécessaire pour que les enfants arrivent rapidement afin de ne plus voir le chagrin déformer les traits délicats de la louve qu'il aimait.
Pour elle, plus que pour lui, finalement.

Parviendra t-il à devenir un bon père, cependant, lui qui n'en avait jamais eu ?

Les certitudes éclatantes de Désiré ne firent qu’accroître les incertitudes d’Iberis.
Lui n’avait jamais cotoyé d’enfant, il lui semblait. Évidemment, il les avait vu, de loin, mais les avait tous trouvé pénibles mais s’était dit que c’était par ce qu’ils étaient engendrés par de rustres personnages.
Mais si il en était de même, pour ceux qu’il aura, lui ? Si il venait à ne pas les supporter ? Pourra t’il s’éclipser, parfois, les laisser son épouse gérer le plus gros ?
N’était-ce point manquer d’honneur, que d’agir ainsi ?

- Je vois. Tu me ferais presque penser à ma propre mère, il me semble qu’elle aussi avait ce désir ardent de devenir mère, pour adopter Nirvana et souhaiter étendre cette famille lorsque ma soeur était encore enfant.

L’on voyait ce que cela donnait : Une mère aimante, mais souvent débordée entre son rôle d’Alpha et ses trois petits.
Iberis, enfant, aurait aimé être fils unique. Désormais, c’était différent et était satisfait d’avoir Iris et Nirvana à ses côtés, quand bien même leurs relations n’étaient point des plus paisibles.
Il les aimait, tout de même.

- C’est un instinct intéressant à avoir si l’on ne souhaite voir s’éteindre sa lignée, et finir oublié, tout comme elle. Quand bien même d’autres, comme toi, l’ont plus grand encore pour considérer comme étant leurs enfants ceux qu’ils n’ont point conçus.

Le loup sombre s’encourageant ainsi : Il ignorait si Iris et Nirvana comptaient procréer de leur côté et, dans le cas de sa soeur sirène, elle ne portait pas leur sang.
Il était alors peut-être le seul à pouvoir transmettre le sang bleu des puissants.

Retirant les feuilles de thé, il posa devant son convie l’une des tasses de thé et porta la seconde à ses babines.