At world's end — Nael

Le temps défilait à une vitesse alarmante. Nirvana voyait les années passer, la vieillesse gagner sa mère, les tensions avec sa fratrie malgré l’âge qui demeuraient toujours présentes. Tout semblait toujours si compliqué.
Et l’entité n’avait toujours pas été neutralisée.
Un soupir qui franchit ses babines.
Entre ses pattes repose le masque d’Emilita, ayant subi quelques modifications, comme les petits coquillages pointus qui faisaient maintenant offices de cornes. Combien de temps le garderait-elle encore ? Aucune idée. Si elle voulait piéger la louve ailée, au moins elle avait un meilleur appât à présent. Ce masque ne faisait qu’office de trophée.
Et pour me rappeler de qui je dois me méfier.
Non loin, l’atoll, toujours couvert de cet étrange orage. Encore un petit jeu de l’entité. La prêtresse ferma ses paupières, laissant le soleil de cette fin d’après-midi sécher ses cheveux humides à cause de la traversée. Elle appréciait la proximité du temple de sa déesse, la vision sur le territoire de son ennemie et l’île des raeders qui se dessinaient à l’horizon.

Un lieu au centre de tout.

Son regard se pose sur la silhouette du pirate. Un sourire qui vient étirer ses babines, alors qu’elle se redresse.

« — Nael ! »

S’était-il rappelé de la carte qu’elle lui avait dessiné ? Ou étais-ce par pur hasard ? Dans tous les cas, Nirvana était contente de le revoir. Il était un de ses rares amis, probablement le seul. N’étais-ce pas amusant en y pensant ? Qu’elle Etelkrus, ait pour ami un raeder…
Une lueur amusé brille dans ses yeux pâles, alors qu’elle observe les accessoires fluorescents.

« — Tu as voulu devenir un peu plus coloré ? »

Pas sûr qu’Ao ou Moiro apprécient ce choix de couleurs…

Oh s’agit-il d’une mauvaise blague de ses frères et soeurs ? Un simple mauvais sortilège.

« — Ta petite-nièce ? »

Elle connaissait la fratrie (dont certain membre à son grand malheur), mais le reste. Les raeders étaient-ils tous unis par les liens du sang ?
La patte se referme sur le masque, protectrice, avant que finalement la prêtresse ne l’accroche de nouveau à son harnais.

« — Une tradition… en quelque sorte. C’est mon trophée. »

Un sourire ravi qui étire ses babines, car même si ce masque n’avait plus de réelle utilité pour piéger Emilitia, c’était une bonne piqure de rappel… elle avait perdu un masque et Nirvana avait réussi à faire comprendre qu’elle n’avait aucunement envie de plaisanter avec elle.
Peut-être que si nous ne nous étions pas perdu de vue il y a des années… les choses auraient été différentes.
Mais tu t’es jouée de moi avec la rose stupide.
La louvette s’installa de nouveau, tapotant le sol à côté d’elle pour éviter Nael à la rejoindre.

« — Tes recherches avancent comme tu veux ? »

Hum… Comment faisait-il pour s’agrandir alors qu’ils semblaient tous unis par les liens familiaux ? Nirvana fixa Nael un moment, avant de finalement reprendre la parole, un peu taquine.

« — J’ai rencontré Astrid. Pour te voir sourire, elle semble prête à tout. »

Je n’ai pas oublié ma promesse à son égard.
Maître des rituels ? Étais-ce l’équivalent de prêtre chez les raeders ? C’était là un rôle important. Nirvana fixa l’horizon, profitant des dernières lueurs qu’offraient le soleil. Que penseraient les raeders, si leur maître des rituels passait du temps avec une Etelkrus ?
Que penserait ma mère, si elle savait que mon ami appartenait à ses ennemis ?

« — Et tu seras encore plus lié à l’océan que tu ne l’étais jusque-là. » La louvette marqua une brève pause. « Est-ce que cela te rends heureux ? »

Elle avait tourné son museau vers lui.
Il lui avait dit tenir à l’océan.
La curiosité laisse aussitôt place à une certaine frustration. Nirvana détourna le museau, son regard se portant vers l’atoll.

« — Je sais où chercher à présent. »

Grâce à un satané bouquin qui me révéla que les Nakhus avaient bien plus d’informations qu’ils ne le laissaient entendre.

La question arracha un sourire à la disciple de Kiro. Comment lui en vouloir ? Les Etelkrus avaient toujours cette image de brutes qui attaquaient tout ce qui bougeait.

« — Bien sur que si, je l’ai mangé. »

Une lueur de malice.

« — Je ne lui ai rien fait, si c’est là ta question. »

Les bagarres futiles, cela ne l’intéressait pas Nirvana. Mieux valait obtenir quelque chose en échange du silence. Elle observa Nael pensif. Les conséquences d’un tel rôle… oui. Une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes, à ceux se vouant à une divinité ou entité dans le cas du raeder.
La louvette s’assit un sourire triste aux babines.

« — … peut-être que c’est la dernière fois que nous nous voyons. »

C’était presque un murmure.
Étais-ce ce à quoi elle était destinée ? Voir tout ceux à qui elle s’attachait, l’abandonner progressivement ? Pourtant… pourquoi empêcher Nael de suivre sa voie, quand elle n’aurait jamais renoncé à Dairo ?
Qui suis-je pour les empêcher de suivre leurs rêves ?
À tous.
Elle fut quelque peut surprise sur la question touchant Dairo.

« — Je ne sais pas. Dairo n’est pas Aka, ni Moiro, pour autant c’est une déesse Etelkrus. Je suis sa prêtresse, malgré mon apparence de sirène… si tu lui montres le respect qui lui est dû, peut-être acceptera-t-elle de te parler. » L’Etelkrus marqua une pause. « Mais pourquoi prendrais-tu ce risque ? »

Tu ne te destines pas à sa couleur, alors à quoi bon l’importuner ?
Si c’est en plus pour être sanctionné de ton audace ?

Une surprise au contact du pirate, qui la sortit de ses pensées. La lumière orangée du glowstick fait briller les yeux jaunes. Nirvana sent son petit coeur battre plus vite dans son poitrail.

« — Ce que je veux… »

Ce que je veux, c’est…
C’est…
Son coeur semble battre un peu plus vite, alors qu’elle fixe Nael.
Le temps lui paraît comme suspendu, alors que le doute sur sa réponse plane.
Ce que je veux, là maintenant, ce serait…
Son museau s’approche doucement de celui de Nael, plongeant son regard pâles, dans les siennes si brillantes. Et au fur et à mesure qu’elle se rapprochait, la lumière de son glowstick se reflétait, la ramenant brusquement à la réalité.
La louvette secoua doucement son museau, détournant le regard du loup des abysses.

« — … ça n’a aucune importance. Tu ne dois pas renier tes principes. Si devenir maître des rituels est la voie qui te rendra heureux, alors suis-la. »

Qu’importe ce que tu dois perdre.

« — C’est ça qu’il faut faire. »

Notre lien aussi est important.
Mais ma déesse l’est plus encore.
Il le faut.
Le soleil descendait de plus en plus.

« — Je ne sais pas. Je lui ai parlé de toi et de tant d’autres lors de mes visites à son temple. J’ignore pourtant qu’elle serait sa réaction face à un Raeder qui viendrait dans son temple. »

Dans tous les cas, même si Dairo accepte de te parler…
… les miens te puniront.
Alors à quoi bon ?

Pourquoi étais-ce si difficile pour elle, de gérer pareille situation ? Quand ses frères pouvaient librement vagabonder leur guise.
Parce que si mère savait pour elle, elle ne supporterait parle choc.
Parce que leurs divinités s’en moquent.
Nirvana leva sa patte, venant frôler les crocs qui dépassaient de la gueule du loup vert.

« — Nael, il ne faut pas chercher les réponses à ces questions. »

La voix était douce.

« — Parce que nous ne pourrons plus revenir en arrière après cela… »

La patte est doucement retiré, pour briser le contact en même temps que lui.

« — … et que jamais il ne nous sera permis de réaliser nos souhaits. »

Parce que tu es Raeder.
Parce que je suis Etelkrus.
Et que je ne renierais jamais ma déesse.
Jamais rien ne doit entacher le lien que j’ai avec elle.
Doucement la disciple de Dairo appuya sur le museau du loup pour lui faire baisser la tête, posant son front contre le sien.

« — Je suis une prêtresse Etelkrus, toi un futur maître des rituels, c’est ça qui est important. Nous devons respecter nos obligations, envers nos propres clans, envers nos rôles. »

Nirvana se tut un moment, sentant ses yeux devenir humides.

« — Cela ne nous permet que d’être des amis. »

Qu’importe, ce qu’il y a de plus.
Parce que nous n’en avons pas le droit.
Alors…
Les crocs se serrent, tandis que Nirvana sent une larme sur sa joue.
Cessons de nous poser des questions Nael.
Ne commençons pas à nous bercer d’illusions.
Parce qu’il ne peut y en avoir.

Cela fut-il aussi difficile pour toi, mon frère quand tu te tournas vers ta Rose Stupide ? Avouer ce que tu ressentais, sans prendre en compte les conséquences ?
Ignorer tout ce que cela engendrerait ?
Nirvana ferma ses paupières. Jamais, elle n’aurait pu se permettre le même caprice que Puceron. Leur mère ne l’aurait jamais supporté. Quel déshonneur cela serait pour elle, si l’un de ses enfants avouait son lien avec un Raeder ? Une mère devenue maintenant si âgée… si fragile. Iberis s’était vu bannir pour un glowstick de la mauvaise couleur, que se serait-il passée si Holly avait su pour la compagne à l’atoll ?
Que se passerait-il si elle savait pour Nael ?
Ne le dis pas.
Nirvana vint poser sa patte sur le museau de Nael, espérant le faire taire.

« — Arrêtes. »

Le ton est doux, presque suppliant.
La prêtresse ne voulait pas laissé cette braise s’enflammer. Cela lui était impossible, de par ses obligations, de par son clan. Nael ne méritait pas de finir comme Sushi, elle ne l’aurait pas supporté.
Le savoir blessé par sa faute.
La sirène posa sa tête dans le poitrail du loup vert, conservant le silence un moment.

« — Restes mon ami, s’il te plaît.
Je ne veux pas perdre ce lien.
Ne m’abandonnes pas. »

Restes.

Chaque perte, rendait Nirvana un peu plus déconnectée des autres. Voir son frère partir rejoindre l’ennemi, perdre son amitié avec Litchi, le maigre lien avec Iris… au final ne restait que Dairo et Nael.
Les deux derniers à ne pas prendre la fuite.
Les seuls qui ne semblaient pas maudit par son contact.
Car après tout, peut-être est-ce là, ma malédiction à l’image de celle des Raeder, eux perdaient la possibilité de toucher le continent, quand moi je perds ceux qui m’y rattachent…

« — Je serais toujours là pour toi, moi aussi. »

Je ne laisserai pas les miens te faire du mal.

« — Je te le promets. »

Ce sera ma manière à moi, de t’aimer.
À défaut de pouvoir le clamer haut et fort.

Cela aurait presque pu être ironique non ?
Qu’elle se retrouve au centre de ce triangle que formaient l’atoll, le temple de sa déesse et l’océan. Avec à chaque extrémité, quelqu’un qui occupait ses pensées. Que cela soit la Rose Stupide et son oncle à anéantir, Dairo, la déesse de sa vie et Nael.
Et elle au milieu, à devoir départager ce qu’elle pouvait donner à chaque extrémité, sans abîmer son lien avec une autre.
À moi de trouver le juste équilibre.
Et de ne pas laisser les autres influencer la balance.

« — Restons. »

Nirvana répond sans aucune hésitation, s’installant sur le sol, levant son museau vers Nael, attendant qu’il la rejoigne.
Son petit coeur était serré, à l'idée que dormir l'un contre l'autre était là, la seule chose qu'ils puissent s'accorder.
La seule chose qu'elle pouvait permettre.