Où es-tu, Maman ? [Libre]

 ⱷ Où es-tu, Maman ?

Il court aussi vite qu'il le peut. Il ne ménage pas ses pattes. Bien au contraire. Il les force à avancer, à avaler tous les kilomètres qui le séparent de l'Eglise. Il n'a qu'une seule image en tête : celle de la Vision. Sa Mère enveloppée dans les ailes de Dame Yurai. Il est focalisé dessus. Il a quitté Nocera sans même entendre ce qu'elle aurait pu lui dire ou expliquer. Sans chercher à vérifier qu'elle le suit. Plus rien n'existe pour lui.

Enfin, le toit si familier apparait au loin. Il donne un bon coup d'accélérateur. Il souffle comme un phoque manquant d'air. Plus vite, il aura atteint sa destination et plus vite il trouvera ses réponses. Même si ce ne sont pas celles auxquelles il s'attend. Ou plutôt désire de tout son cœur.

Il entre comme un forcené dans le bâtiment. Ses coussinets glissent sur le sol froid. Qu'importe sa perte d'équilibre. Qu'importe son état d'un fou en liberté. Ce n'est pas important.

Ses yeux dorés se mettent à tourner. Ils fouillent de façon frénétiques les lieux. Ils cherchent celle qui l'a portée. Parce qu'il sent son odeur. Elle était là. Alors, pourquoi ne l'est-elle plus ? Pourquoi sa piste s'arrête-elle là ? Devant cette fontaine.

Il ne comprend pas. Aurait-elle utilisé son pouvoir pour repartir ? Non, ce n'est pas logique.

Alors, il appelle. Il use de sa voie si particulière. Il est persuadé qu'elle ne le laissera pas avec cette peur qui dévore doucement son ventre. Elle va le rejoindre parce qu'elle sait qu'il n'est pas capable de l'entendre. Elle viendra le rassurer et tout ira mieux. Comme elle le fait à chaque fois.

"Maman ? MAMAAANNN !"

Pourquoi te caches-tu ?

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 ⱷ Où es-tu, Maman ?

Ce n'est la belle Colombe qui répond à son appel. Çà a des ailes pourtant. Mais elles sont bien trop colorées. Bien trop épaisses et physiques.

Stendhal laisse s'attarder son regard sur l'individu qu'il n'avait pas remarqué jusqu'à là. Trop focalisé dans sa recherche. Cheza. Un Ami de sa mère. Un coéquipier dans la quête des Harpies. Il lui avait laissé une bonne impression.

Il voit ses yeux fermés. Ces iris qui se cachent sous les paupières. Ont-ils peur ? De quoi ? Des mots ? De Lui ?

Çà fait bien longtemps qu'il n'est plus un enfant. Enfin, là, oui, il doit y ressembler. Un gosse qui essaye de ne pas céder à la panique. Qui réclame sa Maman à grands cris.

"Où est ma Maman, Cheza ?"

Sous ses ailes, peut être ? Il s'approche de quelques pas. Sa nuque se baisse, il regarde en dessous des plumes qui ont l'air si accueillantes. Il ne voit pas le moindre poil clair. C'est vide là-dessous.

Il secoue doucement la tête. La Vision revient encore et encore dans son esprit. Une image qui tourne en boucle. Les multiples ailes enroulées autour de sa fragile protectrice. Il détache son regard de Cheza. Il le reporte sur la statue de la Corneille.

"Où Dame Yurai l'a-t-elle emmenée ?"

Est-ce Elle qui a caché sa Maman ? Ce n'est pas très drôle comme blague. Il n'aime pas. Du tout.

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 ⱷ Où es-tu, Maman ?

Derrière Cheza, une autre silhouette arrive. Nocera. C'est elle qui se charge d'attaquer frontalement sa carapace de déni. Elle ne tourne pas autour du pot. Elle ne perd pas de temps. Parce qu'il est compté le leur. Bien trop court.

Morte. Ce mot met quelques secondes à se glisser dans l'esprit de Stendhal. Il y a tant de portes fermées à franchir. Tant de craintes qui ne souhaitent pas devenir réelles.

Un visage, habituellement dénué d'émotion, qui se décompose. Des billes dorées qui sautent de son aînée à Cheza. Qui supplient désespérément que des paroles viennent contredire cette vérité. Que tout ne soit qu'un mauvais rêve.

Ces suppliques muettes restent vaines. Toute l'atroce vérité plane au-dessus de lui. Comme un orage terrifiant. Qui finit par se fracasser en pluie torrentielle. Emportant ses oeillières et ses derniers brins d'espoir. Arrachant son cœur et l'insouciance qui y vivait. De nouvelles graines y sont plantées. Bien plus sombres que sa candeur envolée.

Il se voute et son regard se fixe sur le sol blanc immaculé. Il a pris dix ans d'un coup. La Vision lui revient encore et encore. Avec sa véritable signification. Les paupières s'humidifient. Les mâchoires se serrent pour ne hurler. Maman ne veut pas de çà.

D'un mouvement brusque, il se retourne. D'une démarche mécanique, il faut quelques pas vers la Fontaine. Il s'arrête là où s'éteint l'odeur de la Colombe. Ultime trace de sa présence. Vestiges de cette Vie perdue à jamais.

Il s'enivre de son doux parfum qu'il aime tant. Il laisse ses larmes s'écouler le long de son museau et terminer leur course dans l'eau violette. Il ne lui reste plus que Dame Yurai maintenant. Au moins elle, elle ne peut pas mourir. Elle ne lui sera pas arrachée de force. Il s'accroche à cette idée pour ne pas sombrer.

Il inspire bruyamment avant de lâcher deux mots.

"Et maintenant ?"

Quel avenir pour lui ? Pour eux ?

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 ⱷ Où es-tu, Maman ?

Des mots lui sont offerts. De l'action. Pour continuer à aller de l'avant. Il comprend que le Deuil n'est pas pour aujourd'hui. Cette parenthèse ne lui sera pas offerte. Peut être ne pourra-t-il jamais le faire. Personne ne peut lui assurer qu'il ressortira vivant de l'affrontement avec le Dragon. Les pertes seront encore là. Elles s'ajouteront au nom de Maman. Lettre après lettre. Pour mieux unir les Nakhus dans la douleur.

Ses mâchoires sont douloureuses à force d'être serrées. Son cœur est tiraillé par ce flot d'émotions. Haine et détresse se mêlent. Son regard se plonge une dernière foi dans celui de la Statue. Se reverront-ils ? Puisse-t-il enfin être digne si le Destin le ramène jusqu'aux serres de sa Déesse.

Avec un gros effort, il se détache de cette présence rassurante. Il part auprès de Cheza et de Nocera. Il abandonne derrière lui Corneille et Mère. Un combat l'attend. Avec son lot de souffrance et de frustration.

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