Lick my wounds - Narcisse.

[Antidaté à avant l'appel général pour combattre le dragon.]







Rearrange the riddle and reset the core
Reset the core

Lick my wounds
Suck the venom
There's our shelter
There's our shed



Un printemps nouveau s'installait.
Partout les tons gris de l'hiver s'effaçaient progressivement et laissaient place au vert, les plantes qui avaient été mortes se redressaient et laissaient apercevoir sur leurs branches nues ce qui deviendrait bientôt des bourgeons de fleur.
Mildred fit quelques pas en-dehors de la tanière dans l'air du matin, le museau levé vers un ciel clair, et inspira la brise chargée d'humidité.
Aujourd'hui, elle se sentait de bonne humeur. Ou du moins était-elle apaisée, non parasitée par de trop nombreuses pensées tierces, et plutôt heureuse de voir cette saison qui lui avait toujours été agréable s'installer dans ce petit recoin tranquille. Son cocon de sérénité rassurante, là où jusque ici aucun mal n'avait réussi à se frayer de chemin malgré la petite voix persistante qui lui avait longtemps susurré que cela finirait par arriver.
Car elle ne méritait pas le bonheur et tout ce qu'elle touchait de près ou de loin finissait par flétrir.

La louve commença à marcher, s'éloignant à pas lents en jetant de temps en temps un regard derrière elle.
Assister à ce renouveau de la nature lui avait donné une idée pour occuper cette journée comme les prochaines. Les mois puis années avaient transformé la tanière d'un renfoncement naturel dans un terre-plein à un réel abri consolidé de bois, agrémenté de peaux et de tissus, marqué d'une réelle identité.
Narcisse avait planté ses fraisiers et édifié non loin un autel dédié à son Dieu. Elle n'avait pas besoin de cela : l'Île n'était pas si loin et elle était libre de rentrer sur ce territoire à tout moment pour rendre visite à la Tigresse, en revanche... L'air parfumé et le paysage fleuri de l'endroit où elle était née lui manquait parfois. Voilà l'image qu'avait ranimé ce début de printemps, avec ses discrètes tâches de couleur éparpillées dans les plaines et les sous-bois.

Elle voulait ramener des fleurs.
Certaines seraient plantées en par-terre, d'autres grimperaient le long des bouts de bois édifiés en structures, d'autres encore déborderaient en cascade du toit formé par la butte dans laquelle s'était implanté l'antre.
Mais elle ne voulait pas que des roses, car ce n'était pas ce que cet endroit était. Les belles fleurs épineuses ne deviendraient la marque de ce lieu aussi - elle ne voulait prendre ce risque.

Alors aujourd'hui, ce serait avant tout dans le reste de la Vasque qu'elle marcherait ; attentive aux nouvelles pousses et aux plus beaux spécimens pour pouvoir ramener boutures et jeunes plants.

Seulement plus tard irait-elle rapporter quelques unes des plus belles fleurs de la Roseraie pour parachever le décor.

Narcisse s’occupait des fraisiers de l’autel de Kiro. Prenait garde à ce que les escargots ne viennent pas s’en prendre aux baies, plantant quelques soucis jaunes autour. Les fraises, ce n’était pas difficile à entretenir et ça poussait vite… Quand le Koridé qui l’accompagnait depuis son enfance vient tirer sur les feuilles d’un fraisier, Narcisse posa un regard d’avertissement sur lui, reculant son museau.

« — Hummmm »

Un soupir qui lui échappe, alors que le museau se tourne vers les marais. Les terres Etelkrus lui manquaient parfois, se dire qu’il n’aura plus jamais à franchir cette frontière… était étrange. Le clan en lui-même ne représentait plus rien, mais là-bas vivait encore Désastre, Holly, ses soeurs.
J’espère que vous êtes heureuses là-bas.
Le disciple de Kiro se détourna de l’autel pour retourner aux abords de la tanière, s’occupait de ses plantations. Qui aurait cru que l’ombre de Pepper finirait ainsi ? Il dépose les fraises dans une demi noix de coco pour le petit déjeuner. Habituellement le premier réveillé, il constate l’absence de Mildred.
Ne s’en inquiète pas pour autant.
Depuis l’épisode des raeders, se montrait juste un peu plus vigilant.
Laissant sa cueillette, il avança, suivant l’odeur de la disciple de Moiro.

Se stoppe en la voyant ramasser des fleurs.
Pas d’insectes des mers venu l’importuner.

Les pas derrière elle étaient légers, mais Mildred avait appris à les entendre parmi les autres sons de la nature et à les reconnaître.
Elle ne se retourna pas immédiatement, achevant d'abord d'inspecter les trilles aux pétales bordeaux qu'elle avait trouvé, les caressant du bout de la griffe et se demandant quelle serait la meilleure manière de les rapporter sans les abîmer. Se contenter d'en couper la tige ne permettrait pas d'implanter durablement les fleurs dans la clairière où ils vivaient.
La louve finit par tourner la tête pour poser les yeux sur Narcisse dont la silhouette se détachait par-dessus le fond obscur des sous-bois, le soleil matinal se reflétant sur le beige de son pelage comme pour le nimber d'un halo de lumière.

Elle conserva un instant le silence, puis désigna d'un signe du museau le par-terre de fleurs à ses pattes.

— Comment t'y es-tu pris, pour les fraisiers ? Il ne faudrait pas abîmer les racines, et elles ont l'air fragiles.  

Avec leurs feuilles si petites et si frêles là où les roses étaient résistantes et aptes à conquérir plusieurs milieux.

En s’approchant, Narcisse constate qu’elle essaye de déterrer des fleurs. Il reste un instant silencieux à sa question, avant de planter ses longues griffes dans la terre, découpant tout autour et de tirer doucement sur les petites racines afin d’en sortir le plant qu’il posa aux pattes de Mildred.

« — Ces fleurs supporteront mal d’être déplacées… mieux vaut en planter de nouvelles graines, à l’endroit qui te plaira. »

Inutile de continuer de massacrer inutilement ce parterre.
Le disciple de Kiro s’assit, secouant délicatement ses griffes pour en ôter la terre.

Son regard suivit le geste habile de ses griffes quand elles retournèrent la terre avec facilité, dévoilant les racines de la fleur.
Destinée à mourir, selon lui. Elle hocha lentement la tête lorsqu'il mentionna les graines, puis remonta ses yeux vers les siens, songeuse. Entre ses fraisiers dont il s'occupait depuis maintenant longtemps, et les connaissances qu'il semblait avoir accumulé sur le sujet des plantes et des cultures... Mildred ne pouvait que s'interroger avec un peu plus de précision, aujourd'hui, sur ce qui l'avait amené à tant se préoccuper du sujet. La question lui avait sans doute déjà traversé l'esprit mais n'avait jamais trouvé de place suffisamment importante pour qu'elle ne s'y intéresse pour de vrai.
Mais aujourd'hui, en ce moment, elle n'avait pas grand chose d'autre à penser.

— Qui t'as appris à t'occuper ainsi de plants ? Du souvenir que je garde de votre meute, ce genre d'occupation ne semblait pas être... Une priorité. 

Pour ne pas dire reléguée au rang de blague. Il fallait avouer que les Etelkrus avaient leur réputation, qui à ses yeux d'adolescente à l'époque s'était encore plus mise en lumière, elle princesse ayant grandi sur l'Île aux Roses d'une mère Prêtresse de Moiro, eux clan de guerriers peu versés dans la délicatesse. Même si parmi ces rustres s'étaient illustrés quelques figures qui l'avaient agréablement surprise par leur noblesse, notamment dans la famille de son père qu'elle y avait croisé, mais aussi dans les manières insoupçonnées de certains.
Comme la mère de Narcisse, Anette.
Dans tous les cas et malgré le nom fleuri que portait le mâle, la louve ne gardait pas de la meute un souvenir d'un quelconque intérêt de leur part pour le floral.

Alors qui pour lui transmettre cette passion ?

Pensif, Narcisse l’observa un instant. Certes, les Etelkrus à l’époque n’avait pas cette réputation… préférant s’en prendre à quiconque traversait les frontières. L’image d’Onyx traverse son esprit, celle qui lui a fait découvrir les fraises, a fait naître l’intérêt.
Puis il y a la période chez les Nakhus. Isolé du reste.

« — J’ai appris seul, lorsque j’ai dû me rendre chez les Nakhus.
Les plantes ne parlent pas inutilement.
Ne trahissent pas. »

Un haussement d’épaules.

« — Ça me convient. »

Il n’est pas expert, s’est surtout intéressé aux fraisiers. Aux fleurs qui permettait de repousser les nuisibles qui s’approchaient trop de ses plants. Le disciple de Kiro conserva le silence un instant.

« — … mais ce n’est pas ça, ma priorité. »

Pose ses prunelles dorées sur elle.

Parmi tous les livres accessibles dans l'immense bibliothèque Nakhus, c'était donc ceux de jardinage que Narcisse avait voulu parcourir.
Ce fait cocasse additionné à la mention qu'il fit encore de ceux qui parlaient trop et des traîtres, mots qui revenaient dans sa gueule si souvent, eurent pour effet de remonter le coin de ses lèvres sur un air amusé sans qu'elle ne s'en rende tout à fait compte au début. Cet épisode avait vraiment du le marquer profondément pour que sa vie en soit autant impactée même après tant d'années.
Il en était bien venu à quitter son clan, après tout. Ce n'était pas rien.
Elle avait au moins sa réponse, et la raison principale de son intérêt pour quelques plantes : non pas pour leur beauté ou la passion de la culture, mais pour leur... Silence. Et leur loyauté.
... Mildred se mordit la lèvre quelques secondes, mais ne put s'empêcher de pouffer.

Une patte se leva pour couvrir son museau et elle détourna le regard vers le paysage, se raclant doucement la gorge pour reprendre contenance.

Elle ne tarda pas à retrouver son sérieux, cependant, en sentant le regard du mâle sur elle suivi de quelques mots supplémentaires.
Mildred demeura interdite, le fixant en retour pour un instant. La légèreté qui s'était installée en elle peu de temps auparavant se trouva remplacée par un poids qu'elle ne savait pas tout à fait déterminer, peut-être une certaine gêne. La chaleur lui était montée aux joues et le bout de ses doigts s'était remis à jouer avec la terre alors qu'elle laissa de nouveau fuir ses yeux vers un point indéterminé parmi les arbres.

— Ah oui ? Et qu'elle est-elle donc, cette priorité ? 

La louve avait fait de son mieux pour parler d'un air détaché, mais le ton de sa voix, un peu serré, ne parvenait pas à sonner d'un vrai naturel.

Visiblement, cela semblait l’amuser. N’étais-ce pas là ironique par ailleurs, pour une disciple de Moiro de ne rien y connaître en plantes ? Après tout, l’île de sa déesse était recouverte de roses.
Ce fut cette fois à Narcisse, d’être amusé.
Un léger sourire venant étirer ses babines. Après toutes ces années, il trouvait les réactions de Mildred toujours aussi… intéressantes. Ne l’importunerait pas pour autant.
Tu le sais très bien.
Que tu es ma priorité.
Les longues griffes jouèrent avec un coquillage composant son bracelet. Narcisse ne l’avait et ne la forcerait jamais, à quoique ce soit. Il restait à ses côtés, tant qu’elle le voulait bien.
Ne cesserait jamais pour autant de veiller sur elle.

« — Les fraises. »

De l’amusement dans ses yeux dorés.

Sans même s'en rendre compte au début, Mildred s'était tendue après avoir posé sa question.
Ses muscles s'étaient contractés et son souffle s'était bloqué, comme sur la défensive en prévision d'une attaque. C'était une réaction qui lui était devenue un peu trop automatique, dès que la simple idée d'être mise face à ce qu'il ressentait pour elle se profilait.
Parce qu'elle ne savait toujours pas comment réagir, parce qu'elle se sentait oppressée par cette affection qu'elle ne savait pas gérer.
C'était... Idiot, mais plus fort qu'elle. Et les Dieux savaient qu'il y en avait beaucoup, des choses plus fortes qu'elle.

A commencer par l'entêtement de ce loup qui lui faisait face et qui donnait tout pour simplement être à ses côtés. Cet entêtement qui lui donnait parfois autant envie de pleurer de soulagement que de hurler de colère - parce qu'après toutes ces années, elle ne le comprenait toujours pas.
Et elle même s'en jugeait indigne. Peut-être que le problème était la ? Qu'elle ne se braquait pas seulement par peur de devoir exprimer une réciprocité, mais aussi parce qu'elle savait bien qu'un jour il se desintéresserait et comprendrait son erreur, ou se lasserait de devoir attendre encore et encore qu'elle lui offre autre chose que de la neutralité.

Mildred aurait pourtant aimé que ce soit simple. Que d'eux même les sentiments fleurissent comme une évidence, qu'elle n'ait pas besoin de chercher dans son cœur abîmé les traces de quelque chose qui n'existait peut-être pas.
Car à quoi bon.

Il finirait bien par la fuir.
Comme les autres.
Comme sa famille.

Et alors que la louve était tant montée en pression que sa gorge s'était nouée, une réponse tomba.
Toute simple, toute bête, deux mots qui ne méritaient pas tant de pensées et de levées de boucliers. Si son humeur légère de quelques minutes auparavant ne s'était pas laissée engloutir, sans doute aurait-elle ri : mais tout ce qu'elle était capable de répliquer maintenant, encore un peu tremblante et la gorge toujours nouée, était un sourire factice et une pointe d'humour forcée, voix crispée quelle espérait un minimum convaincante.


— Ta famille doit être ravie de passer derrière des fruits.  

La louve souffla du nez et s'appliqua à garder les yeux rivés sur un point lointain, attendant que passe le moment et que se dissipe son mal être.
Elle se sentait, une fois de plus, si stupide.

Encore une fois, Mildred semble trop réfléchir. Bien plus que lorsqu’il essaye de l’entraîner à danser. Parfois… Narcisse se demandait si elle espérait qu’il parte, préférait se convaincre qu’elle le lui aurait dit.
As-tu peur que comme ceux de ta famille je t’abandonne ?
Que je ne respecte pas ma parole ?
Un moment, Narcisse la fixe, ses prunelles dorées étudiant ces expressions qui au fil des années n’avaient plus de secrets. L’expression du loup est sérieuse.

« — Princesse. »

Une pause.

« — Après tout ce temps, n’as tu pas compris que ma priorité, était ma famille ? » Le disciple de Kiro marqua une pause. « Que tu en fais partie ? »

Une patte qu’il vient doucement placer sous la gueule de Mildred.

« — Je n’exigerai jamais rien de toi.
Je suis ce que tu veux que je sois.
Ami.
Amant.
Protecteur. »

Narcisse abaisse sa patte, un sourire venant étirer ses babines. Il a trouvé une certaine sérénité ici, à ses côtés, loin des menteurs et des traîtres.
Une vie que peut-être, il aurait dû mené dès le début.
Ne pas tout donner à son clan.

« — Quelle importance, même si je ne représente rien ? Être ici à tes côtés, suffit à me rendre heureux, Mildred. »

J’espère juste que toi aussi tu l’es, heureuse, d’une manière ou d’une autre.

I'm sorry for what I've done
Called out to anyone
Tried out, I'm so afraid
House on fire
If you're mine, you make me stay
Well you told me that anyway
Why you call home, you come this far
House on fire



Peut-être que les années l’avaient rendue moins apte à porter le masque inexpressif qu'Anianka s'était appliquée à leur apprendre.
Peut-être simplement qu'à force de temps elle ne pouvait plus le duper, lui.
Dans tous les cas elle sentit le poids de son regard posé sur elle, la légèreté du moment qui s'était envolée, l'attente angoissante de la suite.

Elle sursauta presque au son de sa voix.
Pourquoi avait-elle autant l'impression d'attendre une sentence ?

Ce qu'il lui disait pourtant n'était que la suite de ce qu'il lui répétait sans cesse et qui aurait du la rassurer. Mais ses mots faisaient douloureusement écho aux fantômes de souvenirs errants, à toutes ces promesses déjà échangées par le passé dans l'entre-soi d'une famille qui se disait indestructible, aux certitudes ébranlées, à la douleur du manque et des trahisons. A ses propres fautes et à tout ce qu'elle aurait du mieux faire.
Mildred sentit encore sa gorge se nouer, elle aurait voulu répliquer mais ne le pouvait pour le moment. La patte qui releva son visage la força à rediriger ses yeux brillants sur le visage de Narcisse alors qu'il continuait de parler.

Il avait l'air tellement... Sincère.
Tellement prêt à accepter sans questions ce qu'elle était alors qu'elle ne le méritait pas.
Tellement satisfait du peu qu'elle avait à offrir en se contentant d'exister.

Une douleur contracta sa poitrine et les larmes finirent par lui échapper pour venir couler sur ses joues.
Elle tenta de retenir ses sanglots, de les étouffer dans des hoquets silencieux, mais ne pouvait empêcher ses épaules de se secouer et les muscles de son visage de se contracter.
Cherchant pourtant à traverser la barrière étroite de sa gorge serrée, finit par émerger une voix étranglée.

— C'est juste que... Je...  

Je ne comprends toujours pas ce que tu peux bien me trouver.
Je ne suis pas celle qui aurait du conquérir ton cœur.

Je ne suis qu'une louve indigne de confiance qui a fait subir autour d'elle autant de mal qu'elle en a reçu.
Qui n'a pas su sauver ni sa famille, ni son propre esprit.

N'as-tu pas peur que je te détruise aussi ?

— Tu... Tu mérites d'être avec quelqu'un de mieux. 

Je ne t'apporte rien.
Il avait choisi de vivre plus loin de sa famille qui avait pourtant l'air si soudée, bien plus saine que la sienne. Pourquoi quitter cette tranquillité pour chercher de la sérénité auprès de quelqu'un comme elle, plus changeante que l'océan ?

Son museau se baissa à nouveau vers le sol, laissant les larmes en suivre la courbure pour aller s'écraser en silence, pluie fine s'échappant du ciel gris de ses yeux.



I wanna be where you are
Thugs out to me
I'm not assured when
House on fire
You say you're gonna be alright
It's not true, is it?
I stay with you no matter what
House on fire

La faire pleurer, cela n’avait jamais été l’objectif. Narcisse ne comprenait pas, pourquoi cela la mettait dans un tel état. Depuis des années, il ne faisait que répéter la même chose, lui assurer, lui démontrer qu’il tiendrait parole. Que cela lui suffisait pour être heureux.
Son bonheur lui importait plus que tout.
Le disciple de Kiro ne bouge pas, l’observe.
Que méritait-il ? La question avait traversé son esprit, il y a bien des années. Au moment où Hollyhock vint lui proposer la place de conseiller. Avant même. Lorsqu’il fut envoyé pour le détachement des panseurs chez les Nakhus. Envoyé pour protéger et servir un ramassis de traître de lâches. Pour que les autres lui tournent le dos.
Le mérite.
Avait-il mérité, de consacrer toute sa vie, à la cause Etelkrus ? À servir Pepper puis Hollyhock ? Jadis, il l’aurait pensé. Aux côtés de Pepper jamais le doute ne se serait installé. À présent, sa mentor s’en était allée, l’avait laissé parmi les agneaux, lui loup apprenant dans l’ombre.
Le mérite.
Qu’est-ce que cela représente au bout du compte ?

« — Qui sait, ce que je mérite réellement ? Ni toi, ni moi.
Je me contente de vivre l’instant présent, de ce que je ressens.
Ça me suffit. »

Je n’ai pas besoin qu’on se demande ce que je ressens.
Qu’on se demande ce que je mérite.

« — … alors cesses de t’empoisonner l’esprit à ce sujet, Mildred. »

C’est ainsi que j’ai choisi de mener ma vie, sans attendre de mériter quoique ce soit.

Chaque seconde durant laquelle il conservait le silence était une seconde de plus où Mildred, tête baissée, ressassait tous les sentiments qui étaient remontés en elle.
Sa culpabilité, sa peur, sa méfiance d'un bonheur auquel elle était certaine de ne pouvoir prétendre.
De quel droit, après tout ? Elle n'était pas une bonne personne. Ceux de son sang avaient connu la douleur, le désespoir, l'échec. Pourquoi pourrait-elle prétendre à un destin différent ? Il était trop tard, pour cela. Sa vie était plus proche de sa nuit que de son aube et malgré toutes les résolutions qu'elle avait prises, les quelques victoires obtenues, la certitude de devoir enfin accepter qu'il n'y avait plus à s'imposer le prisme d'une famille qui l'avait laissée et n'avait pas su aimer bien... Malgré tout, malgré elle, elle finissait toujours par y revenir et tout y rapporter.
Puis il finit par reprendre la parole.
L'instant présent. Comment en profiter avec la présence de tous ces fantômes, de ces souvenirs qu'elle avait tant de mal à réprimer ? Comment faisait-il, lui, pour s'abandonner au moment sans penser à hier et à demain ?

Cesse de t'empoisonner l'esprit.
La tête de Mildred rentra un peu plus dans ses épaules et elle fronça une babine. Mais elle n'avait rien à répondre à tout ça. Elle n'en avait plus non plus la force. Pourquoi s'acharner à essayer d'avoir raison quand elle même n'était plus persuadée de rien ? Dans tous les cas, la louve savait que c'était peine perdue et que Narcisse garderait toujours ce même discours sur son choix.
Et elle... Elle ne savait toujours pas ce qu'elle voulait, ce qu'elle ressentait, mais elle savait qu'elle était épuisée de se battre contre elle-même.
Les sanglots épars finirent par tout à fait se calmer pour simplement laisser place à une respiration sifflante et irrégulière.

Le silence revint l'envelopper et ses yeux ne remontaient toujours pas du sol.
Ses lèvres s'ouvrirent sur un murmure à peine audible.

— Je... Je suis- Je suis désolée d'être comme ça.  

Elle renifla, puis releva une patte pour dégager une mèche coincée dans ses cils. Son regard vissé vers le sol finit par se relever, tout doucement, et elle continua de souffler profondément pour détendre un à un ses muscles crispés.
Un soupir. Avant que sa tête ne bascule pour effleurer l'encolure de Narcisse, que de tout l'avant de son corps dont elle relâcha lentement le poids elle ne vienne s'appuyer contre son poitrail.
Mildred se laissa envahir de la chaleur qui émanait toujours du mâle, respira un peu de cette odeur devenue synonyme de familiarité.

Et elle resta là, sans bouger, les iris perdus dans le vide.
La fatigue était venue s'abattre sur elle, brutale et soudaine, et avait chassé toute envie de lutter encore.
Peut-être qu'elle comprendrait un autre jour.
Peut-être pas.

Narcisse continue de l’observer, sans pour autant cherché à la réconforter d’un contact. Il ne sait pas, si c’est qu’elle entend après cette discussion. Peut-être qu’elle le repousserait, pour s’être montré si vulnérable devant lui… au fil des années, le disciple de Kiro avait compris à quel point elle était fière.
C’était cette fierté qui jusque-là, leur avait tant porté défaut à elle et sa famille.

« — Tu n’as pas à t’en excuser. »

Je ne t’en ai jamais voulu.
Pourquoi le devrais-je ?
Narcisse posa sa patte derrière la tête de Mildred quand elle vient s’appuyer contre lui. Avait-elle froid ou cherchait-elle seulement un contact ? Les prunelles dorées la fixent en silence, sans faire de commentaire, sans la questionner pour la forcé à parler.
Il reste juste là, à attendre.
À l’écoute si elle voulait parler.
Présent, si ce n’était que le silence qu’elle cherchait.

Elle sentit contre elle les vibrations de sa voix en même temps qu'elle l'entendit résonner dans ses tympans.
Sans comprendre pourquoi, sa réponse lui fit encore serrer les crocs. Pas à s'en excuser ?
Mais des personnes à qui elle tenait étaient mortes à cause d'elle. A cause de son instabilité, de sa lâcheté, de sa faiblesse, de son incapacité à prendre les bonnes décisions au bon moment.
Malgré le temps passé, Narcisse n'avait aucune idée de tout ce qu'elle avait à se reprocher. De tout le tort qu'elle avait causé, et qu'elle se savait capable de perpétrer encore.
Parce que le moment venu, son esprit s'embrouillerait encore et les sentiments les moins nobles prendraient le dessus.

Mais s'il refusait de le comprendre, pouvait-elle le forcer ?
Devait-elle d'elle même prendre la décision de s'éloigner de lui pour le préserver de tout ça ?
...
Là encore, elle s'en savait incapable. Si la fierté ou la colère l'avaient déjà fait s'éloigner, de sang froid Mildred ne pourrait volontairement couper l'un des seuls liens qu'il lui restait. Le dernier pilier de son quotidien, celui qui l'avait aidée à remonter la pente au lieu de probablement se laisser mourir ou perdre ce qu'il lui restait de raison. Elle n'en avait tout simplement pas la force, même en sachant qu'il s'agissait de la meilleure chose à faire, même s'il s'échinait à vouloir assumer son choix jusqu'au bout.
Il ne se rendait simplement pas compte de sa force de destruction, de l'attraction qu'avaient les malheurs du destin pour sa famille et tous ceux qui gravitaient autour.
Peut-être devait-elle simplement lui en parler, tout lui avouer, pour qu'enfin il puisse faire son choix de manière éclairée - et elle s'imaginait déjà plutôt l'horreur que la compassion se peindre sur son visage.

Le contact de sa patte contre ses cheveux vint l'interrompre dans ses pensées, et elle sentit encore une fois sa gorge se nouer.

De ça non plus, elle n'avait pas la force.

La fatigue revint l'envelopper en même temps qu'elle s'abandonnait dans cette étreinte coupable et qu'elle tournait le dos, une fois de plus, à ses responsabilités.

— Rentrons. 

Sa voix perça à peine, vacillante comme la flamme d'une bougie.
Puisqu'elle n'était pas capable de lutter et de faire face, Mildred s'en remettait au fonctionnement qui lui avait permis de surmonter les dernières années.
Laisser passer la tempête et attendre des jours meilleurs où perçaient quelques rayons de soleil.

Ou qu'au contraire s'amassent les nuages d'orage pour éclater en ouragan qui dévasterait tout.

Le silence dans ce cas. Narcisse ne comprenait pas, pourquoi la louve empoisonnait autant ses pensées. Pourquoi se sentir responsable des méfaits et erreurs de sa famille ?
Tu n’y es pour rien dans la trahison de Méridor.
Les autres…
Un simple mot. Narcisse reste immobile un instant, réfléchissant à comment empêcher la Princesse de se morfondre. Peut-être l’emmené voir sa nièce, à l’atoll ? Dernière vivante de sa famille dont-il avait connaissance… Mildred en apprécierait sûrement le contact… tout ce qu’il voulait, c’était son bonheur, trouver ce qui la rendrait heureuse, sans la laisser se morfondre. Il la sent fatiguée, contre lui, ressert son emprise, avant de se laissé tomber sur le dos, l’observant.

« — Nous pourrions partir si tu le souhaites. À l’atoll quelques temps, pour voir Miraj… ou en voyage… »

Il leva ses yeux vers le ciel.

Quand le mâle bougea, ce n'était finalement pas pour reprendre le chemin de l'antre, malgré sa seule réponse.
Il se laissa glisser au sol et elle ne résista pas à son étreinte quand il l'emmena avec elle. Le contact de l'herbe avec tout son corps était rafraîchissant, et lui faisait étrangement... Du bien. Comme une brise froide et légère venant apaiser un instant une brûlure.
Ça ramenait dans son esprit le souvenir lointain d'un certain incendie, et la présence de Narcisse à ses côtés à une époque où rien d'autre qu'un certain mépris mutuel ne les liait.
Un fugace sourire étira ses lèvres - c'était amusant, de quelle imprévisible manière la vie pouvait amener les choses à changer.

Puis la voix du loup chassa la pensée et elle tourna les oreilles vers elle pour l'écouter. Partir. Voir sa nièce, ou d'autres paysages.
Mildred fit la moue. Elle trouvait toujours cela étrange de se rappeler qu'il connaissait sa nièce, et avait même un certain lien avec elle. Surtout quand on savait les relations cordiales qu'Isrâ et lui avaient pu entretenir. Toujours était-il que la dernière fois qu'ils s'étaient rendus tous deux sur l'Atoll, Miraj avait annoncé une naissance : depuis, l'enfant avait du naître et il était vrai qu'il faudrait aller le rencontrer. Pourtant... Sans réellement se l'expliquer, c'était seule que Mildred voulait faire pour la première fois connaissance avec ce nouveau membre de sa famille.
Comme si le lien qui l'unissait toujours avec les fragments éparpillés de son sang demeurait quelque chose d'intime auquel Narcisse restait étranger, malgré lui, et que la rencontre avec un nouveau membre ne pouvait se faire en présence d'un observateur extérieur.

Plutôt que de lui avouer, la louve se concentra sur sa seconde proposition.

— As-tu déjà voyagé ?

Son regard suivant le sien, elle se perdit dans la contemplation de l'immense voûte céleste, décorée des cimes irrégulières des arbres qui les entourait.

L’idée de l’atoll ne semble pas lui plaire. S’était-elle disputé, avec sa nièce ? Ou refusait-elle tout simplement qu’il puisse côtoyer les membres de sa famille ? Ce qui le liait à Miraj, remontait à plusieurs années, lorsqu’elle n’était qu’une enfant. À sa manière, elle avait aidé Narcisse à comprendre ce qu’il souhaitait réellement.
Quitter cette meute hypocrite.
À sa question, le disciple de Kiro ne met pas longtemps à apporter de réponse.

« — Oui. Une fois dans le grand nord, avec les sauvageons. C’est joli… mais trop hostile. Tu dois tout le temps être sur tes gardes. Il n'y a pas de répit. »

D’une certaine manière, là-bas c’était étrangement calme. Les loups étaient rares, l’épargnant les paroles inutiles ainsi que les mensonges.
Mais vivre aux côtés des monstres constamment, l’aurait épuisé.
Ce ne fut pas le sel voyage. Il eut celui bien plus important, pour sauver le Frère. Un combat entre le Serpent et le Phénix, qui les mena vers un tout nouveau chemin.
Vers de nouvelles rencontre.

« — Une autre fois, pour aider mon Frère. Nous nous sommes absentés une année, côtoyé un nouveau peuple. Là-bas, j’ai appris à parler uniquement avec les gestes, me déplacer sans faire de bruit… accroître mon agilité. Leur dirigeante nous a accueilli et traité comme si nous étions des leurs. »

Il se rappelait les mois aux côtés des Chasseurs. Les explications de Bashka. Les conseils d’Aya, lors des chasses.
Là-bas, Narcisse avait acquis une force et des compétences nouvelles. Un langage que lui seul et Désastre pouvaient employer.

« — Je leur suis reconnaissant de cette expérience. »

À son retour chez les Etelkrus, il avait regretté d’avoir quitté ce lieu.
Maintenant… il avait trouvé autre chose ici.

Le premier voyage évoqué fut le Nord. Mildred pointa les oreilles et lui glissa un regard un peu étonné. Elle ne s'attendait pas à ce que les expéditions dans ces terres inhospitalières puissent être considérées comme un voyage.
Le Nord, c'était à cette occasion qu'ils avaient mené leur première véritable discussion, juste eux deux sans personne de leurs familles respectives pour proférer des insultes en écho.

Le second de ses voyages résonna davantage avec l'idée qu'elle s'en faisait. Changer de paysage, vivre ailleurs pour un long moment, découvrir d'autres existences, des êtres qui de vous ne savaient rien et auprès de qui on pouvait prendre un réel nouveau départ. Elle comprenait sans mal ce qu'il y avait de plaisant là-dedans, pourtant... Mildred ne savait pas si cela lui conviendrait, à elle.
N'était-ce pas simplement fuir ailleurs, finalement, pour ne plus affronter ce qui les entourait ici ? Certains étaient des explorateurs nés, parcouraient des territoires sans fin et en faisaient le but d'une vie. Mais elle, née ici et ayant toujours gravité autour des repères du continent... Elle craignait de ne voir cela que comme un énième abandon, en tournant le dos à ses problèmes.
D'autant qu'elle se sentirait sans doute perdue.

La louve relâcha un soupir et se laissa tomber sur le côté, étendant ses pattes dans l'herbe.

— Je ne suis pas certaine que ça soit pour moi.  

Ni de notre âge.
Sa voix était morne en disant cela, et elle était encore une fois un peu désolée de se dire qu'elle n'avait à lui répondre qu'un manque d'enthousiasme.
Peut-être bien que ça lui ferait du bien, mais peut-être aussi qu'elle perdrait le peu de repères qu'elle avait réussi à reconstruire et qu'elle ne saurait en façonner d'autres.

Et se retrouver une fois de plus perdue lui faisait peur.

Non. Narcisse l’admettait, un tel voyage, n’était pas pour tout le monde. Au fil des années, il avait bien vu à quoi aspiraient certains, que ce soit au bord des plages ou perdu dans les montagnes. Mildred n’a de toute évidence jamais voyagé, peut-être que ce n’était pas pour elle.
Qu’elle ne voulait pas le découvrir.
Dans ce cas…

« — … et qu’est-ce qui serait pour toi ? Aspires tu à quelque chose ? »

Il ne veut pas la brusquer par cette question, est curieux. Il ne cesse de chercher un moyen de la rendre pleinement heureuse, qu’elle soit complètement épanouie… a l’impression d’échouer par moments.
Alors qu’est-ce qui te rendrait vraiment heureuse ?
Qu’est-ce que tu voudrais faire ?
Les yeux ors de l’ancien Etelkrus observent le ciel, dans l’attente d’une réponse, qui peut-être ne viendrait pas.
C’était toujours un jeu de pile ou face.

Ses histoires de voyage continuèrent à tourner dans son esprit quelques instants.
Il y avait bel et bien un aspect qui l'intéressait malgré tout dans la perte de repères, dans l'abandon de là d'où l'on venait.
Celui de repartir de zéro pour prendre un nouveau départ, libérée de son histoire... Libérée de sa rancune, là où les fantômes ne pouvaient pas suivre et restaient derrière. Là où l'on pouvait redevenir n'importe qui, sans qu'aucun regard ne puisse porter de préjugés liés à sa vie d'ici.
Mais l'imaginer sérieusement... Ça restait compliqué. Beaucoup de barrières se dressaient, levant ses incertitudes en forteresse qui la poussait à rester en arrière, à l'abri des murs connus.

Elle fut tirée de ses pensées quand Narcisse posa une autre question.
Ses oreilles tombèrent légèrement en même temps que son regard glissa vers le sol, quand en parallèle c'était vers les cieux que montaient les yeux dorés du disciple de Kiro.
La question l'aurait probablement agacée, si elle ne s'était pas déjà tant sentie vidée de son énergie. Parce que ça l'obligeait à se confronter à son propre esprit pour essayer de chercher des réponses, ça autorisait ses pensées à se développer au risque de réveiller tous les fantômes qui guettaient pareil moment, tapis dans l'ombre.
Mais pour le moment et malgré l'inconfort, elle était bien incapable de lever le feu familier de la colère pour la protéger du reste.
Alors elle ne relâcha qu'un soupir, le regard sombre et le visage morne.

Des années auparavant, la réponse lui aurait paru simple et évidente. Elle aurait dit aspirer à rester avec sa famille, car ça lui suffisait de s'acharner à vouloir la reconstruire et lui rendre sa grandeur. Un jour, ils auraient bien fini par être unifiés, respectés et peut-être bien le point de départ d'une nouvelle meute.
Elle y avait cru, si longtemps, même quand l'espoir de la gloire avait davantage pris la couleur terne d'une lente déchéance.
Désormais, ces dernières années... A part se reconstruire un tant soit peu, parvenir à reconquérir l' intérêt de Moiro, et recréer un lien ténu mais puissant avec un fragment de famille inattendue - elle n'avait pas la sensation d'avoir désiré quoi que ce soit.
A part peut être que les solutions ne se forment d'elles même comme par magie, devant ses yeux, et qu'elle n'ait plus qu'à les écouter et les suivre sans avoir à s'interroger sur des questions qui n'obtenaient en retour que le silence.

Mildred prit une respiration sifflante après un long moment où seule la brise s'était faite entendre, et leva les yeux du sol sans pour autant venir croiser les prunelles dorées.

— Je suppose... Que j'aimerais simplement parvenir à faire la paix avec le passé.  

Que ces spectres et leurs souvenirs bariolés ne viennent plus tourmenter le moindre aspect de sa vie.
Du reste, pour les quelques années qu'il lui restait sur ce monde, il n'y avait plus aucune ambition grandiose pour venir allumer des étincelles dans ses yeux.
Pour espérer ensuite être heureuse, quand bien même la louve était persuadée de ne pas vraiment avoir le droit de connaître le véritable sens de ce mot... Il lui faudrait sans doute continuer à apprivoiser cet étrange apaisement qui se trouvait en menant une vie simple.

Elle ne voyait plus que cette option et ce chemin sans prétention, plutôt que de se créer de nouveaux rêves qui finiraient par pourrir.

Les paupières clauses, il prête une oreille attentive aux paroles de Mildred. Ah, le passé. Un passé qu’elle avait poursuivit tant d’années, au travers de sa famille, sans pourtant jamais réussir à l’affronter. Comment aurait-elle pu… Entre ceux qui étaient morts ou partis…. Qui au final s’était retourné en pensant à Mildred ?
Miraj était encore là.
La dernière, aux côtés de son enfant.
Le passé, ce n’était pas quelque chose que Narcisse pouvait combattre à la place de celle qu’il aimait, bien qu’il l’aurait souhaité, si cela suffisait à chasser sa peine et ses regrets.
Je ne peux que t’appuyer, pour que tu arrives à affronter tes propres démons.
Mildred.
Il rouvre ses paupières, posant ses yeux sur elle.

« — Je sais, que ce passé te hante, Mildred. Qu’importe ce que je fasse ou te dise pour t’apaiser. »

Narcisse marqua une pause, son regard de nouveau rivé vers les étoiles.

« — … mais ne laisses pas ton regard tourné uniquement sur le passé, regardes le présent. L’avenir aussi. Grâce à eux tu parviendras à faire la paix. »

Il referme ses paupières. Mildred ferait comme bon lui semble, lui dirait ou non qu’il a tort, qu’importe.
Au moins elle écoutait.

Elle n'affronta toujours pas son regard quand elle le sentit se tourner de nouveau vers elle, et elle se contenta de l'écouter sans qu'aucune émotion ne vienne animer son visage fermé. Bien-sûr, qu'il savait, à force. Ce n'était pas la première fois qu'il tentait de s'immiscer dans les méandres de son esprit, et à chaque fois sa réponse était similaire : sans jamais se sentir capable d'évoquer en détails les évènements dont le souvenir douloureux se tenait en embuscade dans les recoins de ses pensées, elle laissait simplement entendre leur présence qui ne la laissait pas en paix.
De par sa position, il avait quelques connaissances d'éléments sur quelques morceaux de sa famille. Sur Méridor, surtout.
Mais il y avait aussi beaucoup de choses qu'il ne savait pas et qui ne franchiraient sans doute jamais la barrière de ses lèvres.
La suite fit naître un tic sur son visage, dans les sourcils qui se froncèrent légèrement. Un goût amer prit place au fond de sa gueule.
Le présent, l'avenir... Facile à dire. Elle aurait bien aimé, y trouver des projets et des plans, mais à leur âge... Qu'espérer du futur, à part qu'il ne soit pas aussi sombre que le passé ? Mais elle connaissait ses discours, désormais, et la facilité avec laquelle l'ancien Etelkru avait tout laissé derrière lui était déconcertante aux yeux de la louve. Cette faculté à s'adapter et à changer de vie en un clin d’œil... Elle ne la comprenait pas. Sans doute l'enviait-elle, en revanche.

Plutôt que de débattre encore, Mildred soupira et battit lentement des cils. Trouvant malgré sa fatigue un peu de force pour rouler sur le côté, elle poussa sur ses muscles et se remit debout d'un pas chancelant. Son regard alla une dernière fois vers les cieux.

— Je n'ai jamais voulu fuir l'avenir.  

C'est lui, qui ne voulait pas d'elle et se rendait inatteignable pour la laisser derrière.
Les yeux qu'elle posa sur Narcisse étaient mélancoliques, presque doux, et la louve n'ajouta rien de plus avant de lentement prendre le chemin du retour vers la tanière.