Moi être toujours là.

Les vivants viennent des morts comme les morts viennent des vivants disait Platon.
Son cœur s'était serré si fort, à la sorcière, qu'elle le sentit se briser, s'émietter, devenir sable et poussière. Le souffle coupé, la douleur vive et cruelle de la perte écrasa la petite louve au poil grisonnant avant même que la nouvelle ne lui parvint véritablement. Le cri perçant de Susie offrit à la vieille louve une inspiration qui l'a remit en branle comme le dernier soubresaut d'un navire prêt à couler. Pas déjà. Pas déjà ! Mais elle le savait Ann, que l'heure était venue et que contre la mort, nul ne peut se battre. Alors ce n'est pas un combat qu'elle mènerait, mais un dernier négoce, un ultime troc. Un marché. Retournant la mine sombre et fermée pour ne pas laisser les larmes embrouiller sa vue jusqu'à sa tanière qu'elle avait en ordre depuis longtemps maintenant au cas où, elle attrapa les ingrédients nécéssaires : une pierre aux couleurs étonnantes et multiples, un fond laiteux aux reflets divers presque comme une opale, avait des taches en cercles concentriques de jaunes, de rouges, de couleurs corail, qu'elle avait découvert un jour, en péchant à marée basse dans une grotte sous-marine, un jaspe chatoyant et aussi étonnant qu'étrange ! Elle l'avait gardé car elle avait lu que dans une certaine mythologie le jaspe était symbole de vie éternelle, pour d'autres il étaut lié à la déesse-mère et à la lune, ou la fertilité, pour d'autres encore il était symbole d'éternité, de renouvellement et de révélation ou même en lien avec l'eau, pour faire pleuvoir dans les contrées sèches. Cela en faisait la pierre idéale pour Abysse ; puis un pot de cendre de bois d'olivier pour la paix, la sérénité et le lien à la terre ; une longue et épaisse aiguille en os de baleine, colosse de la mer et âme bienveillante par excellence ; ainsi que des bougies de cire noire et du cuivre réduit en sel pour le panache.

A chaque loup croisé, la sorcière offrit un sourire plein de tendresse -et l'Océan savait que ce geste simple était porteur d'un message que chacun comprendrait plus tard comme un hommage à eux-, mais n'adressa aucun mot. Elle n'en avait plus, aucun mot pour apaiser les maux. Il ne lui restait de voix que pour son dernier récital. Les sens en ébullition et l'instinct la menèrent sur la crête du lévianthan, à peine en hauteur pour observer la scène macabre, écrasante d'émotion. L'atmosphère devint étouffante pour Ann, qui perdit une seconde à remplir son âme de ce dernier emoi, de cette dernière étreinte entre une fille et son père avant de tout mettre en place. Elle rejoignit la plage discrètement, la plus proche d'où décrivait le corps de l'amour de sa vie, son âme sœur serré par Susie. Sa seule enfant avec qui elle n'avait jamais su réparer les manques. Ce ne serait pas aujourd'hui, non plus, qu'elle pourrait rayer ses regrets. La Maîtresse des Rituels alluma à l'aide de ses sillex les bougies aux mèches trempées dans le sel de cuivre. Des flammes vertes étincellèrent avant de danser dans le vent iodé. Leur éclat ne parvint pas à réchauffer les entrailles de la louve, mais un sourire triste effleura ses babines de charbon. De son aiguille, elle perça un dé ses coussinets et laissa tomber dans le bol de cendre quelques gouttes vermeil. De tout son souffle de vieille sorcière, elle envoya dans les brisés de l'océan sa mixture et se mit à psalmodier aussi fort que possible tandis que le vent se levait pour mugir à ses oreilles en réponse à son appel :

< Oh ancetres, renforcez mon essence de vie avant que je ne l'offre. Entendez-moi ancêtres, priez pour lui. Venez-moi en aide, ancetres. Prenez ce message, prenez mon sang et ces cendres sur les vents marins. Prenez et offrez-moi la force de sauver Abysse. J'en appelle au pouvoir immuable de l'Océan, partage ton immortalité avec ton fils Abysse. J'en appelle aux forces de chaleur et de rapidité du Soleil, partage ta lumière avec l'âme d'Abysse. J'en appelle aux vertues de vitalité et de mémoire du Jaspe mer, garde précieusement les souvenirs de mon Abysse. >

Sanns attendre, et sans laisser le temps à quiconque ayant pu s'approcher après le cri de Susie de réagir, la petite sorcière transperça son cou de son aiguille d'os de baleine, juste là où pulsait encore son artère.

< Pardonnes moi, Susie. Je t'aime tant. Au revoir mon trésor.
Veni Sanguis, Veni Sanguis, Veni Sanguis, que vienne à toi le sang de la sorcière, Océan. Voici mon ultime sacrifice, pour sauver l'âme de mon aimé et qu'à jamais, Océan, tu l'a préserve en ton sein. >

Sa voix se brisa, mais elle acheva son chant avec son dernier souffle tandis qu'elle se laissa glisser dans la mer et rejoignit le corps sans vie d'Abysse sous sa forme océanique : louve d'eau sablonneuse désormais ensanglantée. Quelques secondes tout au plus pour envelopper le loup abyssal de tout son être avant que la magie n'opère et qu'Ann se dissipe dans l'Océan avec le seul espoir d'avoir sauver l'âme d'Abysse et lui permettre peut-être, de perdurer dans l'Océan lui-même.
Jusqu'aux pattes de Susie flottera le fameux jaspe, qui aurait pourtant dû couler...

ψ MAKARA
Chapardeur Raeder ; 8 ans ( 14.6.23 )
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F A E I

Makara se terrait dans l'une des grottes de son île natale, désœuvré, agacé, dégouté et en colère contre lui-même. Un état émotionnel très proche de la dépression, se sentant enragé et coupable de ne pas avancer, de ne pas évoluer, de ne pas parvenir à à être ce qu'il devait être, ce qu'il aurait pu être, celui qu'il aurait dû devenir. La honte le submergeait autant que la hargne à son encontre et l'entraînait depuis des mois dans un cercle vicieux d'auto-destruction et d’apitoiement au travers d'une consommation excessive de plante psychotrope découverte puis volée dans la tanière de sa mère. Cela lui permettait de s'échouer ailleurs que dans sa vie, sur une île paradisiaque imaginaire où il faisait bon vivre et ou tout était facile. Le poil hirsute, en sueur, il était en train de se hisser vers l'extérieur pour faire un tour et prendre l'air -vers la grotte de la Maitresse des Rituels, pour subtiliser une autre dose en vérité- lorsque ses écoutilles captèrent un cri qui lui lacéra les entrailles d'une angoisse qu'il avait vécu, une fois. Pour Mimosa, face aux araignées. Penser à la louve lui donna la nausée. Ou était-ce l'émotion qui le submergeait ? Il entendit la peine et la souffrance immense dans la voix de Susie et pour la première fois depuis longtemps, ses pattes le portèrent en un éclair à la plage où il bondit dans l'eau, se changea en requin et fusa jusqu'à sa sœur. Instinct de grand frère sous doute qui supplanta le manque en un quart de seconde.

Lorsqu'il arriva sur la scène macabre, son père et sa sœur dérivant dans une dernière étreinte et auréolés d'une eau saumâtre et à l'odeur de sang, ses boyaux ne tinrent plus, son mal de crâne et ses tremblement n'aidant en rien à ce qu'il garde le contrôle de son corps. Encore une fois, c'est le besoin de protéger sa sœur qui le ramena à la réalité et il l'attrapa par le collet tout en la serrant fort contre lui pour la sortir de l'eau et la ramener sur la plage de la lagune, en espérant qu'elle ne se débatte pas, car déjà ses forces s'amenuisait après ce rush d'adrénaline. Ses muscles le brûlait, ses tempes tambourinaient, son ventre agonisait... Quand à son esprit, il errait loin de la tragédie du jour : rejetant toute émotion, niant l'évidence sous ses prunelles dorées. Froid et calculateur, il voulait préserver sa soeur. Celle qui avait toujours eu le moins besoin qu'on la protège, celle qui avait toujours mordue avant de se laisser câliner, celle qui avait toujours rendu les coups sans vaciller. Et qui pourtant, restait sa petite soeur.

▒ CIMERII
Cannonier Raeder ; 8 ans ( 14.6.23 )
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Cimerii lui, était tapi au fond d'un récif de corail, à observer à travers ses autres sens le monde surpeuplé qui l'entourait. Comme le lui avait appris Abysse des années plus tôt, il écoutait les brisques changements de directions des petits poissons ou les pattes des crabes qui se cliquetaient à vive allure sur les rochers. Il sentait les vibrations du poisson-clown fourrageant dans les anémones, et le déplacement d'eau formant un léger courant de la raie qui les surplombait royalement. De temps en temps il rouvrait les yeux et appréciait les couleurs chatoyantes qui dansaient sereinement. Ici la luminosité était moins violente que sur terre et le soleil n'était plus capable d'atteindre ses rétines fragiles. Il avait donc tout loisir d'imprimer dans son crâne de merveilleuses images. La violence d'une nage courte mais effréné à quelques centaines de nœuds de lui à la surface, vers la Crête du Léviathan, et le hurlement sombre qui l'accompagnait le firent se propulser vers le haut pour aller voir. Quelque chose n'allait pas et ses poumons se comprimèrent comme par réflexe, alors qu'il ne les utilisait pas ici. L'angoisse monta en lui à chaque brassée jusqu'à ce qu'il crève la surface prêt d'Abysse, éteint. Prêt de Susie au coeur en miette. Prêt d'Ann qui visait son sang dans l'eau salée en chantant des mots que son cerveau se refusait à comprendre. Le soleil aveugla le loup abyssal albinos et il dû se protéger les yeux avant que la migraine ne se pointe. Il lui fallu atteindre avant de parvenir à s'approcher plus et mesurer l'ampleur de la catastrophe. Il réalisa alors que sa mère disparaissait dans l'Océan mais tout geste qu'il fit, trop tard de toute façon, rien ne lui permis de la rattraper avant complète dissolution et il resta là, les pattes ballantes, vides et rouges de ce sang maudit. Il était dévasté, comme si on venait de l'écartelait de l'intérieur. C'était si brutal, si invivable comme douleur qui le transperçait en plein milieu de la poitrine, que Cimerii se laissa couler complètement engourdi.

Loin des vivants, l'influence sur la mort se tente.

C'est la fin Ann.
Mais pourtant dans ce passage vers la mort, tu sens.

Une vie pour une vie. Le prix à payer pour la ramener.
Une vie pour l'énergie. Le prix à payer pour la magie.
Une vie pour le rituel. Une vie de misère et de malheur. Le prix à payer pour un sacrilège.

Pour toute nécromancie il faut.
Deux vies consommées.
Et une dernière pour la ramener.

Il en faut moins que pour ramener un corps entier.
Mais il en manque encore une, Ann.
Sans la taxe de la Mort, lier une âme hors de la non-vie ne fonctionne pas.

Mais la tienne peut encore le crier à celles présentes.
Le réclamer, que quelqu'un complète le rituel.
Une autre vie consumée, parmi les présentes ?

Mais le fera-tu, sorcière ?
C'est la fin, Ann.
Ou peut-être pas encore.

Ce sera donc la fin, car toute sorcière qu'elle fût, grâce à Abysse, la louve noire n'aurait jamais été de celles qui dévorent les petits comme le racontent les histoires pour faire peur. Ainsi elle resta muette.

Grâce à Abysse, et malgré son éducation, Ann Revenge n'aura jamais franchi cette limite de moralité. Sa vie oui, celle des autres, non.
Grâce à Abysse, et malgré ses penchants sanguins, Ann Revenge sera restée du côté de la lumière. I était la tendresse et la joie de vivre.
Grâce à Abysse, et malgré toutes les occasions qui ont remplies son cœur de haine, la maitresse des Rituels aura presque pardonner. Presque. Au moins elle ne se sera pas venger.
Grâce à Abysse, et malgré tous ce qui aurait pu mal tourner, c'est l'amour pur et véritable aura attacher ces deux âmes là. Deux âme-soeurs trouvées sur le tard.
Grâce à Abysse, et malgré l'échec de son dernier rite, Ann partira enfin le cœur léger. Dans la paix et la confiance.

Car c'est auprès de lui qu'elle restera à jamais, à défaut d'avoir pu offrir ce dernier cadeau à ses petits devenus grands.

ψ MAKARA
Chapardeur Raeder ; 8 ans ( 14.6.23 )
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F A E I

Ne valait-il rien aux yeux des autres ?
C'est la pensée égocentrique qui affleura au dessus du vide causé par le déni dans son esprit. N'acceptant l'évidence, rejetant les sentiments débordants comme de puissantes lames d'écumes qui raseraient une plage, il ne restait que le froid et égoïste sentiment d'être inutile. Alors que Susie pleurait dans ses bras, Edessa, sa mentor, emmena sa sœur loin du spectacle. N'aurait-elle pas dû plutôt prendre soin de celui qui fut, l'espace de quelques mois, son disciple ? Cimerii disparu au fond de l'eau tandis que Chimaera donnait des directives, encore et toujours. Makara se voilait la face en rejetant la peine et en s'affichait non atteint. Malgré tout, la seul chose dont il aurait eu besoin, aurait été d'une patte tendue, comme on l'avait offerte à Susie. D'un mot doux, d'un peu de compassion...
Mais il n'y avait rien pour lui.
Il n'y avait personne pour lui.
Il ne méritait rien. Il n'existait même plus,. Avait-il seulement valu quelque chose toutes ces années ?

La nausée le prit, son mal-être empira son état de manque et il ne fût plus capable de mener une réflexion autre que cette seule idée qui tambourinait, qui tournait en boucle : il n'était rien, plus rien.
Parce que s'il avait compté un jour, c'était au travers du regard de sa mère. S'iol avait été utile un jour, c'était pour remplir les missions de la sorcière. Et elle n'était plus. Donc lui non plus.
Sans un bruit, dans un souffle erratique et d'un pas titubant, le mâle noir retourna dans la mer, loin du regard des autres, et s'enfonça le plus profondément dans les abysses, jusqu'à ce que la pression l'arrête, jusqu'à ce que ses tympans lui fassent mal et que la force comprimant son corps fasse taire la douleur intérieure. Il resta là de longues heures, jusqu'à ce que tout se calme en lui, jusqu'à la fin de la tempête, ou le début de la suivante. Plus rien ne l'attendait en haut. Il n'avait plus envie de revoir le soleil. Mais il remonta, furtivement, pour boire jusqu'à en avoir la langue pâteuse et la gorge brulée, pour s'embrumer l'esprit de plantes jusqu'à ce que ses sens ne puissent plus rien lui dire, et il retourna dans les tréfonds de la mer.

Un manège régulier qui dura longtemps. Très longtemps. Trop longtemps.

▒ CIMERII
Cannonier Raeder ; 8 ans ( 14.6.23 )
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F A E I

Cimerii remonta peu de temps après, juste quand le capitaine donna ses instructions qu'il attrapa au vol et en profita pour suivre le mouvement, obéir pour ne plus réfléchir tout de suite. Simplement, pour délayer la douleur et la repousser à plus tard.