Autant la famille que la foi - Nirvana.

Ces derniers temps, les pensées d'Anita envers Nirvana avaient souvent été inquiètes.
Il s'était passé beaucoup de choses dans la vie de la petite louve, leur famille était complexe et mouvementée, le clan en lui même était prompt également à lever des situations de tension. Mais il était devenu plus difficile de savoir ce qu'il se passait réellement dans sa tête depuis qu'elle ne passait plus si souvent du temps que ça avec elle - car si dans son cœur elle demeurerait son apprentie l'essentiel de son mentorat s'était achevé depuis un moment déjà, aussi car elle était devenue une adulte accomplie qui avait sa propre vie, son rôle et ses objectifs.
Depuis qu'elle était devenue Prêtresse, aussi, et s'était laisser enveloppée corps et âme dans sa dévotion pour Dairo.

Il était assez évident que sa petite Crevette n'était plus l'enfant qu'elle avait été, et il avait été difficile pour Anita de bien suivre ces changements qui l'avaient traversée.
De l'accompagner dans les troubles et les bouleversements qui l'avaient amenée à se blesser elle-même.
Et voilà qu'elle était frappée d'une nouvelle vague, maintenant. Elle perdait sa mère.
Et si Anita avait pu voir Iris, plus tôt, la seule trace qu'elle avait trouvée de Nirvana était le souvenir d'un passage bref.

Mais elle ne la laisserait pas tomber. Elle ne la laisserait pas s'isoler par défaut, à affronter par elle-même ce nouveau coup dur. Elle voulait rattraper le temps perdu, tendre la patte. Et même si elle la refusait... Anita comptait au moins essayer et être présente pour elle. Elle aurait aussi Iberis à aller voir.
Ils n'avaient plus de mère. Et même si la louve ne comptait pas essayer de la remplacer, elle avait toujours été pour eux l'équivalent d'une tante.

Elle prit le chemin de là où elle savait qu'elle pourrait la trouver, au bord des falaises, proche de sa Déesse. Mais elle n'irait pas jusqu'à faire irruption dans la Crypte. Si Nirvana s'y était réfugiée, elle lui laisserait le temps dont elle avait besoin.

En attendant, elle s'assit face à l'océan pour le contempler, battue par les embruns et le regard mélancolique.

Nirvana préférait la solitude. Quelques passages au Castel ces derniers jours, l’avait contrainte à affronter les regards compatissants et plein de pitié suite à la mort d’Hollyhock. Aucun ne savait la vérité. Aucun ne comprenait.
Nirvana ne la pleurerait pas.
Tu as préféré nous abandonner, plutôt que d’affronter la vérité.
Tu t’es choisi toi, plutôt que tes enfants.
… et maintenant c’est à moi de les protéger.
Une patte fatiguée qui se lève, pour remettre en place quelques mèches blanches. Les derniers années furent difficiles, les prochaines le seront aussi. Les yeux pâles scrutent la statue de Dairo. Sa guide. Sa famille. Celle qui jamais encore ne lui avait tourné le dos, quand tous les autres…
Un nuage de brume qui s’échappe de sa gueule. Un soupir qui franchit ses babines, quand elle reconnaît l’odeur d’Anita. Bien sûr. La prêtresse s’y était attendu, à la venue de cette Tante. Ne l’avait pas préparé pour autant.

« — Les autres n’ont pas à savoir.
Tout ce qui m’importe, c’est que toi, tu saches toute la vérité. »

Une patte qui frôle la représentation de la Renarde, avant que la petite Etelkrus se dirige vers l’extérieur, pour s’approcher de la silhouette fine de son alpha. Anita au final, aura été plus proche d’Hollyhock que de quiconque… Nirvana ferait preuve de compassion à son égard, mais ne pleurerait pas.
Les larmes, elle était lasse de les verser.

« — Anita. »

Le ton est respectueux, accompagné d’un mouvement de tête.

Sans surprise, c'est bien de la sortie de la Crypte qu'apparut la petite silhouette qui se dirigea ensuite vers elle.
Anita prit le temps de la regarder s'approcher, détaillant à mesure qu'elle pouvait mieux les voir sa démarche, ses expressions, ce qu'il pouvait bien y avoir au fond de ses yeux comme de son esprit. Le ton qui la salua était respectueux mais neutre, presque froid en comparaison à l'écho qu'Anita avait encore en tête de ses éclats de voix, enfant, lorsqu'elle passait du temps avec elle ou l'emmenait jouer à la plage.
Son cœur se serra, bien qu'elle sache qu'elle n'avait pas tellement le droit d'être triste. Nirvana avait changé et évolué, elle en avait le droit.
Mais avait-ce été pour les bonnes raisons ? Le cheminement pris ces derniers temps ne s'était-il pas ancré dans la douleur ?

—   Crevette.

Elle laissa un sourire en coin ponctuer sa salutation en retour. Même si la Prêtresse de Dairo n'était plus un enfant, même s'il n'y avait plus la moindre trace d'insouciance chez elle... Elle resterait sa Crevette, surtout dans pareil moment où ce n'était pas en tant qu'Alpha qu'elle désirait la voir, ni même en tant que mentor ou camarade de meute.
Simplement en tant que famille.
Celle qu'elle espérait toujours être à ses yeux, malgré la distance qui avait fini par se creuser.

— Comment te sens-tu ?

Sa voix était douce quand son regard demeura posé sur le visage fermé de la petite louve. Il était ardu de lire quoi que ce soit derrière cet air composé qu'elle conservait la plupart du temps, maintenant.
Et ses cheveux devenus blancs n'aidaient en rien, venant encadrer plus durement ses traits. Ils n'étaient pourtant pas dus à l'âge, mais ils la vieillissaient quand même.
Comme si de cette vie elle était destinée à s'épuiser plus vite que les autres.

Un instant, la prêtresse soutint regard de sa tante en entendant son ancien surnom, avant de finalement sourire. Jamais, de son propre chef, Nirvana n’aurait avoué sa nature de sirène, pas même à sa tante… mais un plongeon forcé en avait décidé autrement. Qu’importe, à présent, que les autres sachent à quoi elle ressemble réellement.
La Brume l’avait trop fatigué pour permettre les transformations aussi aisément qu’auparavant.
À la question, le sourire s’estompe. Tous semblaient obsédé par la réponse qu’elle pouvait leur fournir. Qu’est-ce que cela leur apporterait ? Les yeux pâles étudient un instant l’alpha. À elle non plus, impossible de lui dire la vérité.
Que la Brume l’avait et continuait de la consumer.
Qu’Ottar l’avait mis en garde contre la mort que ce pouvoir lui apporterait.
Que la mort d’Hollyhock lui pesait sur la conscience.
Son sang est sur mes pattes.

« — Fatiguée. »

Une brève pause, accompagnée d’un soupir.

« — … mais les événements actuels ne nous permettent pas de nous reposer. Cela devra attendre. »

Un sourire pour accompagner ses paroles.

Un temps passa avant qu'Anita n'obtienne de réponse. Ses yeux attentifs demeuraient posés sur la petite louve, guettant ses réactions, notant les changements subtiles d'expression sans pour autant être sûre de pouvoir correctement les interpréter. Le sourire qu'elle avait été heureuse de voir fleurir sur ses lèvres s'était estompé, et beaucoup de pensées cheminaient derrière son regard, mais lesquelles ?
Etait-elle triste ? Avait-elle des questions restées sans réponses, des regrets ? Peut-être de ne pas avoir eu le temps de dire certaines choses, comme c'était fréquemment le cas avec des morts si soudaines ? Anita, elle-même, se sentait parfois prisonnière de scènes imaginaires qui se jouaient dans son esprit et durant lesquelles elle aurait pu parler avec Holly de tout ce qu'elles n'avaient pas eu le temps d'aborder.
Finalement ce fut un simple mot, très évasif, qui lui fut offert. La Prêtresse de Kiro se contenta de hocher la tête sans rien dire, attendant de voir si d'autres paroles viendraient. Et elles vinrent, avec toujours ce même sérieux, cette même application à la tâche qui caractérisait maintenant Nirvana.
Comme si elle ne s'accordait nullement le temps de se pencher sur ses sentiments, qu'elle préférait projeter ses pensées toujours vers l'avant plutôt que de faire la paix avec le passé et le présent et les fantômes qui y rodaient.
Anita réfléchit à quoi dire, les yeux aussi doux que son léger sourire.

—   Au contraire. Il ne sert à rien de laisser s'accumuler les peines et les épreuves sans jamais prendre le temps de souffler. Il est bon de s'écouter, si l'on veut mieux se préparer.

Dans un monde qui parfois enchaînait les périodes sombres sans laisser de répit se trouvaient quand même des moments de joie, de laisser aller et de légèreté. C'était essentiel à toute vie. Nirvana ne devait pas l'oublier... Tout comme elle ne devait pas s'oublier elle-même.
Le regard de l'Alpha dériva le long des falaises pour retomber sur la plage en contre-bas, où venaient se casser la houle à un rythme régulier. Le son était apaisant, meublant le silence qui s'étira un peu avant d'être ponctué par un bref éclat de rire sortant de la gueule de l'hybride.
Dans son esprit venaient de ressurgir des fragments de souvenirs.

— C'est sur ces côtes que j'ai fait pour la première fois connaissance de ta mère, petite. Elle n'était pas beaucoup plus âgée que moi, mais à mes yeux d'enfant, c'était quand même une adulte. Je voulais absolument aller découvrir la mer, alors je me suis échappée du Castel pour la suivre en secret. On a joué longtemps avant de devoir rentrer parce que je m'étais plantée des épines d'oursin dans la truffe.

Son sourire, attendri, s'agrandit et vint plisser le coin de ses yeux pétillants à mesure que se ravivait et se rejouait cette scène issue d'un passé désormais lointain.
Holly aussi, avait beaucoup changé au cours de sa vie.

Pourquoi cette insouciance de jeunesse avait-elle tant tendance à s'éroder, tant de peine à se ranimer au fil des années ?

Un nouveau silence qui règne, après les paroles d’Anita. Les yeux pâles la fixent. Combien d’épreuves, la prêtresse de Kiro avait affronté ? S’était-elle écoutée dès que son corps ne supportait plus l’effort ? La douleur ? Nirvana ne pouvait pas se permettre d’agir de la sorte.
Écouter son corps, ce serait accepté que ce dernier s’effrite à cause de la Brume.
Écouter la douleur, ce serait sombrer dans un océan noir sans le moindre espoir d’en ressortir.
Si je cède, qui veillera sur eux ?
Serais-je digne d’être prêtresse de Dairo ?
Etelkrus ?
Non, Nirvana comptait bien pousser son corps jusqu’aux limites du possible, pour protéger les intérêts de Dairo, ses frères. Les autres n’ont pas besoin de savoir, que le précipice est déjà proche… C’est pour cela que trois loups connaissaient réellement son pouvoir, sans forcément en comprendre le mécanisme.

« — Anita. Hollyhock t’était chère, je respecterai le souvenir que tu en as gardé… »

La Brume qui s’échappe de ses pattes, s’écoule du haut de la falaise. Le museau est tourné vers l’Océan, un air fatigué sur les traits.

« — … mais je n’ai aucune envie, d’évoquer son passé. » Nirvana se tourna vers sa tante, un sourire aux babines. « Je ne suis pas Iris. »

C’est lui qui a besoin des histoires et anecdotes réconfortantes.
Nirvana, elle, ne voulait pas qu’on lui décrive Hollyhock comme une louve heureuse appréciant la vie aux côtés de ses amis. Les griffes s’enfoncent dans la terre.
Elle a abandonné sa famille.
Parce que c’était plus facile.

« — Le temple de Dairo t’es ouvert, si tu le souhaites. Dairo aime et veille sur ses disciples.
Peut-être appréciera-t-elle les histoires que tu as à lui raconter. »

Il y a un peu lus de chaleur dans la voix de la petite louve à la mention de la déesse.

Si elle avait pu entendre les pensées qui défilaient dans la tête de celle qui était comme une nièce, Anita se serait inquiétée.
Inquiétée de constater que le poids trop grand qu'elle laissait peser sur ses épaules dépassait largement ses soupçons, inquiétée de savoir que Nirvana comptait augmenter la pression plutôt que de la remettre en question, inquiétée de ne peut-être pas pouvoir l'aider.
Mais de tout cela elle n'avait pas conscience, face à l'évitement de la Prêtresse de Dairo et à ses secrets bien gardés. Car elle ne s'attarda pas sur ce point, et entreprit plutôt de répondre à sa tentative d'amener le sujet de sa mère. Anita écouta posément, ne se vexant pas de ses paroles, gardant sur la louve le même regard doux et aimant. Au fond de ses yeux, il y avait de la compassion. Même si ses mots étaient durs et qu'elle repoussait le sujet, l'Alpha restait persuadée que Nirvana souffrait des évènements - même si elle ne laissait aucune place à ces sentiments pour s'exprimer.
A la place, toujours cette même brume étrange qui s'écoulait depuis ses pattes comme un fluide éthéré ne pouvant se contenir à l'intérieur de ce petit corps.
Non, elle n'était pas Iris, en effet. Il n'y avait eu dans la gueule de Nirvana aucune question de posée quand son frère avait cherché à savoir pourquoi, il n'y avait dans son regard que la lassitude, quand chez le mâle bleu le souvenir de la détresse et du choc sur son visage restait imprimé dans les rétines de l'Alpha.

Anita laissa s'échapper un léger sourire. Si elle ne voulait pas s'ouvrir à elle, elle ne la forcerait pas. De toute évidence, il y avait également des blessures plus profondes dont elle n'avait pas connaissance pour que la sirène réagisse ainsi. Holly avait eu des difficultés à élever ses enfants et à ce que l'alchimie dans la famille se fasse, elle le savait bien. Etait-ce au point que Nirvana lui en veuille pour quelque chose ?
Etait-ce simplement parce qu'à ses yeux, le suicide était un abandon et un aveu de faiblesse impardonnable, là où elle-même se refusait à lâcher prise ?
Avec le temps, elle espérait qu'elle serait moins dure à l'égard de sa mère et de son choix désespéré.

La voix de la Prêtresse de Dairo se fit un peu plus joviale à la mention de cette dernière et Anita affirma un peu son sourire en retour.

— Je suis sûre que Dairo se souvient à merveille des histoires de chacun de ses disciples.

Ce n'était pas vraiment par besoin de chercher du réconfort ou d'expier son propre chagrin, de toute façon, qu'Anita avait voulu partager cette anecdote. Mais puisqu'on parlait de la Renarde...

— A propos des disciples de Dairo, elle ou ta mère ont-elles eu l'occasion de te parler de Pepper ?

Ses yeux violet se posèrent sur la petite louve et elle attendit patiemment, curieuse.

Nirvana a toujours un sourire, quand Dairo est évoquée.

« — Dairo, n’oublie rien en ce qui concerne ses disciples. »

Divinité plus dévouée, Nirvana n’en connaît pas.
À la mention de Pepper, un léger silence s’installe. Comment, ne pas connaître la petite louve bleue ? Certains la décrivaient comme une légende… impitoyable, dotée d’une grande force et d’un esprit stratégique hors pair. Porteuse de l’orange. Le voilà, le détail le plus important.

« — Pepper fut votre mentor, votre prédécesseur. Une disciple de la Renarde, qui pourtant selon les rumeurs aurait tout aussi bien pu abordé le rouge d’Aka.
Exactement comme Hollyhock. »

Puisqu’elle était encore évoquée.
Cela soulève un autre problème pour la prêtresse. Un sujet évoqué avec Iris lors de l’emprise de la brume, qui pourtant, Nirvana ne comptait négliger. Pepper et Anette avaient créé le conseil, système complètement mis de côté concernant les décisions (le bannissement d’Iberis le lui avait prouvé, nulle justice n’avait été appliquée).

« — Anita, depuis deux règnes, l’un des alphas était un disciple de Dairo… » La louve marqua une pause, posant ses yeux pâles sur l’hybride, un peu soucieuse. « J’espère que la voix de Dairo continuera d’être écoutée et prise en compte. »

Non mise de côté par Aka et Kiro.
Je ne le permettrai pas.

Le sourire d'Anita se crispa légèrement à l'intonation presque illuminée que prenait parfois la voix de Nirvana, quand Dairo était sur sa langue. Tous les Dieux se souvenaient de leurs disciples, pas seulement la Renarde. N'était-ce pas la base même de leur omniscience ? Kiro aussi avait su rendre honneur à ce passé, en gravant au sein même du Temple les scènes de vie de sa mère, Prêtresse avant elle.
Mais elle n'en dit rien, et se contenta d'écouter sa nièce, et hocha légèrement la tête à la description qu'elle fit de celle qui fut, comme elle était pour Nirvana et sa fratrie, une tante spirituelle de par son amitié avec leur mère. Anita réfléchissait encore à formuler ce qu'elle voulait dire, mais elle n'en eut pas le temps : la sirène lui faisait part de son inquiétude concernant la suite du règne, maintenant que l'orange ne brillerait plus tout en haut de la hiérarchie.
L'Alpha pencha la tête sur le côté, un sourire qu'elle espérait rassurant sur les lèvres.

— Mh, Kiro n'est pas vraiment du genre à interférer dans les affaires de la meute. Et toi, en tant que Prêtresse, tu as une place privilégiée pour t'exprimer. La Trinité ne sera pas oubliée, même si les trois couleurs ne peuvent jamais être présentes en même temps quand il n'y a que deux Alphas.

Lors des règnes précédents que Nirvana avait mentionné, Kiro et Aka, tous deux absents chacun leur tour, avaient-ils été pour autant écartés et déconsidérés ? Il ne semblait pas à Anita que cela ait été le cas.

— Tu l'as dit toi-même, cependant : porter une couleur, ce n'est pas forcément porter les volontés d'un Dieu.

Autrement, on n'aurait pu confondre les agissements de certains orange pour le rouge d'Aka. Les divinités étaient des incarnations de valeurs pures, d'étendards à suivre pour les guider et façonner leur monde et leur morale. Mais eux, individus mortels, étaient plus complexes et nuancés que cela. Leur cœur brillait rarement d'une seule et même couleur en toute circonstance.
Il y avait plutôt au fond d'eux un dégradé des Sept qui s'exprimait en des proportions différentes.

— ... Et cela vaut aussi pour nous, Prêtres et Prêtresses. Dairo n'attend pas de toi que tu sois uniquement sa voix et rien d'autre. Tu as également des envies, des sentiments, une personnalité qui ne sont pas les siennes.

Une vie qui ne t'appartient qu'à toi, des désirs que tu as le droit de laisser s'exprimer, des besoins que tu dois écouter, Nirvana.
Anita espérait qu'elle ne l'oublierait pas.

Une expression amusée chez la prêtresse. Les dieux, eux-mêmes, s’efforcent de ne pas se mêler directement des affaires de la meute. Ce n’est pas leur rôle. Ce n’était pas là où voulait en venir Nirvana.

« — Je ne pense pas au présent. Quand je ne serais plus, je veux m’assurer que les disciples de Dairo ne soient pas mis de côté, plus important encore, que ma déesse ne soit pas négligée. »

Cela risquait bien vite d’arriver bien plus vite que prévu. Nirvana ne se leurre pas, essaie juste de maintenir les autres le plus possible dans l’ignorance.
Je dois protéger Iberis et Iris.
Toi aussi, Nael.
Le regard se porte de nouveau vers l’océan.

« — Que nous le voulions ou non, la couleur que nous choisissons influe notre comportement, notre façon d’agir. »

Les disciples d’Aka ne refuseront jamais le combat.
Les disciples de Kiro auront toujours ce côté drôle.
Les disciples de Dairo…
Nirvana les aurait défini plus calme, plus distant des autres.
Nous réfléchissons trop.
Ce n’était pas la première fois que Nirvana avait droit à cette discussion, sur ce qu’attendait Dairo d’elle. À chaque fois, cela venait d’un porteur d’une autre couleur. Comment auraient-ils pu comprendre ? Très jeune, elle s’était tournée vers la déesse, obtenue sa couleur… devint sa prêtresse.
Son seul refuge, face à la solitude.
La naissance d’une dévotion.

« — Ne t’inquiètes pas pour moi, Tante Anita. »

Avec un sourire, la petite louve se tourne vers son aînée.

Quand je ne serai plus là.
Anita fronça un instant les sourcils. Sa nièce, pourtant bien plus jeune qu'elle, pensait déjà à un futur où elle n'existerait plus - mais sa tante, potentiellement encore. Ça éveillait dans les entrailles de l'Alpha quelque chose de désagréable, comme une prémonition qu'elle ne pouvait chasser, une peur qui s'inscrivait. Elle avait également du mal à comprendre l'inquiétude de Nirvana : elle voyait bien que ce qui lui importait avant tout était de s'assurer que Dairo ne serait pas oubliée. Mais où voyait-elle vraiment un risque ? De son côté, Anita ne sentait pas les Etelkrus être prompts à vouloir renier la Renarde au profit des autres dieux.
Leur Trinité avait toujours été forte, aucune divinité n'était dévaluée - chaque génération voyait de nouveaux prétendants se retrouver dans différentes valeurs, même si les effectifs fluctuaient parfois.

—   Qu'est-ce qui te fait craindre à ce point que Dairo puisse être écartée du clan ?

Peut-être que Nirvana avait noté quelque chose de particulier, et Anita souhaitait dans ce cas être au courant.
Entendre sa nièce l'appeler Tante Anita fit naître une chaleur agréable qui se répandit dans son corps. Alors elle n'avait pas perdu ce rôle auprès d'elle.
Avec un sourire plus prononcé, l'Alpha se baissa vers la petite louve pour frotter sa joue contre la sienne.

— Je m'inquiéterai toujours pour vous.  

C'était son rôle, en tant qu'Alpha et tante. D'autant plus maintenant qu'ils n'avaient plus de mère.
Elle se releva ensuite, pour regarder de nouveau l'horizon et relâcher un bref soupir.

— Si je voulais te parler de Pepper... C'est parce qu'elle a souffert en abusant du pouvoir que lui avait offert Dairo. Elle s'y est perdue et a failli atteindre un point de non retour.

Sans ses proches, sans Anette qui avait du briser de ses propres crocs son glowstick pour la délivrer de cette emprise déraisonnée... La Petite Reine aurait pu s'égarer dans la folie et ne jamais s'en remettre.
Mais cela, cet acte désespéré motivé par l'amour d'une âme sœur qui ne savait pas quoi faire d'autre pour la sauver, Anita ne le mentionna pas.

Elle ne pouvait cependant qu'exprimer son inquiétude vis à vis des dégâts déjà subis par Nirvana.

Nirvana observa un instant sa tante. Étais-ce si peu évident, pour ceux qui ne portaient pas la couleur de Dairo ? Les autres… ses confrères oranges… la prêtresse les voyait, se tourner vers d’autres valeurs que celle de la Renarde, se trouvant par moments bien plus rattachés à Aka qu’à leur propre déesse.
Ce n’est pas leur faute.
C’est ce clan qui ne les écoute pas.
Qui ne laisse pas de place aux valeurs de Dairo.

« — Ne nous voilons pas la face. Où est la ruse et l’imagination tant convoitée par Dairo, dans nos rangs composés de rouges et de jaunes ? Les disciples de la Renarde ne sont qu’une minorité, face à vous autres, cela se voit… cela se sent.
Les intérêts d’Aka primeront.
De même que ceux de Kiro.
Qui défendra ceux de Dairo ?
Alors qu’elle apporte son soutient au clan depuis des années. »

Pour quel retour ? Les disciples se font de plus en plus rares… de moins en moins dignes aussi.

« — Je n’empêcherai pas un loup non Etelkrus de passer l’épreuve du glowstick orange, si il en est digne.
Qu’importe que cela entre en conflit avec les intérêts du clan. »

Une discussion qu’elle avait eu avec Samaël, Iris. La lumière de Dairo devait être cherchée partout.
Les sourcils se froncent, quand à la remarque de sa tante. S’inquiéter. C’était son rôle, de se soucier de ses frères, quand leur mère n’état plus. Nirvana ne voulait, n’avait jamais souhaité que l’on s’inquiète pour elle. À chaque fois cela avait un prix.

« — … c’est mauvais… de toujours s’inquiéter pour les autres. »

Surtout pour moi.
Je risque de vous pourrir.
Vient alors l’histoire courte de Pepper. L’abus d’un pouvoir, qui risqua de la mener à sa perte. Le point de retour. La disciple de Dairo soutient le regard de l’hybride, conservant le silence. La Brume… le point de non retour de ce pouvoir, avait été atteint, il y a un moment déjà, lorsqu’elle se libéra de son emprise. Un demi-sourire qui vient étirer ses babines. À présent, chaque utilisation devait être mesurée, calculer… l’ultime nécessité, quand aucune autre solution ne se présentait.
Qu’importe si il me détruit.
Si je peux vous protéger.
Dairo.
Iris.
Iberis.
Que le pouvoir me consomme entièrement, tant que vous, êtes sauf.

Son entière attention portée sur la petite louve, Anita écouta le fond de sa pensée, ne pouvant s'empêcher de sentir poindre une certaine tristesse.
Peut-être bien qu'elle n'avait pas tort, et que oui, leur clan avait été bien plus inscrit dans des valeurs guerrières que représentait Aka. L'histoire en avait décidé ainsi - mais si le passé ne pouvait être changé, le présent et le futur n'avaient pas à répéter le même schéma. Et Anita avait été la première, depuis le début de son règne, à vouloir que le clan s'ouvre davantage et cesse de tourner autour des mêmes travers. Comme elle l'avait déjà exprimé, porter une couleur ne voulait pas dire exclure les valeurs des autres - ils pouvaient trouver un moyen de cultiver davantage cet équilibre.
Nirvana admettait elle-même que même les porteurs d'orange se trouvaient influencés, malgré leur choix de la Renarde, par ce qui pouvait découler des autres Dieux. Alors qu'est-ce qui l'empêchait de penser que les disciples de ces autres divinités pouvaient faire de même, en faisant preuve également de considération pour Dairo ? Choisir un Dieu n'était pas toujours tâche aisée. Plusieurs n'y voyaient pas une évidence dès l'enfance, et nombreux étaient ceux pour qui la décision finale laissait malgré tout la place à honorer ce qu'ils avaient pu aimer chez une autre divinité.

Elle parlait d'une absence totale dans leur rang de ce qui représentait la Renarde, mais Kiro était un Dieu qui encourageait beaucoup l'imagination, lui aussi. Elle n'avait eu de cesse de voir de la créativité s'exprimer chez ses disciples.
Aka prônait certes la force physique, mais il n'avait jamais critiqué de cultiver ruse et stratégie pour obtenir victoire assurée. Iris, son propre frère, n'en était-il pas le meilleur exemple, davantage stratège que guerrier tout en muscles ?

Et Dairo... Il fallait du courage, valeur prônée par Aka, pour se confronter à des situations difficiles et y chercher des solutions. Il fallait parfois agir vite et emprunter des chemins hors des sentiers battus, valeurs prônées par Kiro, pour que soit plus efficace un plan d'action bien pensé.

Sans aller jusqu'à se sentir blessée, Anita peinait à comprendre les propos de la sirène et pourquoi elle citait Kiro comme prônant ses intérêts. En ce qui concernait le Grizzly, elle pouvait plus facilement le reconnaître : il n'avait pas été le dernier à ingérer dans les affaires de la meute. Mais l'Anaconda... Il était Dieu tranquille et permissif, loin d'être sectaire ou autoritaire.
Lui aussi, était implicitement ouvert à d'autres âmes que les Etelkrus - ce que Nirvana disait vouloir pour représenter au mieux Dairo. Ce qu'elle pouvait comprendre, à titre personnel - et en tant que Prêtresse également.

Mais il semblait à Anita que la discussion sur ce sujet peinait à progresser, et que quoi qu'elle puisse dire, elle ne pourrait pas rassurer Nirvana. Elle ne pouvait que s'en remettre à ses propres croyances et à la promesse effectuée : qu'en tant que sa représentante, elle avait elle aussi une place de choix pour intervenir et être force de proposition dans le clan.
Avec un soupir, l'Alpha se baissa de nouveau vers sa nièce pour l'enlacer sobrement, d'une patte autour de ses épaules et de sa joue contre sa tête.

Ça ne le dérangeait pas, de prendre soin de sa famille et de veiller sur eux. Plus que d'être inquiète, elle faisait simplement de son mieux pour prendre soin de ses proches. Comme elle l'avait toujours souhaité.

— N'est-ce pas aussi ce que tu fais, pourtant ? 

Sa voix se fit murmure tendre dans ses oreilles.

T'inquiéter que ta Déesse ne soit pas correctement représentée.
T'inquiéter que le futur ne corresponde pas à ce que tu désires voir.
T'inquiéter pour ta fratrie et d'autres que toi, en endossant sur tes épaules trop de responsabilités.