We might be dead by tomorrow - Narcisse.

Give me all your love now
'Cause for all we know
We might be dead by tomorrow

I can't go on wasting my time
Adding scars to my heart
'Cause all I hear is "I'm not ready enough"



Le départ se devait d'être très matinal pour rejoindre les terres où la guerre prendrait place et les autres loups qui y attendaient sans doute déjà.
Ce fut en silence que Mildred se leva et s'affaira, ne croisant qu'en de rares occasions le regard doré de celui qui se préparait également à prendre la route avec elle.
Mais quand parfois ses yeux s'attardaient un peu trop sur un recoin de la tanière, sur les affaires qu'ils y laissaient et l'espace qui lui paraissait anormalement vide, Mildred sentait sa gorge se serrer.

Ils ne reviendraient peut-être pas, n'est-ce pas ?

C'était peut-être la première fois qu'elle concrétisait réellement - et douloureusement - à quel point elle s'était attachée à... Tout ça.

Puis ils commencèrent à s'éloigner. La disciple de Moiro se fit violence pour ne pas tourner la tête vers l'arrière et seulement se concentrer sur l'avant, gardant un air déterminé sur son visage fermé et passant la langue sur des dents serrées. Peu importait ce qui les attendait, elle avait voulu participer - et la disciple de Moiro s'y tiendrait.
Le paysage défilait, les odeurs changeaient, mais ils n'avaient pas encore tout à fait quitté la Vasque. Et quand ils furent sur le point de franchir cette limite invisible qui signait pour de bon ce qu'ils laissaient derrière...

Mildred s'arrêta sans rien dire, le regard levé vers le ciel, relâchant entre ses crocs une respiration sifflante.

And I can tell that you didn't have
To face your mother losing her lover
Without saying goodbye
Without saying goodbye
'Cause she didn't have time

I don't want to judge what's in your heart
But if you're not ready for love
How can you be ready for life?
How can you be ready for life?

Le voilà arrivé, le jour du départ. Ce n’était pas son premier combat à Narcisse, mais à Mildred… il regrettait de ne pas avoir insisté pour qu’elle reste, l’exposer ainsi…
Elle est forte.
Leur avancée est silencieuse. Narcisse est concentré, se demande ce qui les attendra là-bas. Leur adversaire était puissant, c’est tout ce qu’il devait retenir. N’entendant plus Mildred avancer, l’ancien Etelkrus s’arrêta, attendit un instant avant de se retourner. Les yeux dorés fixent la disciple de Moiro, se demandant ce qui lui passait par la tête à ce moment.
… peut-être n’était-elle pas encore prête ?

« — Nous reviendrons, ne t’en fais pas. »

Lui n’a pas prévu de mourir là-bas.

Le bleu du ciel était encore sombre, mais il aveuglait quand même ses yeux braqués vers son immensité.
Elle perçut le pas de Narcisse qui après s'être arrêté à son tour revint vers elle. Sa voix lui parvint, mais il lui fallut encore de longues secondes pour baisser le museau et ramener son regard argent sur les prunelles dorées qui l'observaient.

— Comment peux-tu en être aussi sûr ?  

Il avait déjà combattu, oui.
Mais même ceux qui mourraient avaient fait la promesse de revenir.

Un haussement d’épaules. Narcisse faisait parti de ceux qui n’avaient jamais été effrayé par sa propre mort.

« — Je n’ai pas prévu de mourir face à ce dragon, c’est tout. Je dois encore m’occuper de mes fraisiers. »

Ça lui donne au moins une bonne raison de rentrer à la maison.

Ce fut presque avec nonchalance qu'il haussa les épaules, pour lui répondre d'un ton qui semblait souligner une évidence simple et bête. Il essayait sans doute de détendre l'atmosphère, en mentionnant encore ses satanés fraisiers - mais si en temps normal elle aurait peut-être pu le recevoir d'un léger sourire amusé ou d'un souffle du nez, en cet instant les commissures de ses lèvres restèrent immobiles.
Plutôt que de se détendre, ce fut ses crocs qu'elle serra, sentant une bouffée d'agacement l'envahir.
Ce n'était pas une réponse, ça. Personne ne prévoyait de mourir et d'abandonner sa vie en allant se battre pour le futur.

Ça ne lui disait toujours pas en quoi il avait la prétention de se croire au-dessus de ceux qui tombaient malgré tout.
Comme son père qui était mort au combat mais ne l'avait jamais avoué, préférant prétendre un départ.

— Tes fraisiers. Tu me parles souvent d'avenir, et c'est seulement pour tes plantes que tu estimes avoir une raison de vivre ?  

Tu crois vraiment que ça suffira ?
Sa voix s'était fait plus sèche et amère qu'elle ne l'aurait voulu. Et sans qu'elle ne comprenne réellement pourquoi, elle sentait désormais des larmes menacer de piquer ses yeux.

Pourquoi même avant pareil événement, il fallait qu’elle cherche une sorte de pseudo-affrontement ? Narcisse l’observe un instant, avant de faire un pas dans sa direction, puis un autre, jusqu’à ce que sa truffe frôle celle de Mildred. Il y a un peu d’amusement dans ses yeux dorés.

« — Non. »

Ce n’était pas que pour ses fraisiers qu’il estime avoir une raison de vivre.
C’est peut-être un début aussi, nan ?
Une expression sérieuse qui prend alors possession de ses traits.

« — Tu réfléchis trop, Mildred… c’est la peur qui provoque ça. »

Il marqua une pause. Rien de plus normal, avant un combat.

« — Trouves quelque chose, qui te poussera à rentrer, ridicule ou non, ce n’est qu’une question de point de vue après tout. »

Le frôlement de sa truffe contre la sienne la fit sursauter tandis qu'elle luttait pour ne pas laisser sortir ces larmes malvenues.
Malgré ce dont elle voulait essayer de se convaincre, elle était toujours si faible, à pleurer dès que montaient en elle des sentiments incompris ou un peu trop forts.
Elle se concentra sur ses mots, retenant mâchoires serrées ce qui remuait en son for intérieur pour ne pas se laisser submerger.
C'est la peur, disait-il. L'envie de protester s'alluma, mais au fond d'elle, la louve admettait qu'il avait sans doute raison.
Trouver une raison de revenir.
Il lui restait toujours un ultime fragment de sa famille sur laquelle veiller, et... Elle avait envie de continuer à couler ces jours apaisés dans l'ombre des sous-bois, aussi. Maintenant qu'elle y pensait, c'était un peu ironique pour une louve comme elle qui avait été prête à se laisser glisser dans la mort quelques années plus tôt - qui aurait sans doute même enfin trouvé du réconfort et du repos dans cette ultime étreinte.
Ces choses là, elle avait fini par les recevoir autrement, même en luttant contre.
N'était-ce pas assez, comme raison de revenir ?
...
Peut-être qu'il y avait autre chose, aussi. Plus que de la peur de ne pas revenir... Il y avait la peur des regrets de ce qu'elle n'aurait finalement pas pu vivre.

Plongée dans les pensées de souvenirs récents qui se rejouaient, Mildred mit un peu de temps avant de reprendre la parole d'une voix basse et sans finalement répondre directement à sa question, les yeux perdus sur un point vague plutôt que posés sur l'ancien Etelkru.
Toute colère était retombée en cet instant, ne laissant chez elle qu'un calme froid et morne.

— Je suis allée voir Miraj à l'Atoll, il y a quelques jours. L'enfant est née, elle se porte bien.

Seule, alors qu'il avait émis l'idée - l'envie ? - de lui rendre visite ensemble. Mais convaincue que cette réunion serait peut-être la dernière car elle ne pouvait affirmer revenir de ce combat, elle s'était contentée d'écouter ce que lui dictait son instinct. Elle n'avait pas communiqué, ne lui avait pas dit où elle allait pour ne pas avoir à expliquer ses raisons - comme elle savait si bien le faire.

La peur, agissait différemment chez chacun, n’avait pas les mêmes effets. Narcisse espère juste que Mildred trouve ce quelque chose qui lui donne envie de rentrer, qui lui permette d’oublié la peur.
Elle évoque Miraj. L’enfant qui est née. Une autre fille. L’ancien Etelkurs en est heureux, cette île lui paraissait si vide à chacune de ses visites. Il savait que la louve rose appréciait la compagnie, ainsi, cela lui ferait toujours une présence à ses côtés. Un léger sourire qui étire ses babines, alors que sa queue féline se balance.

« — J’en suis heureux. »

Miraj lui avait beaucoup apporté. Cela ne l’empêcherait pas de lui rendre visite la prochaine fois.
Tu me dois des fraises.

« — Est-ce que toi... » Il s’interrompt, hésite. « ... ça te rend heureuse de les voir ? »

Gardes ce souvenir en tête si c’est le cas.

Elle vit le sourire sur ses lèvres, bonheur qu'il confirma par des mots, sous le regard timide de Mildred qui se dirigea lentement vers son visage.
Il ne lui en voulait pas, alors, d'avoir encore une fois fais les choses à sa façon sans grande considération pour lui ?
Ses oreilles frémirent quand il reprit la parole.
La question noua sa gorge et elle sentit - encore - des larmes menacer de monter. Mais pas pour les mêmes raisons, cette fois. Ce n'était pas le même mélange d'émotions qui s'opérait à cet instant dans son cœur.

— ... Oui.  

Quelque part elle avait été jalouse, elle le savait. Envieuse de ce bonheur évident qui faisait rayonner Miraj quand elle semblait ne jamais y avoir le droit.
Mais elle était sa famille, sa nièce : comment ne pas être soulagée, heureuse de constater qu'elle s'en était sortie dans la vie ? Qu'elle avait toujours su trouver sa voie et ce qui pouvait l'amener à sourire ?

— ... Elle avait l'air si épanouie, d'être enfin mère.  Elle m'a dit... À quel point elle avait été heureuse de donner la vie, que c'était merveilleux de la sentir grandir.

Elle passa sa langue sur ses lèvres avant de les mordre de ce croc qui les pinçait si souvent.

— Tu crois que ça me rendrait heureuse, moi aussi ?

Il n'avait eu de cesse de l'encourager à trouver quelque chose qui la rendrait enfin heureuse. De la questionner sur ce qu'elle voyait pour un futur, toujours si flou et incertain.
Après une vie à pourchasser une famille qui pour la plupart l'avaient laissée derrière, elle était peut-être là, sa solution ?

La recréer d'elle même, sa famille.

Est-ce ce bonheur, qui te met dans cet état-là, Mildred ?
Narcisse l’observe, l’écoute parler du bonheur de Miraj. Un sujet délicat, parce qu’il n’était pas celui qui serait en mesure de porter des enfants sauf blague divine… ou juste parce qu’il n’était pas père. Dans sa fratrie, personne ne l’était. Est-ce que cela les intéressait Tita et Alex ? Probablement pas.
À la question, le disciple de Kiro l’étudie. Étais-ce une forme de test ? Un réel intérêt ou une envie passagère en échos à la vie de sa nièce ?

« — … je l’ignore. »

Mildred est une louve compliqué, pleine de démons.
Il essaye de l’en libérer, de la rassurer par ce quotidien, en terres solitaires, parfois troublés par une ou deux péripéties.
Il ignore sincèrement si des enfants, serait là une réponse adaptée pour la rendre heureuse.

« — J’ai grandi dans une famille heureuse, je pense pour que mes mères cela n’a pas toujours été faciles, mais elles étaient mutuellement là pour se soutenir.
Nous étions là aussi, pour elles.
Ensemble nous nous sommes élevés. »

Mais toutes les familles sont différentes, elle le sait mieux que lui. Il avait vu grandir Désastre aussi, sans comprendre enfant ce qu’il subissait.
Après un instant de silence, il cherche à croiser son regard.

« — C’est ce que tu veux Mildred, des enfants ? »

Visage fermé, Mildred l'écouta lui parler de sa famille heureuse, de ses parents qui s'aimaient et de sa fratrie soudée en essayant d'ignorer les pulsations douloureuses de son cœur en écho à une histoire si différente de la sienne.
Une histoire qu'elle aurait tant désirée.
À sa question, ses yeux d'argent mirent quelques secondes à venir oser rencontrer l'or des siens.
Elle ne sait pas, si c'est ce qu'elle veut. Sa nièce avait mentionné une évidence de vouloir enfanter, en ce qui la concernait : pour Mildred ça n'avait jamais été le cas. Mais tournaient dans sa tête les mots de Miraj, cette longue tirade inspirée qui était née du fond de son cœur pour exposer tout ce qui s'était animée chez elle en ayant son enfant.

Et ces sentiments là... Elle les voulait.
Ce sentiment d'accomplissement et ce bonheur facile, tout ce à quoi Miraj avait eu droit, pourquoi n'y aurait-elle pas le droit aussi ?
Il n'y avait eu jusque là aucune réponse prometteuse à comment prétendre les obtenir, aucune solution efficace pour effacer réellement ses angoisses et la sensation de manque.

Miraj lui avait raconté une histoire qui résolvait tout cela.
Elle ne peut pas l'ignorer ou l'oublier comme si ce n'était rien.

— Si nous sortons vivants de ce combat...  

Elle hésita, bouche entrouverte. Malgré l'aboutissement évident vers lequel son chemin de pensées l'acculait, elle peinait à l'exprimer - comme si ces mots avaient un goût interdit.

— Je souhaiterais sentir grandir ces vies en moi, oui.

Son regard avait encore fui alors qu'elle pencha son corps pour timidement venir effleurer son museau du sien.

Cela semblait vraiment quelque chose qu’elle désirait, au-delà de ça… À son expression, son sourire, Narcisse sent que c’est une volonté sincère. Une chose qui pouvait la rendre véritablement heureuse.
Peut-être lui permettre de chasser de vieux démons.
À son contact, lui vient l’accentuer.

« — … alors nous les ferons grandir. Ensemble. »

Un nouveau rôle. Un nouveau départ, pouvait sincèrement aidé Mildred.
Après le dragon, il était prêt à lui offrir ce nouveau départ.

Son cœur se serra presque à lui en faire mal à la réponse de Narcisse. Ainsi cachée contre son encolure, son regard avait le loisir de se perdre ailleurs ; partout sauf dans le sien qu'elle ne se sentait pas en mesure d'affronter. Son corps tremblait faiblement d'un mélange complexe d'émotions qu'elle n'était pas certaine non plus de vouloir démêler.
Tout ce qui comptait, c'était ce qui viendrait après.
Dans l'instant présent, elle ne pouvait espérer rien d'autre que d'être encore en vie le lendemain. Tout ce que le présent venait de promettre à l'avenir n'était encore que des mots nébuleux qui n'auraient peut-être jamais la possibilité d'aboutir.

Pourtant... C'était à cela qu'il fallait se rattacher. Il l'avait dit, lui. Une raison pour ne pas mourir.
D'autres mots disséminés par d'autres gueules au cours de son existence avaient finalement mené à ce même écho.

Prenant une respiration fébrile, la louve ferma les paupières avec force comme pour chasser de ce mouvement de muscles tout ce qui se bousculait dans sa tête. Il n'y avait maintenant plus rien d'autre à dire - il fallait simplement reprendre la marche vers le Nord sans s'arrêter de nouveau, se préparer à ce qu'ils y trouveraient, ne pas reculer.

Et c'est ce qu'elle fit, de nouveau silencieuse et concentrée, le cœur battant et la gorge nouée.

Mais l'esprit, quelque part, comme un peu plus léger et le pas plus déterminé.