-Dysis-
La migraine l’avait laissée épuisée. Les cauchemars l’avaient harcelée. Plusieurs jours. La nuit et le jour se confondait, lorsqu’on avait la tête sous l’oreiller. Mais Dysis n’en avait pas été en colère. Bizarrement, alors que la douleur avait finalement reflué, elle avait senti son esprit plus clair encore. Quelque chose n’allait pas. Cette bataille s’était mal passée. Elle le sentait dans son coeur, son ame, pour peu qu’on y croit. Elle, y croyait.
Elle était sortie dès que ses pattes l’avaient soutenues. L’air frai lui gifle la face. Ses yeux photosensibles se plissent, encore affaiblis. Mais les odeurs l’entourent, nouvelles et familières. Un feu de camp éteint. Des préparations culinaires. Du cuir tanné. Des traces de congénères. Peu à peu, elle forme son monde d’odeurs autour d’elle. Le sol est froid, sous ses coussinets. Stable, calme. Les sons le sont aussi. Peu d’oiseaux, beaucoup de vent. Personne d’autre autour.
Et puis, elle rouvre les yeux. Le blanc du lac l’aveugle. Elle persiste. Contemple. S’emplit des couleurs, malgré la douleur. De la pureté, après la bataille. Ses pupilles chasseuses se baissent sur son corps. Il avait été nettoyé. Elle ne portait plus son armure. Ne se souvenait pas de l’avoir enlevée. Mamie, surement. Sur son épaule, sa peau à vif cicatrise à peine. Une brulure, electrique. Une cicatrice. Elle l’effleure, pensive.
Et en cascade lui reviennent les flashs du combat.
Sa respiration s’arrête. Le sol semble trembler. L’air se déchire en un rugissement qui la fait frémir, chargé d’electricité. Son poil se gonfle, réactif. Les ailes se déploient. Les loups aboient. Tombent. Blessent. Et le ciel s’ouvre au dessus d’elle-
Elle sursaute. Le souvenir était trop fort. La bataille avait été trop forte. Trop .. Trop. Pourtant, elle avait insisté pour y participer. Avait assuré à sa famille pouvoir la gérer. Pouvoir survivre. Abattre une proie aussi grosse lui avait paru un défi interressant. Epique. Mythique, même. Pourtant, elle n’était plus sure. Elle doutait de ses actes. De ce qu’ils avaient fait. Du meurtre qu’ils avaient effectué.
Car le dragon était un être intelligent. Elle l’avait vu, de ses yeux. Il était capable de parole, sensé. Mais il s’était emparé de leurs terres. Les avaient menacés. Les avaient chassés. Ses marais avaient détruit la Nature. Déséquilibré. Tué des leurs. Tué la mère de Priam. Tout ceci le désignait comm un être néfaste à leur équilibre. Pas seulement pour eux ; Pour la nature qui l’entourait. Son coeur se serre, encore engourdi par la bataille, la peur, beaucoup de choses, lorsqu’elle repense à leurs Champs. Elle y avait chassé de nombreuses fois ; S’était isncrite naturellement dans le cycle qui s’y déroulait. Et lui, avait détruit-
Ou bien, transformé.
Elle s’avance de quelques pas pour se saisir d’une racine. La pose dans sa gueule, et machonne. Un anti douleur dont le gout avait accompagné ses trois derniers jours. Mais il ne pourrait lever le voile de ses doutes. Non, il lui fallait reprendre. Depuis le début. Comprendre ce qui la gênait. En somme, elle s’en doutait. Ils avaient effectué leur piège avec brio. La bête était forte, et ils avaient lutté. Chacun, de toutes leurs forces. Et puis, le dragon s’était envolé. C’est là que tout s’était joué. Les forces des Dieux avaient renversé le combat. Un combat qui avait atteint un équilibre ; Une fuite, un territoire reconquéri. Pas de morts.
Elle repense à Priam. Lui, allait mal. Il aurait aimé que le dragon ne soit pas tué. Il aurait aimé que la bataille ne soit même pas lancée. Pour ce point, Dysis pense qu’elle n’était pas d’accord. Ils avaient le droit de se battre pour leur territoire. Pour leur nature. Pour ce qu’ils aimaient. Et elle aimait les Champs. Aimait y observer les cerfs au petit matin. Se tapir dans la brume. Trouver les traces d’animaux étranges. Se battre ne ramènerait pas sa mère ; Mais pouvait ramener ce qu’ils aimaient tant. Leur maison.
Ce n’était pas se battre, qui l’avait dérangée. Plus elle se concentre, plus elle approche de la réponse. C’est l’intervention des Dieux qui avait tout changé. Plaquant leur proie aux sol pour les aider. Renversant le pouvoir. Destabilisant à leur tour la nature. Elle se souvenait de leurs paroles. Les Deiux etelkrus avaient poussés à l’attaque. Yurai, elle, était restée absente. Et Mido ? Mido n’avait fait que les avertir.
L’histoire avait les yeux sur eux.
Le choix avait été fait. Son choix. Un choix différent des autres nakhus. Un choix qui les avaient déchirés. Dans la poitrine de Dysis, l’engourdissement se change en honte – Alors même qu’elle prétendait au vert, elle avait manqué de discernement. Non, plutot, elle regrettait leurs déchirure, car c’était ce qui l’importait. Tuer le dragon lorsqu’elle en avait eu l’opportunité était raisonnable. Il aurait pu revenir. Tuer, encore. Détruire, changer, encore. Mais il aurait pu simplement s’enfuir, ne pas revenir. Leur unité aurait été sauve. SI elle avait fait le choix inverse.
Sa racine est terminée. Sa migraine passée, elle se sent mieux. Mais sait que bientot, elle aurait un autre choix à faire. D’autres, même. Car, si elle réussissait cette épreuve, elle deviendrait mage. Mamie ne serait bientot plus la pour l’aider ; ça sera à son tour de protéger. De faire ces choix. Alors, elle se le promet. Elle deviendrait meilleure. Elle récolterait plus d’informations sur les monstres. Sur les moyens de les éloigner. De se protéger. De contribuer à l’équilibre, sans forcément tuer. De tuer, lorsque cela était naturel. Ses prochains choix seront meilleurs. Ceux d’après, encore meilleurs.
Mais. Elle le sent avec plus de certitude, maintenant : L’intervention des Dieux l’avait dérangée. La puissance de ces entités les aidait. Beaucoup. Mais elle avait fait basculer la balance. Artificiellement. Sans eux, leur proie aurait eu les ressources de s’enfuir. Sans eux, leur unité aurait été préservée. Dysis ne voulait, ne pouvait s’opposer aux Dieux, mais voulais préserver ses choix.
Et puis, ele réalise : Le choix avait été préservé. Elle avait choisi de tuer, pas les Dieux. Même si leurs encouragements avaient poussé l’armée, pas de force mystique n’avait agité ses crocs. Dégagé ses griffes. Elle se redresse. Convaincue, à présent. Les Dieux ne maitrisaient pas la vie ; Elle, et elle seule, avait choisi de la prendre.
C’était peut-être cela qui la dérangeait le plus, au fond. Elle aurait aimé ne pas avoir à choisir. Sa proie avait réussi à s’enfuir : Elle aurait du être épargnée. C’était avec son propre choix que Dysis n’était pas en paix. L'intervention divine avait moins de poids, comparablement. Alors, peut-être qu’il était temps. De grandir, d’apprendre, de s’affirmer.
Peut-être qu’il était temps de devenir mage.
Si elle voulait se rendre devant Mido, il lui fallait une offrande. Les yeux fatigués de la chasseuse se lèvent vers le ciel. Qu’est-ce qu’un Dieu comme lui voudrait, comme offrande ? Plus encore, qu’est-ce qu’elle voulait lui offrir ? Elle y pense. Les yeux se perdent sur les nuages. L’odeur du vent appelle la chasse. Elle était le coeur se sa vie ; Sa passion, si on pouvait l’appeler comme ça. Si offrande il y avait, elle devait avoir un rapport. Une offrande digne de Mido – un morceau du dragon, peut-être ?
Mais elle repense à Priam.
A son choix, à leur unité.
Non. Pas de dragon.
Peut-être simplement un cuir tanné, alors. Mais la chasse n’était preuve ni de vivacité d’esprit, ni d’intelligence. Il y avait bien autre chose que Dysis aimait. Plus récente. Une passion moins dévorante. Plus cérébrale. Les runes. Ses recherches avançaient sur ce language mystique. Sur ces languages mystiques. Un parchemin pourrait peut-être impressioner Mido, marqué par des runes.
Elle décide, en un instant. Un parchemin de cuir travaillé protégé de runes. Une alliance de ce qu’elle savait faire de mieux. De ses connaissances, pour les Dieu. Peut-être cela lui plairait-il. Peut-être pas. Elle n’aimait pas faire des cadeaux aux inconnus. Mais penser honorer les valeurs de Mido ainsi.
Elle se met en chasse, alors. Le cuir, elle l’a déjà. Elle choisit un reste de celui de sa chasse légendaire, un cuir fin qu’elle commence par tailler avec soin. Les bords sont brulés, pour former un cercle tracé par un fil tendu. Elle se saisit ensuite d’une aiguille pour coudre les rebords. Le fil est imbibé d’extrait de fleur de lune. Ces fleurs avaient un certain pouvoir, surtout alliés au language de la lune. Celui du Dédale, celui des Champs. Elle ne savait pas encore exactement comment le manier, mais apprenait.
Puis, les runes devaient être choisies. Pour cela, Dysis se plonge dans ses notes. L’alphabet de la lune est ressorti. Etudié. Il lui manquait des informations. Elle ferait avec. Des outils de bois sont empruntés dans une lavvu. Elle commence par tracer une lune. Large, en croissant. Puis, choisis avec soin ses signes.
La lune était symbole de vivacité. Fluidité. Elle choisit ses runes selon ces idées. Ajoute de quoi stimuler l’esprit. Les runes sont traces en cercle, reliées par des symboles d’alliance.
Puis, elle doit les tracer avec des éléments actifs. Quelques plantes sont choisies. Elle aimerait avoir plus de fleurs des Champs, mais le dragon les a détruites. Gachis. Elle infuse ses plantes et ajoute des pigments bleutés. De quoi tracer sur le parchemin. Pas dessus la gravure. Elle s’y applique, une journée durant.
Et enfin, son offrande était prête.
Plus encore,
elle était prête.
Silencieuse, elle part dormir. Demain, elle demanderai à mamie de l’accompagner à la Vasque. Demain, elle passerait son épreuve.
[Suite à la Vasque-]