Destins unis - Désastre.

The tide of my life
has been turned forever
And the fireworks have faded to nothing
But although the memory is strong
We’ll stand as one. Two, three
Unity that’s pure like the steel




[ Antidaté à fin août. ]

Ce ne fut effectivement pas le lendemain que fut acté le début d'une nouvelle aventure - sans doute la dernière qui aurait un impact important dans leurs longues vies.

Ni le jour d'après, et pas le suivant non plus. Car s'il y eut des danses, il y eut aussi d'autres évènements pour se dresser sur le chemin de la concrétisation. Il y eut l'aube d'une guerre, des deuils, des bouleversements, la guerre en elle-même... D'autres deuils encore.
La peine et la douleur avaient eu besoin de s'écouler, de passer leur chemin à travers elle qui y devenait un peu trop habituée. Mais à aucun moment ne s'effaça ce qui s'était ancré dans son cœur comme son esprit, ce qui s'y accrochait solidement après avoir mis tant de temps à germer et à se développer, ce qu'elle refusait désormais de laisser partir. La promesse était forte, le désir indestructible - et peut-être bien que même l'annonce de la fin de leur monde n'aurait pu l'empêcher d'au moins essayer de se battre contre avec une fougue qui ne connaîtrait pas de reflux. Plutôt... Ce serait pour eux, qu'elle se battrait. Pour qu'ils aient la chance d'exister.
Anita refusait désormais de laisser davantage de temps s'écouler, d'offrir à un avenir incertain l'occasion de venir saboter un peu plus la vision qu'elle en avait maintenant forgée.
Elle ne laisserait pas l'occasion à d'autres chagrins de venir creuser les sillons dans son cœur, ni à d'autres attaques d'abimer son corps et son esprit.
Pour combattre les absences et la mort, Anita créerait la vie.

En se dirigeant ce soir vers l'Arbre aux Serpents, son esprit était plus clair et sa résolution plus ferme que jamais. L'agréable emprise de sentiments positifs et apaisés répandant en elle une douce chaleur lui soufflaient que cette fois-ci, ils seraient prêts.
Alors c'était gonflée d'espoir et de sérénité qu'elle arriva là où Dez était toujours déjà présent, dans cette habitude immuable de célébrer ici, chaque soir et sans retard, l'existence du Dieu qu'ils aimaient en commun.
Une habitude qui remontait le fil du passé jusqu'à ce jour lointain où, convaincue de ne plus revoir ni son frère ni Dez, elle avait au cœur de la Moere enterré l'espoir d'une réunion tout en se promettant de chérir à tout jamais leur mémoire. Elle n'avait pas eu besoin de se reposer sur de vieux souvenirs, finalement. Ils étaient revenus pour en créer davantage à ses côtés, pour marcher à nouveau le sentier des années sur des tracés parallèles. Et après toutes ces années, leurs destins rapprochés continuaient de s'entremêler - et pour certains allaient se lier plus intimement encore.
Face au loup gris s'alluma plus vivement le sourire qui dormait déjà au creux de ses lèvres et elle s'approcha de lui pour souffler une salutation muette de son museau qui s'approcha simplement du sien, de son regard qui alla chercher la complicité d'un autre.

Elle exécuta ensuite quelques pas légers et souples, les yeux bondissant de part et d'autre de la Moere dans ce bonheur jamais épuisé qu'elle trouvait à l'observer.
Avant de retourner près du loup gris et d'abaisser la moitié de son corps dans une fausse révérence, levant vers lui une patte tendue.

— M'accorderiez-vous cette danse ?

Le fond de ses prunelles étincelait d'un éclat espiègle tandis qu'à son cou, le jaune de son glowstick commença à briller plus fort - allumant par la même occasion les deux petits soleils qui trouvaient leur place au fond de ses pupilles rondes.
Son pouvoir prêt au partage, lui aussi.


Times are changing
Hope is fading fast
And black clouds are gathering round
But if you take my hand
And if we stand as one
We'll have something they'll never break

I have you
And you have me

Leurs regards se croisèrent, leurs vibrisses se frôlèrent, et il n'y eut pas de délai à l'obtention d'une réponse.
Un oui, prononcé de sa voix grave, avant que de son initiative il n'avance à son tour sa patte pour trouver la sienne.

Il n'en fallait pas plus à son glowstick pour réagir.
Comprenant, se rappelant - répondant maintenant à elle bien plus efficacement que lors des premières découvertes. Il y eut un crépitement et quelques étincelles pour s'échapper du tube à son cou, une vague dorée pour venir l'envelopper comme une pellicule d'eau se déplaçant tout le long de sa peau. Là où elle passait pour continuer sa déferlante le long de son corps naissaient des écailles fines aux reflets irisés répliquant les teintes de son pelage, entre ses crocs qui s'allongeaient en crochets se glissait une langue pas plus longue qu'avant, mais désormais fendue.
Sa silhouette déjà longiligne s'affina un peu plus et s'étira, jusqu'à rappeler les apparitions de Kiro quand il s'amusait à emprunter un corps anormalement long.
Les deux soleils qui s'étaient allumés en lieu de ses pupilles, enfin, s'étrécirent jusqu'à devenir deux fentes reptiliennes brillant de jaune.

Ainsi transformée par cette substance empruntée au pouvoir de son ami, Anita se dressa, accomplie et vivante, face à celui qui avait déployé l'écarlate de ses ailes de plumes.
Sur son visage la fatigue semblait s'être estompée - elle savait, elle l'avait vu et compris, et si elle avait pu s'inquiéter pour son bien-être elle n'avait en revanche jamais eu peur de le perdre tant elle croyait en sa force et tant il eût été absurde pour son esprit de conceptualiser sa mort après un combat si risqué - pour ne laisser que la résolution ferme qu'elle lui connaissait.
Il était prêt.

D'un bond, Anita arracha au sol un corps encore plus souple et léger qu'à l'accoutumée. Les ailes de cuir claquèrent, vivaces ; sa queue fouetta l'air dans une courbe gracile et elle exécuta une pirouette au-dessus de son ami.

— Je te laisse mener, Quetzalcóatl.

Elle sentit sa voix chanter et danser d'elle-même en suivant les intonations de cette langue qu'elle ne pouvait parler et partager avec lui qu'en ces instants de communions de leurs dons, sifflant à travers ses crocs avec l'aisance et le naturel qu'elle ne pouvait pas même tenter de répliquer en tant que simple louve.
Sur son visage, le sourire était immense et espiègle.
Dans son corps, l'énergie circulait avec fluidité alors qu'elle retrouvait les sensations indescriptibles de cette transformation et l'excitation qui chassait toute contrainte physique pour seulement ouvrir le champ des possibles.
Dans son cœur, les émotions s'entremêlaient au rythme des battements accélérés et éclatait une allégresse sans bornes.

Et il s'éleva à son tour, acceptant le rôle de meneur, celui qu'en temps normal il assistait plutôt depuis les ombres.
Là, dans l'atmosphère dorée de la Moere, c'était en pleine lumière qu'il s'accomplissait et que s'étendaient ses ailes écarlates. Anita porta sur lui sa pleine attention, accrochée au moindre de ses gestes dans cette danse qui s'engageait. Elle avait déjà eu l'occasion de le voir faire. Mais aujourd'hui, ce n'était pas tout à fait pareil.
Ce n'était pas que pour rendre honneur à Kiro que s'établissait aujourd'hui la performance - elle était pourtant nimbée de son omniprésente lumière, ici en son domaine, eux deux liés par leurs pouvoirs empruntés à l'Anaconda. Ce dialogue fait de gestes et de regards, d'une communication mutuelle aux multiples facettes acquises par des années d'une vie souvent partagée, se jouait aujourd'hui pour consolider le plus grand partage qu'ils feraient, finalement.
Celui de créer ensemble des vies qui leur succéderaient.
Alors le spectacle qu'il engagea, elle en suivit chaque acte. De ses gestes et de tout ce qu'il mit en scène, elle fut convaincue de comprendre l'essentiel.
Et à son tour, elle répondit. Au museau qui s'approchait, elle répondait d'un contact franc, sachant les limites établies de son ami au toucher largement repoussées par l'usage de leurs pouvoirs, par ce qui devenait écailles contre écailles plutôt que peau et poils.
D'un élan vers le haut qui la fit dépasser la cime des arbres, elle se laissa virevolter en l'invitant à le suivre d'une patte tendue - pour toutes ces fois où elle voulut l'aider à dépasser les frontières qui lui furent imposées pour devenir une meilleure version de lui-même, à sortir des ombres en forme de cage pour découvrir ce que lui voulait être dans un monde vaste et libre.
Reprenant les gestes plus saccadés et les manquements de rythme qu'il avait joué plus tôt, Anita se mit à décrire des cercles qui parfois n'étaient pas parfaits, mais souvent se retrouvaient complets ; le dernier qu'elle accomplit en touchant de son museau le bout de sa queue forma une révolution qui était elle sans défaut. Pour leurs différences qui parfois les empêchèrent de tout à fait se comprendre et les écarts entre leurs façons d'être, qui n'avaient pas empêché leurs vies de pouvoir s'unir de liens solides et leurs existences de fonctionner d'un même élan.
La louve plus hybride que jamais se laissa ensuite un peu tomber, repliant les ailes et chutant pour ne les redéployer qu'à la proximité de Dez, venant s'enrouler au plus proche de lui comme pour se blottir contre son encolure. Pour toutes ces fois où il avait été là pour elle et l'avait empêchée de plonger, que ce soit pour la secourir ou la réconforter.
D'une nouvelle impulsion, elle recréa de la distance : mais elle ne s'éloigna pas beaucoup pour autant. Face à lui, flottant dans les airs plus qu'elle ne volait, elle dévoila son ventre et ouvrit les pattes, visage souriant.
Pour tout cela, elle n'avait pas meilleur remerciement que de lui rappeler que pour lui aussi, elle était ouverte à tout. Qu'il pourrait toujours trouver chez elle écoute et compréhension, qu'elle ne le laisserait jamais seul et désarmé.

Puis elle revint, déployant de nouveau toute la longueur de ses appendices et de son corps modifié. Elle se rapprocha de nouveau de son ami, le regard un peu espiègle, revenant chercher le contact dans ce jeu dansé fait de pleins et de creux.

Où la mènerait-il, ensuite ?

Jamais loin d'elle, il accepta de reprendre le flambeau et la rejoignit de mouvements fluides.
Cette fois-ci, plus que de se frôler et de raconter leur histoire, un vrai contact fut établi et maintenu. Ils écriraient maintenant un futur. Son ami n'hésita pas à la toucher, à prendre les devants dans ce verset plus physique de la valse - et elle avouait en être ravie. A travers ces sensations, elle retrouvait le souvenir de ce moment partagé sur la plage quelques années auparavant dans cette exploration sensorielle qu'ils avaient partagés. C'était peut-être la première fois que sans vraiment en prendre conscience, elle avait néanmoins effleuré la possibilité de construire quelque chose de plus avec lui, pour cette confiance mutuelle, pour ces découvertes ensemble.
La louve frissonna à chaque caresse, s'épanouissant dans cette affinité à la fois nouvelle et familière. Chaque approche fut rendue, à sa manière, d'un museau qui vint suivre des tracés soit miroirs aux siens, soit mémorisés à partir de ce même souvenir - toujours la plage, toujours cette fin d'après-midi durant laquelle ils avaient expérimenté autre chose. Elle en ressuscita les détails ; ce qu'il avait apprécié plus que le reste, ce qui avait semblé éveiller de nouvelles choses en lui, ce qu'il avait offert comme réciproque.
Et aujourd'hui, comme cette fois maintenant lointaine, revenait se développer en elle tout un panel de sensations douces et agréables.

Du plaisir physique, de la chaleur qui se diffusait, un cœur qui se contractait davantage, un souffle profond parfois entrecoupé qui venait se mêler au sien - de l'amour, plein et entier pour toutes les significations que le mot pouvait porter, à l'égard du loup gris.

Elle se laissa entraîner au sol, suivit le rythme de cette danse corporelle qui s'intensifia en même temps qu'elle se faisait plus instinctive, à la frontière fragile où chorégraphie maîtrisée était sur le point d'éclater pour ne plus laisser place qu'à ce qu'il y avait de plus spontané en eux. Elle aussi, s'enivra de sa fragrance. Elle aussi, s'abandonna pour que puisse s'exprimer pleinement un autre genre de langage.
Au cœur de la Moere où se consolidèrent les premiers liens, se scella aujourd'hui la plus littérale de leurs unions.

• • •

La lumière rose et dorée du crépuscule avait cédé son hégémonie à la pâle clarté de la lune, dont les rayons venaient caresser les feuilles humides pour s'y refléter en une parure scintillante de milliers de diamants. Ombre rôdant à travers les troncs et les lianes, une silhouette longiligne se déplaçait le long de la Moere avec l'aisance de ceux qui y habitaient, venant à peine déranger les feuilles et les créatures sur son passage.
La Prêtresse avait invité son ami à rejoindre l'Arbre aux Serpents pour adresser à leur Dieu commun quelques mots et pensées, de quoi conclure ce moment si important dans leurs vies. Ils n'auront finalement pas sollicité son aide pour la conception, mais sa lumière et la foi qui les portait tous deux les avait accompagné tout le long du chemin - comme elle les accompagnerait plus loin encore, jusqu'à leur mort.

Le pouvoir d'Anita s'était dissipé, son corps avait repris apparence normale - mais c'était tout de même soulignée par le halo doré du glowstick à son cou qu'elle arriva près du tronc ancien et noueux du temple de l'Anaconda, sur lequel elle posa une patte avec déférence et affection, ses yeux brillants se levant vers les cieux.

— Comme Sheina avant moi, c'est proche de toi que naitront mes enfants. Nos enfants.

Elle tourna vers Dez un regard complice, un doux sourire sur les lèvres, puis se retourna vers l'Arbre.

— Puisses-tu les accueillir en ton domaine, et puissent-ils te divertir et venir t'embêter au plus vite.

Ses lèvres s'étirèrent un peu plus sur une expression espiègle, alors qu'elle imaginait déjà la Moere de nouveau emplie d'une joyeuse agitation.
Comme avant.

Il n'y eut pas besoin d'ajouter de mot pour Dez, qui d'un simple regard rendu et d'un signe de tête approuva ce futur.
Les pensées d'Anita, elles, le regardaient déjà, ce futur. Peut-être plus concrètement que jamais, maintenant qu'avait été accomplie la promesse et que leurs deux corps bien vivants se tenaient devant le temple de leur Dieu, après avoir survécu à encore une autre bataille.
Rien ne saurait venir maintenant empêcher ce cycle d'aboutir, n'est-ce pas ?
Anita était persuadée que non.

De Kiro non plus elle n'attendit pas de réponse, quand elle maintint pourtant encore ses yeux violet vers les hautes branches sans se défaire de son sourire. Elle patienta encore plusieurs secondes dans un silence de communion avant de retirer la patte qu'elle avait posée contre l'écorce, puis commença à se détourner.
Un silencieux soupir de contentement fila entre ses lèvres, puis d'un léger signe de tête et d'un départ un peu retardé, une patte restée en suspens dans les airs, elle invita son ami à lui aussi prendre le chemin du retour.

Dès demain commencerait une toute nouvelle routine, dans ce suivi qui serait celui de sa grossesse.