Les pattes tremblantes sont serrées sur le papier froissée, taché de larmes et marqué des derniers mots de Nirvana. Iris les lit, encore et encore, une tempête d'émotion le secouant, l'emportant sans qu'il ne puisse rien y faire. Le choc, encore, face à ce qu'il lisait. La tristesse, la colère, l'impuissance. Tout ce qu'il avait déjà vécu avant.
C'est la colère, d'abord, qui prime.

Les pattes froissent la lettre, la déchirent et la jette au loin, rageuse. Il avait envie d'hurler-hurle, peut-être.
Pourquoi elle ? Pourquoi, après tous les autres ?

Pourquoi n'avait-elle jamais pu lui dire ce qu'elle lui avait écrit ?

Le cri d'étouffe dans sa poitrine, et Iris lève ses pattes pour les serrer sur ses tempes. La colère se change en tristesse, désespoir l'emportant, le laissant recroquevillé et sanglotant.
Encore.

Il était seul.
Seul.



Elle avait eu peur, lui était terrifié.
Elle s'en était voulu, lui ne se le pardonnerait jamais.
Il n'avait su les protéger, tous. Protéger des ennemis, non ; D'eux-même, peut-être. Et, silencieux sur le sol froid de sa tanière, il ne voit d'autre issue que de les suivre, tous.
Il ne voulait pas être seul.
Il ne voulait pas être seul.

Ses paupières se serrent, si fort, ses pattes veulent frapper sans savoir quoi. La douleur - insupportable - ne veut pas le quitter, et chaque mots de sa soeur résonne encore, comme s'il pouvait entendre sa voix.
Fébrile, il se redresse soudain pour chercher les morceau de papier jetés, les recoller d'une patte insécure. Ses derniers mots, qu'il relit jusqu'à vouloir en vomir, enragé de ne pouvoir répondre.
Il n'y avait plus rien à faire.
Alors, il pleure. Hurle, tape, à s'en faire mal.

Moi aussi je t'aime, Nirvana.

Je suis désolé.
Tellement, tellement désolé.



Il ne sait pas s'il s'est endormi, mais le matin vient décrisper ses paupières solidifiées de sel. Ses pattes encore figées sur la lettre sont douloureuses, comme blessées après un combat. Hagard, il se relève, la nausée lui secouant le ventre.
Il se souvient d'hier.

Ses sourcils se froncent. Il se souvient de sa douleur. Ce matin, elle le rend plus las encore. Que faire, maintenant ?
Ses pattes le hissent avec lassitude vers le matin, vers la lumière. Le soleil emplit sa poitrine, et il sait. Il sait pourquoi il est encore debout, pourquoi la veille n'avait pas été son dernier jour.
Il résisterait.
Car il avait eu tord, hier soir : il n'était pas seul.

Ses yeux violets s'ouvrent sur un monde fade. Un monde où vivait encore des amis, des élèves, des loups ayant besoin de lui. Mais surtout, un monde où vivait encore son sang, le leur.
Il était temps d'aller les chercher.

Il était temps de la retrouver, Elle.

Le matin est encore frais, et les pattes de l'alpha le guide sur un chemin qu'il avait tant emprunté. La première fois, lorsque leur mère avait ramené un enfant à la maison, et qu'il était venu mendier un peu de pouvoir au Dieu Ours. Le souvenir semblait si lointain, et pourtant, si fort.
Il se souvenait de toute sa colère, contre eux, contre lui-même.
S'il avait su, peut-être aurait-il profité de ces moments.
S'il avait su ...


L'herbe se change en terre, puis en roche. Marchant avec ses souvenirs, le bleu est absorbé dans ses pensées. Il se souvenait de sa première rencontre avec celle qui deviendrait la femme de son frère, et bien sur, d'Elle. Il se souvenait que déjà, sa soeur était toute absorbée par Dairo. Il en était heureux. Comment ne pas l'être, alors que sa mère était si fière ?

Il se souvenait de sa recherche d'identité. D'avoir repoussé les autres. De ne pas avoir compris, jamais.
De ne pas avoir cherché à comprendre, d'abord.
Puis, le reste s'enchaine. L'age adulte. Les conflits. Les disputes. L'éloignement.
Nirvana qui s'abandonne auprès de Dairo. Ibéris auprès de sa femme.
Et lui ...


Le temple se dresse devant lui, dans le calme matinal. Tout était allé trop vite. Le chemin, il l'avait parcouru trop vite.
Et maintenant, il se tenait seul debout.
De tous, ne restait que lui.


Mais il lui restait, enfin, une dernière mission. Peut-être que, dans une autre vie, cela aurait pu l'amuser que tout se termine ainsi. Qu'Elle soit sa dernière ennemie, la seule se dressant entre lui et ce qui restait de sa famille. Car il l'avait compris trop tard, surement ; Que d'ennemis, il n'y avait jamais eu vraiment qu'eux-même.

Les épaules se carrent, le regard se durçit. Car face à Aka, il n'était plus question de pleurs.
Il avait une mission à remplir ; Et plus de place pour les regrets.
Seul, le dernier soldat pénètre dans le temple rouge.


La statue est toujours là, réconfortante. Iris s'avance, griffe claquant contre le marbre comme elles l'ont fait des centaines de fois. Avec colère, avec lassitude, avec peur, aussi.
Cette fois-ci, elle racle avec la lenteur de la détermination.


Les yeux violets se lèvent vers son père.

J'aurai du vous écouter, dès le début.
J'aurai du la tuer lorsque j'en avais l'occasion.

Il avait été faible.
Il avait été ignorant, méchant, blessant.
Il y avait des blessures qui jamais ne se refermeront.
Mais, de son sang, restait encore deux loups qui valaient la peine de tout donner.


Et je l'anihilerai.

People on the soldier side
There is no one here but me

Les lumières sont faibles, bien plus qu'à l'accoutumée. Comme si Lui l'attendait. Peut-être que cela faisait longtemps, que son Dieu était patient avec lui. Il l'avait marqué de son rouge, l'avait nommée comme son ennemi.
Elle.
Et à présent, le prêtre se dressait enfin devant sa statue, regard fixe, prêt à tuer le seul ennemi qui en valait la peine.
Elle.

En réponse à sa voix, l'orage éclate au dehors. L'électricité parcourt la fourrure d'Iris, dressant son poil court sur son échine. L'air se fait lourd, chaud, pesant sur ses épaules d'une tension surnaturelle, et avec la pluie qui commence à tomber au dehors, vient le premier signe de son Dieu : Un rire. Sans joie, mais non sans satisfaction, confirmant ce que lui avait pu croire.
Cela faisait des mois, que Lui était prêt. Il attendait simplement que la détermination naisse des entrailles de son prêtre. La force n'en serait que plus forte - car cette fois, ce n'était pour Aka qu'Iris irait tuer, mais pour sa famille. Son sang.


Les flammes embrasent le temple, imprimant sa rétine violacée d'une marque rougeoyante, hérissant son pelage entier. La satisfaction de son Dieu le confirme dans son choix, et le rassure : La bataille serait à Sa hauteur, et si Iris devait s'en sortir perdant, il aurait au moins la satisfaction de ne jamais avoir abandonné. Jusqu'au dernier jour, il se battrait.
Il serait le dernier soldat à tenir la ligne, quand tous les autres avaient choisi la mort.

D'entre les flammes, Aka lui apparait, plus intimiste surement que toutes les fois d'avant. Il y a, dans son sourire sans joie, une satisfaction qui ne fait qu'augmenter sa propre combattivité. Et lorsque d'un geste il expose une fontaine remplie d'un liquide rouge, lui repense soudainement à sa soeur.
Une eau orange, qui l'avait guidée jusqu'à la mort.

Mais lui serait fort. Jusqu'au bout.

Bois.

Alors il s'avance, et bois.
Montre-moi, Aka.

Et la vision l'emporte, pour la première et peut-être la dernière.

Son ame quitte son corps, en une impression étrange et terrifiante de perte de contrôle. Avait-il confiance en Aka ? Heureusement. Car c'est vers Elle qu'il la mène, et très vite, ses sens perdus savent retrouver un haut, un bas, des couleurs et des odeurs. Iris ouvre les yeux sur un monde ocre et rouge, brumeux et si particulier qu'il le reconnait immédiatement.
La Sylve.
Il cherche du regard une confirmation, oeil halluciné ouvert mais c'est par l'odeur qu'Elle lui vient. Et son cœur rate un battement, souvenir de cette odeur qu'il avait tant cherché, et lui inspire, tripes prises d'une détermination nouvelle. Il savait où aller. Et, il irait.

Mais la vision n'est pas terminée.
Devant ses yeux se dresse soudain l'Eglise des loups du Nord. Ses yeux sont soudain frappés par une lumière intense, violette, qui s'abat sur la batisse. Le temps passe, et lui écoute. Cris. Discorde. Une instabilité, chez leurs alliés.
Il comprenait, ce que le Dieu rouge voulait lui montrer.

Encore une fois, il est déplacé comme une poupée de chiffon vers un bâtiment qu'il reconnait sans mal : La bibliothèque. La vision se fait précise, le guidant vers une latte soulevée débouchant sur un tuyau sombre. Il y avait quelque chose, ici.

Et d'un coup, la vision s'arrête. Il revient les quatre pattes sur le sol froid du Temple, nauséeux et cœur battant. Le cumul d'informations projetées dans son esprit comme un coup de croc l'a laissé chavirant. La voix du Dieu se loge dans ses oreilles, et il doit attendre quelques secondes avant de reprendre ses esprits.

Cela le frappe alors.
Il savait où la trouver.

Nos ennemis, nous les détruisons.
N'avait-il pas détruit le Roitelet démon ? Le dragon ? Ceux qui se dressaient sur son chemin, démons ou nakhus, finiraient par se plier à sa volonté.
Son regard se fait plus déterminé.


Il avait guidé sa gueule aveugle vers celle qu'il devait tuer. Quel prêtre serait-il s'il abandonnait à présent son objectif ? Non, la question à présent serait celle de sa stratégie. Aka lui avait toujours intimé que leur force se trouvait dans le groupe, dans l'équipe. Qu'ensemble, ils vainquaient, et Iris pouvait compter ses victoires individuelles se les doigts de sa patte.

Mais ...
Elle était son ennemi. Son secret. Impliquer quelqu'un, alors que personne ne savait rien, voulait dire renoncer à enterrer ce secret pour toujours. N'était-il pas assez fort, seul, pour s'occuper de cette demi-démone ? Peut-être n'était-elle pas seule. Alors, il la cueillerait dans un instant de faiblesse, éloignée des dégénérés qui formaient les siens. Au zenith, il saurait trouver ses faiblesses. Et c'est avec l'armée qu'il reviendrait pour les annihiler. D'elle, il ne restera rien.

Et une fois tuée, il ramènerait Nour, Sadja, chez lui. Chez eux.
Puis, il se tournerai vers le Nord.

Ses yeux violins remontent sur la forme de son Dieu. Il savait son ame sondée, mais ouvre la gueule pour confirmer sa décision.


Personne n'aurait plus à payer pour lui.

Leurs regards s'accordent, le sourire valide son plan. Ses mots lui rappellent ce pour quoi il avait été choisi ; Sa couleur, son rang. Cette fois-ci, il n'aurait pas droit à l'erreur, n'aurait le droit de se relever. Tous ses echecs ne mèneraient qu'à cette victoire, pour qu'encore longtemps il puisse porter la couleur d'Aka, loin au delà de ses frontières.

Un hochement entendu de tête, et Iris scelle leur accord. Un dernier rire sans chaleur retentit, et dans une dernière volute de fumée rouge, le Dieu se retire, laissant Iris seul.

Le male reste immobile quelques instants, avant de se détourner. A la sortie du temple, ses yeux violine se dardent sur le ciel. Il ne restait que quelques heures avant le lever du soleil. Quelques heures avant qu'il ne la retrouve, elle et tout ceux qu'il cherchait. En attendant ...
Il était seul.
Si, si seul.