Les gros bras ✴ Mylo

Ouais, c'est souvent la bagarre, avec 'Zil.
Parce qu'il peut pas s'empêcher de la chercher, lui ! C'était vraiment pas sa faute à lui (selon Mylo). Il fait souvent d'son mieux pour se tenir tranquille et s'occuper de ses affaires dans son coin - parce qu'il a beaucoup de choses à faire, ouais - et après c'est 'Zil qui s'emmerde et par défaut, va donc l'emmerder en échange.
Tiens, bah comme aujourd'hui, là, maintenant. Mylo entend résonner les deux claquements de dents qu'il connaît par cœur, ceux qui en cet instant lui font rouler des yeux et lâcher un petit soupir irrité. Il se tourne même pas vers son frère, il garde plutôt le museau résolument rivé vers le livre qu'il a ouvert et dont il essaye de comprendre les images. Parce que les lettres, c'est pas encore ça. C'est Papa Dez leur en apportait, parfois, et lui ça l'ennuie assez vite mais il voit bien que Naga s'y intéresse beaucoup et reste concentrée dessus, et lui aussi il sait faire ça, non ? Pas que la bagarre.

Alors ouais, p'têt bien qu'il a pas envie de bagarre aujourd'hui. Tu vas faire quoi, 'Zil ?

Il continue à l'ignorer et rapproche le nez d'une illustration de plante. Elle est bizarre, celle-là. Elle pousse les racines vers le haut.

La tentation de lever les yeux sur son frère est forte, il doit l'avouer - parce qu'il est sûr que ça l'agace, la situation, et en vrai il donnerait tout pour ricaner de la tête outrée que doit être en train de tirer 'Zil.
Mais il veut pas lui donner raison non plus dans sa tentative d’accaparation de son précieux temps, et il essaye bel et bien de comprendre pourquoi cette plante a cette gueule là - alors qu'il suffirait de retourner le livre pour le remettre à l'endroit, mais bon, en se concentrant que sur les images il a pas remarqué que les lettres aussi sont à l'envers.
En tout cas, c'est bel et bien un 'Zil agacé qui prend la parole, tout ça pour l'insulter. Pf ! Genre il sait pas lire ! Cette fois, Mylo redresse la tête pour se confronter aux yeux sombres de son frère, fronçant les sourcils et poussant un énième soupir exagéré, accompagné d'un mouvement d'épaules.

—  B'sûr qu'si !

Il n'a peut-être pas de problème particulier pour parler, lui, mais être avec son frère et son dialecte abrégé le pousse à encore plus mâcher des syllabes qu'il ne le fait d'habitude, dans ces langages approximatifs qui ne se forment que dans la proximité d'une famille.
Mais le louveteau n'a même pas le temps de reprendre sa lecture qu'une vilaine patte se pose sur la page qu'il regarde. Cette fois-ci, le ton monte et il se lève d'un bond.

—  EEEH !! T'vas l'salir, spèce d'iot !

Non mais quel irresponsable ! Qu'est-ce qu'il allait dire à Papa Dez, après, hein ?!

Son frère, toujours aussi sûr de lui, refuse de lâcher l'affaire.
Et les sourcils de Mylo continuent de se froncer, son museau de se plisser, dans une irritation qui monte de plus en plus - jusqu'à ce que de petites étincelles rouges pétillent dans l'air, à côté de sa tête, dans ces flash caractéristiques de lumière qui parfois s'allument autour de lui quand ses émotions se font vives. Souvent quand Zil' l'emmerde, en fait. Ca arrive beaucoup moins, les apparitions d'lumière, avec ses sœurs.
Du moins sont-elles d'autres couleurs que le rouge, dans une gamme plus variée qui n'expriment pas que la colère.
D'un coup sec, le livre lui est finalement dérobé malgré la tentative qu'il fait pour appuyer plus fort dessus et le retenir - trop tard. Comment ça, lui montrer ?! Y s'croit vraiment si fort que ça, l'autre avec sa tête de piaf chauve ?

Mylo serre les crocs, plante ses griffes dans la terre et consent malgré tout, plutôt par obligation que volonté, à écouter 'Zil faire sa "performance".
Quand il a fini, c'est un rictus moqueur qui se dessine sur ses babines alors que d'un claquement de langue, un tsk s'échappe de sa gueule. Pas impressionné. Du tout.

—  C'sert à rien d'faire l'malin si on comprend que'd quand tu lis.

Et toc.
Et il lui tire la langue, poitrail bombé.
Il sait qu'il touche une corde sensible, mais il l'a bien mérité, à vouloir toujours savoir mieux qu'les autres.

Il s'est pas trompé, et la réaction de Zil' est quasi immédiate : à la façon dont son visage se froisse, il sait qu'il ressent d'un seul coup une montée de colère. Bien fait, pour lui avoir donné à lui aussi l'envie d'taper un truc mais de s'en être foutu. P'tet même qu'il allait pleurer, ce gros bébé !
Mais non, il lui crie dessus, toute lecture oubliée - et l'instant d'après se saisit du livre. Quelque chose lui dit que ce n'est pas pour reprendre sa laborieuse lecture du texte et immédiatement, Mylo se prépare à éviter le projectile, rentrant le cou dans ses épaules. Sauf que son imbécile de frère fait tomber son arme et se retrouve bien con.
Pas prêt de s'arrêter là cependant, il le voit s'préparer pour s'élancer lui à la place du bouquin.
Bon. Mylo avait dit qu'il voulait pas faire la bagarre, aujourd'hui. Mylo a pas forcément envie d'taper encore son frère, il a pas envie qu'ils soient tout l'temps en train de se battre, sérieux ! Mais c'est encore lui qu'a cherché, comme d'habitude : il s'est imposé et il a bien mérité de s'prendre une petite remarque - même pas si méchante - pour le faire redescendre.

Mais il est hors de question, également, de se défiler et de passer pour un lâche maintenant qu'ils en viennent aux bras.
Alors il réagit lui aussi au quart de tour en se jetant vers lui dans l'objectif de le plaquer au sol et de l'immobiliser, une p'tite clef de bras et on en parle plus. Il a qu'à gagner de cette manière - sans escalade, mais en lui montrant qu'il est l'plus fort pour le calmer.

Se faisant, c'est quand même avec le nez qui pique un peu et une boule au fond de la gorge qu'il tente d'attraper son frère à l'encolure.
Avec une petite, toute petite envie de laisser sortir des larmes de frustration - mais pas devant lui, sûrement pas.

Leurs corps s'entrechoquent, il s'écrase contre Zil' avec un petit hmpf et tous deux chutent au sol.
Bon ! Maintenant, plus qu'à le tenir immob-
AARH ! Avec son corps lisse et sans poils, sa plus petite stature et son élasticité, son frère s'échappe avant même qu'il ait pu raffermir sa prise. Bientôt, il ne serre entre ses antérieurs plus rien que quelques fougères arrachées dans leur lutte. Mylo frappe le sol de frustration ; se relève pour faire face à celui qui gueule et qui contre lui a dressé sa crête - pff ! S'il pouvait voir comme elles sont ridicules, ses trois plumes sur le caillou ! - et ne surtout pas perdre de terrain. Son poil est ébouriffé en même temps qu'il s'est hérissé, ses cheveux en bataille lui retombent en mèches sauvages sur les yeux et pratiquement toute la nature est venue s'coller dans ses touffes.
La lumière, elle, est passée d'étincelles à éclairs, parcourant silencieusement son corps en des trajectoires erratiques.

—  Non, TOI, cass'toi !

Il compte pas r'culer.
C'est LUI qui l'a emmerdé alors qu'il a rien d'mandé à personne, c'est LUI qui a voulu lui jeter le livre à la gueule. D'ailleurs, en parlant d'bouquin...

—  Et tu m'rends l'liv' !

De nouveau il frappe le sol pour mieux marteler d'un ton autoritaire, les crocs un peu plus dévoilés, en désignant d'un geste sec du museau le pauvre livre qui dans la bataille a volé un peu plus loin, derrière Zil'.
C'est l'sien, il a intérêt à lui redonner.

Si ses yeux pouvaient lancer les mêmes éclairs qui à ce moment crépitaient tout le long de son flanc et de son échine, il s'en servirait pour foudroyer son abruti de petit frère.

L'un face à l'autre, chacun se voulant être celui qui est le plus en colère, la situation se fige pendant quelques secondes durant lesquelles la tension ne redescend pas pour autant.
Enfin !... Pendant un bref, si bref instant, Mylo croit que les choses vont s'arranger et que son frère va enfin faire preuve de bon sens quand il voit les yeux noirs de 'Zil se poser sur le livre, puis qu'il le récupère et recommence à le fixer en silence...
Y réfléchit à comment qu' y va s'excuser, hein ?!
C'est tout l'inverse qui se produit, quand finalement il crie de nouveau et envoie les oreilles de Mylo se coucher sur son crâne ainsi qu'une nouvelle grimace plisser son museau.
Et 'Zil se barre en courant pour aller escalader la paroi en gardant le bouquin.

... P' TAIN MAIS QUEL GAMIN C'EST PAS POSSIB'
Mylo sait que s'il lui laisse trop d'avance, il ira se coller au plafond comme un attrape-mouches et qu'il aura perdu, alors il bondit à sa suite avec un râle excédé. Son frère est déjà à la verticale, et en temps normal il n'aurait pu le rattraper : mais là, avec un livre qui l'alourdit et le prive d'une patte et de la liberté totale de ses mouvements, il a une chance.
Il saute avec toute la puissance dont il dispose, mâchoires ouvertes, prêt à les refermer sur la queue lisse qui se balance encore à sa portée.

C'est bon, il le tient !
Il a du mal à y croire, mais il a bien réussi à l'chopper cet idiot, et il va pouvoir lui montrer que c'est lui l'grand frère et qu'y peut pas faire tout c'qu'il veut tout l'temps.
Mylo garde sa position et griffe le sol de ses pattes écartées pour s'assurer stabilité - quand 'Zil tire vers le haut pour espérer s'en sortir, lui tire vers le bas et l'arrière ; bien décidé à le décoller de là et à rien céd-
Bam.
Son nez se plisse à l'éclair de douleur qui le traverse quand sans bien comprendre comment ni pourquoi, il s'retrouve d'un coup le cul par-terre.
Il voit pourtant toujours son frère collé au mur à un ou deux mètres, et il a encore sa queue dans la bouche alors il a pas lâché prise !
... Il a encore sa queue dans la bouche.

La réalisation de la scène d'horreur dont il vient d'être témoin - non, dont il est coupable ! - le frappe au même moment que son frère puisque sa voix vient rejoindre son cri à l'unisson.

—  AAAAAH

Sa gueule ainsi ouverte laisse retomber la moitié arrachée de l'appendice, qui bouge encore oh bordel de merde, et Mylo bondit en arrière pour s'en éloigner ; terrorisé, dégoûté, honteux, impuissant - un peu de tout ça à la fois dans une surcharge émotionnelle qu'il ne sait pas franchement démêler et n'avait pas encore eu l'occasion d'appréhender.
De grosses larmes ont bel et bien finies par éclater : elles inondent ses yeux et coulent le long de ses joues alors que Mylo, tremblant, lève une patte comme pour rejoindre son frère sans toutefois oser, tétanisé et paniqué.

—  Ptain Zil chui désolé jpas fait exprès cpas ma faute jsavais pas que- snirf je-

Ses mots se noient dans un gargouillis indéchiffrable fait des hoquets de ses sanglots et de ses reniflements humides.

Il a b'soin d'aide, il sait pas quoi faire, mais il va s'prendre l'engueulade de sa vie, et papa et maman vont l'détester, et ses sœurs aussi, et tout le reste du monde aussi, et-

— M-M'man ! M'MAN !

Tant pis pour c'qu'il risque, l'urgence c'est d'aider son frère qu'il a mutilé sauvagement, il aura bien c'qu'il mérite.
Il s'ra le pire enfant et le pire frère de l'univers, voilà tout - et même si sa voix a du mal à porter, même s'il n'arrive pas à s'arrêter de trembler, il sait qu'il doit assumer et qu'il leur faut un adulte.
L'adulte en question était déjà en chemin et les rejoindrait très bientôt, d'ailleurs ; bien suffisamment alertée par leurs cris stridents pour se décider à venir voir ce qu'ils fabriquaient pour autant s'agiter.

Enfin, encore plus que d'habitude, quoi.

Quand il est avec Zil', Mylo a toujours eu l'occasion de voir qu'un seul genre de lumière s'allumer autour de lui.
Toujours du rouge. En éclairs ou en étincelles, en décharge brève ou en flux irrégulier ; mais toujours du rouge.

C'est pourtant du bleu qui en cet instant s'est mis à baigner les ombres de la tanière. À l'instar d'une petite aurore boréale, c'est une vague aux douces ondulations qui est apparue et le baigne d'un cyan teinté d'un peu de vert par endroits.
Le chagrin et la peur.
Il... Il croit bien qu'il les a jamais r'ssentis aussi forts.
Et il reste ainsi tremblant et recroquevillé, impuissant devant son frère qui est maintenant tombé du plafond et s'est roulé comme le ferait un petit animal blessé. Mylo a pas b'soin de beaucoup se concentrer pour comprendre c'que Zil' lâche entre ses crocs, et il a bien raison d'le détester, ouais, même si ça n'amène que de nouvelles larmes plus fraîches au bord de ses yeux et qu'il ne fait que se mordre plus fort la langue et les lèvres.

Dehors, une silhouette.

—   Mais qu'est-ce qu'il se passe ici-

Si la tête qui apparaît à travers l'entrée a d'abord les sourcils légèrement froncés, ses yeux deviennent deux ronds incrédules en découvrant la scène alors qu'elle s'immobilise.
Anita avait l'habitude que ses enfants puissent faire du bruit et des bêtises. Surtout les deux garçons laissés ensemble. Elle s'était attendue à simplement devoir les calmer, faire redescendre un peu la tension qu'ils laissaient trop souvent éclater, pas à... Ça.
Après quelques secondes abandonnés au choc, la louve se remet en mouvement et d'une foulée rapide rejoint celui qui a le plus besoin d'assistance immédiate - Basilic, prostré et... Sans queue, du coup. Son museau vient doucement chercher le visage de son fils pour y essuyer les larmes, son long corps rejoint le sol et s'entoure autour du sien encore si petit.

—   Oh, mon petit lézard... Je suis là, calme toi. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Et Mylo, encore en retrait et oreilles plus basses que jamais, de s'avancer d'un pas incertain pour prendre la parole.

—   C'est- c'est ma faute m'man, c'est moi, j'pas fait exprès, j'savais pas que- qu'ça pouvait-

Encore, ses mots s'étranglent et se noient quand ressurgissent la honte et le chagrin. Autour de lui, la lumière qui danse encore en ruban s'est teintée d'un peu plus de vert. Peur. Peur de la réaction d'sa mère, et de celle des autres quand ils seraient au courant, peur des conséquences, peur que sa famille n'lui fasse plus confiance, ne l'aime plus. Il n'est cependant pas un lâche, il se doit d'assumer son acte et d'en prendre la responsabilité. Alors il se tient aussi droit qu'il le peut, même s'il tremble, quand ses yeux emplis de larmes affrontent le regard de sa mère.
Mais les yeux violet qui viennent à se rencontre ne sont emplis d'aucune colère.
Il y a une patte qui s'ouvre, qui l'invite à les rejoindre. Même si Basilic avait été sa priorité au vu des événements, son petit Mylo souffrait aussi. Et il était hors de question de le laisser de côté et de n'accorder qu'à un des deux le réconfort de sa présence.
D'autant que...

—   Basilic, on montrera ta queue à Papa Dez, mais tu n'es pas mon petit lézard pour rien. Tu as déjà essayé d'attraper un lézard ? Quand ils ne veulent pas se laisser prendre, ils sont capables de détacher leur queue pour s'enfuir. Et ensuite... Elle repousse. Ça surprend la première fois, mais c'est très pratique. Je suis sûre que c'est pareil pour toi.

Ils avaient eu peur, mais Anita était persuadée que ce qu'ils avaient pris pour un événement traumatisant n'étant en réalité qu'une découverte un peu brusque d'une spécificité de son fils. La louve agrandit un sourire encourageant, relève le visage de Basilic d'un petit coup de truffe - et jette à son autre garçon, qui n'avait pas bougé, un regard insistant à ce qu'il vienne contre cette patte ouverte.

Après encore un peu d'hésitation, Mylo finit par s'approcher en traînant des pattes. Son regard passe encore de la queue maintenant inanimée sur le sol à son frère, mais les mots de leur mère commencent déjà à résonner dans son esprit et à apaiser ses émotions vives. Alors... P'têt qu'il a pas privé son frère de sa queue à tout jamais. P'têt que c'est juste normal et que ça aurait fini par arriver un jour ou l'autre.
Il renifle, vient se blottir contre sa mère lui aussi et cacher son visage dans le creux de son cou.

Ses deux enfants contre elle, Anita reprend d'une voix douce.

—   Pourquoi étiez-vous en train de vous bagarrer, mh ?

Son regard passe de l'un à l'autre.
Elle sait qu'ils se chamaillent souvent, mais de là à découvrir que la queue de Basilic peut être arrachée, leur interaction avait peut être été un peu plus... Musclée que d'habitude.