Super-structures [PV Lucian]

Dysis avait échoué son épreuve. Elle avait chassé trop vite sa déception, sentiment désagréable, peu efficace. Mais, mamie l’avait guidée vers un autre chemin. Celui d’accepter cette émotion, de l’utiliser. Dysis n’était pas vraiment émotive. Elle n’était pas comme son frère, ou même sa maman. Elle ne pleurait pas beaucoup, ne riait pas beaucoup. Pourtant, cette déception là lui brulait le ventre. N’était pas partie, pas tout de suite. Son échec était le sien, et elle avait du mal à l’avaler.

Elle avait pris le temps d’y réfléchir. Était partie chasser pour s’aérer la tête. Mais même face aux proies, aux monstres, l’échec revenait. Lorsqu’elle ratait sa mise à mort ou son piège, il revenait. Là où avant, elle avait eu assez confiance pour savoir que cela arrivait, qu’elle ne pouvait abattre toutes les proies, maintenant, elle doutait. De manière irrationnelle, dans ses tripes et ses pattes plus que dans sa tête. Et ce doute la rendait morose ; Pire, moins bonne chasseuse. L’hésitation était le pire poison de la chasse.

Puis, mamie était morte. Dysis aurait aimé qu’elle la voit retenter l’épreuve. Son absence était difficile, pour la chasseuse. C’était mamie qui lui avait montré la voie de la chasse, dès le début. Sa vocation. Sa passion. Et puis, c’était elle qui l’avait poussée vers le Raptor. Elle qui l’avait relevée lorsqu’elle avait échoué. La mort faisait partie de la vie ; L’échec, de la réussite.
Dysis réussirait, pour elle.
Mais pour cela, elle devait y travailler.

Lentement, sa déception s’était mutée en détermination. Lorsque le vent soufflait dans son pelage, libre, elle y voyait encore sa place. Une place éternelle. Vivante, mouvante. Prédatrice et proie. Mais une place, dans l’ordre naturelle des choses. Ce qu’elle choisissait d’en faire était sien. Ses échec ne changeraient pas cette place. Cette certitude était son diapason. Elle avait une valeur, quel que soit l’échec ; Car elle vivait. Car elle avait vécu. Car elle esssayait.

Et elle voulait essayer de nouveau. Pour cela, elle devait s’améliorer. En tout. Alors, elle avait raccroché sa lourde armure runique dans sa tanière et était partie pour la bibliothèque. Notes en gueule, elle avait commencé à travailler. Travailler encore. Ouvrant des livres inintéressants. Formant un plan pour se mettre à niveau. Lire, lire, lire, sans cesse. Ce n’était pas facile, pour la chasseuse. Parfois ses yeux divergeaient. Parfois, elle rêvait au morceau de ciel qu’elle voyait par la fenêtre. Rêvait de chasse, de nature et d’extérieur.

Alors, elle avait trouvé une solution. Se gardant des réçits de chasse lorsqu’elle ne pouvait plus rien lire d’autre. Cette alternance lui permettait d’aller plus loin. Elle avait commencé par les mathématiques ; Elle devait savoir compter plus vite, mieux. Avait travaillé, noircissant des pages, encore et encore, de ses ratures. Elle avait choisi un livre d’arithmétique, fait tous les exercices. Et lorsqu’enfin elle le termine, elle sait que son travail ne faisait que commencer.

Contes anciens. Livres de cuisine. Livres d’art. Bestiaire et herbiers. Recueil de remèdes. Bibles sur les Dieux. Epais livres d’histoire de Punk Wolf. Tout y passait, avec lenteur d’abord, puis plus de rapidité. Elle s’améliorait. Son intérêt croissait, un peu, plus par nécessité qu’envie. Elle lisait, tous les soirs, tous les jours. Et lorsqu’elle eut terminé enfin toute l’histoire de Punk Wolf, elle sent dans ses pattes et son cœur qu’il lui fallait plus tangible. Elle n’en pouvait plus. Les connaissances théoriques n’étaient pas son fort. Elle devait les appliquer. Alors, elle pense à l’Eglise.

Cheza avait proposé de la reconstruire. Dysis ne savait pas comment. Elle va alors trouver des ouvrages traitant d’architecture. Découvre un monde nouveau et complexe. Des techniques multiples pour construire. Des essais de plans, de tours, de manoirs. Elle apprend comment placer les fenêtres pour maximiser la lumière. Apprend à quoi servent les fondations ; Comment fabriquer du mortier pour lier des pierres entre elles. Comment tailler ces pierres, comment les choisir et les trouver.

Un sujet en particulier attire son attention : Les arches. Elle ne sait pas pourquoi. Elle les trouve belles. Arches brisées ou non, clef de voute et renforts, elle lit avec passion ce chapitre, en un après midi. Elle survole aussi les ponts, découvre avec surprise toutes les structures existantes dans d’autres parties du monde. Tentes, yourtes, igloos. Elle apprend.

Puis, elle se concentre sur les Eglises. Apprend qu’elles ont des structures classiques. La leur possède une nef unique, et un plafond de bois. Mais d’autres sont possibles ; Elle découvre les structures de basilique et ses trois boyaux. Apprend que dans certaines Eglises se trouve un transept, que leur forme est codifiée. La leur fait partie des plus simples. Elle a déjà une forme choisie. Alors, Dysis se concentre sur le toit.

Sur les toits, il y a également beaucoup. Elle survole les différents types de toits pour trouver celui de l’Eglise. Apprend que beaucoup de choses influent la qualité de celui-ci. La structure. Le matériaux. La pose de la charpente. Alors, elle commence à prendre des notes. Le bois le plus facile à trouver est le sapin, alors elle choisit celui-ci. Il est léger et résistant. Puis, calcule la pente de la toiture. Une pente trop faible accumulerait la pluie. Une trop forte, et elle sera difficile à installer.

Elle calcule ensuite la répartition des chevrons. La distance entre chacun sera d’environ 50cm. Elle commence à dessiner ce plan. Il lui faut les reposer sur des poutres transverses. Des troncs larges et solides, qui supporteront le toit. Elle en prévoit trois. Sur chacun, une structure en triangle. Les chevrons s’appuieront dessus. Puis, des planches pour recouvrir les chevrons. Fixées avec des pignons. Enfin, les tuiles. Attachées avec des clous. Ils en avaient heureusement déjà beaucoup. Mais, il faudra en cuire de nouveau. Ils pourront aussi repeindre le toit, si ils le veulent. Elle le demandera à Cheza.

Son plan est terminé. Alors, elle passe aux calculs. Fait, d’abord, application de sa physique pour déterminer le poids du toit. Calcule la répartition de ce poids sur les poutres supportrices. Le met en relation avec la résistance du bois de pin. Ajoute un facteur, pour le vent. Tout tenait. Alors, son plan est validé. Elle passe ensuite aux matériaux. Calcule la quantité de bois nécessaire, en volume. Prend le volume d’un tronc moyen. Il ne leur faudra pas finalement tant d’arbres que cela. Ses calculs sont terminés. Ses plans, aussi.

Alors, elle peut continuer à apprendre sur les autres sujets. Bientôt, elle serait prête. Et en attendant, son plan de reconstruction du toit était prêt, lui aussi.

Elle range ses notes. Mais on la hèle. Ses yeux se relèvent. Lucian. Celui qui était allé voir Mido. Celui qui leur avait porté sa voix mécontente. C'était en rapport avec ça. Il avait un plan. Quelque chose pour les allier. Pour faire preuve de cohésion. Cela l'intéresse. En partie. Car c'est e comportement du loup qui l'inquiète. Elle l'observe. Ses gestes brusque. Il n'attend pas qu'elle réponde. L'assomme de paroles.
La touche.

Elle a un mouvement de recul. Instinctif.

Son idée était bonne. Ils manquaient d'un lieu de réunion sur le Plateau. Surtout l'hiver, ou tout était froid. La proximité du Dédale manquait peut-être aux autres. Elle aimait sa solitude. Mais il pensait à un endroit de pierre. A des vitraux, des runes, des pierres lumineuses. A un deuxième Dédale, en somme. Et elle serait celle qui porte les pierres. Son museau se fronce. Sous sa cape, ses muscles roulent.

Il continue. Dessine. Sous sa patte, elle reconnait des croquis. Un viaduc. Des bains. Des tunnels entiers. Un silence. Puis, il la presse. Encore. Encore.


Elle fixe les plans. Puis, fixe le loup.


Elle n'avait pas envie de se dédier à un plan voué à l'échec. Lui veux qu'elle l'assiste ; pas son avis. Il veut décider, elle ne serait que muscles. Mais il ne voyait pas les failles de son plan. Une forge perpetuellement allumée consommerait beaucoup trop. Les pierres seraient lentes à acheminer sur le Plateau. Même en y dédiant sa vie, Dysis ne verrait pas la fin de l'entreprise. Elle secoue la tête.


Mais l'idée était bonne. Le loup, lui, elle ne savait pas. L'avise d'un regard perçant. Le jauge.
Attend le nouveau déferlement d'idées ou de colère pour se faire un avis définitif.

Il est confus. Comme un enfant à qui on refuse un jouet. Comme un loup qui avait toujours tout obtenu. Qu'est-ce que Dysis en savait ? Pas grand chose. Elle se contente de l'observer. De l'attendre. Espère qu'il comprenne, en relisant ses plans. En refaisant ses calculs. Il ne comprend pas. Il s'assoit face à elle. Lui retourne la question.
Elle devra expliquer.

Elle était statue, elle devient moteur. Se saisit des feuilles. Du crayon. Calcule la longueur des murs. Somme les pièces. Réduit les murs en double. Donne un volume aux pièces. Un exercice de mathématique comme elle s'était tant entraînée à le faire.
Elle le voulait, devenir verte.
Finalement, le résultat.


Un nouveau calcul. La densité de la pierre est tirée de mémoire. Tout est simples. Dysis avait bonne mémoire.


Elle relève les yeux. Il n'y a pas d'accusation. Simplement, elle explique. Une telle quantité de pierre était impossible à extraire. C'est tout. Pas sur le Plateau, pas depuis les grottes, pas dans le froid et sans outils. Elle plisse les yeux.
Mais ...


Aménager quelque chose de déjà existant était plus simple. Ils avaient déjà commencé dans les grottes. Mais cela voudrait dire abandonner les lavvus. Dysis n'aimait pas tellement. Elle jauge le loup du regard. Il avait l'air d'avoir conçu son projet seul. Sans avoir demandé l'avis des autres, peut-être. Il était intelligent. Peut-être une sorte de ... Génie solitaire. Elle fronce le museau. Elle n'était pas tendre.


Elle étudie sa réaction.

Silencieuse, elle écoute la critique. L'entend. Les tentes n'étaient pas solides. Elles étaient en peau de bête. Certains n'en voulaient pas. Dysis, elle, ne voyait pas le soucis. Un abris éternel était bien moins naturel qu'une tente qui nourrirait la terre une fois brisée. Elle n'en dit rien. Saitque sa vision ne sera pas partagée.
Ils avaient une divergence d'idéologie.

L'éphémère, contre l'éternel.

Les loups avaient souvent habité les grottes. La louve y réfléchit. Elles pouvaient être utilisées tant qu'on laissait aussi la place aux autres. Ours, chauve-souris, insectes. Oui, cela pouvait être envisagé. Les tentes resteraient sur le Plateau pour l'extérieur. Le Jardin. La pêche. Les grottes offriraient un endroit plus protégé. Pour les jeunes et vieux. Elle hoche la tête.


Son regard remonte. Se pose dans celui de Lucian. Ils trouvaient des compromis.


Pour s'assurer de leur structure. De leur profondeur. De leur sécurité.

Avec surprise ... Ils trouvent un accord. Dysis continue de fixer Lucian. Ce dernier s'approche. Bruissement de plumes. C'était beau. Elle n'y avait pas vraiment prêté attention. Ecarte pour le moment cette réflexion. Il lui demande si elle l'accompagnera. Elle expire. L'avise. Il a l'air sincère. Elle hoche la tête.


Ils pourraient partir vite. Elle ferait une pause courte dans ses chasses. Ses études. Peut-être qu'ils trouveraient quelque chose d'interressant, dans ces grottes. Elle se redresse. Mais il a une autre question.
Après.
Quelque chose la démange. Elle a envie de repartir seule, maintenant. Pour y réfléchir. Elle plisse le museau.


Elle l'avise. Une question silencieuse dans ses yeux. Avaient-ils trouvé un accord ?

Il accepte. Dysis hoche la tête. Puis, s'ouvre de nouveau au monde. Le ciel était clair. Le temps encore frais. Ils devraient traverser la mer de nouveau. Concentrée sur ce but, elle emboite le pas au loup sombre. Alors qu'ils sortent de la bibliothèque, enfin, la nature s'ouvre.
Et elle peut respirer librement.