A coward behind a shield and spear - Narcisse.

Who are you? Who am I to you?
I am the antichrist to you
Fallen from the sky with grace
Into your arms race



[Quelques jours après Disaster of Dreams. Se passe relativement peu de temps après la mort du Dragon.]


Mildred avait promis qu’elle reviendrait.

Au début, elle l’avait surtout dit pour qu’il arrête de la suivre.
Parce qu’elle avait besoin d’être seule, parce qu’elle ne voulait pas le voir, parce qu’elle ne pouvait pas le croire.
Aucun des mots qui étaient sortis de sa gueule ce jour-là n’avait su en trouver en elle une place dans ce feu qu’elle ne connaissait que trop bien, aucun n’aurait été capable d’éteindre le brasier qui hurlait.
Si peu étaient parvenus à s’accrocher, d’ailleurs. Dans la tempête qui avait déferlé, dans l’ouragan qui s’était levé et l’avait emprisonnée, presque tout avait été soufflé. Le souvenir était flou, seulement fait d’images et de sons déformés, de sensations brutes et d’émotions vives.
Seuls perçaient à travers la brume ces yeux jaunes, nets dans chaque mémoire.
Ce regard.

La louve frissonna.
Marquant une halte, elle dut s’arrêter quelques instants pour souffler entre ses crocs et fermer un instant les paupières avant de reprendre doucement sa marche.
Le jour était en train de tomber, baignant progressivement le paysage d’une lueur dorée. Il lui restait encore du temps - moins d’une heure, peut-être - avant d’arriver, et le crépuscule serait alors à son apogée. Il lui fallait encore s’enfoncer dans la Vasque, emprunter des sentiers que maintenant elle connaissait bien.
Ceux qui menaient à son foyer.
Le mot avait une saveur étrange ; était comme un rouage mal placé dans la machinerie de son esprit. Une irrégularité sur laquelle butait constamment le fil de ses pensées.

Et au fond d’elle, ça animait quelque chose d’autre que la sempiternelle rancœur.
Au fond d’elle, il y avait un peu de chagrin.

Lors des jours passés sur l’Île aux Roses pour évacuer le trop plein et après son insolite entrevue avec l’Etelkru venu d’ailleurs, Mildred avait tout de même réalisé certaines choses. Du moins, son cerveau qui toujours tournait en boucle sur les mêmes sujets, qui toujours était en proie aux mâchoires impitoyables de ses angoisses et ne semblait jamais capable de se rassasier de quelque chose de simple ou de connaître du répit… Ce cerveau-là avait fini par tant ronger et mâcher le même os qu’elle en avait peut-être aperçu un nouvel angle.
Le temps aidant, la tempête et le trouble acceptant de se calmer, Mildred s’était reposée la même question qui était venue la harceler lors de sa rencontre avec le prince déchu.

Que lui restait-il ?

Que lui restait-il, oui, dans cette vie qui s’était trop étirée et qui depuis tant d’années semblait avoir perdu le peu de ternes couleurs dont elle fut un jour parée ?
Elle persistait à dire rien, elle se persuadait que même les derniers fragments qu’elle possédait étaient destinés à partir eux aussi en cendres, comme tout le reste.
Mais peut-être qu’elle se trompait.
Il lui restait Miraj, pour commencer, celle qui était fragment et fille d’Isrâ, celle qu’elle avait juré de protéger.
Il lui restait, issue de cette même nièce, la jeune Nour qui lui rappelait tant ce qu’il y avait eu de beau et de grand dans sa lignée.
Il lui restait des désirs tardifs, l’envie - la jalousie ? - face au bonheur de sa nièce de connaître pareil - mais illusoire - épanouissement.
Il lui restait une tanière, qu’elle avait passé du temps à aménager pour s’y sentir au moins un peu chez elle. Un abri qui lui avait manqué, elle le réalisait alors, en s’arrêtant quelques secondes à l’endroit où des jours auparavant elle s’était déjà stoppée.
A ce moment-là, elle partait en guerre et croyait ne plus revenir.
Ca lui avait fait du mal, de s’imaginer quitter cet endroit pour toujours.

Il lui restait…
Celui qui ce jour-là avait été présent aussi, à ses côtés.
Celui qui lui avait promis un avenir, celui qui avait écouté et recueilli son désir.

Celui qui jusque-là, contrairement aux autres, ne l’avait jamais abandonnée.

Mais elle le revoyait dans la fumée épaisse de la bataille, son corps se relever de la poussière.

Elle revoyait ce regard, elle se remémorait sa peur.
Son incompréhension, le sentiment de trahison.
Sa colère.
L’envie de tout détruire et de hurler, encore, malmenée par la houle dantesque de ses affres.

Le voulait-elle, pour autant, tout détruire ?

Elle se l’était imaginée, ne jamais revenir. Tout comme elle s’était imaginée être allée plus loin avec cet inconnu Etelkru ; s’être laissée prendre au jeu de son envie dévorante de vengeance pour expier sa peine en se sentant exister, dominante, désirée. Eusse-t-il été sensible à son approche, elle n’y aurait sans doute pas beaucoup plus réfléchi.
Pourtant… Chacune de ces options fantasmées lui avaient encore fait saigner le cœur.

Alors le voulait-elle, tout détruire ?

Au fond… Peut-être bien que non.

Peut-être bien qu’elle ne l’avait jamais voulu, mais qu’elle avait toujours été lâche, cachée derrière les traumatismes qu’elle levait en bouclier et la colère qu’elle levait en épée pour blesser avant de l’être à nouveau.


Lucid lovers me and you
A deal of matchless value
I was always quick to admit defeat
Empty statements of bones and meat
And my heart it shook with fear
I'm a coward behind a shield and spear
Take this sword and throw it far
Let it shine under the morning star


La lumière dorée du soleil couchant envahissait la clairière.

Celle qu’elle n’avait pas revue depuis maintenant plusieurs jours après des années à avoir fait partie de son quotidien.
Encore quelques mètres, et elle apparaîtrait entre les arbres pour en fouler de nouveau l’herbe humide de la pluie récente.

Encore quelques mètres, et elle trouverait celui qui vivait ici, avec elle. Celui qu’elle avait fui.
Ce regard.
Mais cette fois… Elle était prête à l’affronter. A l’écouter.

Mildred inspira lentement l’air du soir, la gorge serrée.

Puis fit un pas en avant, et un autre, et ainsi de suite, jusqu’à arriver proche de l’entrée sombre.
Sa voix, un peu tremblante, s’éleva dans les airs.

— Narcisse.

Je suis là.



Who are you? Who am I to you?
I am the antichrist to you
Fallen from the sky with grace
Into your arms...

Encore un jour à l’attendre.
Narcisse n’a pas bougé. Avait accueilli son Frère, Tita venus lui rendre visite, n’avait pour autant pas quitté ces lieux. Les fraisiers furent entretenus, de même que les fleurs. Il n’avait pas souhaité s’éloigner d’ici.
Parce qu’elle avait promis de rentrer.
La promesse avait été formulée. Lui avait-elle menti droit dans les yeux ? Avait-elle prononcé ces mots dans l’unique espoir qu’il la laisse tranquille ? Une part de lui doutait, à chaque jour qui passait, le doute se faisait un peu plus fort.

Les solitaires ne méritent pas notre confiance.
Les mots de Pepper ne cessaient de raisonner dans son esprit. Il se revoyait à ses côtés traquant l’agresseur de Khamunrah, planter ses crocs dans la gorge de ce criminel pour lui ôter la vie. Telle fut sa première approche des solitaires. Son premier contact. Ce qu’on lui apprit des années durant, que nul ennemi ne devait porter atteinte à l’intégrité des Etelkrus. Que ceux dehors ne méritent en rien notre attention.
Je me suis détournée Pepper, de vos mots.
De votre chemin.
Tous les Etelkrus se sont retournés contre cela.
À leurs yeux, nous sommes devenus les monstres.

Les oreilles se couchent sur son crâne.

En sommes-nous ?

Les yeux dorés se baissent sur le Koridé, venu frotter sa tête contre les longues pattes du solitaire. Animal de compagnie qui pourtant n’avait jamais souhaité le quitter. Narcisse vient gratter la crinière du familier de ses griffes.
En étais-je un pour toi Mildred, d’animal de compagnie ?
M’as-tu laissé derrière, car je ne te servais plus à présent ?
Il ne lui avait jamais demandé de l’aimé en retour, ne l’aurait jamais exigé. Ce qu’il ressentait… n’était propre qu’à lui. Le croyait-elle capable de l’aimer, elle qui n’avait connu que trahison ? Devrait-il lui aussi goûter une nouvelle fois à la trahison ?
Puis-je encore le supporter ?
D’être trahi une énième fois ?

Il est seul, comme chez les Nakhus avant que tout ne finisse par se détruire. Au moins avant, avait-il à l'époque le Phénix pour compagnie. À présent l’oiseau avait choisi de garder le silence. Toujours présent, mais blessé, dans son orgueil, dans sa chair. Le dragon l’avait balayé.
Nous aurions pu mourir ce jour-là.
Nous aurions pu être plus fort, si nous n’avions pas passé notre vie à nous battre mutuellement.
L’oiseau ne répond pas. N’en avait plus l’envie. Un soupir qui franchit les babines de l’ancien Etelkrus. Certaines choses auraient été bien plus simples, si Désastre et lui étaient resté loin de ces terres, auprès de cet autre clan. Un mode de vie qui aurait pu lui convenir, lui aurait permit d’échapper à ce qu’il n’était pas prêt à affronter.
Aya, tu avais raison, la vie est comme une chasse.
Nous devons nous battre pour y survivre.
Nous tombons, lorsque l’adversaire est trop fort.

Une voix qui le tire de ses pensées. Les yeux dorés qui se posent sur cette silhouette à l’entrée. La promesse avait été tenue.
Pourtant…
Narcisse l’observe, sans esquisser le moindre mouvement. Il y a toujours l’expression gravée dans son esprit. Celle de la peur et de la méfiance.
Je ne suis pas le Phénix. Pourtant c’est lui que tu verras à chaque fois que tes yeux se poseront sur moi.
Je ne suis pas le monstre.
Mais c’est ce que tu penseras comme les autres.
Il se contente de la fixer, sans prononcer le moindre mot. Ce n’était plus à lui de parler, il avait tout dit la dernière fois, quand elle était partie. Le mâle se redresse, s’assoit, venant reposer sa queue sur le bout de ses pattes.

Je t’ai attendu.

You gave up on me way too fast
Our parents would have never done that
Give me time and I'll prove you that
I am better than what I showed you last



Au nom prononcé ne répondit que le silence.
Les muscles tendus, Mildred suspendit son souffle dans l'attente d'une réaction - un signe, une voix, un simple mouvement ; mais c'était comme si le monde entier avait lui aussi retenu sa respiration pour la laisser glacée sur place.
N'y avait-il personne ? Son odeur était fortement imprégnée des lieux, encore récente. Peut-être s'était-il absenté - devait-elle alors l'attendre ici, ou tourner les talons et revenir plus tard ? En aurait-elle la force ?
Et... Et s'il était parti à son tour, lassé de l'avoir attendue tous ces jours durant ?

Une émotion commença à monter et se répandre en elle, mais elle n'eut pas le temps de se développer. Après plusieurs secondes, ses oreilles se tournèrent vers un léger son de bruissement à peine un bref instant avant que ses yeux ne bondissent au même endroit.

Là elle les vit, luisant dans la pénombre de l'abri qu'il ne quitta pas pour la retrouver, ses deux yeux dorés.
Il y eut bien un léger choc dans sa poitrine. Quelque chose de sourd comme un battement de cœur un peu plus intense que les autres et qui se répercuta dans un bref vacillement de ses membres. Mais... C'était bien moins pire que tout ce qu'elle avait pu s'imaginer à l'idée de revoir ce regard. Comme d'habitude, la vague violente de ses émotions s'était montée en une crête insurmontable et s'était abattue d'une impitoyable manière, la submergeant entièrement, l'envoyant brutalement vers le fond en la malmenant dans les courants. Mais une fois la tempête passée, une fois la mer apaisée, elle retrouvait ses esprits et sa raison - au moins une partie -, laissée épuisée sur la rive.

Elle irait même jusqu'à dire qu'au-delà de cette secousse qui se trouva être bien plus douce que pensée, ce qu'elle ressentit en retrouvant ce regard c'était surtout...
Du soulagement ? Peut-être, oui. C'était du moins quelque chose qu'elle estimait être plutôt positif, quelque chose... Qui ne piquait pas autant que d'habitude. Alors avec lenteur et prudence tout de même, elle fit un premier pas dans sa direction, oreilles dressées.
Narcisse ne disait toujours rien.
Il se contentait de la regarder, assis dans la tanière, le visage neutre. Les oreilles de Mildred firent un bref aller-retour sur elle-même alors que la résolution de la louve vacilla brusquement et qu'elle se mordit les lèvres, incertaine. Avait-elle fait le bon choix ? Il avait voulu qu'elle revienne, il n'avait pourtant pas l'air heureux de la voir. Allait-il lui dire de partir ?
Pourquoi est-ce qu'il ne parlait pas ?!
Une certaine panique s'alluma dans son cœur comme un feu de forêt et menaça d'envahir ses sens, mais Mildred tient bien, refusant de céder déjà à un énième incendie.


You're sick and tired of seeing me cry
You don't know how to calm me down
Please read me poems and make me laugh
Remind me how lucky I am



Non. Il attendait quelque chose.
Le souffle un peu court, toujours tendue, la disciple de Moiro s'efforça de ne pas se laisser atteindre par la houle qui faisait tanguer sa volonté.
La dernière discussion qu'ils avaient eu n'était restée que sous la forme d'un vaste flou, d'une tornade de colère et de chagrin et de tant d'autres émotions encore qu'elle en avait court-circuité tous ses récepteurs. Elle devait pourtant s'en souvenir. De grandes idées pouvaient s'en détacher, quelques mots à l'écho dissonant flottaient sans lien logique les uns aux autres : elle n'avait retenu que des excuses, le souvenir qu'il s'était beaucoup justifié - et qu'à ce moment-là, elle avait tout balayé comme des mensonges. Elle savait pourtant qu'elle avait sans-doute eu tort, mais... Elle l'avait pourtant prévenu ; que cela ne mènerait à rien.
Plus elle s'efforçait de raviver sa mémoire, plus elle se heurtait à un mur et sentait sa frustration venir menacer de prendre le dessus, piquant ses yeux et sa truffe. C'était peine perdue.

Alors de lui-même, son esprit remonta un chemin plus ancien, prit la route de souvenirs bien plus datés mais pourtant plus clairs.
Quelques souvenirs gardés au-delà des cendres et de la rancœur, quelques vestiges qui avaient gardés un peu de prestige et de ce halo doré. Des choses que son cerveau avait jugé bon de conserver ; de chérir un petit peu.
Elle se revoyait, plus jeune de quelques années, revenir dans cette même clairière après avoir laissé - encore une fois - le mâle qui était à ce moment toujours Etelkru. Les mots entre eux s'étaient échauffés ; du venin s'était infiltré dans leurs gueules - et elle était partie.
Et il l'avait attendue.
A chacune de ses crises, à chaque sabotage effectué sur elle-même et sa relation avec les autres, il l'avait attendue.



You wonder why I hit myself?
I'm trying to kill the worst of me
To be the best for you
To be the best for you



Le jour de son retour, elle se souvenait des mots qu'il avait prononcé, cette fois.

Je suis désolé.

Elle n'avait même pas vraiment compris pourquoi il s'excusait ; trop imbue d'elle-même pour par résonance se questionner sur ses propres agissements. Elle le comprenait, maintenant, qu'il s'était mis de côté pour simplement lui tendre la patte, poser l'épée qu'il avait dressée en réponse à ses mots blessant. Sa fierté, il avait su la tenir à distance quand elle avait toujours été incapable de le faire au bon moment.

Tu m'as manquée.

Les autres mots qui avaient suivi, dans ce dévoilement supplémentaire qu'il lui offrit. Des mots qu'elle ne lui retourna jamais, des mots qu'elle n'était pas certaine d'avoir un jour prononcé pour quiconque. Parce qu'elle avait toujours cru se suffire à elle-même, malgré l'énergie et le désespoir qu'elle avait brûlés à poursuivre le fantôme d'autres personnes toute sa vie durant.
Pourtant ce soir, en revoyant l'or de ses prunelles, il lui semblait comprendre cela aussi.
Et puis...

Je t'aime.

Bien plus tard dans cette même journée, les derniers mots marquants qui se gravèrent dans sa mémoire.
Cela... Le comprenait-elle, maintenant ? Elle n'en était toujours pas certaine.
Malgré le temps, malgré l'envie sincère d'essayer, Mildred était peut-être tout simplement trop usée pour accueillir cela de plus en elle. Mais elle avait encore un peu de temps, non ? Elle pouvait... Continuer d'essayer.
Etait-ce si important, de toute manière ? Quand bien même cela faisait partie des choses qu'elle ne parvenait pas à comprendre, il n'avait jamais demandé de sa part que se développe une réciprocité de ce genre.

En revanche, elle lui devait tout le reste. D'enfin montrer qu'à sa manière bien particulière à elle... Il comptait, lui aussi.

Il avait toujours fait les premiers pas. Il avait toujours été celui qui était là pour la rattraper, pour l'empêcher de tomber au fond du gouffre, pour briser la glace et dire les premiers mots.
Aujourd'hui, ce serait à son tour.


And since i've lost all sense and meaning of life

Now, where do our story end?
No, i'm not ready to move on
I know that you're the best for me
I'll be the best for you



Sa gueule était sèche, quand après un si long silence que tous deux laissèrent s'étirer elle fit de nouveau un pas vers l'avant, tendit l'encolure vers lui - mais ses yeux, eux, tombèrent vers le sol, incapables d'affronter les siens pour le moment.

— Je... Je suis désolée.

De sa voix faible et vacillante, elle fit ce qui lui parut être évidence.

— Tu m'as manqué.

Reprendre ses mots, incapable de trouver meilleure formulation que ce qu'il lui laissa entrevoir de tendresse.
Mildred exécuta un troisième pas - elle était presque à l'intérieur, maintenant, plus séparée du mâle que par deux ou trois mètres. Dans son dos, elle sentait encore la chaleur du soleil couchant qui venait courir et souligner par la même occasion les ondulations de ses mèches carmin striées d'argent.

— Les mots que tu m'as dit, après la bataille... Je ne m'en souviens presque plus.

Son ton était peiné, ses dernières syllabes contenaient une supplication muette.
Pourrais-tu me parler encore ? Je suis prête à écouter, cette fois.

Au bord de l'un de ses yeux qui finirent par se relever vers le visage de Narcisse perla une unique larme, puis elle dévala son museau et alla s'écraser au sol en silence.


You gave up on me way too fast
But don't be a stranger at last
Give me time and i'll prove you that
I'm trying to kill the worst of me
To be the best for you
To be the best for you...

Un simple jeu de regard. Lui ne brise pas le silence, quand elle semble attendre ce geste de sa part. Narcisse n’avait aucune rancœur envers elle, du fait d’une de ses énièmes absences…
Comment pouvait-il lui en vouloir ?
Il avait exprimé ses sentiments depuis bien longtemps, sans jamais rien attendre en retour.
Je n’attends rien.
À chaque fois il avait eu quelque chose à dire, une inquiétude à soulever, une joie de la revoir. Ne le savait-elle pas après tout ce temps ? Devait-il le lui répéter encore ?
Aujourd’hui je n’ai rien à dire.

Peut-être nous ne sommes pas obligés de nous dire quelque chose à chaque fois ?

Pourtant, il y a un pas, un geste. Des mots qui suivent. Les sourcils de Narcisse se froncent. À chaque mot, il y a un écho lointain. Son cœur qui rate un battement. Les yeux dorés observent la tête baissée, sans trop savoir ce qui est attendu. Ces mots, ce furent les siens, des mois auparavant.
Je t’aime.
C’est ainsi, qu’il avait conclu. S’en souvenait, comme si c’était hier. Les sentiments contre lesquels il n’avait pu lutter, envers une louve qui était à l’opposé de tous les principes qu’on lui avait inculqué enfant.
Tu l’aurais désapprouvé Pepper.
Vous aussi, mamans.
Mais…
Un pas.
Mais…
La distance qui se brise.
C’est elle.
Son museau qui vient frôler doucement le sien.
C’est elle que j’aime.
C’est elle que mon cœur a choisi.
C’est pour elle que je renversai n’importe quel empire.
Que je braverai tous les interdits.
Ne serais-ce que pour m'assurer de son bonheur.

« — Tu es rentrée. »

Il passe doucement une griffe sur sa joue humide, avant de se redresser.

« — C’est tout ce qui importe. »

Que tu ailles bien.
Narcisse se recule, s’éloigne vers l’emplacement de la grotte où il dormait. Au moins, cette nuit il n’aurait pas à l’attendre. Allongé, il vient poser sa tête sur ses longues pattes.

Ce silence que lui acceptait comme normalité, ce silence qui pour lui ne signifiait rien d'autre , ce silence qui n'avait rien de vicieux et lui convenait...
A elle, il lui était insupportable. Dans une famille où la rancune fut un langage bien plus entretenu que l'amour, le silence était le plus souvent ce qui précédait l'orage. Combien de fois elle-même avait-elle gardé le silence comme un outil à manier, comme une bombe à retardement pour laisser gonfler la rancœur ? Combien de silences coupables, de silences accusateurs, de silences vengeurs ? Et même quand il s'agissait de couper les ponts, toujours le silence venait s'ériger en seul maître. Celui qui annonçait les mauvaises nouvelles sans même avoir besoin de les dire. Quel pouvoir formidable, n'est-ce pas ? Que de laisser l'autre en proie à une imagination cruelle, ou impuissant devant le fait accompli, ou abattu par la gueule de quelqu'un d'autre qui utiliserait les mots à sa place ?
Quelle meilleure arme que le silence pour achever et signer la longue liste de leurs défauts, de leur lâcheté ?
Maxim n'avait pas fait de bruit, quand elle s'était progressivement effacée de leurs vies.
Isrâ ne lui accorda pas un mot, ni de son mal-être ni de son désir et son projet, avant de se trancher la gorge de sa propre patte.
Anianka ne jugea pas utile de les informer de son déclin, quand son grand âge finit par éteindre le doré de ses yeux.
Méridor ne prit pas la peine de la prévenir avant de disparaître dans le vent, seulement quelques jours après qu'ils se soient pourtant retrouvés - et réconciliés, avait-elle eu la sottise de croire alors - dans les flammes de l'incendie Nakhus.
Rhaegar... Oh, elle ne se souvenait même plus de quand elle cessa définitivement de penser entendre à nouveau quoi que ce soit de sa part, lui le fantôme.
Et Elely... Ah, Elely. Celle sur qui elle avait réellement pu croire compter, après que toutes deux aient tant traversées d'épreuves ensemble, que toutes deux aient survécu à tout le reste.
Mais elle aussi, comme les autres, ne pensa pas à sa sœur avant de quitter ces terres pour des horizons sans doute bien plus glorieux !
Elle revoyait encore, l'air peiné de son oncle Teddy qui lui annonça la nouvelle et sa tête qui se balançait.

De gauche à droite, de droite à gauche.

Alors c'était tout cela, que Mildred entendait en cacophonie dans le fond de son esprit, quand s'étirait le silence entre Narcisse et elle. Un orchestre qui n'avait de cesse de s'éveiller pour rejouer encore la mélodie de ses traumatismes, battre la mesure de ses angoisses, hurler le refrain de son désespoir.
Jusqu'à ce que...
Jusqu'à ce que son museau la touche, après cette lente approche qu'elle ne vit même pas venir tant son regard s'était figé dans le vide.
Un souffle qui se mêla au sien, une voix douce qui chassa tout le reste de son esprit en se logeant dans ses oreilles, une griffe légère qui fit frémir la peau de sa joue.

Alors... Alors, il ne lui en voulait pas ?

Ce fut à son tour de rester muette, quand le mâle se recula ensuite et alla tout simplement s'allonger à sa place, comme si elle n'était jamais partie en lui jetant pratiquement un regard de dégoût, comme si elle ne l'avait pas fui une fois de plus sans même se retourner, comme si elle ne lui avait pas encore infligé son absence et son silence.
C'était comme si il ne l'avait jamais attendue, et que rien n'avait changé dans ce quotidien fragile mais presque apaisé qu'une guerre contre un dragon était venue ébranler.
C'était comme si... Tout était normal.

Mildred déglutit lentement, et il lui sembla être alors percée par quelque chose qu'elle ne comprenait pas. Quelque chose qui faisait un peu mal sans être pourtant désagréable, là, tout autour de sa poitrine.
Mais la louve choisit de ne pas s'attarder dessus, de ne plus se poser de question, là, tout de suite, maintenant. De simplement accepter ce moment. Alors elle se mit elle aussi en mouvement, lentement. Pour venir le rejoindre et s'allonger non loin, à sa place à elle, peut-être un peu plus proche de lui que d'habitude, là où en imitant sa posture par sa tête qui se posa également sur ses antérieurs leurs vibrisses purent se frôler.

Immobile mais les yeux grand ouverts, Mildred se contenta de l'observer pendant plusieurs minutes sans plus craindre le silence.

Et quand elle finit par laisser de nouveau entendre sa voix, celle-ci était calme et profonde.

— Ce que j'ai vu l'autre jour... Ton pouvoir. Qu'est-ce que c'était ?

Lui avait laissé comprendre que tout cela n'avait plus d'importance, que se répéter n'était pas utile, pas nécessaire à ce que reprenne le cours de leur vie.
Mais pour elle, ça l'était. La louve voulait en discuter de nouveau, détestait la sensation d'avoir été volée d'une part de sa mémoire par cet ouragan qui avait balayé son esprit. Mildred ne se souvenait que de bribes et souhaitait ardemment raccrocher les morceaux entre eux, comprendre ce qu'elle avait vu, être rassurée comme s'assurer pouvoir se fier au peu qu'elle avait retenu.

Que d'après lui, ça n'arriverait plus.

Demeurait alors, pour elle, une interrogation encore muette qu'elle ne prononcerait pas tant qu'elle n'aurait pas entendu de nouveau son histoire.

Si en lui vivait tel genre d'incontrôlable monstre, pourquoi ne pas s'être débarrassé de son glowstick en même temps que tout le reste ?

Mildred s'installe à ses côtés. Il la sent plus hésitante, moins à l'aise avec cette idée que rien n'a changé. Narcisse lui avait toujours dit, que jamais il ne la forcerait à quoique ce soit.
Que cela soit pour rester ou rentrer.

« — Le Phénix. C'est lui qui prend le contrôle quand je n'ai plus d'emprise. Je crois que le dragon m'aurait tué, si mon pouvoir n'avait pas pris le dessus à ce moment là... » Il marqua une courte pause. « C'est un destructeur, il apprécie détruire et dévorer tout ceux qu'il croise. il dévorerait mon Frère si il le pouvait... toi aussi j'imagine. »

C'est pour cela qu'il ne laissait pas le Phénix sortir, l'affamait pour ne pas qu'il puisse prendre le dessus. Enfin... avant le dragon. Maintenant, l'Oiseau se faisait silencieux, présent mais terriblement silencieux.
Narcisse appréciait ce calme nouveau.
Un moment de silence qui s'écoule, les yeux dorés qui cherchent le regard de la louve.

« — Comptes tu rester cette fois ou dois-je me préparer à une autre de tes absences, Mildred ? »

Le ton est calme, sans reproche.