Les soeurs démonnes - Physalis

Elles étaient unies dans la fourberie et la recherche d'approbation de leur courage, même si ça pouvait leur coûter une remontrance de la part de leurs mamans. Au fil du temps, les deux adultes avaient presque fini par baisser les bras et ne plus faire attention à leurs escapades d'enfant en dehors du territoire, c'est qu'elles devenaient grandes après tout.

Alors il y avait comme un manque de renouveau, une routine qui commençait un peu à s'installer malgré elles, ce qui n'était pas supportable pour l'esprit bien trop vif de Phy'. Les daronnes auraient dû penser à ce qui allait sortir de leur bouche, les profondeurs. Ca, ça faisait peur, ça faisait frissonner. Alors les deux jeunes inconscientes s'étaient mises d'accord pour y aller sans même se chahuter une seule fois.
Pour dire à quel point ça tenait pour elles.

- On pourrait en faire notre endroit, à nous.

L'air conquérant en se secouant pour dégager un maximum d'eau de son pelage, ça la dégoûtait un peu, l'eau de mer. Le sacrifice de deux-trois bouclettes sauvages en valait la peine, ses yeux rivés sur les ténèbres qui s'offraient devant elles.

Ophrys en première, plus discrète, plus cachée avec sa cape.
Ophrys, qui d'office se vautre comme une abrutie dans un trou en un fracas sourd. Avant même d'aider sa partenaire de crime, elle ballaie vivement autour d'elles, au cas où. Par chance, rien. Un air mauvais se tourne vers Ryry.

- Quelle pathétique idiote tu fais.

Elle lui tend quand même une patte sûre pour l'aider à remonter, roulant des yeux et toujours à l'affût jusqu'à ce qu'elles soient enfin réunies. Puis elle ne dit rien, roule des épaules pour signifier qu'il fallait continuer d'avancer en silence. Heureusement, cette mauvaise aventure ne retire rien à la beauté macabre de l'endroit. Des lianes aux halos variants, du violet, du vert, du blanc, il semblait. Des plantes au sol qui en faisaient de même. Comment un si bel endroit pouvait-il abriter les plus grands dangers du territoire ?

Un énième commentaire cinglant qui fait grogner Fifi, menaçante. Comme si c'était de sa faute si cette andouille qui avait pour titre soeur ne savait comment bien poser ses pattes. La belle affaire. M'enfin, ce n'était pas le moment et surtout pas le lieu pour se chamailler et s'égarer, elles étaient en "mission". Donc elle se satisfait en roulant encore des yeux.

Phy' est prise d'un haut-le-coeur, une odeur qui sentait la mort de plusieurs jours s'empare des alentours, elle s'arrête donc, et apose sa muselière sur le nez, pour au moins tenter de filtrer quelque chose. Evidemment, ça n'était pas bien efficace. Un vent accompagne cette odeur de charogne en leur direction. Immédiatemment, elle se met un peu plus sur ses gardes.

- Je crois qu'on nous prévient.

Une voix très basse et assez rauque, ses cordes vocales gênées par sa gorge qui se serrait pour ne pas relâcher son repas de plus tôt. Et elle se tapit un peu plus au sol, cherchant toujours sa soeur du regard, seul point de repère ici. Elles étaient bien trop loin du continent maintenant pour être entendues.

Ophrys reprend donc les devants, sa soeur collée à son derrière, préférant encore sentir l'odeur familiale que la mort. C'était vraiment écoeurant, mais pour la première fois, Phy' ressentait l'adrénaline, la vraie, celle qui met tous les muscles en alerte et prêts à sauver sa peau. Est-ce qu'Ophrys ressentait ça aussi en repassant devant ? C'était ennivrant.

Au sol, un truc mort depuis longtemps qui avait bien trop coagulé avec les jours, peut être même les mois à rester ici. Sauf un truc, qui faisait un son bien particulier. Un son que la jeune louve connaissait, car elle avait le même en elle. Un coeur qui battait, qui pulsait encore parmi les débrits de ce corps. Là, elle ne se sentait vraiment pas bien, le trop plein d'hormones la submerge, lui glace le sang, littéralement.

- Je ne me sens pas bien ...

Et elle s'assied, le temps que ça passe, tenant sa tête fine entre ses pattes avec les yeux fermés. Non, là c'était vraiment dégueulasse. Sa concentration se place sur sa respiration, et elle parvient à se calmer sans hurler comme une imbécile. C'est pile à ce moment-là que quelque chose en profite pour lui pincer l'arrière-train, ce qui vaut un sursaut, une gueule qui s'ouvre sans que rien n'en sorte.

Elle sort les crocs, cherche ce qui lui a fait du mal, mais rien. Peut-être un insecte invisible, son nez reste retroussé. Une fois plus calme, elle se reconcentre sur sa soeur.

- Il va devenir délicat de se justifier auprès des Ma' !!

La piqûre la brûlait un peu, comme un gros moustique. Bon, elle allait y survivre quand même, non ?

Ses yeux se figent sur Ophrys, l'air mauvais, grondante (mais pas trop fort hein), et relevant la tête dans une posture plus noble et fière. Elle se moquait ouvertement, la plus rosée n'aimait pas ça. En signe de protestation à sa façon, sa queue vient tapoter la figure de sa jumelle de façon plus provocatrice. Et elle repart vers l'avant.

- Pas un mot ! Nous serions punies sinon ! Je ne peux pas être enfermée tout le temps avec toi, je te tuerais !

Ceci étant dit entre ses crocs serrés, un tchip sort d'entre ses dents. C'était aussi et surtout une histoire d'égo, connaissant sa soeur, elle serait capable de s'accaparer toutes les fleurs, se faisant passer pour l'héroïne ayant sauvé son double d'une terrible morsure aux fesses. Et elle serait la risée de sa génération, elle, Physalis ! Non vraiment, c'était inimaginable.

Un énième hurlement dans la veine principale des profondeurs. Devant elles, le néant, sauvées par leur nyctalopie qui leur permettait de voir les murs. Mais un des murs bouge soudainement, un hurlement, et encore cette odeur pestiencielle toujours plus forte. Phy' s'arrête, jauge, fait arrêter sa soeur.

Là devant elles, un truc avec la bouche grande ouverte qui pouvait avaler les deux louves en même temps.
Oh merde.

Elle ne sait pas si c'est son malaise qui fait ça, mais regarder le monstre lui fait gronder l'estomac, ses boyaux se tordent. La voix d'Ophrys la garde un peu plus raisonnable, et lui fait juste un signe de tête. Si le destin ne leur avait pas donné de très gros muscles comme leurs mamans, elles avaient un gros cerveau qui débordait d'idées et plans pour tout faire aller dans leur sens. C'était le moment de l'utiliser.

Bon, c'était à Fifi qui revenait la tâche de faire front. Heureusement que le monstre semblait mou et lent, elle saute devant lui et fait des droites-gauches pour le perdre avec tout ce mouvement. Sa soeur parvient à se faufiler derrière, il l'avait vue, mais semblait quand même moins préoccupé par ce petit éclair bleu qui avait juste bondit de côté.

- HEY !! TOI L'AFFREUX LA !

Phy' trouve un caillou, et lui lance en visant un des deux yeux. Il ferait moins le malin ce truc une fois borgne ! Ça le touche, oui ! Mais sur le visage, si on peut appeler ça comme ça ... Mais ça l'avait touché, c'était un bon début et ça devait sans doute le vexer assez pour qu'il reste focus sur la louve rosée.

Une vue qui lui tord les boyaux, sa soeur qui se joint à l'attaque du monstre, hélas le caillou n'aura pas su détourner cette chose de cette andouille de Riri. La peur prend le dessus sur la faim, le dégoût à cette image, sa propre frangine en train de déchiqueter le bras de l'adversaire.

- OPHRYS NON !!

Et Phy' tente de contourner la bête, sans grande réussite, il ne semblait pas l'avoir vu et n'avait d'yeux que pour la louve bleue. Elle siffle une insulte, cherche, réfléchit, inspecte le lieu. Elles devaient fuir, ensemble, et le regret de ne pas être avec les 'Ma se fait ressentir. C'est pas comme ça qu'elles avaient vu les choses, il n'y avait pas de fleurs, pas de gloire, personne à part elles.

- RIRI, BARRE-TOI !

Phy' gronde, et vient mordiller (sans faire grand dégats) l'une des jambes du monstre. Avec l'espoir de sauver sa soeur, et de pouvoir à son tour semer cette chose immonde. Non seulement elle était moche, mais avait très mauvais goût.