Hors du train, enfin!

Un jour nouveau s’est levé, apportant avec lui la promesse de nouvelles aventures à mener. Comment, alors, ne pas se réveiller avec le sourire aux babines, tout enjoué? Pour toi, c’était tout bonnement impossible à imaginer. Aujourd’hui en particulier, car en ce jour, toi et tes sœurs alliez explorer le monde extérieur pour la toute première fois. Enfin, tes coussinets toucheraient le sable chaud du Désert Ivoirin, jouiraient de sa texture! L’idée même était si exaltante qu’il te fallut peu de temps pour chasser la léthargie de ton petit corps endormi et, comme bien souvent, tu fus la première hors du nid. Cela dit, cette fois-ci, tu ne te contentas pas d’attendre sagement que le reste de ta famille s’extirpe de leur sommeil. Il n’y avait pas une minute à perdre!

D’abords, tu tentas de réveiller tes sœurs en appelant leur nom, mais voyant que cela n’eut aucun effet, tu passas à l’offensive, bousculant ces dernières du bout de ton museau jusqu’à les entendre grommeler. Première étape réussie! Maintenant, c’était au tour de tes pères. Tout comme pour tes sœurs, les appeler ne suffit pas, alors tu grimpas sur l’un, non sans difficulté, attrapas l’une de ses oreilles dans ta gueule, puis tiras. Ensuite, tu bondis sur le second et fis de même, leur répétant à chacun de se réveiller, qu’ils avaient promis et que le soleil s'était levé. Eux, ils ne râlèrent pas, se contentant simplement de se lever avec une certaine lourdeur, leur corps encore engourdi par le poids d’une nuit brusquement interrompue.

Tous acceptèrent leur sort. La journée pouvait donc enfin commencer et il t’était impossible de tenir en place, du moins jusqu’à ce que tu poses ton regard sur Minoo. Ses petites pattes tremblantes peinaient à soutenir son poids et elle semblait déjà toute essoufflée. Il ne te fallut alors qu’une fraction de seconde pour comprendre ce qui allait se passer, ainsi qu’un rapide coup d’œil vers tes pères pour le confirmer ; la sortie était annulée.

Et tu t’y es résignée, observant les dunes par la fenêtre de la locomotive sans broncher lorsque ton autre sœur te dit préférer bouquiner plutôt que d’inutilement s’agiter et que tes parents refusèrent gentiment ton aide pour s’occuper de la souffrante maintenant alitée, blottie entre les pattes bienveillante de votre papa, Khalaf, et sous le regard attentif de votre autre père, Cheza. Ce dernier, quand enfin la fièvre de la petite dernière fut calmée et que, soulagé, son compagnon s’assoupit auprès d’elle, s’approcha de toi avec une idée, une offre que, contrairement à ta sœur Azra, tu ne pouvais refuser.

- J’adorerais! chuchotas-tu avec enthousiasme, de crainte de réveiller Minoo.

C’est ainsi que tu te retrouvas dans les airs, en route pour tu ne savais trop où, savourant le vent contre ta figure tandis que le reste de ton corps était dissimulé sous la montagne de plumes colorées couvrant la nuque de ton père.

- Dis, où est-ce qu’on va? Est-ce que c’est encore loin?

Feat Nesrine et Cheza

Une surprise? Mais c’est que tu adores les surprises! Ne pas savoir ce qui t’attend, la nouveauté…Rien de tel pour briser la monotonie et transformer un jour ordinaire en une journée exceptionnelle! La simple mention du mot surprise suffit à mettre tous tes sens en alerte et un frisson te parcourra l’échine. Si tu peinais déjà à tenir en place, il t’était d’autant plus difficile d’y parvenir maintenant. On aurait dit que le sang se trouvant dans tes coussinets s’était électrifié, sans parler de tes serres qui, bien malgré toi, raclaient le pelage heureusement épais de ton père.

Puis les nuages s’écartèrent et tu vis pour la première fois ce que ce dernier appela la mer. Tes petits yeux d’enfant s’écarquillèrent en grand, scintillant autant, si ce n’est plus, que la surface bleue se mouvant sous ses grandes ailes. Jamais tu n’avais vu une aussi grande quantité d’eau de toute ta vie! Et cette couleur…C’était tout bonnement à couper le souffle. Un spectacle qui te laissa sans voix, si ce n’est pour le faible ‘’Wow!’’ qui se glissa hors de ta gueule entrouverte. Quel dommage que tes sœurs ne soient pas avec toi pour partager cette vue magnifique.

Cette triste pensée s’envola aussi soudainement qu’elle t’était venue lorsqu’enfin ton père toucha terre. L’excitation s’empara de toi, te faisant presque danser sur place jusqu’à ce que tu puisses enfin sauter au sol, remerciant au passage ton gentil papa d’une affectueuse léchouille sur sa grosse joue duveteuse. Si la texture qui accueillit tes pattes alors était on ne peut plus familière, ce qui parsemait de-ci de-là le sable clair l’était beaucoup moins et c’était sans parler de toutes ses odeurs nouvelles qui t’effleuraient le museau; un véritable fouillis pour ton jeune odorat aiguisé. De quoi te faire tourner la tête, en fait, mais toi, tu adorais ça.

Tu laissas la curiosité t’emporter, te guider d’abords vers ces étrangetés aux innombrables formes et nuances. Rondes, allongées, roses, tachetées, petites et grandes…Il y en avait tellement! Et celle-là, tout près de l’eau? Ta vue te jouait-elle des tours ou est-ce qu’elle avait bougé? D’un bond, tu t’élanças vers l’intrigant objet, tes pattes s’enfonçant dans le sable humide tandis que ta truffe bouscula la chose sans délicatesse, exposant ce qui ressemblait à de petites griffes qui s’agitaient dans les airs. Un insecte? La petite exploratrice en toi devait savoir, approcha donc une nouvelle fois son visage de la créature pour la renifler. Cette dernière te chatouilla d’abords le museau, te faisant rigoler, puis tout à coup, tu ressentis une étrange pression.

Redressant la tête, tu réalisas que la petite bête s’était accroché à toi, te pinçait une narine. Surprise, tu secouas doucement la tête de droite à gauche, puis tu te mis à rigoler.

- Papa, regarde! Je me suis fait un ami. Qu’est-ce que c’est, dit? On peut le garder?

Si d’autres jeunes louveteaux auraient trouvé la situation désagréable, voir même douloureuse, pour toi Nesrine, il n’en était rien. Tu sautillais allègrement devant ton père, visiblement amusée par la chose qui ne semblait pas vouloir lâcher prise. Tu te demandais même si chacun de ses objets dans le sable contenait l’une de ses bêtes bizarres et si, peut-être, tu pourrais en faire cadeau à tes sœurs chéries, restées à la maison. Ce serait une belle surprise, non?

Feat Nesrine et Cheza

Tu ne pipas mot lorsque ton père s’évertua à te libérer de la prise de l’étrange petite bête, te contentant de le laisser faire tout en l’observant, à la fois amusée par sa réaction, son petit cri, et intriguée par l’inquiétude qui se lisait sur son visage. Avait-il peur de la créature accrochée à ton museau? Impossible! Ton papa, il était grand et fort, te disais-tu. Il ne ferait qu’une bouchée de cette drôle de bestiole à pinces. Ce devait donc assurément être autre chose, mais quoi? Dans ton esprit, il ne pouvait y avoir qu’une seule autre raison : c’était de ta faute. En chahutant la petite créature, tu devais forcément avoir fait une bêtise.

Heureusement, ce que ton père appela un crabe ne sembla pas particulièrement traumatisé par son face-à-face avec toi. La petite bête se faufila entre tes pattes à la seconde où elle toucha le sol et tu la regardas faire, penchant la tête aussi loin que le permettait ton cou pour la voir s’éclipser dans le sable, hors de ta portée. Ce n’est qu’à ce moment que tu te redressas pour tomber truffe-à-truffe avec ton papa. Ce dernier scruta attentivement ton visage, de si près que ses plumes vinrent te chatouiller le front ainsi que les oreilles, de sorte que tu ne pus t’empêcher de rigoler une nouvelle fois.

- Ça va, papa. Je n’ai rien. Dis-tu en lui offrant ensuite ton plus beau sourire.

Il faut croire que cela lui suffit, puisque l’inquiétude disparut de son visage, ce qui te rassura grandement. Peut-être n’avais-tu rien fait de mal, finalement, et c’était tant mieux. Chassant donc cette idée de ta tête, tu suivis l’indication du grand loup et, à ton tour, posa les yeux sur l’adorable créature ailée. Décidément, tu en aurais des choses à raconter à tes sœurs, en rentrant!

- C’est quoi, papa? Est-ce que lui aussi, il a besoin de la mer pour vivre ou est-ce qu’on peut l’amener à la maison?

Tu marchais sur place, ta queue garnie de plumes s’agitant derrière toi alors que tes petites ailes cherchèrent à s’ouvrir d’elles mêmes. Ton regard passait de la chose à ton père, de ton père à la bête, comme si tu attendais leur permission pour faire quelque chose, une directive sur ce que tu devais faire. Ou ne pas faire. Ne pas l’effrayer, c’était un début, et tu essayais tant bien que mal de ne pas céder à la tentation de t’élancer vers la bestiole pour l’attraper et la serrer dans tes pattes. Mais c’était aussi un véritable défi que de devoir te retenir.

Feat Nesrine et Cheza