Il faut aller de l'avant. ○ Romance.

L'hybride louve-crocodile regardait sans le voir l'épitaphe gravé sur la stèle en pierre noir, lisse et propre. La tombe était neuve. Enfin, relativement. Elle faisait partie des plus récentes, de celles qu'elle avait aidé à creuser. Plusieurs tombes encore vierges des vestiges du temps rendaient hommage aux disparus lors du combat contre Everbloom. Ces sépultures sautaient aux yeux comme autant de choses qui n'auraient pas été à leur place. Le coeur lourd, Nout déposa le bouquet de pensées qu'elle avait apportés pour son père. Elle avait un moment hésité avant de les cueillir. Mais ces fleurs-là représentaient bien le sentiment qui imprégnait son être : la nostalgie. Elles invitaient à l'introspection et aux souvenirs. Et puis, d'un point de vue pratique les pensées étaient plutôt résistantes, elles supportaient le gel et étaient vivaces, donc elles survivraient et ressortiraient au printemps prochain. De quoi rendre cette tombe un peu plus attrayante. Nout voulait que son père reste un symbole de force et de confiance. Ce qu'il continuait d'être pour elle en tout cas. Les fleurs remises en terre devant la stèle, elle déposa la truffe sur le nom en lettre blanche qui venaient eclaircir la couleur sombre de la pierre. Puis elle pria. De longues minutes, silencieuse, la Soldate aux cheveux de neige se recueillait, un léger sourire étirant ses babines. Elle avait jusque là tenu avec vaillance toutes ses promesses. Il était temps qu'elle en fasse une nouvelle. Celle de se défaire de la culpabiliser de n'avoir pas été là, celle d'avance, de reprendre le cours de sa vie, de retrouver sa joie de vivre et d'à son tour, laisser une place aux bonheurs simples de la vie.

Forte de cette nouvelle résolution, la femelle hybride s'éloigna de son refuge sentimental pour observer plus attentivement le reste du cimetière. Grâce à la volonté de Paprika, ce lieu sacré, de souvenir et de méditation, semblait bien moins lugubre. Les racines et résidus de lichens avaient été retirés au maximum, les sépultures avaient été nettoyées, dépoussiérées. Nout sentit que son travail ici était quasiment accomplit. Le retour du soleil et de la chaleur ferait le reste pour que tout refleurissent et que de belles couleurs viennent chatoyer à droite à gauche. Les épaules plus légères, Nout récupérer les quelques roses blanches qu'elle avait trouvées et se rendit sur la tombe de sa génitrice, Mâat. Elle y déposa l'une des fleurs immaculées. Elle contempla la stèle un instant avant de se rendre sur la suivante, toute près, de son frère de portée Deucalion. Là aussi, elle se recueillit quelques minutes et déposa une rose. Enfin, elle revint vers le dernier lieu de repos d'Anthem mais s'arrêta une pierre plus tôt : sa mère, ou du moins, la douce et aimante louve qui l'avait élevée reposait là. Aux côtés de son compagnon et amour. La Séide posa la dernière rose sur cette dalle. Plume Blanche avait été aussi pure que le blanc de la fleur aux yeux dorés de Nout. Elle passa plus de temps ici, à se remémorer son enfance chaleureuse et insouciante. A se souvenir de la tendresse de sa mère adoptive, qui elle aussi l'avait aimé comme si elle l'avait faite, à l'égale de Morokei et d'Améthyste. Un sourire mélancolique étira les babines de l'hybride tandis que ses prunelles couleur miel se noyaient de larmes qu'elle refusait de libérer.

« Au revoir Maman. Au revoir Papa. »

Elle n'avait jamais pu le leur dire. Enfin, elle pouvait prendre ce temps. Enfin, elle pouvait se permettre de rester là à penser à eux, à se souvenir du bonheur formé par leur famille unie, soudée. Parce qu'enfin, plus personne n'avait demandé son aide ou sa présence. Parce qu'enfin, on lui laissait ce repos si mérité. Parce qu'enfin, elle s'octroyait le droit et surtout, le devoir, de n'être là plus que pour ses parents, l'espace d'une journée.

« Je vous aime. »

Leur avait-elle seulement assez dit ?

« Je suis fière d'avoir été votre fille. Et je ferais en sorte que vous puissiez l'être d'avoir été mes parents. »

Le début de sa vie. Où elle prendrait aussi du temps pour elle. Du temps pour ses proches surtout. Parce que la famille était un pilier, une force. Et qu'il était tant qu'elle forge ses propres forces, et pourquoi aas qu'elle soit le pilier de quelqu'un.

La matinée était froide, le vent de glace, au plus profond de cet hiver qui venait effacer les derniers effluves d'Everbloom sur le continent. Ou peut-être étaient-ils encore là, plus ténus mais toujours présent. En tout cas, elle ne les sentait plus. C'était pour elle comme une vision du continent reprenant son apparence originelle, comme si tout était redevenu comme avant. Elle savait fort bien que ce ne serait jamais le cas. Mais ses yeux blanchis auquel la maladie avait retiré la vue ne pouvaient démentir les visions de son imagination, alors pourquoi ne pas imaginer le continent comme il l'était quelques années auparavant, après tout ? C'était une bien douce image après les temps d'horreur et de chagrin. Un chagrin bien neuf, en ce qui la concernait. Pour une raison qu'elle n'expliquait pas réellement, personne ne lui avait dit que son père faisait partie des victimes de la sombre période durant laquelle elle avait été endormie - ou presque. Elle l'avait appris au détour d'une conversation aux accents gênés, et le loup qui lui avait annoncé cela avait aussitôt trouvé un prétexte pour s'en aller. Elle était restée seule dans un coin du campement, avec une peine soudaine et un sentiment de solitude des plus profonds. Une incompréhension aussi. Personne ne lui en avait parlé, pas même Aristote, Nout ou même Roy. Et elle s'était retrouvée comme une enfant, après une nuit de réflexion où elle avait décidé qu'il était temps de briser la glace, devant cette nouvelle subite, tranchante, inéluctable.
Anthem était mort.

Elle se savait sous bonne garde, mais personne ne l'avait empêchée de quitter le camp alors. Pendant quelques instants, elle avait cru se perdre, jusqu'à ce que les effluves familiers de la côte et le bruit lointain des vagues ne lui parviennent. Elle avait le sentiment que son odorat s'était affaibli lui aussi, ce qui ne facilitait pas les choses pour s'orienter. Arrivée près de la mer, elle avait marché le long de la plage, écoutant avec attention les bruits de l'eau, guettant avec patience les reliefs sous ses coussinets, jusqu'à situer où se trouvait l'étroit bras de mer qui séparait la continent de l'Île Fantôme. La marée n'était pas très haute, et elle put traverser sans nager, l'eau lui arrivant au plus profond à mi-flanc. Elle était froide et la température saisit lorsqu'elle y pénétra à pas prudents. Plusieurs fois, elle manqua de glisser sur les pierres recouvertes d'algues que son chemin rencontrait. Mais elle parvint à atteindre l'autre berge sans trop d'encombres. Simplement cette espèce de tristesse qui l'avait envahie, une tristesse largement entachées de regrets. Elle aurait dû faire un pas plus tôt vers lui. Maintenant, il était trop tard.

Lorsqu'elle arriva aux abords du cimetière, les échos d'une voix familière lui parvinrent, puis l'odeur de sa cousine Nout. A l'ouïe de ses dernières paroles, il était aisé de deviner qu'elle était elle aussi venue se recueillir sur la tombe de ses parents adoptifs. Romance s'avança en silence, sans chercher à masquer le murmure léger de ses pattes sur la terre froide du Cimetière. Elle s'approcha de Nout et vint s'asseoir à ses côtés. Elle ne pouvait voir les stèles, ni lire les épitaphes qui y étaient inscrits. Sa mère à elle n'était pas ici de toute manière, elle n'en avait qu'une seule sur laquelle se recueillir. Elle baissa légèrement la tête, les paupières closes.

"Pardonne moi d'être venue si tardivement." Murmura-t-elle, sans que l'on ne sache trop si elle s'adressait à Nout ou à feu son père. "Je n'étais pas.. au courant."

Le chuchottement de la neige qui se tassent sous des coussinets alerta la Soldate qui tourna le museau vers la nouvelle venue. Romance. Le coeur de Nout se serra soudain et une tension lourde s'ababtit sur ses épaules lorsqu'elle entendit les quelques mots de sa cousine et soeur par adoption. La culpabilité vrilla son ventre. Comment avait-elle pu imaginer retrouver une vie normale et avancer alors qu'elle n'avait pas osé aller voir la louve argentée ? La femelle n'était pas au courant. Evidemment. Personne n'avait voulu lui dire. Personne n'avait eu ce courage. Et si Nout se sentait mal à cause de cela, elle en était, d'une certaine manière, soulagée. Elle s'était toujours promis qu'elle serait celle qui irait voir la mutante redevenue louve pour lui expliquer, pour lui raconter les évènements d'un point de vue de loup... Mais cet aveu était si douloureux. Et puis... Comment pourrait-bien réagir sa cousine en sachant que le départ d'Anthem était une conséquence directe de sa transformation végétale ? Nout déglutit. Les mots lui manquait de toute façon. Alors elle fit ce que toute soeur aurait fait : elle se glissa contre la femelle en rémission et frotta sa truffe contre l'épaule de Romance.

« C'est de ma faute. »

Nout redressa la tête pour fixer sa cousine. Elle prit le temps de la détailler et remarqua les yeux vides, laiteux. La Soldate Séide se sentit plus mal encore, de ne pas être aller voir Romance plus souvent et de l'avoir soutenue. Mais elle allait l'aider maintenant. Et pour commencer, elle devait lui dire la vérité avant qu'elle ne l'aprenne d'une mauvaise manière, ou de quelqu'un d'autre... Même s'il n'y avait pas vraiment de bonne manière pour annoncer ce genre de chose. Pourtant, une formulation vint à la louve aux longs cheveux de neige. Ses yeux d'or vinrent caresser la tombe paternelle et elle reprit, d'un ton qu'elle essayait de garder apaisant.

« C'est à cause de moi s'il... S'il n'est plus là. »

Nout se releva, recula d'un pas. Soudain nerveuse. C'était tellement dur à avouer.

« On se battait toutes les deux... et... »

Devait-elle être plus claire ? Non. Elle ne voulait pas remuer le couteau dans la plaie en rappelant à la grise la bête affamée et brutale qu'elle avait été.

« Il s'est interposé. »

Finit-elle par souffler, très bas. Revoir la scène se dérouler sous ses paupières fit perler des larmes au coin des yeux de la louve-crocodile. Elle pensait pourtant avoir fait son deuil... Il semblait bien que non. Elle avait réussit à se voiler la face, toute seule devant deux tombes muettes. Mais face à sa cousine ? Nout perdait sa contenance et sa confiance;..