L’espoir qui rôde ❄ Yurai

L’eau tombait sur le sol de pierre, la pluie ne semblant connaître de frontières. Les cheveux trempés, Dean avançait, laissant une traînée humide derrière elle. Voilà qu’après de nombreuses prières ainsi que de pertes, la pluie s’était remise à tomber sur les terres de Punk Wolf. Certains accueillaient cela comme une bénédiction, d’autres plus comme une mise en garde, s’attendant à ce quelque chose de plus terrible ne s’abatte sur eux. Dean était mitigée. Rien n’était entièrement rose dans la vie et même si l’on se relevait de l’épreuve précédente, une autre attendait sans nulle doute à un détour. Les grelots entourant le corps de la louve produisirent un tintement qui rompit le silence du temple. CrèveCœur et Sarcan auraient sûrement étés outrés par cela, du moins sil ils avaient encore été en vie. Un pincement au cœur saisit Dean. Ses géniteurs n’étaient plus de ce monde, sa mère s’étant éteinte tandis que son père avait été retrouvé auprès d’une statue à son effigie, le corps aussi dur et glacial que de la glace. La Nakhus n’avait jamais été particulièrement proche de lui, il n’empêche que Sarcan avait été son père. Voilà que désormais, la louve se retrouvait seule aux côtés de Beth et Eogan, lorsque ce dernier daignait se montrer. La famille du prêtre Yurai s’était dissipée, envolée en poussière. Néanmoins, il y avait quelque chose de rassurant à tout ceci. Volstein, le nouvel oracle Nakhus, semblait à la hauteur de son nouveau titre, du moins pour le moment c’était ce que Dean avait pu constater à distance.

La solitude de la jeune adulte n’avait fait que s’agrandir avec le temps, sentant que peu importe ses actions, Dean aurait du mal à se mêler aux autres. Certes, ce n’est pas en se murant dans le silence que les choses changeront diriez-vous, il n’empêche que c’était ainsi. La Nakhus n’osait pas. Du moins pour le moment, peut-être que les choses changeraient car aujourd’hui était un grand jour. La fille de Sarcan s’apprêtait à passer cette épreuve qui tenait tant à cœur aux Nakhus, une épreuve qui lui permettrait de montrer à tous, son allégeance auprès de la Corneille. Par rapport aux autres, Dean avait accumulé un certain retard, prenant le temps de réfléchir à sa situation avant de se décider à passer son épreuve de Glowstick. Elle n’en ressentait cependant aucune gêne, trouvant le temps entre la mort de ses parents ainsi que la disparition de Ori de savoir si elle était digne ou non de se rendre auprès de Yurai.

Et voilà qu’elle y était. Face à cette noble statue, représentant la Corneille, symbole des Nakhus. Levant la tête, Dean aperçut posées sur les poutres du temple, des corneilles qui semblaient l’observer, ou n’étais-ce qu’une impression ? Peut-être étais-ce ce crâne d’oiseau attaché à sa queue qu’elles jugeaient ? Ses clochettes tintèrent une nouvelle fois. La louve posa ses étranges yeux à la fois noirs et dorés sur la statue, se demandant si la déesse ferait le premier pas.

Aussi silencieuse qu’une tombe, Dean ne prononça aucune parole. Nulle surprise ne vint trahir ses traits lorsque la déesse se matérialisa. Sarcan et Crève-cœur l’avait tant décrite à leurs enfants que la louve avait l’impression de rencontrer une parente lointaine. Sa longue queue remua, faisant tinter ses clochettes, tandis que la voix de la Corneille raisonnait dans le temple. Parler. Un frisson parcourut l’échine de la Nakhus, bon dieu depuis combien de temps un mot n’avait-il franchit sa gueule ? Si longtemps, sa voix était si étrangère, même pour elle-même. Les oreilles de Dean partirent légèrement vers l’arrière, la partie la plus complexe de l’épreuve à ses yeux était probablement de prononcer des mots. La louve avait toujours eut du mal à cette idée que les loups ne pouvaient vivre sans s’exprimer, c’était si déroutant, elle qui trouvait que l’usage de la parole était une véritable malédiction. Cependant, cela ne voulait pas dire que jamais un mot n’avait franchi sa gueule, il y avait bien eu des occasions où cela fut nécessaires pour sa survie. Inspirant calmement, Dean tenta de calmer ce stress qui montait doucement en elle, ce n’était que quelques minutes de souffrances après tout. Après quelques instants, se raclant la gorge la louve prit enfin la parole, espérant que la déesse ne lui en tiendrait pas rigueur.

« — Lorsque… Lorsque nous étions enfants, ma mère et mon père ne cessaient de parler de vous. Votre nom était au cœur de chaque discussion, votre présence était constante autour de nous bien que nous ne vous ayons jamais rencontré. Notre famille était si étrange comparée aux autres, nous ne savions pas quels étaient les sentiments de nos parents à notre égards.»

Dean marqua une pause, prononcer autant de mots était si étrange et fortement désagréable à entendre. Une certaine mélancolie remonta en elle en repensant à cette enfance forte étrange qu’ils avaient tous les quatre vécus. Cette éducation si particulière et pourtant tant bénéfique. Dean n’en regrettait pas un instant, jamais elle ne se serait imaginé devoir quitter de clan pour servir une autre divinité que Yurai. D’ailleurs, c’était peut-être cette détermination de réussir qui permettait aux mots de sortir de sa gueule, combattant ce bouclier que représentait le silence en cet instant on peut plus important. Aujourd’hui, plus que jamais, il fallait que Dean parle, pour se prouver à elle-même que son épreuve était légitime.

Mort de vieillesse, Sarcan s’était éteint entre les pattes de sa déesse. Cette mort avait engendré beaucoup d’événements à commencer par la disparition d’Ori. Où donc était-elle passée ? Une question qui demeurerait sans réponse, sauf si la louve repointait un jour le bout de son museau ? Où que tu sois ma sœur, j’ose espérer que tu es comblée de bonheur. Il y avait aussi les quelques absences d’Eogan, le seul mâle de la portée revenant de temps à autre accompagné de Bertille, son étrange volatile que certains auraient volontiers croquer durant la période de sécheresse. Se redressant, Dean reprit la parole afin de conclure ce qu’elle avait sur le cœur, de pouvoir se dire que oui, tout ce qu’on lui avait enseigné avait abouti.

« — Mon père a dédié sa vie à vous ainsi qu’à se temple. C’est ici même qu’il a rendu son dernier soupir, vous destinant ses dernières paroles. Je ne prétends pas être digne de mon père, ni même de vous Yurai. »

Dean marqua une courte pause avant de reprendre.

« — Je pense être digne de mes pensées, de cette affection qui vous est destinée depuis ma naissance et de la loyauté que je m’engage à vous porter aujourd’hui, jusqu’à ce que mon esprit s’éteigne. »

Les derniers mots prononcés, la Nakhus redevint aussi silencieuse que lors de son arrivée, croisant les griffes pour que Yurai ne demande nulle justification supplémentaire.