Injustice for all ♚ Gloriel

La gueule de Neït était terriblement sèche. Pourtant, depuis que la pluie s’était remise à tomber, ce n’était pas l’eau qui manquait. En faisant craquer son cou, la prêtresse sortit de la petite cavité rocheuse qui lui servait depuis quelques années de logis. L’endroit était assez étroit, mais suffisamment grand pour qu’elle puisse y dormir et entreposer ses plantes ou autres mixtures. C’était tout ce dont-elle avait besoin après tout. De toutes les façons, personne n’était autorisé à rentrer ici, mis à part la Lazulis qui préférait de loin une vie de recluse plutôt que le brouhaha du camp. Et puis la perspective de supporter la présence de certains l’incommodait d’avance. Enfin, même si Neït ne résidait plus au camp, les rumeurs lui parvenaient. Notamment la venue des enfants bâtards de Morrow et de la soi-disant prêtresse Etelkrus. Cette pensée lui souleva un haut-le-cœur. La fille de Sekmêt avait tout sacrifié pour Ao, y compris sa famille, penser que Noroi ait pu batifoler avec une alpha ennemi la dégoûtait au plus haut point. Les dieux avaient fait une sacré erreur de jugement en la désignant, ils auraient dûsavoir.

Durant la sécheresse, Neït avait veillé avec beaucoup de soins sur la fontaine de la Dragonne, au cas où de petits idiots se risqueraient à vouloir en boire le contenu. Ce n’était pas une mission que lui avait délivré Ao, mais la déesse était devenue aussi silencieuse que la statue qui l’a représentait depuis l’attaque du cerf au temple de Yurai. Aucun signe depuis, malgré les supplications de sa prêtresse pour lui parler. Du temps perdu à essayer d’attirer l’attention d’une foutu divinité égocentrique. Néanmoins, la louve avait pris en compte les avertissement de la divinité et veillait aussi bien que possible sur son temple, de crainte qu’un malheur ne le frappe ou voir même, atteigne les futurs disciples de la Bleue.

Neït leva la tête pour observer les nuages gris qui recouvraient le ciel. Il allait sûrement pleuvoir. Encore. Nullement dérangée par ce fait, la Lazulis s’assit non loin de l’entrée, au bord de l’eau. Cette dernière lui renvoyé son reflet. Grâce aux nombreuses mixtures qu’elle prenait, l’âge ne lui ravageait pas les traits. En revanche, la présence de mèches blanches dans sa tignasse, qui avait atteinte une taille qui poussait l’admiration, devenait de plus en plus fréquente. La vieillesse. C’était le cycle de la vie, l’on naissait et l’on mourrait. Cela n’effrayait en rien Neït, la mort, elle l’avait déjà affronté enfant, lorsque Sekmêt poussa son dernier soupir. La prêtresse sentit comme une présence derrière elle, tandis que le vent lui apportait une effluve familière.

« — Tiens donc gamin, qu’est-ce qui t’amène dans le coin ? Venu te recueillir auprès de ta déesse ? » dit-elle avec une pointe de sarcasme. « Dommage, tu arrives trop tard, elle ne donne plus signe de vie. »

En redonnerait-elle un jour ? Qu’importe au fond. Neït fit volte-face pour observer Gloriel. Leur dernière rencontre remontait à un moment ? Au moins avait-il survécu à la sécheresse. C’est une bonne chose gamin...

En preux chevalier, Gloriel avait apporté une proie. Aimable de sa part. Neït n'avait jamais eu de réelle talent pour la chasse et empoissonner le gibier était rarement une bonne idée. Son corps de nature maigre, était devenue squelettique, donnant l’impression qu’elle allait s’envoler si une brise de vent se faisait trop forte. Aussi, durant la sécheresse, la prêtresse avait tant bien que mal constitué un maigre stock de viande séchée, consommant une partie, cédant une autre à des clients trop affamés. Inutile de soigner des loups si ils mourraient de faim quelques heures plus tard. Certes, la Lazulis aurait pu retourner auprès de sa meute, reprenant sa place, mais c'était plier l'échine et Neït ne pliait pas. Jamais. Mieux vaut mourir la tête haute, sans dépendre de la merci des autres. L’ancienne séide avait trop espéré des autres, que ce soit de la part de Roy au sujet de Nout, de ses sœurs, son père, des Lazulis et même, de sa déesse. Cette dernière avait cru dominer sa prêtresse le jour de l’épreuve de Glowstick, mais Ao n’avait fait que raviver cette colère qui habitait depuis trop longtemps Neït, son silence ne faisant rien pour arranger les choses. La Dragonne l’avait manipulé, utilisé et au final, abandonné. Une discussion avec elle s’imposerait, bientôt, avant que le temps ne fasse son effet et que la divinité ne trouve un moyen de calmer le jeu.

L’empoisonneuse ne bougea pas lorsque Gloriel effectua un geste affectif. Le combattant était couvert de cicatrices, des griffes aux oreilles. Comment pouvait-on en accumuler autant ? Une énigme aux yeux de Neït qui n’en abordait pas. Il faut dire que à ses yeux, le combat au corps à corps avait toujours était chose futile, préférant empoisonner ses victimes. Posant son arrière-train sur le sol, la descendante de Sekmêt médita quelques secondes sur les paroles de son ami avant de prendre la parole, le ton quelque peu amer.

« — Les dieux sont responsables de leurs propres malheurs, nous, leurs pantins agissons selon leur volonté. »

De simples petites marionnettes aux griffes des dieux, c’était tout ce qu’ils représentaient. Sarcan l’avait-il compris avant de rendre son dernier soupir ? Neït regrettait de n’avoir pu le voir avant son trépas, peut-être alors, aurait-il partager son point de vue quant-a leur situation. Tant de mystères non résolus et qui ne le seraient probablement jamais. Son regard se fit un peu plus agréable.

« — Ravie de voir que tu as survécu aussi, Gloriel. Quelle tristesse ta perte aurait été pour toutes les louves Lazulis ! » Elle marqua une courte pause. « Pas grand-chose… La météo capricieuse a fait fuir mes cobayes sur pattes et mes pensées sont tournées vers notre déesse. Une vie forte peu intéressante. Et toi alors ? As-tu succomber à une femelle ? Pas une de ces sangs-mêlées j’espère… »

Acceptant l’invitation, Neït posa son corps sur le sol, ses crocs plongeant dans la chair maigre du rongeur dont-elle arracha une bouchée avant de le pousser vers Gloriel. Cela changeait de ces lambeaux de viandes asséchés, au coup assez fade…

Silencieuse, Neït ne répondit pas aux réflexions de Gloriel, sa tête levée en direction du ciel. Punk Wolf semblait avoir depuis bien longtemps échappé au contrôle des dieux, ils n’avaient plus aucune maîtrise sur ces terres qu’ils prétendaient leurs et si ils n’y prenaient pas garde, ce serait bientôt les loups qui échapperait à leur volonté. Combien seraient-ils à vouloir échapper à l’emprise de ces dieux orgueilleux, pensant que tout leur appartenait ? Combien de temps cela durerait-il ? Aux yeux de la prêtresse, l’histoire n’était plus qu’une affaire de temps. L’ont compté déjà de nombreux solitaires qui ne voulaient aucune attache à une divinité, libre de mouvements et de décisions, quand tous prendrait en compte cette terrible vérité, les Lazulis, les Nakhus, les Etelkrus, s’écrouleront, tout comme les premières meutes. Alors peut-être que tous ces catastrophes n’était que le fruit de leur volonté, afin d’obliger les loups à rester fidèle, afin de les contraindre à espérer envers ceux qu’ils jugeaient tous puissants et intouchables. Balivernes que tout ceci. L’ancienne Séide aurait pu parler à Gloriel de tous ses pressentiments, ses intuitions, mais il n’en avait pas besoin. Ce gamin était intelligent, il finirait par comprendre de lui-même que la seule chose qui n’était pas normale en ce monde, c’était cette éternelle dévotion envers des dieux qui ne servaient nul autre que leurs propres intérêts.

Remuant sa queue tressée, la louve remua une oreille, quelque peu perplexe. Ainsi, le scandale n’avait pas encore éclaté ? Morrow voulait-elle empêcher ce même acharnement qui avait eu lieu envers ses filles chez les Etelkrus ? À moins que Gloriel ne se soit pas davantage penché sur les potins des Lazulis… Neït pour sa part tenait l’information d’un bêta Etelkrus qui venait fréquemment effectué ses saignées chez elle, un sang si précieux, que la Lazulis conservait dans des fioles, au vu du don de régénération qu’ils offraient. Les échanges avec Alys étaient on peut plus tendus, il méprisait tout ce qui n’était pas Etelkrus ou n’appartenait pas à sa famille. Famille que son pouvoir lui faisait oublier au fil des années. Triste destiné qui l’attend... Néanmoins, il avait eu le mérite de la prévenir de l’arrivée des filles « bâtarde », comme il les appelait, de Noroi et Morrow.

« —Ainsi donc, Morrow vous maintient dans l’ignorance ? Les Lazulis ne savent-ils pas que leur alpha a engendré une descendance avec une prêtresse Etelkrus ? N’as-tu pas encore rencontré Anianka, l’on m’a dit que c’était le portrait craché de sa mère… » Elle marqua une pause, une certaine colère dans ses paroles. « Pauvre petits Lazulis que nous sommes, bercés dans l’ignorance de nos dieux et bernés par nos alphas. »

Une certaine lueur mélancolique brilla dans les yeux de Neït. Le jour de la grande guerre, elle aurait dû renoncer à son devoir envers Ao et suivre ce qui lui restait de famille. Mais fuir son rôle de prêtresse l’aurait réduite à néant auprès de tous. Quelle stupidité que l’orgueil...

Neït posa un regard compatissant sur son ami. Tous se faisaient berner, sans même le savoir. La prêtresse comprenait sa colère, sentiment partagé, et ils avaient toutes les raisons d’être outrés. Gloriel demanda le nom de la source, arrachant un grognement de la gueule de la louve. Osait-il douter d’elle ? Croyait-il que sa vie de recluse l’avait complètement rendu gaga ? Quelque peu déçue par ce manque de confiance, la Lazulis hésita à laisser Gloriel seul, à réfléchir sur ses paroles. Cela lui aurait sûrement fait du bien, mais Neït était las de cette solitude, un soupir s’échappa de sa gueule. Le gamin n’allait sûrement pas apprécier la réponse. Tant pis pour lui, il avait demandé après tout, à lui d’assumer ses responsabilités.

« — Tu dois probablement ta rappeler de ta famille Etelkrus, en particulier ton frère. Alys. »

La louve se tut quelques instants. Sa dernière rencontre avec le bêta était récente, mais totalement inattendue. Le bêta adverse avait pris son temps avant de revenir la voir. Ce bougre était très ingrat, rien à voir avec son frère qui était beaucoup plus chevaleresque. Les retrouvailles familiales devaient être prometteuses lorsqu’elles avaient lieu. Neït se releva, tournant le dos à son interlocuteur, ses yeux posés sur la cascade.

« —Les filles de Morrow étaient chez les Etelkrus initialement, aux côtés de leur mère. Cependant, l’alpha et Alys étaient réticents face à la présence des enfants. Heureusement selon le bêta qui te sert de frère, les gamines sont parties. Les Lazulis en héritent donc. » Elle marqua une courte pause. « un présent merveilleux, sachant qu’elles peuvent tenter leurs épreuves de glowstick. »

Secouant sa longue chevelure, Neït serra les crocs. L’on avait puni Noroi pour avoir trahi son dieu et sa fonction de prêtresse, mais qui punirait Morrow ? Personne. À moins que… Il y avait bien ce point dont lui avait parlé Ao lors de sa proposition, peut-être serait-il temps de faire appel à ce cadeau.Ainsi, la déesse se montrerait-elle enfin, voyant ce que sa propre disciple avait effectué et plus encore, son élue solitaire pour diriger un clan. Quelle erreur, les dieux n’ont-ils pas compris que les solitaires ne jurent fidélité à personne ? Qu’ils n’obéissent qu’à leurs propres règles ? La prêtresse pensa à Astaroth et Astralys, Gloriel avait raison, eux n’avaient eu droit à aucun traitement de faveur. Les alphas les avaient désigné comme des traîtres capables de planter un poignard dans le dos de n’importe quel Lazulis maintenant. Mais ils avaient fait leurs preuves aux yeux de tous et avaient dû montrer leurs réelles compétences. Les griffes bleues s’enfoncèrent dans la terre ramollie par les fortes pluie.

« —Tu sais ce qui me révolte Gloriel ? Noroi a été puni, destitué de son rôle de prêtresse, mais qui punira Morrow ?» Elle tourna sa tête vers son ami, le regard incertain. « Seule Ao en serait capable, il n’y a que elle qui en ait le pouvoir… »

Et si la Dragonne ne se montrait pas, tout ceci aurait été vain. Il fallait que la déesse donne son point de vue, car même si d’autres seraient d’accord avec leur point de vue, en tant que alpha, Morrow resterait intouchable, elle et ses foutues gamines. Du moins, si les deux avaient rejointe les Lazulis. D’après Alys, Anianka avait quitté le clan, mais quand était-il de l’autre ?

« —La vérité est toujours plus dure que le mensonge… Soit, allons parler avec notre noble alpha, voir tout le clan même pendant que nous y sommes… »