La vie, les vôtres | Libre famille Anette/Sheina

Cinq fois.
Le jour de la naissance elle avait pleuré une première fois en voyant les nouveaux nés. Trois enfants formidable qui ressemblait tant à Sheina et à elle que ça lui avait parut totalement extra-terrestre. La seconde en nommant Alexandrine et en découvrant le nom de Narcisse. La troisième en annonçant à son père qu'il était désormais un papy et la quatrième en les lui présentant et en le laissant nommer la dernière Anita. Et la cinquième... La cinquième avait été en trouvant Floyd, dans la saleté et le sang et qu'elle avait décidé sur un énorme pari de le prendre et de l'amener à Sheina en ne sachant si elle accepterait. Fort heureusement la chauve-souris avait dit oui et tout avait été sublime.
Un bonheur sans nom.

Elle observait à ce moment là ses enfants. Ses enfants !
Certes, les Etelkrus dans une globalité étaient un peu ses enfants, ils étaient sa responsabilité et son bonheur aussi mais cette petite unité de vies fraîchement arrivées... était officiellement ce qu'elle avait fait avec Sheina. Un petit privilège qui était contenue dans la grande bulle de la famille étendue. Quel concept délirant. Elle avait vraiment fait ça. Ces quatre vies. Quel concept insensé !

Penchée au-dessus d'eux, elle ne put s'empêcher de les rejoindre à nouveau, passant presque chaque seconde disponible auprès d'eux désormais. Elle posa ses pattes sur le cocon végétal et de tissu qu'elle avait forgé pour eux, puis s'enroula autour des petits comme une couverture. Anette souhaitait apporter toute sa chaleur avec elle, alors elle n'hésita pas à les apporter contre elle.

Elle roucoula, manquant de revenir au bord des larmes, d'une voix inhabituellement haut-perchée.

"... Mes boudins ♡ "

Ses enfants !
Elle ne se le redirait jamais assez, mais quel concept. Effrayant et exaltant. L'Alpha ne put s'empêcher de rajouter, ne sachant taire les vagues de tendresse qui s'échouaient sur elle à chaque fois qu'elle était en leur présence.

"Oh, si vous saviez comme je vous aime."

Pas comme si elle le répétait plusieurs fois par jours.
Quelle maman gaga.

Autant vous dire que le jour de sa naissance, Alexandrine avait aussi beaucoup pleuré, mais pour des raisons bien différentes. Déjà, elle avait pleuré parce qu'elle avait chaud. Ensuite parce qu'elle avait froid. Ensuite parce que ça piquait. Ensuite parce que ça piquait pas. Ensuite parce qu'elle entendait des trucs. Ensuite parce qu'elle n'entendait rien. Ensuite parce qu'elle n'était pas toute seule. Ensuite parce qu'il manquait quelqu'un-

Bref

Elle avait vraiment beaucoup pleuré, pour tout et rien, comme le petit boudin nouveau né qu'elle était. Mais maintenant elle avait arrêté. Elle avait mangé. Mangé mangé mangé mangé et elle avait dormi, et pris des forces. Maintenant, ça allait un peu mieux.

Elle ne pleurait plus.

Elle ouvrait les yeux, curieuse, et regardait tout ce qu'il se passait autour d'elle. Et elle se redressait, poussant sur ses petites pattes.

Et sur les corps de ses frères et soeurs, sur lesquels elle grimpait allègrement, agitant ses ailes pour palier son équilibre précaire. Spoiler : ça ne marchait pas très bien. Elle glissa et alla s'écraser contre une patte d'Anette, piaillant.

Oh, qu'il était dur d'être un si jeune louveteau !

Anita était baignée dans un monde de couleurs et d'odeurs, de sons et de sensations, de froid qui alternait avec le chaud, dans un grand nuage changeant qui changeait de consistance et de forme.
Des quelques souvenirs qui flottaient en elle se dégageaient des souvenirs d'une bulle autrefois majoritairement sombre, toujours chaude, toujours apaisante, baignée de quelques bruits diffus, de quelques ondes. Mais depuis peu de temps, tout semblait devenu si... Brut. Tout était amplifié ! Tout changeait, tout bougeait, tout évoluait bien plus vite qu'en de si longs moments auparavant.
Les sons qui s'échappaient de sa gueule encore ronde étaient eux joyeux, piaillements encore neufs et expérimentaux, la petite louve s'émerveillant de chaque vocalise qu'elle était capable de produire dans ce nouvel endroit. Avant, elle ne faisait pas de bruit, elle ne pouvait pas. Depuis que de l'air avait brûlé ses poumons, ce qui d'abord lui avait posé problème, elle s'était ensuite rendue compte que tout cela lui donnait surtout de nouvelles possibilités.
Alors elle roucoulait, roucoulait, jappait, couinait, puis roucoulait encore, et tentait de hurler. Autour d'elle elle entendait des mots, des sons bien formés, des sons qu'elle essayait d'imiter, des phrases dont elle ne comprenait pas encore le sens mais l'essence, dont elle absorbait l'amour et l'énergie, et elle savait déjà qu'à force de continuer elle finirait par y parvenir elle aussi.

Présentement, c'était le corps d'une de ses proches camarades, une des présences qui étaient là depuis toujours, qui lui marchait dessus et dont les pattes s'enfonçaient lourdement dans son corps mou. Ça ne la dérangeait pas beaucoup, Anita, ça l'amusait presque, et quand elle sentit la masse s'écrouler elle n'eut d'autre instinct que d'ouvrir à nouveau sa gueule non pas pour jacasser cette fois-ci, mais pour refermer les esquisses de petits crocs pointus qu'elle avait en sa possession sur la queue lisse et agitée de sa sœur qui semblait ne jamais s'arrêter de remuer devant elle. Elle testa la force de ses jeunes mâchoires, mâchonna sans arrière-pensée la texture étrange.
Et pendant ce temps, ses grands yeux mauves et ronds restaient grand ouverts en permanence, attentifs et filant d'un côté à l'autre, ne laissant aucun détail échapper à ce regard vif et humide.