Monstre & conception — Désastre

Le sang laisse un arrière-goût métallique. Le coeur bat encore, alors que les crocs déchirent la chair. Il sent la résistance sous son emprise. Les griffes arrachent des touffes de poils, alors qu’une patte maintient la tête immobile.

La tête.

Ce n’est pas un lapin. Ce n’est pas un gibier quelconque. C’est quelque chose que Narcisse connaît. Quelqu’un qu’il côtoie.

Le disciple de Kiro se réveilla en sursaut, le Koridé couché contre lui beuglant de surprise. Ce n’était qu’un rêve. Ou plutôt un cauchemar, comme ils étaient nombreux depuis l’établissement du camp dans le Grand Nord. Le Phénix n’aimait pas le froid et jouait sur le subconscient de Narcisse pour le lui faire comprendre. C’était sa vengeance à l’oiseau. La manière de corrompre le loup, pour laisser la bête sortir.
Qu’importe. Il ne gagnerait pas cette fois encore. Les yeux dorés du loup se posent alors sur les morceaux du prédateur qu’il avait récolté. Sa part du gâteau comme on pourrait dire. C’était aujourd’hui qu’il devait en faire quelque chose d’utile. Après ce temps laissé dans un coin.

Le Koridé vient taper sa tête dans les pattes de son maître qui l’observe en coin avant de soupirer.

« — Oui je sais. »

Narcisse se leva, plaçant les morceaux de dinosaure au milieu d’un linge qu’il rabattit de chaque côté avant de le saisir entre ses crocs. Un petit baluchon qui tiendrait au moins la route jusqu’aux terres Nakhus, lieu idéalement choisi pour faire quelque chose de tout cela. Le Koridé trottina aux côtés de l’assassin, émettant de petits sons qui trahissaient sa joie de passer du temps avec son maître. Comment le fils d’Anette aurait-il pu lui en vouloir ? Ils se côtoyaient depuis si longtemps maintenant. Un mince sourire vint étirer ses babines, alors que Narcisse donne un petit coup de truffe à son familier pour l’inciter à avancer.

Qu’il est beau de voir la vie suivre son cours, alors que la mort elle-même n’est qu’à un pas de vous.

L’hybride stoppe sa marche, à l’endroit où il avait convenu de retrouver Désastre. Ce n’était pas seul qu’il se lancerait dans un atelier conception au moins. Le loup lève la tête à l’approche du gris.

Habituellement, il n’y a pas de réel échanges entre eux. C’était ainsi depuis le début, car ils n’avaient jamais eu besoin de communiquer pour se comprendre. Pourtant aujourd’hui, le disciple de Kiro observe l’ami, son oeil manquant, les cicatrices qui marquent sa chair, avant de finalement prendre la parole, quelque peu… soucieux ?

« — Comment te sens-tu ? »

Le Koridé jappe doucement en voyant le gris, bien que toujours caché derrière son maître. Trouillard, mais pas stupide. De sa gueule dépasse quelques brins d’herbes qu’il mâchouille nerveusement, alors que l’attention de Narcisse n’est destinée qu’au gris.
Silencieux. Comme à leur habitude. Habitude que l’hybride venait briser de par ses questions, s’en voulant presque de détruire ce rituel entre eux. Mais des fois, le silence ne peuvent remplacer les mots. Alors il cherche à se préoccuper des autres, bien que peut-être de manière maladroite.

Dérangé.

Quoi de plus de normal ? Perdre un oeil, ce n’était pas rien. Bien que Pepper lui avait enseigné à se battre dans l’obscurité, Narcisse regretterait la perte d’un organe aussi précieux. Alors oui, il comprenait le sentiment de son ami. Pourtant, Désastre n’abandonne, il ne perd pas espoir, allant toujours plus loin. Déjà il est tourné vers la réussite, parce qu’il ne prévoit d’échouer à cette tâche aussi difficile que soit le simple fait de s’habituer.
L’assassin hoche la tête, prenant la parole d’un ton sûr.

« — Tu y arriveras. »

De l’ami, Narcisse ne doutait pas, et ne douterait jamais.
Le regard se porte de nouveau sur son butin, acquit avec la défaite du monstre. Il envisageait des protection, pour les zones qu’il ne pouvait protéger en combattant de tels monstres. Atténuer les chocs aux endroits vulnérables tout en évitant d’être gêné dans ses mouvements. Le côté «  foncer dans le tas » plaisait au Phénix, mais lui, préférait de loin puiser l’adversaire en esquivant, avant de l’achever. À la remarque de Désastre, un soupir s’échappe de sa gueule.

« — Protéger, c’est blesser les autres. »

Pas de juste milieu.
En revanche, il était possible de choisir qui protéger.
Certainement pas les ennemis. Sauvageons. Readers. Solitaires. Ceux qui chuchotaient dans l’ombre.

Dans le silence, les longues griffes viennent retourner une partie de la peau, pour la soupeser, réfléchir à comment l’adapter à sa silhouette. Hum… Il avait largement de quoi faire avec une telle quantité, presque de quoi le recouvrir entièrement. Mais cela le gênerait… Il lui fallait quelque chose qui puisse s’enfiler facilement, tout comme se retirer.
Une armure qui ne soit pas un poids.

Oui, Narcisse commençait à avoir une idée précise en tête, de quoi le satisfaire.

Le regard se fait aussi doux, que si il était en présence de ses soeurs ou de ses mères. Car il était plus que l’ami Désastre, il était celui aux côtés duquel l’assassin était fier de combattre, près à mourir à ses côtés, en guerrier. Il était le frère qu’il n’avait eu la chance d’avoir, celui qui le comprenait mieux que quiconque.
Celui qu’il était honoré de compter parmi ses proches.

Là où certains auraient douté, de par la blessure nouvelle, Narcisse lui, vouait une confiance aveugle. Hochant la tête, pour accepter la proposition de son ami. Seul, il risquerait de gâcher la peau et pire encore, de se gêner dans ses mouvements au moment du combat ou de l’affrontement. Ce n’était pas acceptable.

« — Je te fais confiance. »

Une affirmation sincère, alors que le disciple de Kiro vient bouger les peaux récupérées. Ses griffes effleurent la surface rugueuse et étrange du monstre. Serait-ce une protection suffisante ? Contre un loup à la mâchoire commune, oui. Contre un autre monstre ou un sauvageon, cela restait encore à voir. Mais cela serait mieux que rien. Car rien, c’était risque de se tuer, lorsque l’on ne pouvait que risquer la blessure avec une protection.
Mais comment bien se protéger ? Narcisse pensa à couvrir le bas de ses pattes arrières, en se servant des piques pour mieux blesser l’adversaire en face, car il aimait attaquer en usant de sa souplesse, plutôt que des crocs directement. À quoi bon se souiller du sang des insectes ? Oui, protéger les parties du corps dont-il se servait le plus, en les reliant par des liens solides, de sorte à ne pas se retrouver nu lors du combat. Les pattes devaient être protégées, de sorte à ne pas finir amputées, de même que les épaules. Pour le reste, suivre le schéma de son harnais, ne lui semblait pas une trop mauvaise idée. Une sorte de renforcement qu’il ne porterait pas continuellement… Au début pour les entraînement, puis enfin seulement dans des circonstances réelles. Oui. Ça lui semble une bonne idée à l’hybride qui déjà met de côté une peau, plus souple, pour s’en servir de lien avant de permettre aux pièces de tenir. La rigidité était une chose qu’il devait prendre en compte sur chacune des peaux.  
Le regard glisse sur Désastre.

« — Et toi, que feras-tu ? Pour toi ou Quetzalcóatl ? »

Le serpent avait beau être imposant, cela ne le rendait que plus vulnérable… Si Désastre prévoyait quelque chose de grand, Narcisse était prêt à partager de son butin avec lui.
Après tout, il était important que son ami soit en sécurité.
Afin que plus rien ne lui soit pris.

Le Koridé se roule en boule à proximité des deux loups, contre les peaux du prédateur défunt, y cherchant un peu de chaleur à défaut de pouvoir profiter de celle de son maître. Ce dernier n’a pour l’instant que faire du familier, du moment qu’il ne venait traîner dans ses pattes en tremblotant.
Trotte. Puis cours.
Narcisse obéit, commençant par une marche rapide, accélérant progressivement, jusqu’à se retrouver à courir, effectuant des allers-et-retours. Les yeux dorés observent un instant le carnet sur lequel l’ami prend des notes. Les babines frémissent, trahissant l’amusement du disciple de Kiro. Des deux, c’était bien Désastre, le génie. Celui qui comprenait ce que les autres se contentaient d’observer. Celui qui, analysait lorsque les autres cherchaient. Les pattes arrières fléchissent, alors que Narcisse effectue quelques sauts pour permettre au gris de bien voir ses mouvements. Ce serait dommage que la peau du monstre vienne le bloquer dans tout cela. Regrettable, oui vraiment.

L’hybride cesse de bouger, pour se rapprocher de l’ami et de son carnet. Un ouvrage qui semblait bien rempli, mais que Narcisse ne se permettrait de lire. C’était là l’univers de son ami, il devait le respecter.

Pas assez pour Quetzalcóatl. Pour le moment. Le serpent était imposant, assez pour effrayer un non-combattant, pas assez pour les dinosaures, mais qu’importe. Le plus intéressant était sa force, celle qui lui permettait de blesser gravement ses adversaires.
Sous cette forme, Désastre n’était plus l’érudit, mais le bélier. Celui qui pouvait enfoncer la moindre armure.
Narcisse hoche la tête aux paroles du gris. Le moment n’était pas encore venu pour Quetzalcóatl de porter une armure, un jour peut-être. Après tout, ils avaient tous encore de longues années devant eux.

« — Ensembles, nous pourrions chasser de quoi faire cette armure. Lorsque tu jugeras le moment opportun. »

Lorsqu’il serait rentré de ses missions.
Lorsque montres plus terrifiants encore, viendraient jusque’à eux.
Ensembles ils vaincraient.
Car rien ne les arrêtaient.

Narcisse observe le disciple de Kiro écrire dans son carnet, faire des symboles, ajouter des notes autour de schémas qu’il apercevait. Hum… Les yeux dorés quittent les pages pour fixer l’oeil unique de l’ami, pour poser de nouveau une question.

« — Ça te fait mal, quand tu deviens lui ? »

Allons, allons, tu commences à être un peu indiscret, Nar-cisse. Ne devrais-tu pas plutôt te concentrer sur le moyen de nous protéger tous les deux ? Je n’aime guère avoir des cicatrices lorsque je prends le contrôle…

Attentif, il se montre Narcisse en écoutant la réponse de son ami. Quetzalcóatl n’était pas vraiment une entité avec sa conscience propre… ou du moins, elle n’était pas suffisamment importante. Ce n’était qu’un changement de peau, une mue. Deux corps, mais un seul esprit. Cela devait être bien plus simple. Ne pas chercher constamment à lutter contre une part de soi-même.
La peau du prédateur se pose sur Narcisse, alors qu’il sent Désastre mettre en oeuvre le fruit de ses analyses. Ça lui donne un peu plus chaud encore. Pourtant, il ne bouge pas, pour ne pas déranger le travail de l’ami. À l’aide de ses longues griffes, Narcisse aide en découpant aussi précisément que possible, bien que cela ne s’avère pas aussi efficace. Pour les attaches, peut-être pourrait-il utiliser des bandes de cuirs plus fines ? Assez fine pour ne pas être une gêne au niveau des articulations, Maus suffisamment épaisses pour supporter d’êtres nouées ? Ou peut-être qu’un système de boucle serait plus propice… Hum… Le disciple de Kiro réfléchit à la question en s’intéressant à une peau un peu plus souple, dérangeant le Koridé qui redresse la tête.

Il hésite, à parler du Phénix. À décrire un peu plus cette entité qui l’habite. Mais c’était Désastre. Les deux s’étaient déjà rencontrés, lorsque l’Autre avait voulu jouer avec le disciple de Kiro. Il avait eu un aperçut de la menace, des effets, mais également du potentiel destructeur.

« — Son esprit, est toujours relié au mien, et lorsqu’il prend le contrôle de mon corps… je ne ressens pas de douleur, rien, car c’est lui qui possède tout à cet instant. Il peut se blesser au travers moi, sans que cela lui importe, il peut tuer sans aucun remords et se repaître de la chair de ses victimes. Rien ne compte à ses yeux, mis à part lui-même. C’est un destructeur. »

C’est pour cela qu’il était si dangereux de le laisser sortir.
C’était pour cela, que si peux le connaissaient, pour ainsi dire aucun, mis à part Désastre et ce pirate qui avait eu la stupidité de se rendre à proximité des terres Etelkrus.
Narcisse se souvint encore du goût de la chair du Raeder. Le Phénix avait voulu jouer et si leur adversaire avait pris la fuite, ce n’était pas sans laisser un petit souvenir de lui derrière.

« — Je n’aime pas l’avoir avec moi. » L’hybride marque une pause, marquée d’une certaine hésitation. « Pourtant, lui seul est assez fort pour vous protéger tous. Il est le dernier recours. »

Lorsque le combat semble perdu. Lorsque l’espoir semble envolé. Le Phénix n’était qu’une arme, à n’utiliser qu’en dernier ressort, lorsque la situation était tellement désespérée que de toute façon, il n’y avait plus rien à perdre.
Alors si sacrifier son corps pour permettre aux autres de survivre, Narcisse n’hésiterait pas. Le Phénix n’était pas infaillible, suffisamment affaibli, il était possible de reprendre le contrôle, auquel cas, un autre se chargerait de le mettre au tapis.

Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Tu dépeins un tableau tellement maléfique de moi, mon petit Narcisse, pourtant je t’ai aidé plus d’une fois… Peut-être une fois réellement ? Quand tu as cédé à la colère, tu te souviens ?
Tais-toi donc un peu.
Pourquoi ? Pour que tu taises la vérité ? Tu as besoin de moi, autant que j’ai besoin de toi. C’est pour cela que toi et moi, sommes faits pour être ensembles tous deux, car nous nous ressemblons tant…
C’est faux. Toi tu veux lui faire du mal. Ainsi qu’aux autres.

Le Phénix ne répond pas, se contentant de souligner sa présence en réchauffant un peu plus la température corporelle de Narcisse. Tss… saloperie d’oiseau.