Croisé des mondes [PV Hedwige]

Si Hedwige n'était pas suffisamment aventurière pour avoir encore pointé le bout de ses plumes en dehors des terres Nakhus, elle commençait en revanche à connaître par coeur le territoire de son clan. Et ce surtout depuis qu'elle avait enfin réussi à décoller sa masse de la terre pour prendre son envol. Elle n'aurait sans doute jamais un vol aussi fluide et joli à regarder que sa mère Eva, même si celle-ci lui avait prodigué tous les conseils imaginables, mais elle réussissait à voler... et c'était déjà ça. C'était même sans doute l'une des rares choses qui la rendaient un peu heureuse et presque fière d'elle. Depuis quelques temps, elle s'entraînait à ce vol silencieux qu'avaient les rapaces nocturnes qu'elle observait pendant ses insomnie. Ils fondaient sur leurs proies avec à peine bruissement. Elle s'était lancée ce modeste défi et s'entraînait donc à grimper en haut de collines, à s'élever un peu dans le ciel à la force de ses ailes, puis à planer silencieusement pour se poser au sol sans trop de bruit. Ce n'était pas encore tout à fait au point, mais elle caressait l'espoir de pouvoir un jour montrer cela à ses parents - et peut-être même en faire sa technique de chasse, car elle n'était pas la louve la plus discrète.

Ce jour-là ne faisait pas exception et elle s'était rendue dans les brumes de l'Île Chuchotante pour s'exercer. Une fois la traversée terminée, elle ne remarqua pas immédiatement l'odeur de solitaire et la piste laissée non loin de l'endroit où elle se trouvait, trop focalisée sur l'entraînement qu'elle comptait faire. Ses grands yeux dorés légèrement plissés, elle se ramassa sur elle-même et s'élança dans les airs. Ses larges ailes battirent sans discrétion, mais elle n'en avait cure. Le silence au décollage et la subtilité de cette étape, elle verrait cela dans un second temps. Lorsqu'elle se fut suffisamment élevée à son goût - c'est à dire plus haut que la cime des grands arbres qui surgissaient du brouillard -, elle cessa de grimper et se laissa aller en avant. Ses ailes se déployèrent comme deux voiles autour de son corps, la portant presque sans efforts. Elle ferma les yeux pour mieux sentir les mouvements des vents autour d'elle, mieux adapter son inclinaison. Brièvement bien-sûr, car elle savait qu'elle approchait du sol et de la végétation. Elle visa une zone dégagée et imagina qu'une proie s'y trouvait. Ses oreilles arrondies se rabattirent et elle rassembla légèremtn ses pattes sous ailes pour prendre de la vitesse.

Pendant un court instant, elle se sentit chasseur, prédateur silencieux et invisible qui fondait sur sa proie sans lui laisser la moindre chance. Puis soudain, une silhouette fit irruption dans la zone qu'elle visait, brisant en mille morceaux sa concentration. Surprise, elle battit des ailes par réflexe pour se stabiliser, mais ce ne fut pas assez pour contrer l'élan de sa descente. Elle atterrit donc maladroitement devant ce qui s'avéra être une louve. D'un coup de reins un peu brusque, elle se remit sur pied et, sans faire attention à la terre qui avait complètement salis on pelage claire, lança en bredouillant :

"Excusez-moi, je ne vous avais pas vue !"

Elle se sentit effroyablement gênée. Depuis quelques jours, elle se sentait un peu patraque et ses émotions jouaient au yo-yo entre une joie de vivre telle que celle qu'elle venait d'expérimenté, et l'impression de ne jamais se sentir bien, jamais à sa place, d'être la pire des louves et de n'avoir comme unique désir que de s'enterrer pour disparaître de la terre. Sa mère l'avait prévenue que la période des chaleurs pouvait être compliquée, mais elle ne s'était pas vraiment attendue à ça. Elle ne s'était attendue à rien de précis en réalité, et la surprise était plutôt mauvaise. Sa grande silhouette se recroquevilla légèrement, la queue entre les pattes, prête à encaisser la colère d'un loup que l'on avait visiblement pris pour une proie avant de l'éclabousser de terre.

Un éclat de rire avait accueilli sa prouesse, et l'inconnue ne sembla pas en colère contre elle. Voyant cela, la louve tachetée se détendit légèrement et un sourire timide se dessina sur ses babines claires. Son interlocutrice s'était assise devant elle, mais elle nosa pas faire de même immédiatement. Elle repoussa une envie ressente de s'ébrouer, de peur de l'éclabousser plus encore de terre, et eut un petit rire gêné lorsqu'elle fit un commentaire sur son atterrissage. En vérité, Hedwige était tout à fait capable d'atterrir correctement - c'était l'un des premières choses qu'elle avait avait avec Eva afin de ne pas se blesser lorsqu'elle était enfant -, en revanche elle n'était vraiment pas douée dans la maîtrise des émotions qui pouvaient surgir et troubler sa concentration.

L'inconnue s'appelait donc Fenna. Maintenant que l'instant de panique était passé, Hedwige découvrir qu'il s'agissait d'une louve au pelage d'un dégadé complexe, dont les motifs et les coloris rappelaient l'eau qui chantait non loin sur la plage. Elle avait de longs cheveux, ses pattes portaient quelques bracelets, son corps des bijoux divers et notamment un qui ornait sa truffe. Son odeur n'était celle d'aucun clan. Celle des solitaires.

"Je m'appelle Hedwige." Répondit-elle finalement. "Qu'est-ce que... Qu'est-ce que tu fais ici ?"

Parce qu'il fallait bien essayer de lancer un peu la conversation, après cette spectaculaire entrée en scène.

L'inconnue eut un haussement d'épaules qui surprit Hedwige. Elle n'était pas vraiment du genre à errer sans but, peut-être parce qu'elle était souvent préoccupée par plein de petites choses qui lui dessinaient des dizaines d'objectifs à atteindre pour ne pas rater sa journée, et ne comprenait même pas comment c'était possible. Aimait-elle les îles, pour avoir décidé de prendre cette direction ? Cherchait-elle une île en particulier ? Pour la personnalité aux antipodes d'un aventurier qu'était celle de la Nakhu, ça ne pouvait être que quelque-chose comme ça. Elle remua les oreilles à sa remarque sur la température de l'eau, ravie de ne quasiment pas avoir eu l'occasion de la tester elle-même. C'était peut-être une faiblesse, mais elle comptait sur ses ailes pour l'empêcher autant que possible d'entrer en contact avec l'onde glacée qui la séparait de ses destinations. Elle laissa aux Raeders et à son père l'aisance dans les flots - ils n'avaient pas d'ailes eux, après tout.

La solitaire se dénommait Fenna, ce qui ne lui disait rien. En revanche sa tentative de prononcer le mot "Nakhu", et mieux encore l'évocation d'un loup qu'elle connaissait bien, lui fit redresser les oreilles et chassa une partie de cette espèce d'angoisse qui l'habitait depuis le début de la conversation.

"Oh oui, je... Je connais Violette. Nous sommes tous les deux des Nakhus !" Répondit-elle avec un petit sourire.

Cette solitaire était particulières. Ne reconnaissait-elle pas les odeurs qu'elle portait sur son pelage ? Ne pas pouvoir identifier le parfum de chaque meute sur le Continent était une chose qui pouvait s'avérer un peu risquée, si on s'aventurait sur le mauvais territoire.

"Tu... Tu ne viens pas du Continent ?" Demanda-t-elle timidement.