Poison - Narcisse

Elle était déjà de retour, la solitude.

Il n'y aura pas de corps chaud pour se lover contre le sien, ce soir, et demain non plus.
Il ne lui resterait rien de ces histoires menées et achevés, rien d'autre que ce cœur trop gros et cette douleur lorsqu'elle songerait, encore et encore, à ces rêves brisés.
A jamais.

Le bleu de son regard rencontra celui du ciel, l'implorant.
Pour que tout s'arrange, pour espérer, encore, et se dire, encore un peu, qu'il restait quelque chose à sauver, qu'elle pourrait vivre, elle, quelque chose de beau.

Ciel, aide moi, je veux juste être heureuse.
Ciel, donne moi un enfant ! Donne moi une famille ! Je ne veux que ça.

Mais le ciel demeura silencieux, comme il l'avait toujours été, et ce qu'il lui restait d'espoir, à Holly, se fâna.
Il lui fallait se rendre à l'évidence : Il ne lui restait plus rien, et cette vie ne lui donnerait rien d'autre qu'une meute à servir. Peut-être devrait-elle s'en contenter, désormais, faire avec, trouver le bonheur dans ce simple exercice.

Ciel, sans espoir, je ne suis plus rien.

Son devoir l'obligeait à rester, encore un peu, le temps, peut-être, de trouver un remplaçant capable de servir les Etelkrus, de parler à Anita, sans la laisser imaginer ce qui allait se passer.
Ce serait mieux, ainsi.

Ensuite... Ensuite elle partirait, c'était inévitable.
Ainsi, elle serait libre.

S’éloigner d’ici. Prendre de la distance. C’était là les idées qui trottaient dans son esprit, depuis son retour de chez les Nakhus. Narcisse avait été déçu, des Etelkrus, de ceux qui se prétendaient membres respectables. D’une grande gueule de bébé panseur et d’une ancienne solitaire. L’attitude de ces deux-là… mais plus important encore. La perte de Sheina. Sa mère.
Il avait perdu sa mère putain.
Et comme à la mort de Pepper, cette même envie de tout détruire, de laisser la colère exploser.
Il bouillonnait.
Volcan sur patte, qui n’attendait que d’imploser.

Le glowstick brillait plus fort qu’il n’aurait dû.
Alors qu’il quitte la tanière familiale, celle où il se rappelait de la chaleur de ses mères, de ses soeurs, même de ce petit vaurien de Floyd. Avait-il pleuré, l’adopté, lorsqu’il avait appris la nouvelle ? Où s’était-il encore caché ?
Puis au final quelle importance ? Un lâche de plus, dans ce monde de brebis égarées.

Hum, je sens l’âme qui vacille, un repas potentiel, ne crois-tu pas ?
Je m’en moque.

Les oreilles sont couchées sur le crâne de l’Épée, qui jette un regard vide à la panseuse qui avait mis bas récemment. Ces gamins se montreraient-ils aussi ingrats que leurs ainés ?
Puis l’attention se porte sur une silhouette bleue, qu’il rejoint comme de nombreux mois auparavant.
Et d’elle semblait se dégager quelque chose de si sombre.

« — Tu empestes le désespoir. »

Tu empestes le désespoir.

Ses oreilles pivotèrent vers Narcisse, lorsqu'elle entendit sa voix masculine.
C'était une façon bien curieuse qu'il avait de l'aborder, son futur conseiller et elle ignorait comment il pouvait saisir toute la portée de ce désespoir mentionné. Peut-être grâce à son pouvoir ?
Voilà qui était embêtant, car elle ne souhaitait pas mêler les membres fidèles de sa meute à ses problèmes. Elle était l'Alpha et, de ce fait, Hollyhock se devait de rester forte en apparences. Ce serait ce qu'elle ferait.

Elle se tourna vers lui, s'approcha.

- Tu es tourmenté, Narcisse.

Je ne sais pas, si pour toi c'est du désespoir, une violente tristesse, de la colère ou de l'amertume, mais je vois bien, que ça ne va pas.
Comment lui en tenir rigueur ? Il venait de perdre sa mère, il s'était passé tant de choses chez les Nakhus et il avait été pointé du doigt par ses propres camarades de meute. Les temps avaient été plus cléments, pour son Epée, et elle comprenait qu'il puisse ne pas se sentir très bien, en ce moment.

- Un peu de repos ne te fera pas de mal. Profite en pour faire ce qu'il te plaira.

C'était un ordre, clairement.
Repose toi, mon Epée fidèle.

- Si tu as besoin de parler, par ailleurs.. Je suis là.

À la remarque, la queue féline s’agite. Il n’avait pas envie de parler de ses sentiments, ni de ses problèmes.
Et il veut encore moins de la pitié.
Hollyhock cherchait-elle à l’écarter du camp, après l’histoire chez les Nakhus ? Étais-ce sa faute à lui si ces loups ne surveillaient pas qui entraient et sortaient ? Étais-ce sa faute si il avait dû être le berger de quelques brebis égarées ? Bien évidemment. Sakura avait rejeté la faute sur lui. Tout comme Dag. Aucun n'avait pris leur part de responsabilité. Aucun n'avaient eu le courage d'admettre, qu'en restant là-bas, ils seraient peut-être mort.

« — Je n’ai pas le droit de me reposer. »

Parce que sinon il réfléchirait bien trop.
Parce qu’il devait s’entraîner pour protéger au mieux la meute.
Parce qu’il devait encore prier son dieu.
Déposer des fleurs à la tombe de sa mère.
Il n’avait pas sommeil. Ne voulait pas dormir, ressentait toujours cette nécessité de se maintenir occupé. Peut importe les conséquences sur son corps. Cela ne représentait rien à l’heure actuelle. Du moment que la fatigue lui permettait d'oublier.
Il se tourna vers Hollyhock, il n'est pas aveugle, constate qu'elle contourne sa remarque.

« — Il sent la faiblesse, le Phénix. »

Il sent la tienne.
Et il veut te dévorer.
Parce qu’il est ainsi, l’oiseau, à dévorer les traitres, à dévorer ceux qui ne sont pas Etelkrus. Mais il est attiré par ceux qui sont affaiblis, susceptibles d’être des proies faciles.
Un instant, il soutint le regard de la bleue, aucune malveillance chez lui, le but n’était pas d’offenser la louve. Il ne parlait pas à son alpha, mais à son amie.
Le museau se lève vers le ciel.

« — C’est à cause de Méridor ? »

Celui qui encore une fois, était parti. Un départ définitif. Au final, il n’aura jamais été un Etelkrus. Il avait fini par s’intégrer, mais n’avait qu’abusé de leur système.
Ces solitaires se prétendaient Etelkrus, mais n’étaient que félons.
Peut-être avait-il été trop naïf de leur accorder plus d’estime ?

Elle fronça les sourcils.

- Si tu ne te reposes pas, tu finiras par craquer et t'effondrer, crois en mon expérience. C'est à mes côtés que je te veux, mon Epée fidèle, pas au sol.

Il lui revint le souvenir difficile, et particulièrement humiliant, du premier départ d'Alexandrine. La solitude revenue, la louve bleue s'était laissée dépérir : Ca avait commencé par des nuits courtes, puis blanches, des repas sautés, faute d'appétit, tant elle craignait pour la louve aimée...
C'était Désastre et Pepper, qui l'avaient aidée : Désastre de par ses observations, Pepper pour le repos qu'elle l'avait obligée à prendre.
Cette aide, elle souhaitait désormais l'apporter à Narcisse.

- Si tu as besoin, tu peux demander quelque chose à Daisy pour les maux de l'esprit. Ca m'avait bien aidée, à l'époque, pour pouvoir dormir, au moins. Nous traversons tous des périodes plus ou moins difficile, à un moment ou à un autre, il est légitime de prendre du repos, parfois, pour mieux revenir.

Sauf elle, par ce qu'elle était Alpha, par ce que Anita était endeuillée, par ce qu'elle venait de commencer sa carrière de meneuse et que c'était encore l'une des rares choses qu'elle aimait, dans cette vie.
Elle cilla, aux remarques de Narcisse, à sa question, surtout.

- Je vois.

On ne pouvait pas lui cacher son état, au phénix.
Pour ce qui était de Méridor... Bien sûr, qu'il lui manquait. Lorsqu'il était parti, elle avait ressenti l'envie de lui emboiter le pas : pour qu'ils puissent s'expliquer, par ce qu'il l'avait rendue si heureuse, le peu de temps où ils avaient été ensemble... Par ce qu'elle l'aimait, cet imbécile à l'armure dorée.
Un soupir glissa de sa gueule.

- Non, c'est un tout. Il s'est passé beaucoup de choses, dernièrement, pour moi aussi.

La mort de Pepper, la nomination, le départ d'Alexandrine, Méridor, l'adultère, la rupture, la patte cassée, Anette qui lui avait annoncé qu'elle allait mourir, elle aussi, les enfants qui n'étaient pas dans son ventre, la gastro, le retour de Méridor et son départ pour d'autres contrées.
Le retour de la solitude.

À mes côtés.
Ce n’était pas ce rôle qu’on lui avait appris à Narcisse. Ce n’était pas celui qu’on lui avait destiné. Il devait être ombre. Sa mission. Se tenir dans l’obscurité, n’être que murmure, se déplacer à pas feutré pour protéger son alpha. Pepper le lui avait appris, estimant probablement que c’était la meilleure position qu’il pouvait tenir. Alors pourquoi Hollyhock le voulait tant dans la lumière ?
Il avait essayé.
En veillant sur Méridor. Sur Dag. En essayant de les sauver de l’incendie. Et quand tous s’étaient retournés contre lui, cela l’avait frappé, la gifle lui avait rappelé que de lumière il ne pouvait espérer.
Il avait commencé dans l’ombre.
Il ne pourrait que finir dans l’ombre.

Les oreilles se couchent sur son crâne, lorsqu’elle évoque Désastre. Son ami qui lui avait percé à la lumière. Narcisse ne pouvait pas lui faire d’ombre, il ne pouvait pas le déranger avec ces futilités. Il avait tout fait pour se montrer fort, pour l’aider à surmonter la mort de Pepper.
Il ne pouvait pas fléchir maintenant, pas devant le gris.
Il n’en avait pas le droit.

« — La douleur est ma punition. »

Pour être parti.
Pour ne pas avoir su sentir la mort arriver chez Pepper.
Pour ne pas avoir pu sentir la traîtrise chez Méridor, encore.
Pour m’être montré trop naïf envers mes camarades.
Pour avoir fait passé le clan avant ma propre famille.

Narcisse écoute les mots de la bleue. Pas entièrement la faute de Méridor, mais en parti quand même. Entre Alexandrine et le pseudo Chevalier… la louve s’était avérée être d’une certaine malchance.

« — Hum… Que vas-tu faire ? »

Il lui faisait de la peine, Narcisse.
Se rajoutait, à ses problèmes actuels, l'impuissance face à ceux éprouvés par son ami. Il souffrait, c'était évident, et ne s'en cachait même pas, acceptait cette douleur sans rien chercher pour y remédier.
Un peu comme elle.
Et ils se renvoyaient la balle, encore et encore, par ce qu'il était tellement plus facile de se soucier des préoccupations des autres que d'affronter les siennes.

Holly se rapprocha, l'une de ses pattes avant en suspens, manqua de le prendre contre elle, Narcisse... Mais il n'aimait pas être touché, alors elle s'abstint d'un contact qui aurait pu être mal vécu.

- Ta.. Punition ? Ta punition pour quoi ?

Il n'y avait, dans cet échange, plus de hiérarchie. Seulement une amie inquiète.

Et elle, que comptait faire, pour être moins malheureuse ? Qu'est-ce qui pourrait un peu combler le vide ? L'amour, c'était mort : elle n'en voulait plus, il l'avait tant déçue. Il lui restait une solution, peut-être, pourtant, avant, quelque chose qu'elle pourrait tenter avant de se jeter d'une falaise.
Un ultime espoir pour avoir ce foyer dont elle avait tant rêvé.
Son regard se perdit vers le ciel.

- Un enfant.

C'était sorti tout seul. Elle aurait pu en rire, si elle en avait eu la force. Mais non, c'était sérieux.

- Je vais faire un enfant, si le ciel le permet.

Seule.
Si l'amour l'avait tant déçue, elle n'aurait qu'à trouver un ou une inséminateur. C'était tout ce qu'il lui fallait.

Les yeux dorés suivent le mouvement de la patte. Comptait-elle le toucher ? Le rassurer par un contact ? Mais la patte s’abaisse. Narcisse ne dit rien, n’esquissa pas le moindre geste. Jadis, peut-être se serait-il montré hostile à un contact, mais maintenant… cela l’importait peu.
Peut-être ça aussi, ça faisait parti de sa punition personnelle. Rester de l’ombre avec cette image antipathique qu’il s’était créé jadis.
À la question, un mince sourire peiné étire ses babines.

« — Peut-être pour tout. »

Mais ses sentiments, il ne voulait pas s’y attarder.

« — Le ciel n’a rien à voir avec ça. Tes choix en revanche si. »

Le disciple de Kiro se détourna posant une patte sur l’épaule d’Hollyhock.

« — J’espère que tu le trouveras, ce bonheur auquel tu aspires. »

Sans attendre sa réponse, l’hybride se retira, s’éloignant du grand castel, laissant ainsi la bleue à ses pensées.
Lui en avait des plus sombres qui occupaient son esprit.